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Full text of "Études architectoniques et graphiques; mathématiques, arts d'industrie, architecture, arts d'ornement, beaux-arts"

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Architecture 
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ÉTUDES ARCHITECTONIQUES 


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GRAPHIQUES 



ÉTUDES 


ARCHITECTONIQUES 


ET 


GRAPHIQUES 

MATHÉMATIQUES 

ARTS DINDUSTRIE - ARCHITECTURE - ARTS D'ORNEMENT 

BEAUX-ARTS 


Collection raisonnée d'études et de matériaux^ de notes et de croquis pour servir 
à Vliistoire^àla théorie, à la techniquedes arts, et à l'enseignement théorique el pratique 

dans la famille^ dans V école et dans V atelier. 

Par J. BOURGOIN 

« Entre i^s vertus intellect uelles^ il y en a 
une qui e'it arc hitec tonique et principale et 
qui onoiL.NK de tout, n Ouksmk. 


TOME PREMIER 


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INTRODUCTION GENERALE 

PROLÉGOMÈNES A TOUTE GÉOMÉTRIE COMME A TODTE GRAPHIQUE 


PARIS 
CHARLES SCIIMID, ÉDITEUR 

51, RUE DES ÉCOLES, 51 

'899 


• ■ 


1 . 


A LA MÉMOIRE 


DE 


A.-A. GOURNOT 

180I-1877 

a Ancien inspecteur général des études • 
9 Ancien membre du Conseil royal de V Université et du Conseil impérial de l'Instruction publique , 

« Ancien recteur des Académies dtt Grenoble et de Dijon » 
« Commandeur de la Légion d'honneur » 


17 



BIBLIOGRAPHIE 

DES 

ŒUVRES DE COURNOT 


Traductions du Traité (Vnstronomie de J.-F.-W. HerschcU et des Eléments de méca- 
nique de Kaler et Lardner (i834-i836). — Edition des Lettres de L.Eiiler à une princesse 
d* Allemagne (18/12). 

Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (i838). — 
Traité élémentaire de la théorie des fonctions et du calcul injînitésimal {i84i). — 
Deuxième édition (1857). — Exposition de la théorie des chances et des probabilités 
(1843). — De l'origine et des limites de la correspondance entre l'algèbre et la 
géométrie (1847). 

Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique 
philosophique (i85i). — Traité de V enchaînement des idées fondamentales dans les 
sciences et dans l'histoire (1861). — Principes de la théorie des richesses (i863). — 
Des institutions d'Instruction publique en France (i864). — Considérations sur la 
marche des idées et des événements dans les temps modernes (1872). 

Matérialisme, vitalisme, rationalisme, études sur l'emploi des données de la science 
en philosophie (^S'jS), — Revue sommaire des doctrines économiques (1877). 


AVANT-PROPOS 


Les deux volumes dont se compose le présent ouvrage — çue fious 
publions sous le titre collectif d^ « Etudes arrhitectoniques et graphi- 
ques » et avec U7ie épigraphe significative — doivent être considérés, 
pris e?isem6le^ comme constituant une préparation générale à l'étude 
détaillée comme à la pratique effective des Arts d* industrie^ de T Archi- 
tecture et des Arts d'ornement. 

Cette énumération n^est point arbitraire^ et notre sous-titre, par sa 
disposition générale comme par sa composition typographique^ indi^ 
que très nettement que Fordi^e d'études qui nous occupe a pour objet 

m 

propre tout un monde d'activité, qu'il importe de concevoir comme 
indépendant et fo?icièrement autonome. Ce monde^ ce vaste domaifie 
où s'épanouit pleinement le génie propre des ouvriers, des artisans et 
des artistes; dont les richesses sans nombre n'ont poijit encore été 
inventoriées et instruites comme il convient; doiit la constitution orga- 
nique fondameiitale n'est point encore eœplicitemeîit révélée; est demeuré 
flottant et comme suspendu cîitre deux doctrines depuis longtemps for- 
mulées, celles de l'Art et de la Science {avec de grandes lettres), qui 
s'en disputent le gouveimement. 

C'est ainsi que, du moins chez nous, ce domaine, de vie si intense et 
si originale, est encadré officiellement par lé Conservatoire des Arts 
et Métiers et F École spéciale des Beaux- Arts. Ces deux établisse- 
ments^ ces deux institutions, avec leurs cours, leurs bibliothèques et 
leurs collections, ne touchent pas au fond des choses, qui ne leur appar- 


Vlll cAvant'propos 


tient pas. Leur intronisation ^ désortnais historique^ révèle seulement 
la part cT autorité dogmatique qiiau nom de la Science et IWrty et au 
mépris de la Vie, s'est arrogée P intellectualisme doctrinaire, — C'est 
par la croyance simpliste en la vertu opérât ive des « pri?îcipes gêné- 
7^aux » (1 ) que triomphent encore, dans l'enseignement d'une part^ 
la doctrine ou le système général des sciences mathématiques ct^ d^au^ 
tre part, la doctrine ou le système général des beaux^arts. — En fait 
ces deux grandes institutions ^malgré toutes leurs richesses, ne nous ont 
été à peu près d'aucun secours pour rétablissement de ce que nous 
appelons la Graphique. D'ailleurs, les Ingénieurs et les Artistes ne s'y 
seraient certainement pas acheminés d'eux-mêmes, puisqu'ils ont, 
comme ont dit, leur siège fait, et mieux ou autre chose à faire. 

Pour l'introduction générale qui, avec les prolégomènes, compose 
toute la matière du premier volume nous n'avons pas craint de faire 
de larges emprunts à différents auteurs^ trouvant chez eux justement 
ce dont nous avions besoin, et que nous n'aurions pas su exprimer ni 
avec la même force ni avec la même autorité. C'est ai?isi que Berg- 
mann nous a fourni la p7*emière section de la première partie de l'In- 
troduction générale. On y trouvera, entre autres choses, des indica- 
tions générales sur la méthode à suivre pour coordonner et exposer 
scientifiquement un ordre de questions. Ce que Bergmann indique 
pour la science des langues ou la Glossologie est applicable de tout 

( i) u La foi que l'on voue aux principes généraux csl une des grandes erreurs de notre temps. 
L'erreur réside principalement dans ce fait, que nous croyons à ces principes d*une façon dogma- 
ligue el aveugle en faisant abstraction des conditions et des exigences de la vie réelle, sans égard 
aux différences de temps, de lieu, ni aux particularités individuelles ou d'ordre historique. La vie 
réelle n'est ni une science, ni une philosophie; elle existe par elle-même comme un organisme 
vivant. Ni la science, ni la philosophie ne dominent la vie; elles puisent au contraire leurs clé~ 
ments dans la vie réelle en recueillant, en analysant et en généralisant les phénomènes delà vie; 
mais il ne faudrait pas croire qu'elles puissent embrasser toutes les innombrables manifestations 
de la vie; épuiser son infinie variété, encore moins lui créer un objet ou des formes nouvelles. 
Appliquées à la vie réelle, les propositions de la science et de la philosophie ne sont que des 
hypothèses, que de simples fictions qu'il est toujours indispensable de contrôler par le bon sens, la 
raison et l'observation des phénomènes auxquels ces propositions se rapportent. » — C.-P.Pobé- 
DOKOSTZEFF, Qucst , relig,, soc. et polit, ^ Paris, 1897. 


c/ïvant'propos i\ 


point à la science que nous voudrions inaugurer^ la science des arts 
d'industrie^ de l'architecture et des arts d'ornement. 

La seconde section^ qui procède de Cour not, envisage la science sous 
un tout autre aspect. Elle contient en outre et du même auteur une 
revue comparative extrêmement intéressante de l'Art, de la Science et 
de l'Industrie^ entendus au sens strictement classique. 

La troisième section, entièrement consacrée aux mathématiques, est 
empruntée pour une part à Cournot et pour Vautre part à deux jeunes 
auteurs, qui ont bien voulu nous accorder la faveur d'une communi- 
cation dont leur seront particulièrement reconnaissants ceux d'ent?*e 
nos lecteurs que ces matières ne rebutent point. 

Enfin, dans la secofide partie et pour la question du dessin comme 
pour la question de l'enseignement en général, tious avons cité encore 
d'autres écrivains, tous également intéressatits, bien qu'à des titres 
divers y et à propos desquels nous rappellerons cette parole deLeibnits : 
a II y a bien des personnes dont on pourrait profiter, si on pouvait 
bannir l'esprit sectaire, qui consiste dans cette prétention de vouloir 
que les autres se règlent sur nos maximes, au lieu qu'on devrait se 
contenter de voir qu'on aille au but principal. » — Op. Leib., éd. 
Dutens, t. I, p. 740. 

Maintenant si Von demande à qui ce livre s'adi'esse^ nous répon- 
drons que, conçu en vue de la masse générale des lecteurs, il ne fait 
aucune acception de catégories spéciales non plus que de professions 
particulières. Il est bien vrai que nous avons été amenée sans que nous 
Vayons voulu expressément^ à toucher à beaucoup de questions scien- 
tifiques, pédagogiques ou philosophiques. Notre justification, s'il en 
faut une absolument, est dans la longue accointance que nous avons 
eue avec Vœuvre de Cournot notre maître, et dont Vempreinte a été si 
forte qu'elle 7ious est demeurée comme attachée invinciblement dans 
toutes les circonstances, au fnoins spéculatives, de notre vie. D'un au- 
tre côtéyétant parvenu par patience et longueur de temps, à constituer 


oAvant-propos 


une théorie entièrement nouvelle, celle de la graphique ou de la 
langue et de la science des figures, qui fait l'objet propre du second 
volume, ?ious nous sommes t7^ouvé tout d'un coup, comme juché au 
sommet d'un observatoire, 'd'où nous interrogions le monde avec 
anxiété pour savoir où déposer le précieux fardeau de nos propres 
élucubrations. C'est ainsi que nous avons été amené, et d'ailleurs à 
la suite de Cournot, à proposer, pour renseignement primaire, une 
conception entièrement nouvelle de son objet et de ses fins. En résumé, 
notre livre est fait pour servir à l'enseigfiement théorique et pratique^ 
dans la famille, dans l'école et dans l'atelier; il s'adresse donc tout 
particulièrement à la jeunesse active et studieuse, qui, à l'heure pré- 

seîite, entre dans la vie par quelque porte que ce soit. 

Quoi qu'il en soit d'ailleurs, il est bien évident que l'iîitroduction et 
les prolégomènes qui composent le premier volume ne sont pas faits 
pour ceux de 7ios lecteurs, jeunes ou vieux^qui sont appelés d tirer un 
profit immédiat du second volume, c'est-à-dire des leçons de graphique. 
Il suffira très bien pour les premiers et une fois leur initiation accom- 
plie, de revenir de temps à autre, aux arcanes, si arcanes il g a, du 
premier volume. Ce n'est pas en un jour que nous-même nous avons en- 
tendu pleinement la doctrine de Cournot. A dire vrai, elle fie nous est 
devenue complètement intelligible que du jour où miïri par notre propre 
expérience, il nous fut donné' de pouvoir lui confronter une doctrine 
qui était bien nôtre et qu'il n'avait pas prévue dans ses cadres. Il arri- 
vera donc tt^ès probablement la même aventure au lecteur studieux 
qui, initié — par notre aide, et sous Faction, la seule efficace, de ses 
propres efforts — au monde si positif et si élégant des figures, pourra 
désormais peser le fardeau des opinions toutes faites, dont la pauvre 
humanité, si industrieuse, si avisée pourtant, mais sibesoqneuse, si rou- 
tinière aussi, et il le faut bien, se transmet incessamment la charge 
avec juste autant de clairvogance et de réflexion qu'en peuvent dépen- 
ser, pour leurs propres travaux, F abeille ou la fourmi. 


T5\^ 


ERRATA 


— « Qui dit ce qu'il sait, qui donne ce qu'il a, qui fait ce qu'il peut, n*est pas obligé à da- 
vantage. » Ainsi finit Tun des jolis contes dont Alfred de Musset charmait notre jeunesse. Quels 
que soient les autres défauts qu'on puisse reprocher à cet ouvrage, nous ne pouvons pas cependant 
nous résigner à laisser passer, sans les signaler expressément, les quelques fautes d'impression 
qui nous ont échappé et qu'il est facile de corriger si le lecteur en veut bien prendre la peine. 
Notamment : 

Pag-e 21, troisième ligne en remontant, aient au lieu de ait. 
Page 28, deuxième ligne en remontant, sage au lieu de sages. 
Page 35, (p. 126) au lieu de (p. 34). 

Page 36, troisième ligne en remontant, et les au lieu de et la. 

Page 125, à la fin du premier paragraphe, psychologique au lieu à^. physiologique. 
Page 126, sixième ligne du premier paragraphe^ pour tous au lieu de par tous. 
Page 149, supprimer, dans le litre de la page, les mots et la géométrie. 
Enfin, dans les Prolégomènes, rétablir pour la fig. 10^ page 27, le trait déterminant des 
deux angles obtus et pour la fig. 8, page 54» le cercle intérieur qui ont été oubliés. 


INTRODUCTION GÉNÉRALE 


PREMIÈRE PARTIE 


I 


LKS MODES DE CONCEPTION ET LA SCIENCE 


« Ecoutes -moi ^ je tiens la vérité I — Mais ta oé- 
rite est ainsi faite que dès qu'on la tient on ne croit 
plus la tenir et qu on aspire de tout son cœur à la 
tenir mieujo, » 

Tolstoï 


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INTRODUCTION GÉNÉRALE 


PREMIÈRE PARTIE 


I 


LES MODES DE CONCEPTION ET LA SCIENCE 


« Ecoules-moi^ je tiens la vérité ! — Mais la vé- 
rité est ainsi faite que dès qu*on la tient on ne croit 
plus la tenir et qu on aspire de tout son cœur à la 
tenir mieujc, » 

Tolstoï 


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1 


LES MODES DE CONCEPTION ET LA SCIENCE 


— « Toute science, prise dans le sens le plus général, a pour objet 
(le connaître de plus en plus la véinié. 

(( La science qui cherche à connaître, de plus en plus, la vérité, se 
propose une tâche qui, de sa nature, est infinie. Or, l'homme ou l'huma- 
nité n'a, pour percevoir la vérité, que des moyens finis^ des forces ou 
facultés perceptives et intellectuelles, qui sont très limitées, et sont 
servies par des sens également très bornés. 

(( Les trois modes de conception qui se font remarquer successive- 
ment dans Tesprit humain, et qui se révèlent dans toutes ses manifesta- 
tions historiques, depuis son premier épanouissement jusqu'à nos jours, 
sont V Intuition des sens, la Raison^ et V Intelligence, 

<( L'Intuition est la faculté de saisir, de percevoir par les sens, sur- 
tout par celui de la vue, qui les complète tous, les phénomènes ou exis- 
tences du monde physique, tombant sous les sens. 

« La liaison est la faculté de comparer entre elles et de combiner 
logiquement les intuitions changées en notions, et de les généraliser 
de manière à passer des réalités du monde physique aux vérités du 
monde métaphysique, 

« Vk Intelligence est la faculté de comprendre la nature des choses 
visibles et des réalités invisibles, en en saisissant le caractère essentiel 
et nécessaire. 


4 Introduction générale 


« L'esprit humain, à aucun degré de son développement, n'est jamais 
uniquement Intuition, ou Raison^ ou Intelligence; mais l'intuition pri- 
mitive est modiGée et corrigée par la raison qui se développe^ et l'intui- 
tion et la raison sont corrigées par l'intelligence qui vient dominer 
l'une et l'autre. Ces différents modes de conception se succèdent donc 
l'un à l'autre, non pour s'efiacer et s'exclure absolument, mais pour se 
compléter l'un Tautre^et se limiter réciproquement; ils ne sont pas seu- 
lement émanants Tun de l'autre, mais aussi immanents l'un dans l'au- 
tre. Cependant, comme chacun de ces modes de conception prédomine 
successivement, ou à son tour, sur les deux autres, il y a, dans l'his- 
toire de l'esprit humain, trois périodes qu'on peut nommer, d'après le 
mode de conception qui y est prédominant, la période de l'Intuition, la 
période do la Raison, et la période de l'Intelligence. Les meilleurs esprits 
de nos jours sont entrés dans la période de Tlntelligence ; mais la 
grande majorité des hommes de notre époque se tiennent encore dans 
le mode de conception de la Raison. Ils sont raisonnables, ils ne sont 
pas intelliffents,c* esi'k'dire que leur esprit connaît beaucoup de choses, 
mais ne se soucie pas de les comprendre quant à leur nature essentielle 
et nécessaire. lisent des connaissances, ils n'ont pas la Science. 

(( La science n'est complète qu'autant qu'elle se compose de deux 
parties constitutives, d'une partie qu'on peut appeler Ae^^or/yw^, com- 
prenant la connaissance des faits, des phénomènes et réalités, qui for- 
ment les matériaux de la science, et d'une partie philosophique^ consis- 
tant dans la connaissance de la raison et de Tenchaînement naturel et 
nécessaire de ces faits, de ces phénomènes, et de ces réalités. Il suit de 
là que, quand toutes les sciences spéciales auront ajouté à leur partie 
historique aussi leur partie philosophique indispensable, la Philosophie, 
comme science spéciale^ n'aura plus à traiter que les questions qui ne 
sont pas exclusivement du domaine des autres sciences spéciales, et 
elle n'aura plus qu'à résumer et systématiser les résultats de la partie 
philosophique de toutes ces sciences spéciales. 


Les modes de conception et la science 5 


— « Par son origine et sa \\e physiologique ^ l'homme fait lui-même 
partie de la iVa/e^re; mais, par son esprit, Thommé continue, et com- 
plète la Nature physique, terrestre, en ce qu'il devient lui-même créa- 
teur d'un Monde nouveau, infini, comprenant les vérités et les réalités 
de Tordre spirituel, intellectuel ou métaphysique. 

« Parmi les vérités et les réalités du Monde métaphysique^ qui doi- 
vent leur origine, leur forme et leur existence à la puissance créatrice 
do Tesprit humain, il faut compter : 

ce 1^ Les Langues qui, étant la condition indispensable et le souverain 
moyen de développement de toute vie spirituelle, se constituent, chro- 
nologiquement, les premières dans l'ordre métaphysique, et se perfec- 
tionnent toujours, à mesure que la vie intellectuelle se développe dans 
l'esprit des races et des nations ; 

<i 2^ U Industrie elle Commerce, par lesquels Tesprit humain vient 
en aide à sa faiblesse physique, et agrandit le cercle de ses jouissances 
on même temps que de ses besoins matériels et intellectuels ; 

3^ UÉtat social et moral, par lequel l'esprit humain assure, do 
plus en plus, à l'individu et à la société, la sécurité des personnes, celle 
du travail individuel ou delà propriété, ainsi que les avantagesqui résul- 
tent de l'application de la justice aux relations sociales ; 

« i" La Religion, dans laquelle l'esprit humain se crée et trouve une 
aide dans sa faiblesso morale, une sanction doses rapports sociaux, et 
une explication du désaccord qui existe, pour lui, entre ce qui est dans 
le Monde physique et ce qu'il juge devoir être d'après les lois de la con- 
science ou du Monde métaphysique ; 

« 5^ Les Arts et les Sciences^ par lesquels l'esprit humain satisfait à 
ses besoins les plus métaphysiques, c'est-à-dire à ses facultés supé- 
rieures, esthétiques, intellectuelles et morales. 

— (( Toutes les réalités et vérités possibles appartiennent ou à l'ordre 
réel ou à l'ordre tdéel. L'ordre 9*éel comprend tout ce qui est^ l'Etre et 
les existences, Dieu et le monde, en un mot, tout ce qui existe^ indép en- 


6 Introduction générale 




damment de nattée pensée et de notre science. UovAvq idéei^dni contraire, 
comprend les phénomènes, les réalités qui sont les produits de notre 
sentiment, de notre pensée, et de notre science, et qui n'existeraient 
pas, comme les choses de Tordre réel, si V homme n'existait pas, ou si 
Ton faisait abstraction de ses sentiments, de sa pensée, et de sa science. 
Tels sont, par exemple, les produits de Tart, les systèmes scientifiques 
et philosophiques, les principes et les actions de la morale. 

« Si, d'un nom général. Ton appelle choses physiques ce qui existe 
dans Tordre réel ou dans la Nature (gr. phusis)^ qui est antérieure à 
Tesprit, et indépendante de toute pensée ou science humaine, on doit 
aussi appeler choses métaphysiques cequi appartient àTordro idéel. En 
effet, tout ce qui est le produit, non de la Nature^ qui est indépendante 
de Thomme, mais de VEsprit humain^ vient après la Nature^ et est 
dépendant d'elle ; Thomme qui sent, pense et agit^ produit, autant qu'il 
lui est possible, après et d'après la Nature, des œuvres do pensée, de 
sentiment, et de volonté. Or, métaphysique signifie venant après les 
choses physiques (gv. meta ta phusika). Les créations de Tesprit, les- 
quelles, a/>r^5 la réalité de T Être et dos existences de la Nature, viennent 
y ajouter des réalités spirituelles, un monde nouveau, le monde de 
TArt» de la Science et do TAction, constituent donc le domaine ou la 
vie métaphysique. 

— « Les choses physiques naissent et se transforment sans conscience, 
en vertu de la loi de spécialisation et de différenciation qui leur est 
inhérente. Les choses métaphysiques, produites par Tesprit humain, 
naissent d'abord par Vinstinct, qui est une raison inconsciente, et se dé- 
veloppent ensuite par la raison qui est un instinct conscient. Le lan- 
gage, lui aussi, comme produit de Tesprit, naît, dans Voriyine, d'une 
manière inconsciente. C'est-à-dire que les hommes primitifs, sous l'em- 
pire de Tinstinct, parlaient sans avoir conscience et connaissance de la 
nature du langage. Ensuite, comme la raison, quelque inconsciente 
qu'elle soit, est, elle aussi, originairement ignorante^ on comprend que 


Les modes de conception et la science 


la, science du langage n'a pu avoir, même dans la période do la raison 
des langues dérivées, qu'un faible commencement, et qu'elle n'est par- 
venue à se constituer comme science que de nos jours. La science glosso- 
logique n'a commencé que lorsque le langage devint de plus en plus 
objectifs c'esl-à-dire lorsque les phénomènes qu'il présente se montrè- 
rent peu à peu à l'observation et à la réflexion^ lesquelles engendrent 
d'abord les connaissances et ensuite la science. Ce sont principalement 
Vécriture et la connaissance d'une ou de plusieurs langues étrangères^ 
qui, dans cette seconde période, donnèrent au langage ce caractère ob- 
jectif. En effet, dans récriture, l'homme voit, pour ainsi dire, sa langue 
hors de lui-même, comme un objet qu'il peut soumettre à son examen, 
presque tout aussi aisément que les autres objets de la nature. D'un 
autre côté, ^ comme, dans les langues étrangln^esy presque tout nous est 
inconnu, et nous parait é/rr/zzye, l'étude détaillée, que nous sommes obli- 
ges de faire pour les apprendre, nous force à observer ces détails du 
langage avec plus d'attention que nous no le faisons à l'égard de la 
langue maternelle^ laquelle, par cela même qu'elle nous est originaire- 
ment /awiV/^re, ne provoque pas autant notre attention et noire réflexion 
sur ses différents phénomènes glossologiques. 

(c Tout homme qui ne sait que sa seule langue maternelle est dans 
l'impossibilité d'en connaître, par lui-même, la nature. Car tout sujet 
d'étude, considéré uniquement en lui-même, est inintelligible pour la 
science, la science ne connaissant les choses que par les rapports et les 
différences qu'elles ont avec d'autres choses analogues ou différentes. 
— Toute chose considérée uniquement en elle seule est inintelligible à 
l'esprit humain, qui no comprend les choses que dans les rapports et les 
différences qu'elles ont avec d'autres existences. — Les peuples aficiens, 
ne sachant que leur seule langue maternelle, étaient, par cela même, 
incapables de connaître quelque peu la nature du langage, à l'exception 
peut-être des Égyptiens, des Chinois, et plus tard des Hindous, et des 
Grecs, qui avaient du moins occasion de saisir soit quelques analogies 


8 Iniroduciion gènéiale 


entre les différents dialectes de leur propre idiome et quelques différences 
entre le langage sacerdotal ou littéraire et le langage populaire de leur 
nation. 

(( Les études glossologiques des peuples anciens n'ont commencé qu'à 
une époque relativement assez récente, et ne se sont occupées d'abord 
que de ce qu'il y a de plus extérieur dans le langage, à savoir les îov^ 
mcfi grammaticales. Les grammairiens hindous ont analysé les formes 
grammaticales avec minutie, en remontant jusqu'aux thèmes (racines) 
de leur idiome sacerdotal; mais n'ayant aucune idée de la formation et de 
la transformation phoniques, ils n'ont vu dans les mots que des for- 
mes stéréotypes immuables, et ils en ont abstrait ou extrait, comme par 
un procédé algébrique, leurs prétendus thèmes primitifs. 

« Les grammairiens grecs n'ont pas poussé l'analyse des mots jus- 
qu'à arriver à des thèmes primitifs; ils se sont contentés de signaler les 
formes extérieures des parties du discours et do donner des noms aux 
cas, modes et genres grammaticaux. Leur système grammatical, clair 
et précis, a été appliqué, trop souvent, il est vrai, mal à propos, jus- 
que dans les temps les plus récents, à la grammaire de toutes les lan- 
gues, quelque grande que fût la différence entre ces idiomes et la langue 
grecque. Cette application générale du système grammatical des Grecs 
a été cause que la plupart des grammairiens modernes n'ont pas tou- 
jours remarqué les phénomènes propres à chacune des langues 
modernes et qu'ils ont cru le plus souvent retrouver dans ces langues 
ce qui, réellement, n'appartient qu'à la langue grecque. 

« L'horizon glossologique s'est quelque peu élargi depuis l'établisse- 
ment du christianisme, puisque, pour arriver à l'intelligence des textes 
sacrés do l'Église, l'étude se porta également et à la fois sur le grec, 
sur le latin, et sur rhébreu.Mais cette étude trilingue, depuis saint Jé- 
rôme jusqu'à la fin du moyen-âge, n'a pas beaucoup profité à la 
Glossologie. C'est seulement depuis la Renaissance qu'elle a fourni, 
par la comparaison de ces trois langues, quelques données sur les 


Les modes de conception et la science 9 


rapports et les différences entre les idiomes. Bien que ces trois lan- 
gués, avec leurs dérivées et leurs sœurs, no fussent pas suffisantes 
pour baser sur leur connaissance un système glossologique quelque 
peu scientifique, on a cependant composé, d'après elles, des gram- 
maires prétendues générales^ qui ont commencé à appeler Tattenlion 
sur certaines questions grammaticales et glossologiques . Dans ces 
grammaires générales on a fait abstraction de ce que les langues ont do 
particulier et d'individuel, pour s'occuper principalement de co qu'elles 
semblent avoir de commun entre elles. On y examinait, le plus sou- 
vent, d'après le système grammatical des Grecs^ la signification logi^ 
que des parties du discours^ comme éléments de la proposition. Aussi 
ces grammaires générales renferment-elles une foule d'excellentes 
remarques sur la logique et l'origine idéologique des langues, mais elles 
sont de peu d'utilité pour la glossologie proprement dite, dont l'essence 
n'est pas seulement de connaître les lois générales de la logique dans la 
proposition, mais de connaître également l'origine et la valeur des for- 
mes grammaticales et surtout le rapport qui existe entre le fond idéolo- 
gique et la forme phonologique dans les langues primitives et dans les 
langues dérivées. — Comme toute expression et tout signe reposent sur 
le rapport entre le fond et la forme, la vérité et la perfection do l'ex- 
pression et du signe dépendent aussi de la nature plus ou moins déve^ 
loppée et parfaite de l'un et l'autre élément. Nous avons vu que le fond 
du langage ou l'idéologie se développe peu à peu et successivement, 
quant aux sensations, aux aperceptions, et aux 'notions. La forme pho^ 
nique se développe également, peu à peu, depuis le commencement (qui, 
comme pour toutes choses, est faible et imparfait), jusqu'au moment où 
la phonologie atteint son apogée et sa perfection. Le langage consi- 
déré, quant au rapport naturel entre l'élément idéologique et l'élément 
pAonologiquCy no naît pas, ou nest pas parfait du premier coup; il se 
perfectionne par degrés. Or, comme tout ce qui consiste en une forme 
exprimant un fond tient plus ou moins de l'aW, qui repose sur une 


10 Introduction générale 


forme exprimant un fond, on peut dire que le langage, ayant également 
à exprimer un fond par une forme, a, aux différents degrés de son dé^ 
veloppementy une tendance artistique; il veut arriver à exprimer, d'une 
manière de plus en plus parfaite et naturelle^ les sensations, les aper- 
ceptions, les notions, comme, par exemple, l'art de la peinture veut 
arriver, de plus en plus, à exprimer, par des formes graphiques de plus 
en plus parfaites, des sujets de peinture plus ou moins développés. Le 
langage ou les langues ne sont donc pas, de prime abord ou originaire- 
ment^ des chefs-d'œuvre d'expression, mais elles tendent à devenir do 
plus en plus des chefs-d'œuvre en quelque aorte artistiques. 

— <( La Raison tend, de sa nature, à (jénéraliser ses procédés dans 
le domaine pratique^ et ses 7ioiions dans le domaine de la pensée. 
Elle croit trouver la grandeur et des avantages réels dans ses procédés 
et dans ses idées ainsi généralisées. De là vient sa prédilection, qui lui 
est propre, pour les grands États, les grandes villes, les grands établis- 
sements, les grands instruments industriels ou guerriers, etc.; aussi 
aime-t-elle pousser partout au grandiose, à Timmensc, au gigantesque. 
Elle ne se rappelle pas toujours que, dansie Aomîimçi pratique^ il existe 
une mesure naturelle assignée aux choses, et cette mesure est déter- 
minée par le rapport devant exister entre la force individuelleàQVUommQ 
et la chose à manier par lui, ou à mettre en œuvre, pour son usage. 
La raison, fascinée parle grandiose, oublie facilement que les choses 
qui dépassent la mesure convenable deviennent incommodes et perni- 
cieuses, que les trop grands États sont mal gouvernés, les trop grands 
engins de guerre mal manœuvres, les trop grands hôpitaux mal aérés, 
etc. Voulant échapper au travail et aux soins qu'exigent le particulier, 
le détail, le multiple, la liaison généralise, uniformise, universalise à 
qui mieux mieux, dans la pratique. Elle fait de même dans le domaine 
de la pensée ; pour échapper à la peine qu'entraîne l'étude des détails, 
elle étrangle les détails, les diversités. C'est ainsi que, pour échapper 


A I M * it 


Les modes de conception et la science 11 


au travail que donne Tctudc de plusieurs langues, la raison a songé à 
inventer une langue générale^ au moyen de laquelle on pût exprimer 
ce que chaque peuple exprime par sa langue naturelle... L'inconvénient 
d'une telle langue ne consiste cependant pas en ce que ses mots, au lieu 
d'être des signes d'origine fiaturel/e, seraient des signes artificiels; le 
principal inconvénient résulterait de ce que les mots, au lieu d'être sim- 
plement des désignations ou des symboles, fussent des définitions don- 
nées deschoses par la raison^ d'après les genres et les espèces, et s'im- 
poseraient^ comme telles, d'une manière absolue et tyrannique, à l'es- 
prit des individus. Une telle langue philosophique aurait les qualités, 
mais aussi les défauts, de la raison elle-même; elle serait rationnelle 
jusqu^à un certain point, mais elle serait raide, sèche, mécanique, et 
abstraite. Elle serait utile, comme le langage algébrique^ pour formu- 
ler certaines parties abstraites de la science, mais elle ne saurait jamais 
être la traduction tant soit peu exacte de ce qu'une langue naturelle, fût- 
elle la dernière de toutes, est en état d'exprimer à l'imagination, et au 
sentiment, soit en prose, soit en poésie. Ressemblant au langage algé- 
brique, la langue philosophique serait une espèce de transcription, ou 
une écriture générale (Pasigraphie) plutôt qu'une langue générale 
(Pasilalie).,.. 

« Car pourquoi imaginer une langue factice conventionnelle état/ /on- 
iaire^ puisque chacune des langues naturelles existantes pourrait tout 
aussi bien, età plus juste titre, être élevée au rang de langue unix^er selle,.. 
La même observation s'applique à la pasigraphie ou écriture générale 
dont parle Leibnitz. Si cette écriture universelle s'en tient, comme 
tous les autres alphabets existants, à une transcription d'une exactitude 
seulement approximative^ inutile alors de faire une nouvelle inven- 
tion; il suffit de se servir d'un des alphabets existants pour transcrire 
les textes de toutes les langues. Si, au contraire, la pasigraphie vise à 
une exactitude />ar/a//e, les signes qu'elle emploiera pour exprimer les 
inflexions de tons si diverses dans les diflérentes langues seront telle- 


12 Introduction générale 


ment nombreux et compliqués^ qu'on préférera se servir des alphabets 
existants, plutôt que d^un alphabet invcnitL, qui serait tellement com- 
pliqué dans Tusage... Comme l'essentiel, pour la Glossologie, est de 
connaître la véritable prononciation des idiomes et des dialectes, le 
seul usage pratique à suivre dans l'écriture est de laisser choisir à chaque 
voyageur ou missionnaire tel alphabet qu*il voudra, à charge de faire 
connaître exactement la valeur phonique des signes qu'il aura employés. 
D'ailleurs Tusage d'une écriture uniforme compliquée est loin de faci- 
liter l'étude des langues : elle déroute la mémoire. Les philologues, 
les orientalistes, surtout, le savent par l'expérience journalière. Pour 
reconnaître la signification des mots, notre mémoire est singulièrement 
aidée par l'écriture spéciale usitée dans les langues orientales, tandis 
que, quand ces idiomes seront transcrits dans un autre alphabet, on aura 
plus de peine à reconnaître les mots et leur signification, surtout si, 
dans la lecture, l'on passe brusquement d'une langue à une autre. 
Ajoutons encore une remarque concernant la 7iécessité et Yavantûge de 
la multiplicité dans les choses, hdi philosophie de Vinfini enseigne que, 
Dieu étant infini, sa manifestation dans le monde l'est également. Or, 
le monde étant, de sa nature, composé de phénomènes et do formes 
finis ou passagers ce n'est que par la multiplicité variée de ces formes 
et phénomènes que la plénitude de Vinfini peut se manifester plus ou. 
moins. L'ensemble multiple des formes et phénomènes spéciaux est donc 
plus compréhensif^ plus divin^ plus rapproché de l'infini, que telle ou 
telle forme particulière, ou abstractivement, unique; de sorte que la 
raison qui, dans ses généralisations, fait abstraction du particulier en 
religion, en politique, en philosophie, amoindrit par cela même la plé- 
nitude libre, naturelle, vivante, divine, des choses, tant du monde phy- 
sique que du monde métaphysique. 

— « Bien qu'elles se manifestent, parleurs phénomènes, dans le temps 
et dans VespacCy les choses physiques et métaphysiques participent de 
Vinfiniy comme manifestations partielles de l'Et?*e. Les langues actuelles, 


W7W 


Les modes de conception et la science 13 


comme réalités, et la Glossologie actuelle, comme science, continueront 
indéCniment leur développement dans Tavenir. Les langues naissent 
dans la période de Vintuitiony et se perfectionnent dans la période de 
la raison; est-ce qu'elles se métamorphoseront également, de nouveau, 
dans la période de YintelUgence, qui commence de nos jours, et dans 
laquelle la conception intellectuelle aura à corriger de plus en plus la 
raison, comme la raiso7i a corrigé ïintuition instinctive des sens? Fai- 
sons remarquer que Y intelligence y comme conception supérieure à celle 
de Vintuition et de la liaison, transformera, dans l'avenir, la science et 
la philosophie, qui, encore de nos jours, reçroduisent généralement les 
conceptions propres à l'intuition et à la raison ; mais théorique plutôt 
que pratique^ Vintelligence ne modifiera guère profondément les choses 
usuelles, telles que les langues, auxquelles la raison a donné suffisam- 
ment leur caractère convenable d'utilité pratique. Il n'y aura donc pas, 
dans l'avenir, ou dans la période de Vintelligence^ des métamorphoses 
aussi profondes, comme il y en a eu dans les langues passant de la 
période de Vintuition dans celle de la raison. Les langues les plus 
parfaites aujourd'hui, tout en modifiant leur contenu et leur forme, res- 
teront, dans l'avenir, à peu près ce qu'elles sont actuellement. Mais si, 
dans la pratique des choses telles que les langues, la raison n'est guère 
surpassée et corrigée par Vintelligence^ il en est autrement dans le 
domaine de la spéculation et de la science. Vintelligence^ qui saisit 
les liens qui rattachent le fini à l'infini, comprendra mieux la nature des 
langues, laquelle, pour la rae>on et la logique ordinaire, restera toujours 
pleine de mystères. Car, partant, dans ses conceptions, des phénomènes 
d'expérience à la fois contradictoires et partiels, et ne s'élevant pas 
dans ses conceptions au-dessus de la logique que donne le phénomène 
passager, la raison ne saurait concilier les antithèses des phénomènes, 
ni comprendre les rapports du fini avec l'infini. Ce rapport est saisi par 
YintelligencCy qui ne s'en tient pas seulement à la connaissance des 
phénomènes et des faits partiels observés, mais conçoit les choses finies, 


14 Introduction générale 


moyennant Yidée^ qui en est le type, et qui relie le monde phénoménal 
à Y infini on à Y Être. Aussi doit-on donner à cette science de Tavenir, 
conçue par Y intelligence^ le nom de philosophie de C Infini. Ce qu'on 
peut appeler Philosophie de V Infini n'a pu se produire que dans notre 
époque; elle est seule en état de donner, approximativement, quelques 
notions justes de l'Être, et de résoudre certaines questions de Théodicée 
et de Morale. Seule elle peut maintenir, dans l'état actuel de la science 
positive, l'idée de l'Etre ou de Dieu, idée dont les philosophies de l'In- 
tuition ne sont pas même arrivées à concevoir les caractères distînctifs, 
et dont les philosophies de la Raison, avec leurs idées de causalité et 
de personnalité, ne donnent qu'une notion mesquine, qui est en con- 
tradiction avec ridée sublime de l'InGni et de l'Absolu. 

— « Toute science, nous le savons, consiste non seulement dans la 
connaissance historique des faits, mais aussi dans rintelligenco/?Ae7o5«- 
phiqne de la raison dos faits; elle se forme et se développe en passant 
alternativement de l'étude historique à la spéculation, et de la spécula- 
tion à l'étude des faits. 

« La science, comme chose de l'esprit, n'existe pas en dehors do 
l'homme; elle existe dans l'esprit de ceux qui l'ont acquise par l'é- 
tude ou par l'enseignement. Y a-t-il une méthode à suivre pour appren- 
dre, d'abord, et exposer,ensuite, scientifiquement la Glossologie? Faisons 
remarquer que toute science commence par la connaissance des faits. 
Mais l'acquisition de ces connaissances ne saurait se faire avec choix, 
d'après un plan régulier, logique et arrêté d'avance , elle se fait néces- 
sairement au hasard. En effet, notre esprit enregistre les faits à mesure 
qu'ils se présentent; et ils se présentent à notre attention, sans ordre, 
péle-méle, et sans choix de notre part. Si l'on comparait les connais- 
sances à acquérir à des mailles devant former le réseau de la science, 
ou aux cases d'un casier à remplir, il faudrait dire que les mailles se 
font sans ordre, à tous les points du réseau, ou bien que les cases se 


Les modes de conception et la science 15 


remplissent peu à peu, indistinctement, partout, en haut, au milieu, en 
bas, à rextrcmité du casier. Il n'y a donc pas de méthode possible à 
suivre, lorsqu'il ne s'agit encore que d'acquérir la connaissance des 
faits. 

« Mais la méthode s'établit peu à peu dans notre esprit^ à mesure que 
nous aurons acquis des connaissances, et qu'il nous importe de les 
mettre dans l'ordre naturel. La méthode, en un mot, existe, non pour 
celui qui veut anquérir la science, mais pour celui qui la possède déjà 
plus ou moins. Le commençant ne peut faire autre chose, en fait de mé- 
thode, que d'adopter celle de ses maîtres, jusqu'à ce que, devenu lui- 
même maître, il puisse se faire sa méthode qui convient le mieux à la 
profondeur de son esprit, et à 1 étendue de ses connaissances. La mé- 
thode est donc la disposition naturelle à mettre dans nos connaissan- 
ces acywiV^*; c'est {^casier qui s'établit dans noire esprit avec ordre 
et logique, et dans les cases duquel nous plaçons, à mesure qu'elles se 
présentent à nous, les connaissances qui s'acquièrent au hasard. 

— a Si, dans V acquisition des connaissances glossologiques, nous ne 
pouvons suivre une marche tracée d'avance, il y a cependant une mar- 
che ascendante et progressive à suivre dans l'étude successive des 
différentes parties de la Glossologie, puisqu'on ne saurait aborder rai- 
sonnablement une partie supérieure de la science, si l'on n*a pas préa- 
lablement passé par la partie inTérieure qui lui sert d'introduction, de 
préparation, ou de propédeutique. Voici les parties, de plus en plus éle- 
vées, de la Glossologie, qui sont à étudier, et l'ordre dans lequel il 
convient de les étudier : 

(( l"" On apprendra des langues en un nombre aussi grand qu'on pourra ; 
c'est-à-dire qu'on étudiera d'abord les formes grammaticales et la ^e- 
gnification des mots de ces langues. Ce sera la partie des études glosso- 
logiques^ ou la partie grammaticale et lexicographique de la Glossologie. 

«2^ On étudiera ensuite chacune de ces langues dans ses différentes 
périodes successives, depuis son origine jusqu'à son entier développe- 


16 Introduction générale 

meiil. De cette manière, les connaissances glossologiquos ainsi acquises 
rempliront le vaste cadre de V histoire générale des langues. On recon- 
naîtra alors, par ces éludes de l'histoire des langues, qu'à travers ses 
différentes périodes chaque idiome subit des chaugements, quant au 
sens et quant à la forme des mots. Le sens devient généralement plus 
précis, plus abstrait, et plus varié; la forme se contracte, et les termi- 
naisons s'effacent de plus en plus. 

« 3^ Connaissant l'histoire du développement historique interne de 
chacune des langues, on compare chaque idiome, d'abord avec ses dia- 
lectes, puis avec les idiomes de la même famille, et enfin, on comparera 
entre elles des familles entières de langues, pour en saisir les analogies 
et les différences. Cette étude comparative fait connaître les change- 
monts que les mêmes mots subissent, quant au sens et quant à la forme, 
dans les langues de la même famille et de la même souche. Comme ces 
changements suivent certaines lois de dérivation logique et gramma- 
//ca/e, on peut, à travers ces modifications, remonter jusqu'à IV^ymo- 
logie^ c est-à-dire jusqu'à la forme et à la signification historiquement 
la plus ancienne des mots. Ces études formeront la troisième partie de 
la Glossologie, ou la Glossologie étymologique, 

« 4^ Enfin quand on connaît l'étymologie ou la forme phonologique- 
ment et idéologiquement la plus ancienne des mots, en d'autres termes 
quand on est arrivé à savoir distinguer, dans les mots, leur matière pre- 
mière ou leur thème, et leurs terminaisons et modifications grammati- 
cales, alors on soumet, à leur tour, ces thèmes à l'analyse phonologi- 
que et idéologique, afin de remonter à la signification primitive ou à 
Vintuition qui s'est exprimée par les éléments consonnaires dont se 
composent ces thèmes. On découvre ainsi, dans les thèmes, tant des par- 
ticules indicatives que des mots qualificatifs mim/^2/^^ le rapport naturel 
qui existait, originairement^ entre leurs éléments phoniques et les 
éléments idéologiques de leur signification, et Ton arrive ainsi à l'expli- 
cation du mystère delà formation îiaturelle de9 IdinguQS primitives, qui 


Les modes de conception et la science 17 


ont donné naissance aux langues dérivées actuellement existantes. Ces 
études, ayant pour but de constater le rapport naturel qui existait 
entre Taperceplion à exprimer et le signe (gr. semeion) qui l'exprimait 
par sa nature phonique, constituent la partie la plus élevée, ou ce qu'on 
peut appeler la sémiotique de la science glossologique. 

« Ces quatre parties de la glossologie qui, dans Fétude successive, se 
superposent Tune à l'autre, renferment toutes les questions se rappor- 
tant à la nature des langues, et font de la glossologie une science com- 
plète, qui connaîtra à la fois les lois qui président à la formation et au 
développement des langues, et saura rendre compte de la raison méta- 
physique de ces lois de formation et de développement. 

« La Glossologie s'étant ainsi constituée comme science complète, il 
ne s'agira plus que de savoir Texposor scientifiquement. Quelle est la 
méthode scientifique la meilleure, la plus simple, et la plus commode, 
à suivre dans cet exposé ? La science, quelle qu'elle soit, étant la con- 
naissance des faits et la connaissance de la raison des faits, la meilleure 
méthode à suivre, pour l'exposer, est celle qui, en faisant connaître les 
faits, expose en mémo temps la raison de ces faits. Cette méthode sera 
historique, en ce qu'elle suivra la série ou la succession des faits; et 
comme par cette succession historique des faits elle fera, en même 
temps et à tout moment, connaître les causes immédiates de leur for- 
mation on genèse, elle méritera le nom de méthode génétique. En effet, 
si l'on maintient les faits dansleur succession historique, ils s'expliquent 
presque toujours l'un l'autre, comme cause et eBet. Si donc, dans l'his- 
toire de ces faits ou phénomènes glossologiques^ on suit exactement le 
même ordre que la nature elle-même a suivi en les produisant, l'expo- 
sition qu'on en fera seralaplus vra/epossible, et en même temps la plus 
scientifique^ puisqu'elle fera connaître non seulement les faits, mais 
encore la raison des faits. » — (F. Bergmann. Résumé d* études don-- 
tologie générale et de linguistique, Paris, 1875.) 


II 

L'ORDRE ET LA FORM E. — L'ARGHITECTONIQUE ET LA GRAPHIQUE 
— DE L'ART, DE LA SCIENCE ET DE L'INDUSTRIE 


« Entre les vertus intellectuelles il y en a une qui 
est archi tectonique et principale et qui ordeke de 
tout, » 

Oresme. 

« Le rapport de la raison et de Vordre est extrême. 
L'ordre ne peut être remis dans les choses que par 
la raison, ni être entendu que par elle : il est ami 
de la raison et son propre objet. » 

BOSSUBT. 


V; 


II 


l'ordre et la forme. L*ARCH1TECT0NIQUE ET LA GRAPHIQUE. — DE l'aRT, 

DE LA SCIENCE ET DE l'INDUSTRIE 


Nous abordons maintenant l'ouvrage capital de Cournot, Traité de 
renchaîneînent des idées fondamentales da?is les sciences et dans Fhis^ 
foire. Dans cet ouvrage, précédé de TEssai sur les fondements de nos 
connaissances et sur les caractères de la critique philosophique^ et 
suivi des Considérations sur la marche des idées et des événements dcuis 
les temps modernes^ Cournot débute ainsi dans sa préface : 

(( Il y a plus de deux siècles que Hobbes, au milieu des agitations poli- 
tiques de son pays, « voulant, comme il le dit (i), se divertir à l'étude 
de la philosophie et prenant plaisir d'en recueilh'r les premiers éléments, 
donnait carrière à son esprit et le promenait par toutes les choses du 
monde qui lui venaient en la pensée... » 

« Nos prétentions (l'avouerons-nous?) ont été plus grandes. Nous n'a- 
vons pas voulu seulement nous divertir à penser sur toutes sortes do 
choses, sauf à trouver ensuite un cadre pour y ranger nos pensées : au 
contraire, le cadre a été le principal objet que nous eussions en vue, et 
la toile a été faite pour le cadre, non le cadre pour la toile... 

(( Que Descartes et ses contemporains, à l'instar des philosophes grecs, 
ait compris dans \e\iv physique la génération, le développement et les 
fonctions des êtres vivants, aussi bien que l'ensemble des lois auxquel- 
les obéissent les corps inertes et privés de vie, cela s'explique par l'état 

(i) Préface du Traité de Cive, prcmièro traduction française' par Sorbiere, 1651. 


%* 


22 Introduction générale 


des sciences : maïs aujourd'hui une telle manière de philosopher n'est 
plus soutenable. Si les sc\eï\CQ% physiques (celles-qui ont pour objet la 
matière à l'état inorganique) ont fait bien des progrès depuis Descartes 
et Hobbes,les sciences /zafwr^//^.*? (celles qui traitent des êtres organisés 
et vivants) ont pris des développements encore plus vastes; et plus les 
unes et les autres se sont développées, mieux le contraste des unes et 
des autres s'est prononcé, quant aux objets, aux principes et aux métho- 
des. D'autre part, plus on étudie les langues, les mœurs, les idées, les 
institutions et l'histoire des divers rameaux du genre humain, plus on 
est amené à s'aider, dans cette étude, des principes et des méthodes 
des sciences naturelles. Il y a là un fait d'expérience scientifique, plus 
puissant que toutes les idées préconçues, et auquel il faudra bien que les 
philosophes accommodentleurs idées systématiques, faute de pouvoir in- 
cliner les faits devant leurs systèmes. 

« D'où la nécessité de faire désormais une place à part, dans toute 
classification de ce genre ou dans toute À^omme philosophique, à la discus- 
sion des phénomènes de la vie et des idées qui nous guident dans l'in- 
terprétation scientifique de ces phénomènes. Là est vraiment la partie 
centrale et moyenne, le nœud du système de nos idées et de nos con- 
naissances scientifiques. De plus(et ceci est de la plus grande importance), 
quand la série de nos idées est ainsi construite, on s'aperçoit que de 
part et d'autre de la région nodale ou médiane, les deux parties de la 
série montrent une tendance à une disposition symétrique. Aux deux 
extrémités de la série, la raison, le calcul, le mécanisme donnent à la 
fois la première clef de l'étude do la Nature et l'explication des derniè- 
res phases des sociétés humaines. Ce sont les parties correspondantes 
du système de nos connaissances que la constitution de notre intelli- 
gence rend pour nous les plus claires/tandis que nous sommes condam- 
nés à n'avoir jamais qu'un sentiment obscur du principe de la vie et de 
ses opérations instinctives. Telle est l'idée dominante dont il faudra sur- 
tout chercher dans cet ouvrage les développements et les preuves. No- 


U ordre et la forme 23 


tre peine ne serait pas perdue si nous avions réussi à la mettre sufR- 
samment en relief : car elle est de grande conséquence pour la spécu* 
lation, comme pour Tintelligence des résultats pratiques dont on fait 
plus de cas maintenant que de la pure spéculation. 

« Une suffirait pas de bien reconnaître l'emplacement du jalon mé- 
dian :il faut disposer convenablement les jalons extrêmes La philo- 
sophie doit expliquer Tordre établi, et non pas mettre le désordre où 
l'ordre s'est établi de lui-même. Les sciences logiques et mathémati- 
ques, qui ont pour objet Tordre, la forme, et par suite les relations, les 
proportions, la quantité, lafigure, letemps, le lieu, le mouvement, n'ont 
que faire desidées de cause et depuissance. Celles-ci, et quelques autres 
qui s'y associent nécessairement, sont Tobjet propre des sciences physi- 
ques et des sciences naturelles. De là, trois étages bien distincts dans 
la constitution scientifique et dans Texplication philosophique que nous 
tâcherons d'en donner : Tétage des sciences logiques et mathématiques 
(Tordre et la forme), Tétage dos sciences physiques (la force et la ma- 
tière), Tétage des sciences naturelles (la vie et Torganisme). Tel est Tob- 
jet des trois premiers livres^ ou du premier volume du présent ouvrage. 

« Nous ne pouvions pas davantage imiter Hobbes dans le projet qu'il 
a eu de traiter de Yhommej avant de s'occuper de la société civile. 
D'abord, sans être très chaud partisan des idées do Joseph de Maistre(l), 
nous demanderions volontiers avec Inique Ton veuille bien nous montrer 
Vhommej sur lequel portent les spéculations abstraites des philosophes, 
ou du moins nous dire oti il se trouve. Et quant à la société civile^ il 
faudrait s'entendre et savoir si Ton donne ce nom à la manière de vivre 
de tant do peuplades sauvages, barbares ou non civilisées, 

« Combien Platon était plus près du vrai, lorsqu'il recommandait d'étu- 
dier la sociétécivile, en vuesurtoutde connaîtrelanaturede l'homme! En 

(i) « La constitution de 1795, comme ses aînées, est faite pour Vfiownie, Or il n'y a point 
d'hommes dans le monde. J*ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Husses, etc. ; je sais 
même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan; mais, quant à l'homme, jrdéclarene l'avoir 
rencontré de ma vie; s'il existe, c'est bien à mon insu. » Considérations sur la France, ch. VI. 


I 


• 


<t. 


• 1 


24 Introduction générale 


effet, l'homme, tel que les philosophes le conçoivent, est le produit de la 
culture sociale, comme nos races domestiques, animaux etplantes,sont 
le produit de Findustrie de Thommo vivant en sociétés. L'Auteur de toutes 
choses, en donnant à Thomme^avec d'autres instincts et d'autres facul- 
tés supérieures^ l'instinct de sociabilité, a créé les sociétés humaines et 
mis directement sur les sociétés humaines le cachet de ses œuvres ; le 
perfectionnement progressif des sociétés humaines, en les amenant à 
cet état où elles méritent le nom de sociétés civiles, a réagi sur les qua- 
lités, les facultés, les aptitudes de l'homme individuel, au point de mo- 
tiver les spéculations des philosophes, mèmeles plus rafGnéeset les plus 
subtiles : mais il ne fautpas intervertircet ordre, sous peine débrouiller 
les idées et de perdre le fil de la déduction scientifique. D*aprèscela, nous 
avons partagé notre second volume en deux livres, dont l'un (le livre IV) 
traite en général des sociétés humaines, et l'autre (lelivre V et dernier) 
de l'histoire et de la civilisation, chez les peuples privilégiés, appelés à 
vivre de la vie de l'histoire et à être les instituteurs des autres peuples. » 

I l®^ — L'ordre et la forme. 

A la fin du chapitre septième du Livre premier et sous le titre : « De 
l'arrangement synoptique des idées qui tiennent à Tordre et à la forme,» 
on lit ce qui suit : 

« Nous venons de passer rapidementen revue, dans ces premiers cha- 
pitres, tout un groupe ou toute une famille d'idées fondamentales, ayant 
entre elles des rapports intimes, s'appelant ou se suscitant les unes les au- 
tres, possédant des caractères communs et intervenant de la même manière 
dans l'économie de tout le système de nos connaissances, mais pouvant 
aussi se suffire à elles-mêmes, etsuffire à la construction de théories scien- 
tifiques dont les mathématiques nous offrentle type le plus parfait. Il ne 
sera pas inutile de montrer, par le tableau synoptique suivant, comment 
on peut résumer ou exprimer, d'une manière concise les rapports dont 
il s'agit, tels qu'ils ressortent de toutes les explications qui précèdent. 


L* ordre et la forme 


25 


L'ORDRE ET LA FORME 


ORDRE PUREMENT INTELLIGIBLE 


ORDRE PHENOMENAL 


SaENCES LOGIQUES 


Idées de genre et d^espôce. 

Classification 

(Sylloçistiqiie). 

CombinaisoQ 

(Syntactique). 


Idées de la raison des choses, 
de la loi et de Tenchalue- 
niont rationnel, de l'essen- 
tiel et do l'accidentel 

(Logique supérieure). 

Classilication rationnelle. 

idées de type. 


SCIENCES MATHEMATIQUES 


Idées de nombre, 
de rapport, 

de grandeur et de quantité, 
de mesure. 
(Théorie des nombres — Ari- 
thméticTue proprement dite 
— Analyse algébricfue ou 
théorie des quantités en 
général). 


Idées de la variation des 
grandeurs, des variables 
indépendantes et des fonc- 
tions qui en dépendent. 

(Théorie des fonctions, ana- 
lyse intinitésimale). 


Idées de temps et d'espace 
^Géométrie pure). 
(Cinématique ou théorie géo- 
métrique des mouvements). 


Mesure du temps 

(Applications de la théorie des 
ronctions et de l'analyse 
infinitésimale k la géomé- 
trie et à la cinématique). 


Idée de hasard ou de combi- 
naison fortuite. 

Probabilité philosophique, 
critique, analogie, induc- 
tion. 


Idée de chance. 
Probabilité mathématique. 
(Calcul des probabilités). 


Applications k la distinction 
des mouvements absolus 
et relatifs, réels et appa- 
rents. 


« Cette table est de celles que Ton appelle à double entrée (1) : elle 
exprime au moyen d'une double disposition, par étages ou tranches ho- 
rizontales et par colonnes verticales, des rapports dont on ne pourrait 
pas avoir aussi commodément l'intuition, par une disposition en série 
linéaire^ ou à simple entrée. 

« La distinction en trois étages séparés par des lignes ponctuées et 
non pleines, afin d'indiquer que Ton n'exclut pas la transition insensi- 
ble d'un étage à l'autre, est suffisamment justifiée par tout ce qui pré- 
cède et par la division même de notre texte en chapitres qui y corres- 
pondent* 

(( La disposition des tètes de colonnes a pour but de marquer ce qu'il 
y a do singulier dans les relations do la colonne médiane avec les deux 


(i) Cournot, Essa/. , .. chap. xvi et xxu. 


Î6 Introduction générale 


colonnes latérales. Car, d'une part rarîthmétîque et la géométrie, les 
sciences de calcul et celles qui ont pour objet la contemplation des for- 
mes de retendue, composent un groupe trop naturel pour qu'on ne les 
ait pas de tout temps associées sous le nom collectif de maihémaliques. 
D'autre part, l'embranchement des mathématiques, dont les idées de 
nombre et de rapport numérique sont la souche, et qui constitue la par- 
tie purement abstraite et intelligible des sciences mathématiques, a des 
connexions non moins naturelles avec la logique pure, en tant que 
celle-ci se rattache aux idées-mères de classification et de combinaison. 
Cet ordre purement intelligible, où nous voyons les idées logiques et 
mathématiques en corrélation soutenue, d'un bout de la série à l'autre, 
contraste évidemment avec toute la partie des spéculations mathémati- 
ques qui se fonde sur l'intuition des formes de l'espace et du temps, 
conditions sensibles de la manifestation de tous les phénomènes. 
Quant au degré d'abstraction et de généralité, ce second embranche- 
ment des mathématiques est subordonné au premier, comme il l'est aux 
idées générales de la logique; et, d'un autre côté, la contemplation des 
formes de l'espace et du temps nous est nécessaire, par notre constitu- 
tion psychologique, pour peindre à l'imagination aussi bien les idées 
générales de la logique que celles qui se réfèrent à la science dés nom- 
bres et des grandeurs abstraites. » 

I 2. — Uarchitectonique et la graphique. 

A la fin d'un voyage prolongé et studieux dans l'Orient musulman, et 
encore sous l'empire de la doctrine forte et substantielle de Cournot, dont 
nous venions de pénétrer l'œuvre avec passion, nous conçûmes le projet 
ambitieux, et alors fort inconsidéré, de publier une suile d'études qui de- 
vaient embrasser l'universalité des arts dans tous les temps et dans tous 
les lieux. Nous pressentions à ce moment, plutôt que nous ne le savions 
d'ores et déjà, qu'il devait y avoir dans les arts proprement dits, c'est-ù- 
dire dans les arts d'industrie et dans les arts d'ornement aussi bien que 


i 


Varchitectonique et la graphique 27 


dans Tarchîtecture et les beaux-arts, un principe intérieur de coordina- 
tion, une raison maîtresse qui seuls pouvaient justifier de leur constitu- 
tion propre, spéciale, autonome et que la science comme la philosophie 
avaient négligé d'instruire. La philosophie comme on Tentend d'ordinaire, 
la philosophie traditionnelle en Europe, se partage entre les sciences et 
les lettres, et, si elle pénètre dans les arts, ce n'est que par l'intermédiaire 
des doctrines préétablies des belles-lettres et des beaux-arts. Toute son 
esthétique se résume, en effet, dans le dogme classique et purement 
littéraire de la description comme de l'imitation de la belle nature. Mais 
que devient alors le fond d'industrie qui demeure en permanence dans 
l'humanité tout entière et qui est si visiblement la condition comme le 
support ou le soutien des œuvres si diverses que le génie des ouvriers, 
des artisans et des artistes a prodiguées en tous les points du globe 
comme à tous les moments de l'histoire? Comment rattacher à la doc- 
trine des beaux-arts, apanage exclusif dos peuples de culture classique, 
les arts du Haut-Orient comme ceux de l'Extrême-Orient; les arts de 
notre moyen-âge européen, comme ceux du moyen-âge asiatique? Cela 
est visiblement impossible, et s'il est vrai que la tradition classique im- 
plique bien et en fait le plus haut épanouissement de la vie artistique 
dans l'humanité, il est non moins vrai que cette tradition érigée en doc- 
trine, et devenant alors une théologie, comme disent les philosophes, 
relègue orgueilleusement et dans la plus indigne obscurité l'œuvre vive, 
spontanée, toute d'inspiration et d'invention, sortie des entrailles mêmes 
du peuple tout entier, c'est-à-dire de l'humanité laborieuse, indus- 
trieuse et artiste. Dès lors il devint clair pour nous que la philosophie 
de Cournot,à laquelle nous étions tant attaché, était pour le moins incom- 
plète et qu'en se bornant à embrasser les lettres et les sciences il y man- 
quait une tierce partie non moins essentielle que les deux autres, à savoir, 
l'ample et vivant domaine des arts d'industrie, de l'architecture et des 
arts d'ornement envisagés dans leurs fondements propres et autonomes. 
Les études que nous projetions alors et qui, dans notre pensée, étaient 


28 Introduction générale 


destinées à remplir ce vide, devaient être rassemblées et publiées suc- 
cessivement sous les quatre titres suivants: 1° l'Ordre et la Forme; 2** le 
Relief et la Couleur; 3** les Arts et Métiers ; 4° enfin, 1* Architecture. Dans 
le premier livre, terminé tant bien que mal et imprimé en 1869, mais 
non édité alors, et qui fut réimprimé tel quel et publié en 1873 sous le 
titre de « Théorie de l'Ornement », voici ce que nous écrivions à propos 
du tableau synoptique précédent: ...Reprenant, à d'autres fins, une maî- 
resse indication proposée par un philosophe éminent, A. Gournot, nous 
inscrirons hardiment le tableau suivant : 


L'ORDRE ET LA FORME 


ORDRE PUREMENT INTELLIGIBLE 1 ORDRE PHÉNOMÉNAL 


LOGIQUE 


SCIENCES MATHEMATIQUES 


ARCHITECTONIQUE 


r 

Nous croyons volontiers que Cournot, à qui nous avions communiqué 
notre manuscrit, et qui avait la patience d'en entendre la lecture, fut 
frappé de cet emploi du mot architectonique. Nous ne voulons pas reve- 
nir ici sur cette œuvre de-jeunesse, car nous concevons aujourd'hui les 
choses tout autrement. Toujours est-il que ce nous fut un bonheur, lors 
de l'apparition, en 1872 et en 1875, des deux ouvrages intitulés : Consi" 
déi^ations sur la marche des idées et des éoénements dans les temps mo- 
derîieSj et Matérialisme^ Vitalisme, Rationalisme, Etudes sur V emploi 
des données de la science en philosophie^ d'y rencontrer les lignes sui- 
vantes : 

« Donc la dénomination de « philosophie positive » est une contra- 
diction dans les termes, et il y a autre chose que du positif dans les 
sciences. Comme le disait d'après Aristote le bonhomme chargé d'ins- 
truire ce roi que nos aïeux ont qualifié de sages : « entre les vertus in- 
tellectuelles il y eu a une qui est architectonique et principale, et qui 


Uarchitectonique et la graphique 29 


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■'l 

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i 


ORDENE de tout (1); » et quand cette architectonique de rentendement 
ne mériterait pas d'être étudiée pour elle-même, il faudrait l'étudier afîn 
de pénétrer dans l'économie des sciences de même qu'il faut étudier l'é- 
conomie des sciences si l'on veut soumettre à une épreuve critique la J 
valeur des idées-maîtresses de notre entendement. » — Cons.,.ji. II, 
p. 226. 

« Si donc la philosophie est pour chaque science en particulier Fai" 
pha et Voméga^ le principe et la fin, la base et le couronnenaent de l'édi- 
fice, si pour ce motif on peut accorder au philosophe qu'elle règne sur 
les sciences on est encore mieux fondé à dire qu'elle ne les gouverne 
pas: l'expérience, nous apprenant que chaque science se fraye sa voie, 
trouve ses procédés, se crée ses instruments, sa langue et sa méthode 
selon ses propres besoins, d'après la nature des choses sur lesquelles ' \ 

portent ses investigations. Envisage-t-on au contraire les sciences dans 
leur ensemble et par ce qui les relie toutes en un même faisceau, à 

savoir l'intervention active de l'esprit humain? Alors il sera vrai de >^ 

dire avec Nicole Oresme (ce bon évêque et précepteur de roy, qui 
ne savait pas seulement la philosophie do son temps, mais qui était 
avant le temps algébriste, économiste), que la philosophie ordenne de 
tout y ou mieux encore qu'elle ordenne du tout : son objet propre étant 

l'architectonique des sciences; et son rôle royal, son rôle de ré- ^ 

gulateur ou d'ordonnateur devenant d'autant plus utile que chaque 
science, en se fortifiant, semble plus disposée à faire parade de 
son a'utonomie, à s'affranchir de toute subordination ». — Matérialis- 
me...^ p. 369 . 

— En employant le mot architectonique (je commande aux artisans), 

(i) Or£smb, Eth.^ i8o : a Entre ces verliis iotellectives il y en a une qui est architectonique et 
principale et le maistre de l'œuvre qui regarde et comande sus tous et par semblable la vertu qui 
prent garde et est maistresse sus toutes œuvres humaines. Elle est dite architectonique et cest 
politique, b — « Car aussi comme en édiffier sont les maistres de Tœuvre qui ordonnent et com- 
mandent et les autres qui besognent de la main et massonnent b. — « Architectonique (architec- 
ton en grec) est le maistre de Tœuvre en édification ou en édiffier qui regarde et ordonne sur 
toutes choses appartenant à vie humaine est dicte vertu ou science architectonique et telle est 
politique ». — Les Ethiques (VArislole. 


y. 




♦•4 




Ti 


30 Introduction générale 


nous prenions le mot dans son sens direct (1). N'ayant en vue que sa 
signiGcation originelle^ nous en étendions simplement l'acception à un or- 
dre de choses corrélatif de Tarcliitecture, c'est-à-dire aux artsd'industrie, 
aux arts d'ornement et aux beaux arts. A ce moment, nous ne songions 
nullement à l'interprétation qu'en donnent Aristote,Oresmo ou Cournot 
qui, tous trois et en se succédant l'un à l'autre, se servent du motarchi- 
tectonique par une métaphore empruntée àTarcliitecture. Voici, en ef- 
fet, ce que dit Aristote dans sa Morale : m II est clair que, dans tous les 
arts, la fin de ceux qu'on pourrait appeler architectoniques (c'est-à-dire 
ordonnateurs ou directeurs) est plus désirable, ou plus importante que 
celle des arts qui lui sont subordonnés; car c'est en vue de celte fin 
qu'on exerce ou qu'on pratique ceux-ci. » (Livre I, |1.) — Puis: « Un pre- 
mier point qui peut sembler évident, c'est que le bien relève de l'archi- 
tectonique, de la science la plus fondamentale de toutes. Et celle-là 
c'est précisément la science politique (2). » (Livre I, ch. i,| 9, — Et en- 
fin : « Ainsi dans la science qui gouverne l'État, on peut distinguer celte 
prudence qui, régulatrice de tout le reste, et architectonique (3), est celle 
qui fait les loiS;et cette autre prudence qui, s'appliquantaux faits parti- 
culiers, a reçu le nom commun qu'elles portent toulcs les deux et s'ap- 
pelle la politique. » (Livre V, ch. vi, 1 1.) 

Or, il est bien clair qu'en passant d' Aristote à Oresme s'est interposée 
la scolastiquo du moyen-âge qui a préparé Tavènement des idées mo- 

(i) « L'architectonique au seus élevé du mot, celte force active qui produit^ qui crée cl qui cons- 
truit. » — Gœthe, Entretiens avec Eckermann, 

(2) «... il est à remarquer que, uon seulement en Orieut, mais en Europe et dans nos langues 
modernes, tout ce qui constitue les Gouvernements établis est constamment désigne par un mot in- 
diquant tel ou tel détail de l'habitation humaine. Non seulement on dit la politique des Taiteries, 
de VEscurialf du Vatican, du Qairinai, mais les Assemblées s'appellent « tes Chambres; le Minis- 
tère, « un Cabinet »; l'entourage du souverain « la Cour ». On dit :1e discours du Trône, pour 
le discours du Roi; la Papauté, c'est le Saint-Siège ; le Gouvernement turc se nomme le Divan; 
etc., etc. » — H. Lasserre, tes Saints Evangiles f page 547. 

(3) Barthélémy Saint-Uilaire ajoute en note : « C'est la législation qu'on peut eu effet distinguer 
de la pratique, c'est-à-dire du maniement des affaires, dont Aristote semble faire peu de cas. » 
De même que ; « Préoccupé exclusivement d'une politique préceptive et dogmatique, Arislolë 
ne fait pas attention à l'histoire. » — J. Ferrari, Essai sur les principes et les limites de la phi- 
losopliie de l'histoire. Paris, i843. 


i 


\ 


L'archi tectonique et la graphique 31 

dernes dans los sciences et dans l'histoire; et qu'eo passant d'Oresme à 
Couroot s'est constituée la scolastique moderne qui préside à l'or- 
ganisation actuelle de nos sciences et de nos institutions. 11 en résulte 
que le mot architectonique^ en s'éloignant avec Aristote de son contenu 
initial, a pris un sens de plus en plus détourné, de plus en plus abstrait, 
de plus en plus plu'losophique pour devenir enfln^ avec Cournot, Tar- 
cliitoctonique de l'entendement et l'architectonique des sciences, bases 
essentielles de toute sa philosophie. 

— D*autre part et en ce qui nous concerne, les connaissances mathé- 
mathiques qui nous avaient été transmises et dont nous nous croyions 
assurés, venaient d'être soumises à une rude épreuve. Nous trouvant aux 
prises avec un art étranger (p. 7), l'art oriental du moyen-âge asiatique, 
c'est-à-dire et brièvement l'art arabe, qui est un art d'allures et d'inspi- 
ration essentiellement ^^o/ne7r/^u&^, nous prétendions l'instruire à l'aide 
de notre géométrie de collège, et le soumettre de force à la triture toute 
scolastique qui nous avait été enseignée. C'était de notre part une erreur 
d'interprétation qui enchaînaitnotrejudiciaire, c'était une faute d'ailleurs 
inévitable puisqu'elle tenait à nos préjugés d'éducation et, pour tout dire, 
à nos préjugés d'Européen. Lors donc que cette erreur nous fut révélée, 
et qu'en conséquence, secouant le joug d'une scolastique si intempestive, 
nous primes,comme on dit, le taureau par les cornes, il nous apparut tout 
d'un coup que la diversité du génie humain était infinie et donc que ce 
génie se conditionnait diversement aussi selon les temps, les races et los 
lieux, selon les mœurs, les usages et les coutumes, c'est-à-dire et lina- 
lement sous des formes distinctes et irréductibles l'une à l'autre. Alors 
aussi nous fut révélé le sens de cette parole d'un spirituel orientaliste, 
Abel Rémusat, que cite Cournot quelque part dans ses œuvres : « 11 sera 
trop tard pour étudier les hommes quand il n'y aura plus sur la terre 
que des Européens. » De là et après cette expérience positive, il nous 
fallut bien conclure à l'inanité de notre savoir comme à l'insufiisance de 
tios moyens d'investigation appliqués là où ils n'avaient que faire: « Tex- 


32 Introduction générale 


pericnce, nous apprenant que chaque science se fraye sa voie, tropve 
SCS procédés, se crée ses instruments, sa langue et sa méthode selon ses 
propres besoins, d'après la nature des choses sur lesquelles portent ses 
investigations. » C'est alors que,nous reportant à l'œuvre de notre maî- 
tre, il devint clair pour nous que Cournot, appesanti parla vaste éten- 
due comme par la solidité de ses connaissances, s'en tenait encore au 
mode de conception de la Raison (p. 4), si, de par son sens de la vie et 
de l'histoire comme de par son sens philosophique, son esprit critique 
si l'on veut, il était entré déjà dans la période de l'intelligence. Toute 
son œuvre, en effet, révèle une lutte constante entre sa raison et son in- 
telligence, entre sa science positive ou sa scolastique et sa philosophie : 
celle-là alourdissant celle-ci, qui ne parvient qu'à grand'peine à se déli- 
vrer d'un joug aussi pesant, ce qui, par contre et peut-être, assure d'au- 
tant mieux la trempe,racuité, la pénétration de ce puissant et vigoureux 
esprit. Quoi qu'il en soit, cette lutte n'est nulle part aussi accusée, aussi 
significative, qu'à propos des sciences mathématiques, et c'est ce qui 
se révèle dans les nombreux extraits que nous avons recueillis dans l'en- 
semble de ses œuvres et qu'on trouvera réunis dans la troisième partie 
de cette introduction. 

— En outre de Tarchitectonique qui. ordene de tout^ nous pressen- 
tions encore qu'il y avait au fond de toutes les pratiques des arts d'in- 
dustrie, de Tarchitecture et des arts d'ornement, une sorte d'écriture 
figurative, ou de notation figurée, qui n'est ni le dessin géométrique, 
ni le dessin d'art tels qu'ils sont enseignés dans nos écoles ou que nous 
les pratiquons d'ordinaire et que n'ont connus d'ailleurs ni les Anciens, 
grecs ou romains, ni les Asiatiques, indo-arabes ou sino-japonaîs, ni 
les méso-asiatiques, coptes ou byzantins, ni enfin les Gothiques, mais 
exclusivement les seuls Européens et seulement à partir de la Renais- 
sance. Celte écriture figurative, intermédiaire obligé entre l'esprit et 
l'œuvre, cette sorte de moyen terme qui fut pratiqué de tout temps, mais 
sans qu'on eût jamais, à aucun moment, l'idée de le considérer à part 


V architectonique et la graphique 


33 


— c'est ce qui s'est produit aussi pour l'algèbre (1) qui ne s'est consti- 
tuée comme langue et comme science que dans des temps tout à fait 
modernes — et qui, par conséquent n'a pas de nom, c'était la graphie 
que. c'est-à-dire « la langue ou la science des figures » et ce n'est que 
bien tardivement, et après des épreuves indéfiniment roitérées,qu'il nous 
fut donné d'en prendre une pleine conscience. Mais ce moment arrivé, 
et toujours préoccupé, à la suite de Cournot, du meilleur rangement des 
idées fondamentales dans les sciences, dans l'histoire et dans les arts, il 
s'agissait pour nous d'emplacer à son ranp: la graphique qui a des rap- 
ports étroits avec la géométrie ou les mathématiques d'une part et avec 
les arts du dessin ou les beaux-arts d'autre part. Cela était fort difficile, 
fort embarrassant aussi, car aucun des cadres connus ne nous conve- 
nait, si bien qu'après avoir rassemblé les matériaux de notre bâtisse fu- 
ture, nous dûmes songer à la construire nous-mêmes et sur un plan en- 
tièrement nouveau. C'est alors que, nous remémorant les trois modes 
de conception de Bergmann (p. 3) et un paragraphe significatif de 
Cournot (2) et après avoir emplacé rarchitectoniquo dans le mode de 
conception de Tlntelligence, et la graphique dans le mode de conception 
de la Raison, de proche en proche, et préoccupés de bien d'autres idées 
encore» nous sommes arrivés finalement» tout au moins pour le repos de 
notre esprit, au tableau synoptique ci-joint. 

(i) Qui est ff une de ces choses qui, loin de devoir leur invention à un seul auteur, n'ont pris, 
rèji^le, forme et ordre, qu^après un lon^ temps de circuilions, d'intermissions et de continuelles 
exercilations d'esprit ». — Jacques Peletiër du Mans. Algèbre^ i554. 

(a) a Non seulement l'application des idées fondamentales des mathématiques à Tintcrprétalion 
scientifique de la nature nous montre qu'elles ne sont (>ar des créations artificielles de l'esprit, 
mais il est à remarquer que plusieurs de ces idées, malgré leur haut degré de généralité et d'abs- 
traction, ne sont que des formes particulières, et en quelque sorte des espèces concrètes d'idées 
encore plus abstraites et plus générales, auxquelles nous pourrions nous élever par d'autres voies 
que celles de l'abstraction mathématique, et par la contemplation d'autres phénomènes que ceux 
auxquels le calcul et la géométrie s'appliquent. Les idées de combinaison, d'ordre, de symétrie, 
d'égalité, d'inclusion, d'exclusion, etc., ne revCtent pas seulement des formes géométriques ou 
algébriques ; et certaines propriétés des figures ou des nombres, qui tiennent à telle espèce d'ordre, 
à tel mode de combinaison ou de symétrie, ont leur cause ou raison d'être dans une sphère d'abs- 
tractions supérieures à la géométrie et au calcul. » — Essai.,. 1 (i5â). 


3 


y-^ ^■Jif-JM 


■v 



L'INTUITION 

INSTINCTIVE 

PERCEPTIVE 

AFFECTIVB 

BT 

KT 

KT 

PSYCHIQUE 

ORGANIQUE 

TECHNIQUE 


Les Facteurs 



I. PSYCHOLOGIQUES 


Sympathiques 

Syncrétiques 

U. PHYSIOLOGIQUES 

Synergiques 

Phonétiques 

Synoptiques 

UI. TECHNOLOGIQUES 

1 Mimiques 

Tonétiqucs 

1 Chromatiques 

1 Techniques 


LA RAISON 

DISTINCTIVE 


DISCURSIVE 

CONSTRUCTIVE 

ET 

ET 

hT 

LOGIQUE 

• SYMBOLIQUE 

STATIQUE 


Les Relations 



I. SPÉCULATIVES 


Logique» 
(idée.) 

Symboliques 

(signes) 
II. QUALITATIVES 

Statiques 

(objets) 

Syutactiques 

(nombres) 

Graphiques 

(ligures) 
III. QUANTITATIVES 

Cinématiques 

(mouvements) 

Logistiques 
(grandeurs) 

Plastiques 
(formes) 

Dynamiques 

(forces) 


L'INTELLIGENCE 

DISTRIBUTIVE 


œMPRÉHENSlVE 

OPÉRATIVE 

KT 

ET 

KT 

DIALECTIQUE 

ARCHITECTONIQUE 

MÉCANIQUE 


Les Coordinations 



I. SYNCKÉTIQUES 


Linguistiques 

Ethniques 

II. SYNTHÉTIQUES 

Economiques 

Paycliologiques 

Ârchitcctoniques 

III. SYSTÉMATIQUES 

Technologiques 

Scolasliques 

Politiques 

Mécaniques 


L'architectonique et la graphique 35 

Ce tableau si évidemment de composition artificielle, que nous aban- 
donnons d'ailleurs et tel quel à la sagacité comme à la critique du lec- 
teur, est commode, au moins comme casier provisoire, comme crible 
si l'on veut; et, sans y insister bien longuement, nous ferons à son pro- 
pos seulement quelques remarques. Ce tableau pour sa première entrée 
est divisé en trois étages correspondants aux trois modes de conception 
reconnus par Bergmann : l'Intuition, la Raison, l'Intelligence; et pour 
sa seconde entrée, en trois colonnes. La colonne de gauche relève tout 
entière AbIbl psycholoffiCy celle de droite relève tout entière de la teck- 
nologie^ et enfin celle du milieu, mitoyenne aux deux autres, est essen- 
tiellement syncrétique. Et cela veut dire que la psychologie n'est point 
le tout de nos facultés, mais qu'elle est doublée par la technologie et 
réciproquement; toutes deux d'ailleurs se rattachent à la colonne du 
milieu, c'est-à-dire à la physiologie ou au syncrétisme fondamental de 
notre humaine constitution (p. 34). 

En second lieu et pour ce qui concerne la division par étages, nous 
ferons remarquer que la chromatique par exemple, c'est-à-dire le pro- 
blème tant physiologique que psychologique et technologique de la cou- 
leur, relève entièrement de l'Intuition et nullement de la Raison et, par 
conséquent, que toutes les théories que l'on en peut faire comme celle 
de Chevreul, par exemple, sont arbitraires et valables seulement pour 
des raisons de commodité pratique ou didactique. De même pour l'archi- 
tectonique qui relève de l'Intelligence et qui par conséquent non plus ne 
peut avoir d'explication rationnelle; aussi offre-t-elle les rapports les 
plus étroits avec la philosophie ; celle-ci étant plus particulièrement 
compréhensive et dialectique, c'est-à-dire psychologique, celle-là étant 
plus particulièrement opérative et mécanique, c'est-à-dire technologique. 

Le second étage de notre tableau, ou l'étage intermédiaire, celui de 
la Raison, contient virtuellement tout le tableau de Cournot (pag. 25) et 
préside dans son ensemble à la constitution des sciences mathématiques, 
lesquelles d'ailleurs et en tant qu'elles forment un système logiquement 


36 Introduction générale 

organisé, rentrent, d'autre part, comme d'ailleurs toutes les sciences 
écrites et didactiques, dans la coordination scolastique et par conséquent 
dansTétagedeFIntelligence. — C'estrintelligence qui instruit en dernier 
ressort toutes les docirines établies. — Ajoutons encore que dans la co- 
lonne technologique à l'étage de la Raison, les mois de Statique, Cinéma- 
tique, Dynamique doivent être distraifsde l'acception étroitement spéciale 
qu'on leur donne à l'ordinaire dans les théories et les livres de méca- 
nique rationnelle ou industrielle. Il faut les entendre ici dans un sens 
tout leibnitzien, en se rapprochant du devenir de leur étymologie et en 
s'éloignant au contraire de la définition nécessairement bornée, étroite 
et spéciale qu'on en donne dans tous les dictionnaires. Et il en faut 
on dire autant du mot Plastique, 

I 3. — De lart^ de la science et de l'industrie , 

— (( Les sociétés, plus encore que les individus, comportent en cer- 
taines choses le progrès indéfini, et moyennant des circonstances favo- 
rables une durée indéfinie. Mais ce qui peut y être affranchi de la fatale 
loi des âges ne l'est que par une fixité de principes et de règles incom- 
patible avec les phases du mouvement vital. Ainsi s'établit un ordre 
de faits sociaux qui tend à relever, omisso medio, des principes ou des 
idées purement rationnelles auxquelles était consacré notre premier 
livre, et qui nous ramène à une sorte de mécanique ou de physique des 
sociétés humaines, gouvernée par la méthode, la logique et le calcul : 
en sorte que ce qui s'appelle proprement une civilisation pi^ogressive 
n'est pas, comme on l'a dit souvent, le triomphe de l'esprit sur la matière 
(ce qui n'aurait, nous l'accordons, que de bons côtés, quoique cela sente 
un peu son gnoslicisme), mais bien plutôt le triomphe des principes 
rationnels et généraux des choses sur l'énergie et la qualité propres de 
l'organisme vivant, ce qui a beaucoup d'inconvénients à côté de beau- 
coup d'à vani âges. 


Lart^ la science, Vindustrie 37 

« Les sociétés humaines sont tout à la fois des organismes et des 
mécanismes. On ne peut les assimiler exactement, ni les choses qu'elles 
produisent, surtout dans leurs phases finales, à un organisme vivant : 
mais on se tromperait encore plus si Ton méconnaissait, dans leurs pre- 
mières phases, leur grande ressemblance avec un organisme vivant ; 
et ce n'est pas une des moindres conquêtes intellectuelles des temps 
modernes, que d'avoir enfin saisi cette ressemblance, malgré la grande 
dissemblance des conditions où nous sommes aujourd'hui placés nous- 
mêmes. 

(( L'avènement du règne de l'idée dans les sociétés humaines n'y 
détruit pas les forces instinctives, pas plus que les fonctions vitales ne 
s'arrêtent chez l'homme entièrement absorbé parles travaux de l'esprit 
ou voué au culte d'une idée : mais l'idée régnante est comme une /orme 
qui, une fois bien arrêtée, s'assujettit de plus en plus les forces instinc- 
tives, en leur imposant le cadre où doivent ultérieurement se déployer 
leur activité propre et leur vertu opérative. » 

— c< Nous venons de passer rapidement en revue, pour le but philo- 
sophique que nous poursuivons, les grandes institutions do la société : 
institutions religieuses, politiques, juridiques, économiques; nous vou- 
lons comparer du même point de vue l'art, la science, l'industrie, que 
l'on ne peut plus considérer comme des institutions sociales, qui ne 
prennent même une constitution et une forme propres qu'au sein de 
quelques sociétés choisies, mais qui n'en conviennent que mieux, pour 
fournir, par leur rapprochement et par leurs contrastes, l'exemple le plus 
net de la distinction capitale établie ci-dessus. 

« L'art est assujetti dans son développement à des lois tant de fois 
observées qu'on ne peut hésiter à les tenir pour nécessaires, lors même 
qu'on ne verrait pas ce qui en fait la nécessité. Une foule d'exemples en 
tout genre nous montrent que la marche naturelle du génie humain est 
de débuter dans les arts par la raideur et de finir par le maniéré de 
l'exécution. On va de la grossièreté à la naïveté, de la naïveté à l'élé- 


38 Introduction générale 


gance, et de l'élégance à raffectatîon. Le simple mène au grand, et le 
grand passe au boursouflé. Chaque type sur lequel l'art s'exerce a des 
caractères et un genre de beautés propres, que le génie saisît après 
quelques tâtonnements, mais que l'on ne tarde pas à exagérer et à cor- 
rompre, jusqu'à ce que l'activité humaine, inspirée d'un autre souffle, 
placée dans un milieu différent, cherche sous d'autres formes, avec d'autres 
moyens matériels d'exécution, la réalisation de l'idée du beau, et par- 
coure à nouveau de semblables périodes. Peu importe que des noms d'ar- 
tistes ou d'écrivains éminents servent ou non à jalonner ces périodes. Les 
progrès et la décadence de l'art suivent les mêmes lois et tiennent aux 
mêmes causes, dans les monuments de l'Egypte et dans les cathédrales 
du moyen-âge, comme dans les productions de la Grèce antique et de 
l'Italie moderne; quoique le secret des sanctuaires égyptiens et l'humilité 
des cloîtres catholiques n'aient pas permis aux auteurs cachés de tant de 
maîtresses œuvres d'acquérir l'immortalité historique des Phidias et des 
Michel-Ange. 

i( Il n'est pas malaisé de donner des raisons toutes simples d'une loi 
si remarquable. Les arts n'ont pas seulement pour but d'exciter en nous 
ce sentiment exquis que donne à l'esprit la contemplation du beau idéal, 
et que le temps n'épuise pas : ils s'adressent aussi à notre sensibilité phy- 
sique et nous exigeons qu'ils nous procurent de ces émotions plus vives 
sur lesquelles notre sensibilité se blase à la longue. En toutes choses 
nous éprouvons, au sein des jouissances, le besoin de changement, et, 
parvenus au faîte, nous aspirons à descendre. D'ailleurs il est de l'essence 
de tous les arts de tendre à exprimer, d'une manière qui leur est propre, 
des idées par des images sensibles, et l'image à laquelle nous sommes 
trop habitués perd de sa vertu expressive : on cherche une expression 
plus énergique, aux dépens de la justesse des rapports, qui ne peut s'al- 
térer sans que la beauté s'altère. L'artiste est donc sollicité de tous les 
côtés à sacrifier la perfection de l'art à la recherche du neuf, lors même 
qu'il fait abnégation de sa renommée, et qu'il n'éprouve pas pour son 


* 

i 


Lart^ la science^ Vindustrie 


39 


propre compte le besoin de sortir du sentier frayé, et do fonder sa gloire 
personnelle sur Toriginalité de ses conceptions. 

— n Toutes ces explications ont du vrai, et pourtant nous ne croyons 
pas qu'elles pénètrent suffisamment dans la raison intime du phénomène 
qu'il faut expliquer. Autrement, pourquoi l'art ne passerait-il point par 
une suite d'oscillations, et ne reviendrait-on pas, en fait d'art, comme 
souvent en fait de mode, exactement aux points par lesquels on a passé, 
et au point de perfection comme à tout autre, sauf à ne pas s'y arrêter 
davantage? Mais ces retours étudiés à une ancienne manière, cette re< 
cherche rétrospective de la perfection des grands maîtres, cette reprise 
du beau causée par la satiété du laid n'ont jamais eu pour effet de pro- 
duire des œuvres que l'on pût mettre à côté de celles que l'art a enfan- 
tées dans ses périodes de splendeur. Ce sont comme des fruits mûris 
par artifice, hors de leur saison ou loin de leur terre natale. Cela revient 
à dire que le mouvement, le travail intérieur qui produit le développe- 
ment de l'art tient des merveilleux caractères du mouvement vital, et que 
l'on n'a pas sans raison désigné par des expressions identiques l'inspi- 
ration de l'artiste et le souffle de vie. Il faut ce souffle vivifiant pour que 
l'imitation et les travaux méthodiques n'excluent pas l'inspiration, quand 
une force supérieure au génie individuel appelle le progrès qui doit se 
faire. Or, s'il y a dans l'art un principe de vie qui s*épuise par son action 
même, un mouvement spontané dont on ne peut imiter les effets par des 
combinaisons réfléchies, nous ne devons plus chercher pourquoi Fart se 
perfectionne et décline jusqu'à ce que des conditions nouvelles fassent 
surgir une nouvelle manière, ou, à proprement parler, un art nouveau, 
destiné, comme tout ce qui porte en soi un principe de vie, à passer par 
les mêmes périodes. )> 

— « Tout au rebours de l'art, la science a pour caractère essentiel 
d'être constamment progressive. Une découverte nouvelle, soit que le 
hasard l'ait procurée, soit qu'elle provienne de l'inspiration d'un homme 
de génie (c'est-à-dire d'une autre espèce de hasard), ou qu'elle soit le 


r,« 


40 Introduclion générale 


résultat d'une investigation méthodique, reste comme une propriété 
acquise à la science, que naturellement elle ne doit pas perdre, ou 
qu'elle ne perdra qu'exceptionnellement, accidentellement, comme si, 
par suite de quelque catastrophe, la civilisation même du peuple chez 
([ui la science était cultivée périssait sans laisser de trace. Eu outre, 
chaque découverte, chaque nouvelle acquisition en prépare une autre, 
par son influence médiate ou immédiate. » 

— « Qu'elles soient ou non influencées par les progrès de la science, 
les acquisitions des arts industriels, de l'industrie proprement dite, ont, 
omme celles des sciences, la propriété de pouvoir être précisément 
constatées et identiquement transmises d'un individu à un autre, d'une 
nation à une autre, d'un siècle à un autre : ce qui fait qu'il est dans leur 
nature, comme dans celle des sciences, d'avancer toujours, chaque 
découverte servant ou pouvant servir à en faire une autre. La loi est la 
môme, soit qu'il s'agisse de la découverte d'une nouvelle culture, de 
l'acquisition d'une nouvelle espèce domestique, d'un nouveau procédé 
industriel ou d'un nouveau théorème. 

« Dans les choses qui tiennent à la fois de l'art et de la science ou de 
rindustrie, il faut s'attendre à ce que les deux lois de développement que 
nous mettons en contraste se combinent entre elles, sans pourtant se 
masquer l'une l'autre. Voyez comme dans l'architecture, par exemple, 
qui est à la fois un art et une science ou une industrie, la coexistence et 
la distinction sont frappantes. Il est clair que l'architecte habile tient 
(le l'artiste et de l'ingénieur, et que, selon les circonstances, selon le 
caractère et la destination des constructions dont il sera chargé, il devra 
briller davantage par le génie de l'artiste ou par le talent de l'ingénieur, 
et s'attendre à être jugé d'après les principes du goût ou d'après les 
règles de la science. En tant qu'elle est un art, l'architecture a, comme 
tous les beaux-arts, ses périodes de progrès, de splendeur et de déca- 
dence, pour chaque école et pour chaque style, ses époques de confu- 
sion et de transition d'un style à l'autre. On dirait même qu'il vient un 


1 






L'art, la science^ V industrie 41 


moment où, les diverses combinaisons entre les données fondamentales 
de l'art étant comme épuisées, on sent l'impuissance de créer un style 
original^ et l'on se borne à imiter, tantôt un style, tantôt l'autre : et ce 
temps est pourtant celui où, grâce au progrès de l'industrie et de la 
richesse publique, on élève le plus de constructions en tout genre^ et 
où toutes les parties de la science de l'ingénieur, dans son application à 
la construction des édifices, sont le plus perfectionnées. Il est donc mani- 
feste qu'un élément progressif de sa nature s'associe en pareil cas à un 
élément soumis à une toute autre loi de développement. L'architecture 
romaine emploie la voûte : c'est un progrès scientifique sur l'architec- 
ture grecque; ce qui ne veut pas dire qu'au point de vue de l'art le style 
romain l'emporte sur le style grec dont il n'est au contraire qu'une 
imitation altérée. Le dôme byzantin, la nef élancée des cathédrales gotlii- 
ques marquent autant de progrès de la science architecturale qui, sui- 
vant la juste remarque des modernes, débute par les constructions les 
plus massives qu'elle va toujours en évidaut de plus en plus : mais il 
ne faudrait pas conclure de là que la basilique de Justinien l'emporte 
comme œuvre d'art sur le Parthénon de Périclès. Il faut simplement 
reconnaître que les données scientifiques de l'art ont changé et que la 
science s'est enrichie de combinaisons nouvelles, quoique à une époque 
de décadence de l'art, et l'on pourrait dire à une époque de décadence 
générale, s'il ne fallait toujours excepter ce qui admet le perfectionne- 
ment indéfini, et ce qui continue de cheminer, bien qu'obscurément, 
même dans les temps que nous appelons ténébreux, parce qu'ils ne 
brillent pas de ce genre d'éclat qui séduit l'imagination et attire de pré- 
férence l'attention de la postérité.» — Cournot, Traité...^ II, chap. i et 
chap. XIV. 

— (( Dans toutes les branches de l'art, et pour toutes les écoles qui 
atteignent les unes après les autres leur point culminant et leur époque 
de décadence, la succession des âges, l'influence du milieu social sur l'é- 
volution progressive des types et des idées, le souffle de vie commune 




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LES MATHÉMATIQUES 


« Ce que les mnthématiqaes ont de réellement ap- 
plicable^ dans l'ordre des choses humaines et terres- 
tres, se réduit à si peu de chose qu'on en est ef- 
frayé, n 

COURNOT, 

« Les mathématiques, à ne considérer que leurs 
parties théoriques dégagées des applications dont 
elles sont susceptibles, constituent moins une science 
qu'une méthode. » 

E. Le Roy et G. Vi>xent. 

« L'organisation des méthodes en mathématiques 
comme dans les autres sciences a pour but d'économi- 
ser le travail du jugement synthétique et de dispen- 
ser du génie d'invention, » 

GOURNOT. 


L 


* 

I 


III 


LES MATHEMATIQUES 


— (( Sousio nom collectif de Matuëmatiques, on désigne un systàmede 
connaissances scientifiques étroitement liées les unes auxautres, fondées 
sur des notions qui se trouvent dans tous les esprits, portant sur des 
vérités rigoureuses que la raison est capable de découvrir sans le 
secours de l'expérience et qui néanmoins peuvent toujours se confirmer 
par l'expérience dans les limites d'approximation que l'expérience 
comporte. Par là les mathématiques réunissent au caractère do sciences 
rationnelles celui de sciences positives, dans le sens que le langage 
moderne donne à ce mot. 

« On démontre en arithmétique que le produit de plusieurs nombres ne 
change pasj dans quelque ordre qu'on les multiplie : or, rien de plus 
facile que de vérifier en toute rigueur cette proposition générale sur 
tant d'exemples qu'on voudra, et d'en avoir ainsi une confirmation 
expérimentale. On démontre en géométrie que la somme des trois angles 
d'un triangle vaut deux angles droits : c'est ce qu'on peut vérifier en 
mesurcmt avec un rapporteur les trois angles d'un triangle tracé sur le 
papier, en mesurant avec un graphomètre les trois angles d'un triangle 
tracé sur le terrain, et en faisant la somme* La vérification ne sera pas 
absolument rigoureuse, parce que la mesure d'une grandeur continue 
comporte toujours de petites erreurs : mais on s'assurera, en multipliant 
les vérifications, que les diflférences sont tantôt dans un sens, tantôt 
dans l'autre, et qu'elles ont tous les caractères d^erreurs fortuites. On 
n'établit pas d'une autre manière les lois expérimentales de la physique^ 


48 Introduction générale 


■V. 


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« Au contraire la jurisprudence qui est une science rationnelle comme 
les mathématiques, n'est pas pour cela une science positive. Après que 
les jurisconsultes ont établi que la combinaison des règles de l'inter- 
prétation juridique conduit à telle solution, on ne voit pas quelle pour- 
rait être Texpérience qui donnerait à ce résultat du raisonnement une 
conGrmation positive. L'expérience qui consisterait à faire voir que, là 
où la solution contraire a prévalu, elle a produit tels ou tels inconvé- 
nients susceptibles d'être constatés, est une expérience d'un autre genre : 
elle peut soutenir ou combattre une solution juridique dans l'intérêt do 
l'utilité publique, non dans l'intérêt de la justesse du raisonnement. 

« La logique aristotélicienne, à cause de sa nature purement formelle, 
comporte bien, comme les mathématiques, une sorte "de vérification 
expérimentale. Je prouve par des raisons théoriques que telle forme de 
syllogisme n'est pas concluante, et j'appuie ma preuve en prenant pour 
exemple un syllogisme de cette forme dont l'ineptie saute aux yeux do 
ceux-mêmes qui ne pourraient expliquer en quoi la forme pèche. Ce 
genre de vérifications est pourtant bien borné en 'comparaison des vé- 
rifications expérimentales que ïes mathématiques comportent, précisé- 
ment parce que la syllogistique, comme science d'application, est très 
stérile en comparaison des mathématiques. 

«Grâce àce double caractère que nulle autre science ne présente, les 
mathématiques ainsi appuyées sur l'une et l'autre base de la connais- 
sance humaine s'imposent irrésistiblement aux esprits les plus pra- 
tiques, comme aux génies les plus spéculatifs. Elles justifient le nom 
qu'elles portent et qui indique les sciences par excellence, les sciences 
éminentes entre toutes les autres par la rigueur des théories, l'iriipor- 
tance de la sûreté des applications. » 

— <r Le nom môme de mathématiques dénote assez que les Grecs, qui 
les ont inventées et qui par là ont jeté les fondements des sciences, les 
regardaient Qomm^Xdi science ou comme la doctrine par excellence; et de 
fait, leurs plus anciennes écoles de philosophie étaient des écoles de ma- 


Les mathématiques 49 


thématiques, au propre sens du mot, où d'austères cénobites enseignaient 
l'arithmélique telle qu'ils la concevaient, la géométrie telle que nous la 
comprenons encore, avec la pensée qu'ils mettaient ainsi leurs disciples 
sur la voie de l'interprétation des énigmes de la nature. Quelquefois, 
dit-on, ces cénobites sortaient de leurs studieuses retraites pour donner 
à leurs compatriotes des constitutions et des lois; mais des expériences 
beaucoup plus récontes semblent avoir montré qu'il vaut encore mieux 
que les professeurs de mathématiques se bornent à enseigner les mathé- 
matiques. 

— « Chose remarquable! les mathématiques, sciences exactes par 
excellence, sont du nombre de celles où il y a le plus do vague et d'in- 
décision dans la classiGcation des parties, où la plupart des termes qui 
l'expriment se prennent tantôt dans un sens plus large, tantôt dans un 
sons plus rétréci, selon le contexte du discours et les idées propres à 
chaque auteur, sans qu'on soit parvenu à en fixer nettement et rigou- 
reusement l'acception dans une langue commune Le vague de la 

langue accuse souvent l'imperfection de notre connaissance de l'objet 
et alors la langue se corrige par le progrès de nos connaissances; mais 
il accuse le plussouvent encorel'impossibilitéabsolued'oxprimeravecles 
signes du langage, en leur conservant toujours la même valeur fixe, des 
rapports dont nous ne disposons pas, et qui admettent malgré nous des 
modifications continues. C'est ce qui arrive à l'égard des termes employés 
pour diviser en compartiments le domaine des mathématiques. 

(( Quand même ou pourrait imaginer de tels compartiments bien délimi- 
tés, il faudrait que la classification offrit l'exacte traduction des rap- 
ports que ces compartiments auraient entre eux; et c'est ce que la 
nature des choses rend encore impossible. Par la forme même du 
langage, nos idées s'enchaînent dans le discours suivant l'ordre que 

les géomètres qualifient de linéaire ( parce qu'on peut en donner 

une représentation sensible au moyen d'une suite de points disposés 
sur une ligne indéfiniment prolongée, de part et d'autre d'une origine 

4 


h' 


' T. 




30 Introduction général 


arbitraire); et comme il n'arrive que très accidentellement qu'un tel ordre 
corresponde, même grossièrement, à Tordre réel des choses, tel que la 
pensée le conçoit, on a recours àl'artifice de tableaux synoptiques, sorte 
de construction géométrique à deux dimensions, moyen bien insuffisant 
encore, auquel il est évident qu'on substituerait souvent avec avantage 
une construction géométrique à trois dimensions si Ton avait des moyens 
commodes de la réaliser physiquement. Mais, plus fréquemment encore» 
l'espace, avec ses trois dimensions, ne suffirait pas pour nous donner 
une image sensible des rapports très multipliés, ou même infiniment 
multipliés, qu'ont entre elles les diverses parties d'un système, objet de 
l'intuition intellectuelle; et ceci s'observe notamment pour le système 
des mathématiques. La théorie des nombres relève de celle do l'ordre et 
des combinaisons; et, sous un autre aspect, le calcul des combinaisons 
est une application de l'arithmétique. Des faits d'arithmétique ont leur 
raison dans certaines lois de l'algèbre, et des faits d'algèbre ont leur 
raison dans certaines propriétés des nombres. Tous ces liens peuvent 
être partiellement et successivement indiqués; les systématiser synop- 
tiquement ou les exprimer dans une classification, parait chose impos- 
sible. 

*— a II n'est guère plus aisé de donner du système une définition 
proprement dite, uniquement tirée de la nature de l'objet, qu'il ne l'est 
de définir et de classer les diverses parties du système. Les mathéma- 
tiques pures ont pour objet les idées de nombre, de grandeur, d'ordre et 
de combinaison, de chances, d'étendue, de situation, de figure, de ligne, 
de surface, d'inch'naison, et même les idées de temps et de forces, quoi- 
que, pour celles-ci, on ne puisse pousser bien loin la construction scienti- 
fique, sans recourir à des données de l'expérience. Toutes ces idées 
s'enchaînent et se combinent de diverses manières, et donnent lieu à 
des rapprochements, souvent très inattendus, commelorsqu'on voit figu- 
rer dans l'évaluation des chances de la reproduction d'un événement, 
le rapport de la circonférence du cercle à son diamètre. Mais ces idées 


i 


Les mathématiques 51 


ont-elles un caractère commun qui rende raison de leur association en 
un tout, et dont Tidée soit l'idée même des mathématiques prises dans 
leur ensemble? On n'a pas eu de peine à apercevoir que les lignes, les 
surfaces, les angles, les forces, etc., sont des grandeurs mesurables, et 
l'on en a tiré cette définition vulgaire, d'après laquelle les mathémati- 
ques sont les sciences qui traitent de la mesure ou des rapports des gran- 
deurs; mais, avec un peu plus d'attention, on remarque qu'une foule 
de théorèmes sur les nombres (la plupart de ceux qui composent la 
théorie des nombres proprement dite) peuvent être conçus indépendam- 
ment de la propriété qu'ont les nombres de servir à la mesure des gran- 
deurs; qu'une multitude de théorèmes de géométrie (ceux qui compo- 
sent la géométrie descriptive proprement dite, par opposition à la 
géométrie dimensivé) seraient parfaitement intelligibles quand même 
on ne considérerait pas les lignes, les angles, etc., comme des gran- 
deurs mesurables; que dans l'algèbre, enfin, les symboles algébriques 
peuvent souvent dépouiller toute valeur représentative de quantités 
réelles ou de grandeurs, sans que les formules cessent d'avoir une signi- 
fication. De là une conception philosophique clairement exprimée par 
Descaries, queLeibuitzn'a point négligée etqu'en dernier lieu M. Poinsot 
a reproduite avec des développements très dignes de fixer l'attention 
des géomètres, conception d'après laquelle les spéculations mathéma- 
tiques auraient pour caractère commun et essentiel de se rattacher à 
deux idées ou catégories fondamentales : l'idée d'oRDRE, sous laquelle 
on peut ranger, comme autant de variétés ou de modifications spécifi- 
ques, les idées de situation^ de configuration^ de forme et de combi- 
naison; e( ridée de grandeur, qui implique celles de quantité^ de pro- 
portion et de fnesure. 

« Mais nous ne nous proposons pas de faire de telles excursions dans 
la région des abstractions de la métaphysique, et si loin du terrain des 
sciences positives. En nous tenant à la distinction posée par Descartes, 
nous devons fixer l'attention sur un fait très digne de remarque, à 


52 Introduction générale 


savoir que, pour les applications aux phénomènes de la nature, les spé- 
culations mathématiques dont l'importance est sans comparaison la plus 
grande sont certainemont celles qui portent sur la proportion ou la 
mesure des grandeurs; de sorte que la plupart des autres spéculations 
de mathématiques pures (et notamment celles qui ont pour objet ces 
propriétés des nombres dont nous avons tant parlé) sont avec raison à 
ce point de vue réputées de pure curiosité, et ne cessent de paraître 
telles que lorsque, pouvant faire avancer la théorie de la mesure des 
grandeurs, elles sont ou promettent d*ètre médiatement utiles à l'inter- 
prétation des phénomènes naturels. 

c( Aussi, tandis que les philosophes, depuis Pythagore jusqu*à Kepler, 
avaient cherché vainement dans des idées d'ordre et d'harmonie, mys- 
térieusement rattachées aux propriétés des nombres purs, l'explication 
des grands phénomènes cosmiques, la vraie physique a été fondée le 
jour où Galilée, rejetant des spéculations depuis si longtemps stériles, 
a conçu l'idée, non seulement d'interroger la nature par l'expérience, 
comme Bacon le proposait de son côté, mais de préciser la forme géné- 
rale à donner aux expériences, en leur assignant pour objet immédiat 
la mesure de tout ce qui peut être mesurable dans les phénomènes natu- 
rels. Et pareille révolution a été faite en chimie un siècle et demi plus 
tard, lorsque Lavoisier s'est avisé de soumettre à la balance, c'est-à-dire 
à la mesure, des phénomènes dans lesquels on ne songeait généralement 
à étudier que ce par quoi ils se rattachent aux idées de combinaison et 
de forme. C'est cette même direction que l'on poursuit dans l'étude do 
phénomènes bien plus compliqués encore, quand on tâche de mesurer 
par la statistique tout ce qu'ils peuvent offrir de mesurable. 

« Il faut reconnaître en même temps que dans les mathématiques, 
considérées comme un corps de doctrine abstraite, indépendamment de 
toute application aux lois des phénomènes physiques, les parties dont 
l'organisation logique a reçu le plus de perfection, celles qui ont été sou- 
mises aux méthodes les plus générales et les plus uniformes, et qui 


Jjes malhématiques 53 

fi nalement ont donné lieu à la construction d'une langue, répulée la plus 
parfaite de toutes, sont précisément celles qui concernent la grandeur 
ou la quantité: d'où il est résulté : 1® qu'on a imaginé, autant qu'on Ta 
pu, des méthodes pour ramener artificiellement à des problèmes qui por- 
tent directement sur Tordre, la situation ou la forme, et notamment les 
problèmes de géométrie descriptive à des problèmes de géométrie dimen- 
sive; 2^ qu'à défaut do telles méthodes les questions à résoudre ont 
exigé un surcroît de sagacité pour trouver la solution, ou pour démon- 
trer simplement ce qui comportait en effet une démonstration simple, et 
ce qui n'avait été obtenu d'abord qu'à l'aide de considérations détour- 
nées. » — CouRNOT, De l'origine... 

— « A quoi tient donc cette singulière prérogative des idées de nom- 
bre et de quantité? D'une part à ce que l'expression symbolique des 
nombres peut être systématisée de manière qu'avec un nombre limité 
de signes conventionnels (par exemple, dans notre numération écrite, 
avec dix caractères seulement) on ait la faculté d'exprimer tous les 
nombres possibles, et, par suite, toutes les grandeurs commensurables, 
avec celles qu'on aura prises pour unités; d'autre part, à ce que, bien 
qu'on ne puisse exprimer rigoureusement en nombres des grandeurs 
incommensurables, on a un procédé simple et régulier pour en donner 
une expression numérique aussi approchée que nos besoins le requiè- 
rent : d'où il suit que la continuité des grandeurs n'est pas un obstacle 
à ce qu'on les exprime toutes par des combinaisons de signes distincts 
en nombre limité, et à ce qu'on les soumette toutes par ce moyen aux 
opérations du calcul; l'erreur qui en résulte pouvant toujours être in- 
définiment atténuée, ou n'ayant de limites que celles qu'apporte l'im- 
perfection de nos sens à la rigoureuse détermination des données pri- 
mordiales. La métrologie est la plus simple et la plus complète solution, 
mais seulement dans un cas singulier, d'un problème surlequel n'a cessé 
de travailler l'esprit humain : exprimer des qualités ou des rapports à 


5i Inlroduclion générale 


variations continues, à Taide de règles syntaxiques, applicables à un sys- 
li ièrae de siernes individuels ou discontinus, et en nombre nécessairement 

&i. limite, en vertu de la convention qui les institue. Les trois grandes inno- 

■k vations qui ont successivement étendu, pour les modernes, le domaine du 

f,; calcul, à savoir, le système de la numération décimale, la tliéorie des 

courbes de Descartes, et l'algorithme infinitésimal deLeibnitz, ne sont, 
au fond, que trois grands pas faits dans l'art d'appliquer des signes 
conventionnels à l'expression des rapports mathématiques régis par la 


-i 




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|/ la loi de continuité. 

1^ — « L'approximation méthodique et indéfinie du continu par le dis- 

^\ continu n'est pas seulement possible quand il s'agit proprement de rap- 

ry ports entre des grandeurs : elle s'adapte également bien aux rapports 

de situation et do configuration dans l'espace qui d'ailleurs jouissent do 
la propriété de pouvoir être implicitement définis au moyen de relations 
entre des grandeurs. Ainsi, que Ton ait ou non égard à la longueur 
d'une courbe et à l'étendue de la surface qu'elle circonscrit, on en dé- 
terminera, avec une approximation illimitée, l'allure, les inflexions, les 
sinuosités (en un mot, tous les accidents qui tiennent directement à la 
forme et non à la grandeur), si l'on a des procédés rigoureux pour dé- 
terminer autant de points de la courbe qu'il plait d'eu choisir, et si ces 
points peuvent être indéfiniment rapprochés les uns des autres. A la 
vérité, lorsqu'on voudra relier par un trait continu ces points isolément 
déterminés, la main du dessinateur sera guidée par un sentiment de la 
continuité des formes, qui ne saurait se traduire en règles fixes, et qui 
ne comporte pas une analyse rigoureuse; ce sera une aflaire d'art et non 
de méthode : mais, plus les points de repère seront rapprochés, plus on 
resserrera les limites d'écart entre les dessins divers que diverses mains 
traceraient, selon qu'elles sont plus fermes et plus habiles, ou qu'elles 
obéissent à une intelligence douée d'une perception plus nette et plus 
sûre de la continuité des formes. 

«Chacun connaîtle procédé pourcopier un dessin ou une image à deux 


Les mathématiques 85 


dimensions, on en conservant ou on en changeant l'échelle. On décom- 
pose en carreaux correspondants la surface du modèle et celle qui doit 
recevoir la copie, et Ton copie carreau par carreau, do manière à res- 
serrer les écarts possibles de la copie entre des limites d'autant plus rap- 
prochées que les carreaux ont été plus multipliés, et à diminuer de plus 
en plus par cotte méthode la part laissée à Thabileté et au goût de l'ar- 
tiste, à la netteté de ses perceptions et à la sûreté de sa main. Les pra- 
ticiens statuaires ont un procédé analogue pour reproduire méthodique- 
ment et mécaniquement en quelque sorte, sur le marbre^ le relief dont 
ils ont le modèle en terrre pétri de la main do l'artiste, en mettant, 
comme on dit, la figure au point : ce qui, bien entendu, ne dispense pas 
Tartiste de donner ensuite à son œuvre ces dernières touches savantes 
et à peine physiquement saisissables sur lesquelles la méthode n'a 
point de prise, et dont le génie seul a le secret. 

(( Au fond, et quelque bizarre que ce rapprochement puisse sembler au 
premier coup d'œil, c'est sur un artifice analogue que roule constam- 
ment l'administration de la justice et des affaires. Des règles sont éta- 
blies, des cadres sont tracés pour restreindre entre des limites plus ou 
moins étroites l'appréciation consciencieuse d*un expert, d'un arbitre, 
d'un juré, d'un jugo, d'un administrateur : appréciation rebelle à l'ana- 
lyse et qui échappe par conséquent à un contrôle rigoureux. Mais, 
comme il ne s'agit plus ni de grandeur, ni d'étendue, ni, en un mot, de 
continuité quantitative, la nature des choses répugne à ce qu'on puisse 
organiser systématiquement un procédé de restriction progressive et 
indéfinie, et à ce qu'on puisse, à chaque pas fait dans un procédé de 
restriction systématique, se rendre un compte précis do l'approximation 
obtenue. 

— (( Il est évident quo toute règle logique qui promet ou semble pro- 
mettre en théorie une exactitude illimitée ne comporte qu'une exacti- 
tude bornée dans la pratique dès qu'elle exige pour être appliquée l'in- 
tervention de facultés ou l'emploi d'instruments auxquels ne compèto 






f *i 


56 Introduction générale 


qu'une précision limitée. On peut se passerla fantaisiede pousser jusqu'à 
tel ordre de décimales que Ton veut le calcul du rapport de la diagonale 
d'un carré à son côté, ou celui du rapport de la circonférence d'un cer- 
cle à son diamètre. La règle pour ce calcul une fois trouvée, Tapplica- 
lionenest, comme on dit, mécaniqiierce qui ne signifie pas précisément 
qu'un automate pourrait la faire, mais ce qui exprime plutôt que, la 
règle prescrivant une succession d'actes parfaitement distincts et déter- 
minés, les agents qui l'exécutent peuvent se contrôler les uns les autres, 
de nianièreà donner la quasi-certitude de la justesse du résultat. Main- 
tenant s'il s'agit, en vertu de cette règle, d'exprimer numériquement la 
longueur de la diagonale d*un carré dont on a mesuré le côté, comme 
la précision de la mesure est nécessairement bornée, puisqu'il y a néces- 
sairement des bornes au perfectionnement des sens et des instruments 
mis en œuvre, il serait chimérique d'outrepasser, dans l'application du 
calcul ou de la règle logique, la limite de précision imposée à Topéra- 
lion de la mesure. Si l'on ne peut répondred'un décimètre sur la mesure 
de la longueur du côté, il serait déraisonnable de pousser le calcul de la 
diagonale jusqu'aux millimètres ou aux fractions de millimètre; et le 
défaut de précision des données, quand on arrive aux fractions de cet 
ordre, ôterait toute signification à la précision du calcul. Celte remarque 
doit paraître bien simple, et pourtant elle a été bien fréquemment perdue 
de vue dans les applications du calcul aux sciences physiques : sans 
égard à toutes les circonstances qui devaient influer sur la limite de 
précision des observations et des mesures souvent très compliquées, 
on a affecté dans les calculs ou dans certains détails d'expériences une 
précision illusoire, dont l'inconvénient n'est pas tant d'entraîner des 
soins et des travaux inutiles, que de^donner à l'esprit une fausse idée 
du résultat obtenu. 

« Une illusion du même genre, beaucoup plus difficile à démêler et à 
détruire, peut nous tromper sur la portée et sur les résultats de ces 
règles administratives et judiciaires, par lesquelles on s'est proposé, non 


Les mathématiques 57 

sans dû bons motifs, de limiter l'usage discrétionnaire de certains pou- 
voirs, la latitude arbitraire de certaines appréciations. Pour que la rai- 
son fût pleinement satisfaite d'un système de pareilles règles, il faudrait 
que l'arbitraire, repoussé par une porte (si l'on veut nous passer cette 
image triviale), ne rentrât point par l'autre; qu'en imposant d'une part 
des règles de procédure ou de comptabilité minutieuse, on ne laissât 
pas, d'autre part, au juge, dans l'appréciation do certains faits, au comp- 
table dans la gestion de certaines affaires, une latitude qui détruit les 
garanties achetées par l'accomplissement de formalités gênantes et dis- 
pendieuses. En un mot, il faut se prémunir contre l'abus du formalisme 
en affaires^ aussi bien et parla même raison qu'il faut se prémunir con- 
tre l'abus du calcul en physique : parce qu'il y a des limites à la préci- 
sion possible; parce que, dès qu*il s'agit de déterminations pratiques 
ou expérimentales, la règle ne serait qu'une forme vide, une lettre 
morte, sans l'intervention de forces émanées du principe de la vie, 
dont le développement continu se soustrait à la mesure, à la règle et 
au contrôle. 

— « Si les géomètres ont pour artifice habituel de supposer d'abord 
une discontinuité fictive là où il y a réellement continuité, une fois 
que cet artifice les a mis en possession de règles pour mesurer le 
continu, ils ont assez fréquemment recours à l'artifice inverse, qui 
est de supposer, pour l'abréviation et la commodité des calculs, 
une continuité fictive là où il y a réellement discontinuité. Ils 
n'obtiennent ainsi qu'une approximation des vrais résultats, mais 
ils s'arrangent pour que l'approximation soit suffisante : tandis que 
le calcul rigoureux, quoique théoriquement possible, serait de fait 
impraticable, à cause de l'excessive longueur des opérations qu'il exi- 
gerait. Cet artifice des géomètres, utile surtout dansle calcul des chances 
et des probabilités mathématiques, ressemble au fond à ce qui se prati- 
que tous les jours dans les circonstances les plus vulgaires. C'est ainsi 
qu'au lieu de compterdes graines on les mesure; le rapport des volumes, 


86 Introduction générale 


si les graines sont de même espèce, ne devant pas différer sensiblement 
du rapport entre les deux grands nombres qui exprimeraient (si Ton 
avait la patience de les compter) combien il y a de graines dans les 
volumes mesures. C'est encore ainsi que, dans les banques, on peso les 
sacs au lieu de compter les écus, quoique la valeur des écus,tant qu'ils 
ont cours de monnaie, se compte légalement à la pièce et ne se mesure 
pas au poids, ou soit indépendante des variations de poids d'une pièce à 
l'autre, pourvu que ces variations, continues de leur nature, ne dépas- 
sent pas les limites fixées par la loi. 

« En général, si l'esprit humain est tenu, par son organisation et par 
la forme des instruments qu'il emploie, de substituer habituellement à 
la continuité inhérente aux choses une discontinuité artificielle, et en 
conséquence de marquer des degrés, de briser des lignes, de tracer des 
compartiments d'après desrègles artificielles et jusqu'à un certain point 
arbitraires, il y a Jieu aussi de pratiquer l'artifice inverse, d'opérer sur le 
discontinu comme il opérerait sur le continu, en s'afi'ranchissant des 
procédés systématiques et rigoureux dont l'application serait impossi- 
ble, à cause du temps et du travail qu'elle exigerait. Ainsi, bien qu'on 
ait des procédés rigoureux pour mettre en perspective un objet suscep- 
tible d'être géométriquement défini dans toutes ses parties, comme une 
machine, une décoration architecturale, le dessinateur, le peintre, le 
décorateur de théâtre n'appliqueront ces procédés longs et pénibles qu'à 
quelques points principaux qui leur serviront de repères, et ils se fieront 
pour le reste à leur dextérité d'artiste. Ainsi, dans les jeux de société, 
on se détermine à chaque instant d'après des chances dont l'évaluation 
rigoureuse, sans être théoriquement impossible, serait de fait imprati- 
cable, à cause des immenses calculs qu'elle entraînerait, ou bien d'après 
des chances dont l'évaluation, sans exiger beaucoup de temps, en deman- 
derait encore plus que les habitudes de la société et les usages du jeu 
ne permettent d'en accorder. Il faut alors que l'appréciation des chances 
se fasse instinctivement, spontanément, par une sorte de sens dont la 


Les mathématiques 59 


finesse, provenant de Taplitude naturelle ou de l'exercice, constitue ce 
que Ton nomme Tcsprit du jeu, le lad, le coup-d'œil du joueur : et ceci 
ne s'applique pas seulement au jeu, mais au négoce, à la tactique guer- 
rière, et à une foule d'aulres affaires où l'homme a besoin d'être éclairé 
par une inspiration soudaine, dans les choses mêmes qui ne seraient pas 
absolument rebelles de leur nature à une analyse exacte et à dos raison- 
nements rigoureux. » — Cournot, Essai..., t. 1(200) à (204). 

— « Les idées de grandeur et de mesure sont si simples, elles don- 
nent lieu à des constructions scienti(iquessiréguliferes,qu*elies semblent 
dominer les mathématiques tout entières, et que l'on définit vulgaire- 
ment les mathématiques, la science ou les sciences qui ont pour objet 
la mesure des grandeurs. Il s'en faut cependant bien que cette défini- 
tion soit exacte. L'Arithmétique supérieure, celle qui étudie les pro- 
priétés des nombres en eux-mêmes, n'a rien ou presque rien de com- 
mun avec ridée de grandeur ou de quantité. Les figures de géométrie 
offrent de même une foule de propriétés qui tiennent à la situation et à 
Tordre, et dont on pourrait faire un corps de doctrine, lors môme que 
l'on n*aurait aucune idée de l'application des nombres à la mesure des 
grandeurs géométriques. 

« La théorie des nombres, la théorie des figures géométriques, la théo- 
rie des grandeurs forment trois corps de doctrine qui ont entre eux 
des rapports multipliés, qui s'appliquent mutuellement Tuii à l'autre, 
mais qui procèdent chacun d'idées fondamentales distinctes, quoique 
étroitement liées. 

« La théorie des grandeurs est celle des trois qui comporte le déve- 
loppement le plus régulier, le plus uniforme, le plus méthodique (1) et, 

(1) «En veut-on un exemple des plus simples? La division, au point de vue de l'arithmétique 
pure, de la théorie des nombres, est une opération qui réussit ou ne réussit pas, accidentellement 
en quelque sorte, ou plutôt d'après des lois cachées et singulières, que nous avons grand'peine à 
découvrir et plus de peine encore à systématiser. Au point de vue de la théorie des grandeurs, la 
division réussit toujours et tout problème ramené à une division est un problème censé résolu, t 


(50 Introduction générale 


on conséquence, la plupart des géomètres ont employé leurs efforts à 
assujettir les deux autres théories à colle-ci, à démontrer, et à trouver, 
par l'emploi régulier et systématique de grandeurs auxiliaires, ce qui 
pourrait à la rigueur se concevoir, se démontrer et se trouver, indépen- 
damment de la notion de grandeur et de mesure. Pour ce qui est enfin 
de l'utilité des mathématiques etde leur application, soit à la philosophie 
naturelle, soit à la pratique des arts, on vient de voir qu'elles sont en- 
tièrement dues à la puissance du calcul, en tant qu'il s'applique aux 
grandeurs mesurables, et en ce sens au moins, la définition qu'on donne 
communément des mathématiques se trouve pleinement justifiée. » — 
CouRNOT, T?'ailé...y t. I, p. 25. 

SLR LA MÉTHODE MATHÉMATIQUE 

— « Quand on se livre à l'étude des mathématiques et qu'on a déjà 
poussé cette étude assez loin pour entrevoir l'étendue de la science, la 
complète satisfaction de l'esprit exige que l'on revienne sur ses pas, 
que l'on redescende jusqu'aux éléments pour en discuter la valeur et 
que l'on reprenne à un point de vue critique les raisonnements dont on 
a fait usage. Certes nous n'avons pas l'outrecuidance de croire ce résu- 
mé complet.... Nous espérons cependant n'avoir rien omis d'essentiel 
dans notre examen du mécanisme logique, mis en œuvre par les géo- 
mètres. 

« Nous nous proposons d'étudier la méthode mathématique et notre 
but est triple : définir la nature du calcul, déterminer la fonction du 
calcul, analyser le mécanisme du calcul. On peut assimiler le calcul à 
un instrument; cela étant, nous allons successivement examiner la struc- 
ture, l'usage et le fonctionnement de cet instrument.... La méthode que 
nous adopterons pour résoudre ce problème est une méthode d'obser- 
vation ; nous supposerons connue la science mathématique et nous 
chercherons à saisir sur des exemples convenablement choisis la nature 
des procédés dialectiques qui ont servi à la construire. 


Les mathématiques Gl 


— <( La science mathématique a pour objet l'étude des grandeurs 
mesurables. Il existe des grandeurs d'une autre catégorie : l'intensité 
d'une sensation d'odeur, par exemple. Ces grandeurs là, qui ne sont point 
susceptibles, au moins actuellement, d'être exprimées en nombre, 
n'appartiennent pas encore au domaine . mathématique, parce qu'en 
pareil cas l'application du calcul se réduirait à un pur jeu de formules 
dont on ne pourrait donner aucune interprétation précise 

« Mesurer une grandeur, c'est la comparer à une grandeur de même 
espèce et la construire mentalement à l'aide de cette dernière. Le terme 
lixe de cette comparaison se nomme un nombre. On peut dire qu'un 
nombre est une sorte de formule, un résumé d'opérations : c'est l'ex- 
pression de la construction d'une grandeur au moyen de son unité. Cela 
étant, nous appellerons quantité toute grandeur mesurable. Nous pou- 
vons dire alors que l'objet mathématique, c'est la quantité et cela 
nous conduit à essayer de préciser et d'éclaircir celte idée de quantité 
afin d'arriver par approximations successives à une exacte définition 
de la science mathématique. Toute la portion vague et insaisissable du 
concept de grandeur se trouve éliminée par l'adjonction du concept do 
mesure qui détermine nettement un caractère auquel on reconnaîtra ce 
qui est quantité 

« Nous percevons quatre espèces de quantités : la pluralité, l'étendue, 

la durée» l'intensité; ces notions sont dégagées par abstraction des 

données primitives et par un second degré d'abstraction réductible à 
une même forme : le nombre entier. En effet, considérons d'abord des 
quantités intensives : poids, température. La balance substitue à l'action 
d'un poids le parcours d'une longueur ; le thermomètre fait corres- 
pondre aux variations de température des variations de niveau. D'une 
façon générale les instruments de mesure sont destinés à transformer 
les quantités les unes dans les autres pour arriver finalement, par l'in- 
termédiaire du mouvement, à les traduire en étendue... Donc les quan- 
tités intensives, en tant que formes de la raison pure, ne diffèrent pas 


62 Introduction générale 


réellement de la quantité exlensive. Considérons alors celle-ci : c'est une 
étendue ou une durée. L'étendue et la durée, en tant que formes de la per- 
ception prise, au poîntdovue purement logique, sont homogènes et con- 
tinues ; d*oii il suit que, en tant que formes de la raison, elles sont résolu- 
bles en pluralités. Parce qu'elles sont homogènes, on peut les partager en 
morceaux identiques entre eux ; parce qu'elles sont continues, on peut 
nettement juxtaposerles morceaux quel que soitle mode départage adop- 
té. Alors soit une étendue ou une durée; parce que cette quantité est 
homogène et continue, on peut la décomposer en une somme de parties 
identiques et rigoureusement juxtaposées, c'est-à-dire la résoudre en 
pluralité... Par conséquent, toute quantité, en tant que forme de la 
raison pure, est résoluble en pluralité. En d'autres termes, l'action do 
l'intelligence sur la perception primitive l'a transformée en perception 

de pluralité. Or, dans une telle perception considérée seulement au 
point de vue quantitatif, le contenu ou matière ne joue plus aucun 
rôle logique ; on peut donc le supprimer par abstraction, et la per- 
ception de pluralité, en passant ainsi dans le domaine de la raison pure, 

devient le concept de nombre entier 

« Il n'a été question jusqu'ici que des quantités intensives ou exten- 
sives simples. II reste donc à parler brièvement des quantités intensives 
ou extensives complexes. Celles-là sont résolubles en pluralités simples; 
celles-ci sont résolubles en complexes de pluralités. Eu d'autres termes, 
celles-ci s'expriment par un complexe de plusieurs nombres considérés 
simultanément, c'est-à-dire par un groupe de nombres différenciés les 
uns des autres et rangés dans un ordre déterminé. Voici des exemples. 
La notion de vitesse implique la notion d'un chemin parcouru et la no- 
tion du temps employé à le parcourir ; la vitesse est donc une quantité 
qui, en tant que forme de la perception, se présente à nous comme un 
rapport et qui, en tant que forme de la raison pure, est résoluble en un com- 
plexe de deux pluralités; au point de vue qui nous occupe, elle s'exprime, 
non par un seul nombre, mais par un complexe de deux nombres. Le même 


Les mathématiques 63 


fait se présente en ce qui concerne la hauteur d'un son ; cette hauteur 
est d'abord perçue par nous comme une quantité intensive d'une sorte 
parlicuh'ère; elle apparaît ensuite à notre raison comme le rapport d'un 
nombre de vibrations exécutées au temps employé à les produire et 
s'exprime donc par un complexe de deux nombres dont chacun repré- 
sente un des éléments de la quantité étudiée. 

« A notre affirmation, on opposera sans doute l'exemple de cer- 
taines grandeurs, comme les grandeurs pholométriques — éclat d'une 
source lumineuse, éclairoment d'une surface opaque, — qui sont aujour- 
d'hui mesurées et nombrées sans être dénombrées et résolues en plura- 
lités. Nous ferons remarquer que cette prétendue mesure n'est qu'un 
repérage grossier, un classement approximatif qui permet d'apprécier 
jusqu'à un certain degré — 1/64 environ — l'égalité ou l'inégalité de 
deux de ces grandeurs, mais qui ne donne aucun moyen de suivre le 
développement continu des grandeurs en question, en sorte que l'on ne 
peut voir là rien autre chose qu'un pis-aller provisoire en attendant les 
progrès futurs de la science. L'intensité d'une couleur, sa tonalité, son 
degré de saturation ou, en d'autres termes, sa pureté sont actuellement 
pour nous des grandeurs sensibles, c'est-à-dire, des formes de la per- 
ception; ce ne sont pas encore des grandeurs intellectuelles, c'est-à-dire 
des formes de la raison. Mais ces éléments cesseront d'être logiquement 
insaisissables quand on saura en construire une représentation extériori- 
sable et impersonnelle, c'est-à-dire quand on saura substituer à ces com- 
plexes confus de matière et de forme des formes pures équivalentes fabri- 
quées à l'aide des seules données primitives de la conscience. — On dit 
qu'unechoseen représente une autre, quandil existe entre ces deux choses 
une correspondance telle que tout changement dans l'une entratne un 
changement dans l'autre et qu'il suffise par conséquent d'agir sur Tune 
pour agir par contre-coup sur l'autre. Deux choses ainsi liées sont 
logiquement substituables l'une à l'autre et la connaissance de l'une 
permet d'obtenir par simple traduction la connaissance de l'autre. 


6i Introduction générale 


« En résumé, au point de vue de la raison pure, il n'y a qu'une forme 
quantitative : le nombre entier. Pour découvrir ce qui constitue, ration- 
nellement parlant, la quantité, il suffit donc de considérer le nombre 
entier. » 

— «La valeur de l'analyse est la valeur mèmederosprit humain, puis- 
qu'elle en vient tout entière au pointde n'en être en quelque sorte qu'une 
extériorisation et qu'elle est construite uniquement à Taide de la loi fon- 
damentale de la raison. L'analyse mérite donc une confiance absolue, 
au seul sens raisonnable que l'on puisse a priori attribuer à ce mot. 
Mais aussi sa portée n'est que celle de l'esprit humain, a Le calcul, 
disait Poinsot, est un instrument d'analyse qui ue produit rien par lui- 
même. » Gela est vrai de tout calcul, j qu'il soit fait ou non avec le 
secours de la notation algébrique, c'est-à-dire de toute évolution d'idées 
qui n'est conduite que par le principe d'identité. Un tel mode de raison- 
nement ne vaut que par les données qui lui servent de point de départ 
et de matière. Si donc on le fait fonctionner à vide comme en analyse 
pure, il est clair qu'il n'engendrera que des conclusions vides aussi. Dans 
ce cas, toute série de comparaisons ou de transformations tend à mettre 
en évidence un certain rapport entre deux systèmes de grandeurs; mais 
ce rapport est établi dans l'abstrait pur, indépendamment des choses 
réelles dont il peut exprimer les relations, en sorte que c'est une forme 
vide qui reste sans signification et sans intérêt tant que l'expérience 
n'est pas intervenue pour le remplir d'une matière déterminée. Par con- 
séquent les mathématiques, à ne considérer que leurs parties théoriques 
dégagées des applications dont elles sont susceptibles, constituent moins 
une science qu'une méthode, et c'est ajuste titre que Leibnitz les appe- 
lait : <( une extension ou promotion particulière de la logique géné- 
rale. » Quelques remarques suffisent pour démontrer cette proposition : 

(( 1® L'objet mathématique, c'est la quantité. Or une quantité peut être 
représentée, soit par la notation arithmétique, c'est-à-dire par la nota- 


Les mathématiques 65 


tion-chiffre, soit par la notation algébrique, c'est-à-dire par la notation- 
lettre. Dans le premier cas, la quantité est considérée abstraction faite 
do son espèce, mais non de sa valeur; dans le second cas, elle est con- 
sidérée abstraction faite et de son espèce et de sa valeur, à l'état de pure 
essence que rien ne détermine ni ne limite. En tout cas, sa nature n'est 
jamais spécifiée, quand bien môme sa valeur l'est. D*oii il suit que les 
théorèmes auxquels son étude conduit ne peuvent par eux-mêmes avoir 
aucun sens concret. 

« 2° Le caractère de parfaite abstraction des vérités mathématiques 
devient en quelque sorte palpable lorsque l'on pense au calcul des sym- 
boles opératoires où l'on représente par des lettres, non plus dos quan- 
tités, mais de simples opérations. 

«.... Finalement l'esprit humain ne possède, au point de vue mathé- 
matique, qu'une seule donnée primitive, qu'une seule matière primor- 
diale : l'unité. Sur cette matière il opère de diverses façons; il crée 
ainsi la série des concepts analytiques et, par identification de ces divers 
modes de construction, la série des vérités analytiques. Ainsi se trouve 
constituée l'analyse. L'unité fonctionne comme matière par rapport aux 
formes qu'on en dérive en travaillant sur elle et qui sont les différentes 
notions de l'analyse. Mais, en elle-même et par rapport aux choses, elle 
n'est aussi qu'une forme, un pointdevuede l'esprit, quelque chosecomme 
l'idée du moi extériorisée et vidée de son contenu. 

— « Cela posé, n'est-il pas possible de prolonger le développement 
de l'analyse en y faisant entrer progressivement toutes les grandeurs 
physiques? La science poursuit l'explication de l'univers et travaille à 
en construire une idée que nous puissions ensuite, par notre industrie, 
imposer comme une forme au monde. Le seul moyen d'atteindre com- 
plètement ce but semble être de donner une représentation analytique 
de l'ensemble des phénomènes. Comment procéder dans cette entreprise V 

5 


66 Introduction générale 


C'est ce que nous allons examiner. Nous abordons ainsi l'étude des 
mathématiques appliquées : géométrie, mécanique et physique. 

a Occupons-nous d'abord delà géométrie et, pour commencer,posons 
nettement la question. Nous nous proposons d'étudier la géométrie 
comme nous avons étudié l'analyse : nous examinerons donc succes- 
sivement l'objet de la géométrie et les diverses manières de l'envisager, 
la nature de la géométrie et sa portée logique, le caractère et la valeur 
des fondements de la géométrie. Gardons pour cette nouvelle recherche 
la méthode d'investigation qui nous a servi jusqu'ici : supposons la 
géométrie constituée et connue, et prenons-la comme une donnée que 
nous entreprenons d'analyser. 

« Pointn'estbesoinsansdoute de redire iciquelle estla véritable nature 
des idées fondamentales de temps, d'espace et de mouvement auxquelles 
on se heurte dès le début de l'application des mathématiques à l'analyse 
des phénomènes physiques. Ilest bien facile de démontrer — et c'est un 
théorème désormais incontesté — que ces notions ne correspondentpas 
à des existences extérieures directement perçues. Ce ne sont pas des 
représentations, mais des conditions nécessaires de certaines représen- 
tations. D'une façon précise, ce sont des formes de notre perception. 

« Cela posé, qu'est-ce que la géométrie ? On la définit souvent : la 
science de l'étendue. Celan'estpas exact, la géométrie est seulement la 
science de l'étendue figurée en tant que figurée. Elle étudie, non pas 
l'étendue elle-même, mais ses lois de limitation : c'est proprement la 
science des phénomènes de l'étendue, la science des apparences sensi- 
bles sous lesquelles se manifeste à nous une des propriétés inconnues de 
la matière, en un mol la science des formes étendues. 

(( L'espace fonctionne seulement en géométrie comme milieu où l'on 
peut choisir des points et comme réceptacle de figures. Son intervention 
se réduit à constituer la possibilité des divers êtres géométriques : 
c'est une puissance indéterminée dont les figures étudiées sont des actes. 
Cette remarque nous conduit immédiatement à répondre àuneobjection 


Les mathématiques 67 


possible. Si la géométrie repose sur la notion d'espace, comment l'ana- 
lyse d'une notion fort obscure et sur le contenu do laquelle personne 
n'est d'accord engendre-t-elle des propositions très claires qui appar- 
tiennent justement à la catégorie decelles qui senties seules sur lesquel- 
les tout le monde soit du même avis? Voici l'explication de ce fait 
étrange : les théorèmes géométriques ne supposent que l'existence de 
l'espace, et encore l'existence de l'espace dans la pensée, c'est-à-dire la 
connaissance de sa fonction logique, et restent vrais quelle que soit l'idée 
que l'on se fasse de son essence sur laquelle ils ne supposent rien que 
des lois peu nombreuses immédiatement aperçues par l'intuition. La 
même chose pourrait être répétée au sujet de la notion de mouvement. 
Nous parvenons donc à une première conclusion. Quelles formes peut- 
on découper dans cette matière amorphe qu'on nomme l'espace et quel- 
les sont les lois constitutives de ces formes ? Tel est l'énoncé général 
du problème géométrique. 

« L'objet géométrique, cette espèce de corps dépouillé de ses propriétés 
et réduit à sa figure dont parle Descartes, peut être envisagea plusieurs 
points de vue différents. 

« En géométrie pure, on procède par construction et comparaison de 
figures et la seule notation que l'on emploie est la notation graphique. On 
y raisonne, non pas sans doute sur les figures elles-mêmes^ mais à l'aide 
de ces figures, qui ne jouent qu'un rôle de signes : « On fait de la géo- 
métrie avec de l'étendue comme on en fait avec de la craie, » dit M. Poin- 
caré. C'est ce qui permet de comprendre pourquoi la géométrie est une 
science exacte, quoi qu'on ne réussisse jamais à dessiner la figure théo- 
rique que l'on considère: cela résulte immédiatement de ce que les ima- 
ges tracées sur le tableau ne servent qu'à soutenir l'attention et ne sont en 
réalité que des symboles suggestifs de fonctions logiques. Si ce fait est 
déjà clairement visible dans la géométrie des anciens où l'on n'étudie que 
les propriétés les plus simples des plus simples figures sans constituer 
aucune doctrine générale, il apparaît en pleine évidence dans la géomé-^ 


08 Introduction générale 


s»! 


U i'ric moderne. Là en effet les théorèmes établis sont applicables, non à 

j^ une figure déterminée, mais à une classe de figures, à une essence géo- 

^f métrique conçue indépendamment des formes sensibles qu'elle peut 

^" affecter et, par exemple, la représentation d'une conique n'a plus rien de 

commun avec l'apparence que présente une courbe de ce genre quand 
[. elle est réalisée sur le papier. Ce choix d'une notation graphique a l'a- 

t yantage de forcer à faire à chaque instant appel à l'intuition, en sorte 

U que, non content de démontrer les théorèmes on parvient encore à les 

faire voir. Mais ce beau résultat ne va pas sans inconvénient : si l'in- 
tuition est un guide entraînant, c'est quelquefois un guide dangereux. 
Une expérience directe permet en effet de se convaincre que le raison- 
nement géométrique mérite moins de confiance qu'on ne lui en accorde 
généralement et nécessite quelques précautions pour être employé légi- 
timement.. . Contentons-nous actuellement d'avoir précisé le degré d'im- 
portance qu'il faut attribuer au dessin dans les spéculations géométri- 
ques et continuons notre revue des divers modes de la géométrie. 

« La géométrie descriptive n'est pas une science distincte : ce n'est 
qu'une méthode, un art enseignant à figurer sur le plan les faits géomé- 
triques de l'espace. Concevons deux plans coordonnés; associons deux 
à deux les phénomènes géométriques de ces plans, en sorte que cha- 
que phénomène s'accomplissant dans le premier plan soit lié à un 
phénomène s'accomplissant dans le second plan ; établissons une cor- 
respondance entre les complexes de faits géométriques plans ainsi 
accouplés et les faits géométriques de l'espace; de telle façon que les uns 
soient les signes des autres; nous construirons par cette convention un 
dictionnaire permettant de traduire la géométrie de l'espace en géomé- 
trie du plan, puisque l'une sera la représentation de l'autre, et nous 
aurons alors constitué la géométrie descriptive. Cette géométrie n'est 
donc pas autre chose qu'un langage, un système de notation comme l'al- 
gèbre. Le dessin est une langue très expressive. De là l'utilité de la géo- 
métrie descriptive et des diverâ procédés graphiques inventés pour la 


Les mathématiques (59 


roprésentation sensible des pliénomcncs et pour la résolulîon rapide dos 
problèmes. De là aussi une juslidcation de l'usage si fréquent des cour- 
bes figuratives dans toutes les branches des sciences appliquées : rien ne 
s'oppose à leur emploi dès qu'on ne les regarde plus que comme des 
résumés suggestifs deloiscompliquées, c'est-à-dire comme des formules. 
Malheureusement le dessin est une langue peu précise,et c'est pourquoi 
le champ d'application de la méthode graphique est si restreint. 

« Puisqu'une figure géométrique est seulement le symbole d'une fonc- 
tion logique qui seule intervient d'une manière efficace dans le raison- 
nement, le rôle du graphique doit être tout accessoire eu géométrie. 
Ne peut-on pas diminuer Timportance accordée à l'intuition par cet 
emploi du dessin comme système de notation? Sans doute il restera 
toujours des éléments irréductibles pour la définition desquels il faudra 
bien recourir à l'intuition ; les fonctions logiques primitives seront 
toujours simplement données par leur signe sensible^ par leur notation 
graphique ; mais, à partir de ces matériaux premiers, il doit être pos- 
sible de construire les êtres géométriques successifs sans nouvel emprunt 
à l'intuition. 

(( C'est en effet ce qu'a réalisé Descartes par la création de la géomé- 
trie analytique, que l'on peut appeler une narration algébrique des 
phénomènes géométriques. Il y a trois éléments géométriques fonda- 
mentaux : le point, la droite, le plan. Considérons comme exemple l'un 
d'eux : le point. Qu'est-ce que l'idée de point? C'est l'idée d'une forme 
étendue dénuée de dimensions. II semble qu il y ait là contradiction dans 
les termes mêmes. Pour détruire cette conlradiction qu'on ne peut évi- 
demment laisser subsister à l'origine d'une science, il faut considérer 
le point comme un minimum visible, dont nous puisons la notion dans 
Tobservation des astres qui n'ont pas de diamètre apparent, si toutefois 
nous n'en avons pas l'intuition directe. Précisons. Soit une aire plane 
limitée par un conlour variable. Supposons que ce contour se rétrécisse 
et vienne à s'évanouir en passant par une série quelconque de formes. 


70 Introduction générale 


La limite de Taire, c'est-à-dire l'état où elle sera quand ses différentes 
parties seront devenues indiscernables, constitue ce qu'on nomme un 
point : ce n'est donc qu'un minimun visible. La conception purement 
géométrique du point étant ainsi précisée, cherchons à extraire du 
groupe confus donné par l'intuition la fonction logique représentée par 
la notation graphique que nous venons d'établir. On sait comment on 
y parvient et que c'est par là que s'effectue la réduction de l'idée de 
situation àl'idée de nombre. La position d'un minimum visible estlaseule 
propriété par laquelle ce minimum intervienne dans le raisonnement ; 
or cette position peut être fixée par deux nombres que l'on nomme ses 
coordonnées; donc un minimum visible peut être représenté, au sens 
précis donné antérieurement à ce mot, par un système de deuxnombres. 
Effectuons alors un changement de notation et appelons point tout com- 
plexe de deux nombres différenciés. Nous avons ainsi construit le con- 
cept analytique qui forme la base de la géométrie cartésienne. Consi- 
dérons maintenant un minimum visible mobile dans un plan suivant 
une certaine loi : il décrira ce qu'on nomme une courbe. Quelle sera la 
définition analytique de cet être nouveau ? Ce sera la relation perma- 
nente qui lie entre elles les coordonnées changeantes du point courant : 
l'idée de forme étendue se trouve ainsi ramenée à l'idée de fonction. 
Par un procédé tout semblable, on fait correspondre à toute opération 
graphique une opération analytique, de telle façon que la première ne 
soit qu'une image de la seconde ou, si Ton veut, quelque chose comme 
une métaphore dont l'interprétation analytique constitue le sens. Cela 
posé, dans la géométrie ainsi construite, on peut regarder les définitions 
initiales comme posées a priori et le dessin correspondant apparaît bien 
alors comme une notation graphique de la fonction logique sur laquelle 
seule porte la définition analytique; en définitive, à part quelques don- 
nées qui ne sont définies que par leur apparence visible, tout ce qui 
suit n'est plus que déduction pure. La géométrie de Descartes doit donc 
être considérée comme un dictionnaire à double entrée permettant de 


Les mathématiques 


71 


traduire la géométrie en analyse et réciproquement. Faciliter la réso- 
lution des problèmes trop complexes pour que l'intuition parvienne à 
les débrouiller, donner naissance à des énoncés généraux qui résument 
et coordonnent une multitude de faits épars, mettre en évidence par 
l'analogie des calculs la parenté de questions en apparence très dissem- 
blables, fournir un principe de classiFication naturelle pour les courbes 
et les surfaces, procurer un moyen de suivre la déformation graduelle 
des formes étendues et la marche continue des phénomènes géométriques, 
donner une méthode générale pour obtenir la figuration concrète des 
faits analytiques : telle est la portée des inventions de Descartes. 

« Le problème géométrique, vu du côté de l'intuition, consiste en 
ceci : construire une représentation rationnelle d'une certaine classe 
de phénomènes naturels, de ceux qui sont relatifs à la situation et à la 
configuration des corps. La géométrie est donc une branche de la physi- 
que. Les traditions antiques nous rapportent en effet que cette science a 
commencé par des études expérimentales sur l'arpentage et la mesure 
des terrains. D'ailleurs une critique déjà faite des idées géométriques 
fondamentales achève de justifier notre affirmation. Un point n'est qu'un 
minimum visible; une ligne n'est qu'un tube assez délié pour que les 
dimensions transversales en soient devenues imperceptibles; une surface 
n'est qu'une plaque dont l'épaisseur est tombée au-dessous des limites où 
elle serait discernable. Il est impossible de définir autrement ces êtres 
géométriques au point de vue intuitif sous peine de contradiction : les 
vérités géométriques ne sont donc que des vérités approchées comme les 
vérités physiques. L'apparence de rigueur qu'offre la géométrie vient 
simplement de ce que cette science, comme ont fait depuis la mécanique 
et la physique, a conquis ses principes et les a réduits au moindre nom- 
bre possible. En conséquence, si Ton prend la géométrie par son coté 
intuitif, elle n'est pas une science exacte : il est impossible de la réduire 
à l'analyse et par suite de déduire celle-là de celle-ci. 

« Comment donc concilier ces deux propositions : la géométrie est un 


t*afct».*:-Tv 


"TT 


TT, 


72 


Introduction générale 


chapitre de la physique, la géométrie est une science exacte? Par la pos- 
sibilité de traduire la géométrie en analyse. Il faut regarder la forme 
géométrique donnée parfois à un raisonnement comme ne faisant qu'ex- 
primer un calcul; c'est un système de notation qui peut être plus com- 
mode et plus élégant dans certains cas, mais dans ces cas, si la simpli- 
cité de la démonstration vient du langage géométrique employé, sa 
rigeur et sa précision ne viennent que de la traduction algébrique sous- 
entendue ; Texistence possible d'une géométrie exclusivement analytique 
fait l'exactitude réelle de la géométrie ordinaire. Cette manière de voir 
est pleinement confirmée par l'usage que fait la géométrie moderne des 
éléments imaginaires et des éléments rejetés à l'infini, éléments qui, au 
point de vue strictement géométrique, c'est-à-dire au point de vue des 
phénomènes de l'étendue, n'ont évidemment aucune réalité. Les figures 
ne jouent pas d'autre rôle dans les traités de géométrie que les dessins 
schématiques dans les traités d'histoire naturelle: elles représentent; les 
appels à l'intuition ne sont que les substituts de calculs possibles et n'in- 
terviennent que parle raisonnementanalytiquedont ilssontune notation 
condensée : ils abrègent; les apparences graphiques acceptées comme 
définitions initiales ne sont que des métaphores suggestives, dontle sens 
analytique est seul réellement actif dans la construction de la science : 
elles font voir. Voilà ce qui constitue, en dépit du manque de rigueur qui 
paraît inhérent à l'usage de l'intuition, la solidité inébranlable et l'exac- 
titude absolue de la géométrie. En définitive, la géométrie n'est qu'un cal- 
cul masqué, la seule vraie géométrie est la géométrie de Descartes, et 
la géométrie ordinaire, si on ne la considère pas comme une simple tra- 
duction de cette géométrie abstraite, en est seulement une application à 
l'étude de quelques phénomènes physiques. Concluons donc et pour cela 
fixons notre attention sur la véritable géométrie qui est la géométrie- 
notation : l'algèbre sous-entendue en fait la valeur logique, le lan- 
gage graphique adopté en fait la puissance explicative et la signifi- 
cation physique. 


Les mathématiques 73 


a Un raisonnement géométrique peut toujours être lu comme une 
page d'analyse écrite dans un langage particulier. Les lois intuitives de 
rétendue ne sont alors que des manières de parler; les aperceptions im- 
médiates sur les propriétés de l'espace ne jouent qu'un rôle de formules 
et, par exemple, les noms géométriques, sous lesquels on désigne les 
contours imaginés par Cauchy pour figurer la marche d'une variable 
complexe ne retirent pas à ces derniers leur fonction naturelle de purs 
symboles. Voilà notre dernière conclusion. Cependant la géométrie car- 
tésienne n'est pas seulement un système de calculs abstraits : c'est aussi 
une application de ces calculs à la théorie de la situation et de la confi- 
guration des corps. Distinguons bien ici . L'application consiste à trou- 
ver une interprétation des calculs : on veut leur attribuer un sens concret. 
On a appelé droite telle loi de correspondance entre deux séries conti- 
nues de nombres, on a appelé sphère telle autre loi de correspondance 
entre trois séries continues de nombres et il s'agit de reconnaître que ces 
définitions abstraites conviennent à telles formes sensibles de l'étendue 
et peuvent servir à les représenter. 11 ne s'agit là que d'effectuer une 
traduction : il ne saurait donc être question de rigueur, mais simplement 
de commodité. Descartes a> nous le savons, indiqué un moyen facile 
d'accomplir ce passage de l'idéal au réel : il découle de la correspondance 
intuitive qui existe entre un système de deux nombres et le minimum 
visible qu'on appelle point. De l'aperception de cette correspondance et 
de l'aperception de quelques autres semblables en petit nombre, il 
est aisé de déduire tout le reste du dictionnaire cherché. Cette remarque 
nous ramène encore au même résultat : la certitude des théorèmes est 
due à ce qu'on peut les regarder comme expression d'une identité ana- 
lytique et leur sens concret résulte du langage spécial dans lequel on les 
formule. 

— i( L'étude critique de la géométrie se trouve ainsi achevée, au 
moins dans la mesure qui nous est utile. Que dire maintenant sur la 
mécanique cinématique ou dynamique — qui ne soit une répétition des 


74 Introduction générale 


remarques précédentes ? Un point matériel n'est qu'un pointgéométrîque 
auquel est attaché un coefficientnumérique; une force n'est quela nota- 
tion d'un mouvement possible. Ces exemples, que l'on pourrait multi- 
plier, montrent ceci : les concepts fondamentaux de la mécanique ne 
sont que des concepts analytiques auxquels des noms physiques, attri- 
bués par l'intuition, donnent une puissance de représentation et une 
fécondité d'explication qu'on ne leur soupçonnait pas. On verrait de 
même que les postulats mécaniques, tels que le postulat de l'inertie ou 
le postulat de l'égalité de l'action et de la réaction, sont identiques dans 
leur nature et dans leur fonction aux postulats géométriques. 

« La géométrie et la mécanique sont des parties détachées de la phy- 
sique plus avancées que les autres à vrai dire et devenues autonomes 
par suite de leurs progrès; mais elles ne constituent encore que la pré- 
face de cette science vers laquelle est orienté tout le développement de 
l'analyse et qu'il nous faut donc étudier maintenant en elle-même. Péné- 
trer le mécanisme des phénomènes donnés par la nature jusqu'à pouvoir 
en reproduire à volonté l'évolution en soi, construire une idée des choses 
qui transforme les sensations venues de l'extérieur en conceptions pure- 
ment rationnelles dont la pensée dispose à son gré, combiner dans ce 
dessein un équivalent mental de chacune de ces réalités confuses dont 
l'existence seule est d'abord vaguement perçue, prendre ainsi graduelle- 
ment conscience de l'univers, tel est dans sa généralité le but poursuivi 
par le physicien. Comment ce but peut-il être atteint? l'examen le plus 
superficiel indique a priori deux procédés possibles. Il y a d'abord la 
constatation directe, ce que Bacon appelait l'interrogation de la nature : 
c'est la méthode expérimentale, si heureusement employée en ce siècle 
et seule capable en effet de procurer une base solide aux tentatives d'ex- 
plication. Il y a ensuite la prévision logique des faits à partir des don- 
nées subjectives, la divination rationnelle des événements physiques et 
l'imposition des lois de l'esprit au monde : c'est une méthode moins sûre, 
mais bien séduisante et seule propre en toute rigueur à créer des for- 


Les mathématiques 78 


mules qui donnent de vraies réductions et non de simples résumés des 

observations L'expérience pure est impropre à nous contenter; 

réduite à ses seules ressources, elle ne conduirait jamais qu'à dresser 
une liste de faits catalogués; or un simple inventaire ne nous satisfait 
pas, parce qu'il ne nous permet pas de prévoir ni de reconstruire men- 
talement le développement de la série des choses; il faut donc tout au 
moins interpréter l'expérience, et une interprétation d'expériences n'est 
pas autre chose, à qui sait concevoir le calcul en dehors de la notation 
algébrique, qu'une construction de théorie; voilà pourquoi la physique 
expérimentale, malgré sa nécessité pour indiquer les principes les plus 
probables à la physique mathématique, est impuissante à résoudre le 
problème cosmique dont la recherche est l'objet de nos efforts Four- 
nir à la raison une notion claire et distincte des faits, dégager de ce 
grand complexe perçu qu'on appelle l'univers les indications générales 
d'où l'esprit tirera ses hypothèses qui dirigeront sa marche déductive^ tel 
est le rôle et telle est la fonction de l'expérience. Construire un système 
de notation analytique propre à représenter les phénomènes, à les clas- 
ser par familles logiques, à les coordonner entre eux, à les distribuer en 
séries et à les réduire les uns aux autres, tel est le rôle et telle est la 
fonction de la théorie. C'est donc bien la physique mathématique qui 
donne, à proprement parler, la solution du problème que nous énoncions 
tout à l'heure. L'astronomie actuelle, pouvons-nous dire en manière de 
conclusion, par les développements merveilleux de la mécanique céleste 
qu'elle joint à ces étonnantes méthodes de calcul et d'observation grâce 
auxquelles on détermine les positions des astres et les lois de leurs mou- 
vements, réalise l'idéal vers lequel doit s'orienter la physique : l'analyse 
y domine et l'expérience y est réduite à établir le point de départ des 
déductions ou bien à procurer les valeurs numériques de certaines 
constantes. 

— « Nous venons d'étudier la méthode analytique dans ses applica- 
tions à la science des nombres et à la science des quantités physiques. 


76 Introduction générale 


Sa portée, on le sent bien, est beaucoup plus grande que son domaine 
actuel : c'est, en théorie du moins, une méthode absolument générale. 
Il est alors naturel de nous demander quel est au juste le champ d'ap- 
plication de cette méthode et voici donc un nouveau problème qui se 
pose logiquement à nous. Exislc-t-il des cas où, la notation algébrique 
étant impropre, le mode de raisonnement qui l'accompagne puisse 
néanmoins servir encore? La notion d'unité n'est pas la seule intuition 
élémentaire, le seul atome de pensée susceptible d'être posé comme 
source d'une série déductive : en conséquence, il y a sans doute d'autres 
branches de l'analyse qui se développent à côté de celle dont l'objet 
est l'étude du nombre entier... » — E. Le Roy et G. Vincent, Rev. de 
métaph. et de morale^ II® année, 5 et 6. 


— « Ce que les mathématiques ont de réellement applicable, dans l'or- 
dre des choses humaines et terrestres, se réduit à si peu de chose qu'on 
en est effrayé. Avec la connaissance des quatre règles on peut être le 
plus habile banquier du monde, et encore éluderait-on le plus souvent 
la division proprement dite. Bien de plus simple et de plus palpable que 
les notions de géométrie sur lesquelles sont fondés l'arpentage, la levée 
des plans, la plupart des opérations usuelles. Les Chinois qui, s'il faut 
en croire leurs livres canoniques, ont débuté dans la civilisation par 
des travaux d'ingénieurs, et dont l'industrie s'est tant développée, n'ont 
jamais eu l'idée de la démonstration mathématique ; et les construc- 
teurs des cathédrales du moyen-âge connaissaient les procédés, mais 
nullement la théorie de la géométrie descriptive. Si l'on retranchait do 
l'enseignement mathématique de nos collèges tout ce qui ne sert qu'à 
dresser, élever et fortifier l'esprit, et qu'on y introduisît quelques notions 
de calcul infinitésimal, on aurait tout ce qui suffit, à la rigueur ^^Qwt les 
besoins du métier d'ingénieur, et ce qui suffit à plus forte raison pour 


Les mathématiques 77 


faire une reconnaissance d'état-major ou pour commander une batterie 
d'artillerie. » — Cournot, Des Inst,^ p. 447. 


— « On peut comparer les mathématiques à un moulin d'un travail 
admirable, capable de moudre à tous les degrés de linesse ; mais cepen- 
dant ce qu'on en tire dépend de ce qu'on y a mis, et comme le plus par- 
fait moulin du monde ne peut donner de la farine de froment si on n'y 
met que des cosses de pois, de même des pages de formules ne tireront 
pas un résultat défini d'une donnée insuffisante. » — Th. Huxley, les 
Sciences naturelles (sermons laïques). 


— Deux méthodes, l'une synthétique, l'autre analytique. « La première, 
qui a conservé le nom de géométrique, consiste à atteindre le but par 
des combinaisons d*idées concrètes, se traduisant par des transforma- 
tions de figures; la seconde, la méthode algébrique, consiste à résoudre 
des équations. 

a C'est à cette seconde méthode que pourrait s'appliquer, jusqu'à un 
certain point, l'observation du profane Jean-Jacques, que la géométrie 
analytique est un moulin dont il suffit de tourner la manivelle pour en 
voir sortir des solutions de problèmes. — 11 serait à désirer que l'on eût, 
pour tous les genres de recherches, des moulins aussi utiles. Ce sont 
justement ces moulins que la Science cherche sous le nom de méthodes : 
plus ils peuvent moudre de solutions, et moins ils laissent à faire au 
meunier; plus ils sont parfaits, et plus ils attestent le mérite des ingé- 
nieurs. » — M. Marie, Ilist. des se. mat/i., III, p. 5. 


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DEUXIÈME PARTIE 


I 


LA QUESTION DU DESSIN 


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DEUXIÈME PARTIE 


I 


Là question du dessin 


I. — t< Savoir observer les formes, les couleurs, les apparences, les 
qualités etsurlout les rcalilésde chaque chose est uq talent^ doat Tap- 
plication est singulièrement utile dans la plupart des carrières. 

« En vérité, je ne vois qu'un mathématicien pur qui puisse se dispen- 
ser de regarder^ et encore il n'est pas toujours enfermé dans son cabinet ; 
il est homme et doit connaître mille choses étrangères à ses études. Bref 
la qualité de savoir observer est indispensable, pour ainsi dire, à tout 
le monde. 

« Nous en sommes doués, dans notre enfance, à un degré remarqua- 
ble. Que fait-on ensuite, et surtout que faisait-on presque toujours, 
dans l'enseignement primaire et secondaire, pour développer cette pré- 
cieuse faculté ? A peu près rien. Que fait-on, au contraire, pour l'entra- 
ver, l'éteindre, la subordonner à d'autres facultés ? Énormément. 

« Le dessin est tellement utile dans la plupart des professions et 
contribue si directement à développer l'esprit d'observation, qu'il ne 
faudrait pas craindre de lui consacrer du temps dans les écoles. Je crois 
seulement qu'il conviendrait de changer du tout au tout la manière 
ordinaire de l'enseigner. 

« Le système, encore trop répandu, de faire copier des modèles et de 
faire répéter indéGniment le tracé, pour assouplir les doigts, est peut- 
être nécessaire quand on veut préparer des dessinateurs de profession, 

6 


82 Introduction générale 

mais pour la masse des écoliers, qui n'est pas destinée à cette carrière, 
ce système a deux inconvénients : il est ennuyeux et ne développe ni 
l'intelligence ni la mémoire. 

(c L'ennui des leçons de dessin est chose connue. Plus les élèves ont 
les facultés intellectuelles développées, plus.ces leçons leur répugnent. 
J'ai cru jadis que c'était la faute de certains professeurs, parmi lesquels 
je voyais pourtant des hommes d'esprit, mais il parait qu'on fait la 
même réflexion un peu partout, même en Italie, où le sentiment de l'art 
est très répandu (1). 

« Le moyen d'y parer serait, ce me semble, un changement complet de 
méthode. Je voudrais qu'on fit dessiner vite d'après nature, en choisissant 
pour modèles des objets simples, qui demandent 'cependant une appré- 
ciation des trois dimensions, par conséquent un peu de perspective. 
Je commencerais par faire dessiner à main levée, sur un tableau, quel- 
ques formes «régulères, ensuite sur du papier des choses un peu moins 
simples. Les fleurs sont d'assez bons modèles, si on les choisit grandes 
et d'un aspect agréable. L'élève apprendrait par occasion le nom de la 
plante et ses caractères les plus apparents. 11 sentirait peut-être la grâce 
naturelle des contours et l'harmonie des couleurs. Je parle ici par 
expérience. Les premières et les seules leçons de dessin qui m'aient 
intéressé et les seules qui m'aient servi à quelque chose, m'ont été 
données par un homme qui n'avait passé par aucune école et qui était 
devenu pourtant un habile dessinateur d'objets d'histoire naturelle. A sa 
première leçon, il mit devant moi une branché feuillée et fleurie, en me 
disant de la copier comme je voudrais. Je m'escrimai, je cherchai, je me 
demandai (ce qui ne m'était pas arrivé jusqu'alors dans mes leçons de 
dessin) pourquoi je ne réussissais pas. Provoquer la réflexion est bien 
plus utile que montrer. C'est surtout ce qui importe pour l'immense 

( 1 ) « Le marquis d^A^eglio a cté, comme on sait, peintre de profession et passionné pour son 
art, ayant de devenir un homme d*£tat. Voici comment il juge les leçons de dessin qu'on donnait 
dans son pays : «QucIIa solita lezione di designo, con la sua solita fricassca d'orecchiei di nasi^di 
bocche, ce, m'aveva infastidito corne una trista pedanteria. » (/ miei ricordif éd. 4» Yol.I,p. i95). 


La question du dessin 83 


majorité des élèves, puisque la plupart ne doivent pas devenir des ar- 
tistes. 

« Je ferai une seule recommandation puisée dans la nature. 
i< Lorsqu'un enfant veut s'amuser^ il crayonne à sa fantaisie, sans 
copier. Lorsqu'un écolier veut faire une caricature de son maître ou 
d'un camarade, il.dessine presque toujours de souvenir. Donc il y a un 
charme à ne pas copier. On se plaît naturellement à reproduire les 
choses qu'on a vues et dont on a su conserver le souvenir. Ceci est un© 
indication de la bonne méthode. Je voudrais qu'un professeur de des- 
sin fît de temps en temps dessiner de souvenir. On montrerait aux 
élèves un rameau portant, par exemple, trois fleurs et un certain nom- 
bre de feuilles, ou bien un insecte remarquable, ou encore le modèle 
d'un monument peu compliqué. L'objet ayant été vu, on le cacherait, 
et chaque élève aurait à le dessiner de souvenir. L'attention et la mé- 
moire seraient alors en jeu. L'art du dessin ne serait plus une routine, 
et l'on ne verrait pas des élèves, après avoir copié des centaines de 
nez, de bouches et do tètes, ne pas pouvoir dessiner à volonté une 
figure qui rit ou une figure qui pleure. 

« De passif rélève deviendrait actif, or, l'activité est ce qui développe 
les facultés. L'esprit d'observation y gagnerait. Dans les études subsé- 
quentes on aurait des élèves moins gauches, plus prompts à voir et à 
comparer. Le goût des sciences naturelles se répandrait davantage, et 
dans toutes les professions on aurait des hommes plus habitués à obser- 
ver et plus en état de dessiner, ce qui certainement serait un progrès, 
indépendamment de celui des sciences et des arts. 

«... Si ces progrès d'une nature élevée ne sont pas obtenus, on aura 
du moins ceux-ci : que les hommes connaîtront plus de faits, sauront 
mieux en chercher de nouveaux et profiteront mieux de leurs facultés 
physiques, en particulier de la vue. 

<(... Évidemment la déduction, qui repose sur l'enchaînement des 
faits, est plus.difficilc que l'observation pure et simple. Mais il y a quel- 


84 Introduction générale 


que choso de plus difficile encore, c'est d'amener les enfants ou les 
adultes à chercher eux-mêmes, à observer volontairement et à réflé- 
chir ou raisonner sur ce qu'ils voient. Il est utile, sans doute, qu'on 
enseigne, mais il l'est bien plus qu'on apprenne, et pour apprendre il 
faut de la curiosité, des efforts individuels, des recherches faites un peu 
au hasard, suivies de réflexions. C'est pour cela que l'enseignement, 
même avec de bonnes méthodes, ne produit jamais ce que les enthou- 
siastes se flattent de le voir produire. — Alph. de Candolle, Ilist. des 
sciences et des savants, Genève, 1883, pp. 1 à 10. 

« Les dessins ont été le mode primitif et préhistorique de description. 
Ensuite l'invention de récriture a conduit à des rédactions, et c'est 
après de nombreux perfectionnements que celles-ci sont devenues do 
siècle en siècle plus importantes. Il y a une sorte d'antagonisme ou do 
rivalité entre ces deux manières de représenter les faits. Quand les des- 
criptions écrites sont irrégulières, imparfaites ou incomplètes, ce qui 
était le cas pour les espèces avant le xvni^ siècle, on se croit obligé de 
donner beaucoup défigures. Presque toutes les plantes connues du temps 
de Bauhin étaient figurées. Aujourd'hui la majorité des espèces décrites 
no l'est pas. On se contente, sans trop de regrets, de descriptions bien 
faites, en bon ordre et développées... 

« Tout le monde comprend l'avantage des figures pour indiquer net- 
tement la forme et la position des objets, mais on ne tient pas assez 
compte de certains inconvénients qu'elles peuvent avoir. Généralement 
elles sont plus précises qu'il ne faudrait. Les contours vagues sont indi- 
qués par une ligne trop distincte; les pubescences très légères sont sup- 
primées totalement; les demi-adhérences sont données comme de véri- 
tables insertions, etc. Cela provient d'une disposition, fréquente chez 
les dessinateurs, de tracer des contours plus arrêtés qu'ils ne les 
voient (1), Une autre cause d'erreur est plus grave, parce qu'elle est à 

(i) u Ce que je dis ne parait pas d'accord avec la figure, mais la figure esl très inexacte. Cette 
iucAactitude fait bien comprendre comment on peut altérer les faits. Quand j'en vis le dessin, je 


La question du dessin 85 


peu près inévitable : toute figure représente un cas particulier, tandis 
que les groupes de formes appelés genres, espèces ou organes, sont des 
moyennes, ayant des variations et des extrêmes qu'il ne faut pas né- 
gliger. Lorsqu'on juge d'un objet composé d'éléments au moyen d'une 
figure^ on juge du tout d'après la partie. La comparaison de plusieurs 
planches d'une même espèce ou d'un môme organe le fait sentir quel- 
quefois d'une manière palpable, en montrant bien la diversité des cas 
particuliers. 

ti A vrai dire, les figures ont la valeur d'échantillons qui se conser- 
vent et que la plupart des botanistes peuvent regarder, mais qui n*of- 
frent pas l'avantage de pouvoir être disséqués ou seulement retournés 
et examinés de toute manière. Leur utilité est d'autant plus grande 
qu'elles sont plus à la portée des hommes spéciaux. Cela dépend du 
prix, chose à laquelle auteurs, dessinateurs et libraires ne pensent 
point assez. 

« Il y a trois catégories de figures : 

« 1° Celles qui représentent les objets tels qu'on les voit; 2^ les figu- 
res schématiques, c'est-à-dire qui « retracent le plan d'une chose, sans 
en retracer la forme» (Lïttré); 3** les figures emblématiques, destinées à 
représenter une idée, une opinion, par exemple les affinités de plusieurs 
groupes^ ou la descendance présumée de formes. 

« La première catégorie aie défaut d'indiquer un objet particulier pour 
un ensemble; les deux autres donnent une précision de lignes qui n'est 
pas de l'exactitude. Toutes cependant ont des avantages bien évidents. » 
— Alph. de CaiNdolle, La Phytographie^ ch. xxv. Paris, 1880. 

fis remarquer au dessinateur qu*il avait donné aux courbes des rapports bien plus évidents avec 
les corps qu'elles enferment qu'ils ne le sont dans l'original ; il y fit sous mes veux des corrections 
que je trouvai suffisantes. Mais plus tard, en voyant la figure sur l'épreuve imprimée, je reconnus 
que le graveur, dominé par la même supposition que le dessinateur, cl croyant qu'il fallait mon- 
trer une relation, avait tracé ses lignes de manière à l'accuser encore plus nettement que n'avait 
fait le dessinateur avant les corrections. On voit que des représentations linéaires vagues, comme 
des représentations verbales vagues, sont susceptibles de prendre plus de précision quand elles 
sont répétées. L'hypothèse gauchit les perceptions aussi bien que les idées. » — Herbert Spekcih, 
Principes de Biologie, II, p. 87. Paris, 1878. 


86 Introduction générale 


II. — «Les enfants jugent très bien de la ressemblance et de la dissem- 
blance de deux objets, par exemple de la ressemblance et de la dissem- 
blance que présentent deux figures humaines. Ils en saisissent, avec un 
talent remarquable, les ditférences caractéristiques. Ils nomment avec 
une exactitude fort énergique ces différences qui, par leur singularité, 
constituent ce que nous appelons les défauts, les difformités de la phy- 
sionomie, de la taille ou de la tournure. 

« L'art du dessin, qui devrait faire partie de l'éducation chez tous les 
hommes qui veulent diriger des établissements d'industrie, s'acquiert 
en partie par l'agilité de la main ; il s'acquiert surtout par rhabiludc 
donnée à l'œil de mesurer des étendues, et de juger si la copie conserva 
les proportions de l'objet représenté. 

« A cet égard, on observe un progrès très remarquable dans le talent 
des élèves. Lorsqu'ils commencent à dessiner, leurs copies sont bien 
loin de reproduire l'original. Cependant, pour peu qu'il y ait au total 
quelque ressemblance, l'œil de l'élève, encore mal exercé à mesurer des 
étendues, regarde comme identiques les dimensions de la copie et du 
modèle. Au fur et à mesure qu'il s'applique^ sa main se forme, son œil 
apprend à mieux mesurer, et la copie, par conséquent, ressemble davan- 
tage à l'original. Alors, si l'élève regarde ses premiers dessins, il trouve, 
en les comparant avec l'original, des différences énormes et qui ne l'a- 
vaient point frappé, lorsque l'instrument de sa vue était plus imparfait. 
En apercevant ainsi des défauts qu'il était naguère hors d'état de décou- 
vrir, il reconnaît que ses sens sont devenus de meilleurs instruments do 
mesure, et qu'ils ont acquis une supériorité nouvelle; il juge de ses pro- 
grès, et ce plaisir redouble son zèle pour le travail. 

« Si rélève ne fait pas do lui-même ces rapprochements, le maître 
doit l'aider à les faire, et lui montrer, par les progrès déjà produits, 
ceux qu'il est raisonnable d'espérer ; c'est le moyen de donner aux jeunes 
gens l'amour du travail. 

« On voit au contraire des maîtres absurdes qui, pour montrer leur 


•»» 1- 1 


La question du dessin 


87 


supériorité, regardent toujours on pitié les ébauches de leurs écoliers, 
et n'y trouvent que des défauts. Je voudrais qu'on suivit une voie tout 
opposée. Il ne faudrait jamais faire un seul reproche aux jeunes gens 
sur leurs premiers essais. Ces essais ne peuvent être, par eux-mêmes, ni 
louables, ni blâmables ; ils sont, si je puis parler ainsi, un fait ^ qui cons- 
tate le degré d'avancement qu'ont acquis et Torgano de la vue et l'agilité 
de la main d'un élève, au moment où cet élève est admis à l'école. 

<{ A mesure que le disciple avance, je voudrais qu'on lui fit aper- 
cevoir avec soin, ce qu'il acquiert, et qu'on lui montrât, par degrés, ce 
qu'il doit encore acquérir, alin do l'exciter sans cesse et do ne l'effrayer 
jamais. 

(( Ce que je dis au sujet du dessin, je le dirais avec autant de raison de 
tous les autres genres d'études qui ont pour objet de perfectionner nos 
qualités physiques et avec elles nos qualités morales ;ye le dis égale* 
ment du talent y si difficile et si rare^ de bien former des apprenti fs 
dans les diverses branches de l'industrie, 

« Il est un inconvénient grave en lui-même, mais qui, par bonheur, se 
rencontre assez peu fréquemment. Chez quelques personnes la vue se 
trouve beaucoup plus exercée que la main, quand elles commencent à 
dessiner. L'esprit alors ne juge que trop bien des distances, des formes 
et des contours; il les indique à la main qui pourtant ne peut encore les 
rendre qu'imparfaitement. 

« Il en résulte que notre vue est choquée des défauts de notre propre 
ouvrage, et que le dégoût s'empare de nous. Je puis parler de cet incon- 
vénient avec connaissance de cause ; car ayant toujours eu le coup d'œil 
moins inexact que la main, je n'ai jamais appris le dessin qu'avec décou- 
ragement. C'est la seule étude qui m'ait fait éprouver plus de peine que 
de plaisir. 

— « Suivons le sens de la vue, dans un progrès plus grand encore. 
Évaluons la dimension des objets, en les mesurant par la pensée, lors- 
qu'ils ne sont pas en présence l'un de l'autre. 


88 Inirodiiciion générale 


u Au bout d'un temps assez peu considérable, on parvient à dessiner 
d'une manière ressemblante une tête qu'on a sous les yeux. Mais il faut 
des circonstances particulières, même à des hommes d*un rare talent, 
pour qu'ils puissent dessiner une tète qu'ils n'ont vue qu'une fois, sans 
avoir actuellement le modèle devant eux. Cependant, c'est encore un 
genre de talent qu'on peut acquérir. Un homme qui dessinerait la même 
tête, dix, quinze, vingt, trente fois de suite, finirait par en graver les 
traits dans imagination, et par être en étatde les reproduire sans avoir cet 
objet en sa présence. L'artiste qui s'habituerait à dessiner ainsi de mé- 
moire finirait à coup sûr par travailler dans ce genre avec quelque facilité. 

« 11 est certaines effigies qu'on retrouve en tous lieux et dans tous les 
instants : celle du souverain^ par exemple. Elle est offerte au respect des 
peuples, dans tous les endroits publics; elle est reproduite sur toutes les 
monnaies nationales, qu'elle sert à distinguer des monnaies étrangères 
la gravure en est exposée chez tous les marchands d'estampes; les por- 
traits en sont reproduits à toutes les expositions publiques; enfin, des 
statues, des bustes, des tableaux, placés dans les endroits destinés à 
des grandes assemblées, offrent au spectateur celte môme effigie. Elle 
est donc empreinte par l'habitude dans toutes les imaginations; aussi la 
plupart des dessinateurs sont-ils en état de l'imiter, sans avoir jamais 
aperçu la figure même dont ils ont cependant une idée très nette. » — 
Ch. DupiN, Géométrie et méchanique des arts et métiers et des beaux^ 
arts. — Paris, 1826, t. III, pp. 15 à 19. 

III. — « Lorsqu'il y a neuf mois je me suis mis à l'enseignement du 
dessin, je n'avais pas encore alors de plan arrête; je ne savais ni comment 
distribuer la matière de cet enseignement, ni comment guider les élèves. 
Je n'avais ni dessins ni modèles, seulement quelques albums illustrés 
dont je ne devais pas user d'ailleurs, me contentant des simples moyens 
auxiliaires qu'on peut toujours se procurer dans chaque école de village. 
Un tableau en bois peint, de la craie, des ardoises, des règles carrées, 


I 


La question du dessin 89 


de longueurs différentes, déjà employées pour l'étude des mathémati- 
ques, voilà tout notre matériel d'enseignement, ce qui, du reste, ne nous 
empêchait pas do copier tout ce qui nous tombait sous la main. Aucun 
des élèves n'avait encore appris à dessiner, ils ne m'apportaient que 
leur jugement, auquel on laissait la pleine liberté de se prononcer, 
comme et quand ils le voulaient, et qui devait, en me révélant leurs 
aspirations, me mettre à même de composer un plan précis d'étude. 

<( Pour commencer, je formai un carré de quatre règles, pourvoir si les 
enfants seraient en état de copier ce carré sans préparation préalable. 
Quelques-uns seulement dessinèrent des carrés très irréguliers, reprodui- 
sant par des lignes droites les règles qui formaient le carré. Je ne fus 
pas satisfait. Pour les plus faibles, je traçai avec de la craie un carré au 
tableau. Puis nous composâmes de même une croix et nous la copiâmes. 

<t Un sentiment inconscient, inné, faisait trouver à la plupart des 
enfants un rapport assez juste entre les lignes, bien qu'ils dessinassent 
ces lignes assez mal. Et moi je ne croyais point nécessaire d'arriver à 
obtenir dans chaque copie la régularité des lignes droites, pour ne pas 
les tourmenter inutilement; je désirais seulement que la figure fût 
copiée. Je préférais leur montrer d'abord les rapports des lignes entre 
elles, d'après leur longueur et leur direction, plutôt que de les guider 
dans l'art de tracer ces lignes. 

« L'enfant comprendra le rapport entre une ligne courte et une 
longue, la différence entre un angle droit et un angle obtus, avant d'ap- 
prendre lui-même à mener passablement une ligne droite. 

« Peu à peu, dans les leçons suivantes, nous arrivions à reproduire 
les angles de ces règles carrées, et nous en composions ensuite les 
figures les plus variées. Les élèves négligeaient absolument l'épaisseur 
de ces règles, la troisième dimension, et nous ne dessinions jamais que 
la face antérieure des objets à copier. 

« La difficulté de reproduire, avec notre matériel insuffisant, la posi- 
tion et les rapports de ces objets, m'obligeait parfois à dessiner les figu- 


M ■». 


90 Introduction frénérale 

rcs au tableau. Souvent je combinais le dessin d'après nature avec le 
dessin d'après le modèle, en proposant un objet quelconque : si les 
enfants n'avaient pas pu copier Tobjet donné, je le dessinais moi-même 
au tableau. 

(( Voici comment se faisait la copie des figures d'après le tableau. Je 
traçais d'abord une ligne horizontale ou verticale, je la divisais par des 
points en un certain nombre de parties : les élèves copiaient cette ligne. 
Ensuite je menais une ou plusieurs autres lignes perpendiculaires a la 
première ou inclinées suivant un certain angle^ et je les divisais en 
parties égales. Ensuite nous joignions les points de division des diiïé- 
rentes lignes par des lignes droites ou courbes et nous composions une 
figure symétrique, qui, à mesure qu'elle avançait, était copiée par les 
élèves. 

« Je voyais à cela deux avantages. Le premier c'est que, de cette ma- 
nière, les enfants étudient à l'aide de la simple vue tout le mécanisme 
de la formation de la figure. Secondement, la copie d'après le tableau 
développe en lui la notion du rapport des lignes bien mieux que la copie 
des dessins et des originaux. Ce système ôte tout moyen de copier dans 
les proportions réelles : la figure elle-même, comme l'objet naturel, 
doit être reproduit à une moindre échelle. 

(( 11 est presque toujours inutile de proposer une figure ou un grand 
tableau entièrement dessinés^ parce que l'élève commençant sera au 
bout de son latin devant ce tableau comme devant un objet naturel. 
Mais la construction même de la figure sous ses yeux a une grande im- 
portance. Il voit alors le squelette du dessin, sur lequel viendra ensuite 
s'appliquer le corps lui-même. Les élèves étaient toujours invités à 
faire la critique de mes lignes et de leurs rapports entre elles. J'affec- 
tais souvent de dessiner irrégulièrement, pour reconnaître à quel point 
se formait leur jugement sur la régularité des lignes et sur leurs rap- 
ports entre elles. Ensuite je demandais aux enfants, quand j'avais des- 
siné quelque figure, où il fallait, à leur sens, ajouter une ligne; même 


i 


La question du dessin 91 


j'obligeais Tun ou l'autre d'entre eux à inventer la composition de la 
figure. 

« Je provoquais ainsi chez les enfants, non seulement un plus vif 
intérêt, mais leur libre coopération à la composition et au développe- 
ment de la figure, ce qui empêchait la question <i pourquoi? », question 
que l'enfant se pose toujours naturellement dans la copie de l'original. 

« Je réglais la marche et la méthode de l'enseignement d'après le 
plus ou moins de compréhension, d'après le plus ou moins d'intérêt, et 
j'ai plus d'une fois laissé do côté telle leçon entièrement préparée uni- 
quement parce qu'elle ennuyait ou déroutait les enfants. 

« Je commençai par donner à copier des figures symétriques, leur for- 
mation étant plus aisée et plus apparente. Ensuite, à titre d'essai, je 
priai les meilleurs élèves d'imaginer eux-mêmes et de dessiner des 
figures au tableau. Bien que tous dessinassent des figures du même 
genre, il n'en était pas moins intéressant d'observer leur émulation, leurs 
jugements réciproques, la construction originale de leurs figures. Beau- 
coup de ces dessins correspondaient aux divers caractères des élèves. 

« Chaque enfant sent en lui un instinct d'indépendance qu'il serait 
pernicieux d'étouffer dans n'importe quel enseignement, et qui, ici, se 
manifeste surtout par de l'irritation contre la copie des modèles. Par 
suite des. procédés ci-dessus mentionnés, cet instinct non seulement 
ne s'étouffait pas, mais allait se développant et s'affermissant encore 
davantage, 

(( Si l'élève n'apprend pas dès l'école à créer do lui-même, il no fera 
qu'imiter toujours dans la vie, copier puisque après avoir appris à 
copier, bien peu sont capables de faire une application personnelle do 
leurs connaissances. 

« En observant toujours dans le dessin les formes naturelles, eu don- 
nant tour à tour les objets les plus variés, comme par exemple les feuil- 
les d'un aspect caractéristique, les fleurs, la vaisselle, les choses usuel- 
les, les outils, je tâchai d'éviter la routine et l'afFectation. 


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rj^ 


92 


Introduction générale 


« Avec les plus grandes précautions je me misa expliquer les ombres, 
les demi-teintes, parce que le commençant altère facilement, par des 
lignes hachées, le caractère et la régularité do la figure et s'accoutume 
bien vite à barbouiller. 

i< Grâce à cette méthode, plus de trente élèves ont, en quelques mois, 
appris assez fondamentalement à saisir les rapports des lignes dans les 
figures et dans les objets les plus divers, et à reproduire ces fîgures au 
moyen de lignes nettes et précises. 

« L'art tout mécanique du dessin linéaire se développe peu à peu 
comme de lui-même. Le plus difficile pour moi fut d*accoulumer les 
élèves à la propreté des cahiers et du dessin lui-même. La commodité 
d'effacer ce qui était tracé sur les ardoises me rendait sur ce point la 
tâche malaisée. Eii donnant des cahiers aux meilleurs élèves, aux mieux 
doués, je réussis à obtenir une plus grande propreté dans le dessin en 
lui-même; car la grande difficulté d*effacer les oblige à tâtonner moins, 
à moins salir ce sur quoi ils dessinent. Au bout d'une courte période, les 
meilleurs élèves étaient arrivés à un si juste, un si pur maniement du 
crayon, qu'ils pouvaient dessiner proprement et régulièrement non seu- 
lement les figures reclilignes, mais aussi les plus fantastiques, toutes en 
lignes courbes. 

« J'obligeais quelques-uns des élèves à corriger les figures des autres 
quand ils avaient fini les leurs, — et cette attention de l'instituteur 
aiguillonna grandement les élèves, qui pouvaient do la sorte appliquer 
sur l'heure ce qu'ils venaient d'apprendre. 

«Dans les derniers temps, je me suis occupé avec les aînés à dessiner 
les objets dans les positions, les perspectives les plus diverses, sans m'at- 
tacher exclusivement à la méthode si connue de Dupuis. » — Comte 
Léon Tolstoï, l'École de YasHaïa-Pollana. Paris, 1888, pp. 300-309. 


II 


l'enseignement de l'art. — LA DOCTRINE CLASSIQUE ET LA METHODE OFFICIELLE 


IV. — Dans la suile d'éludés « purement didactiques » réunies par 
M. E. Guillaume sous le titre d'Fssais stir la théorie du dessin et de 
quelques parties des arts^ et publiées en 1896, on lit dans Taverlisse- 
mcnt: 

« La réforme de l'enseignement du dessin accomplie en France, seu- 
lement depuis 1880, occupait depuis longtemps les esprits. On se sou- 
viendra peut-être que, dès 1865, les questions qui s'y rattachent étaient 
vivement soulevées et, au point de vue de la méthode à intervenir pour 
remédier à l'empirisme alors existant, aussitôt résolues. Une associa- 
tion privée, l'Union centrale des Beaux-Ârts appliqués à l'Industrie (1), 
avait eu la pensée d'ouvrir, à ce sujet, une sorte d'enquête. Elle avait 
fait appel à tous les établissements publics et privés dans lesquels on 
enseignait à dessiner. Elle avait obtenu que les différentes institutions 
envoyassent les travaux exécutés par leurs élèves et elle en avait formé 
une exposition spéciale. M.Eugène Guillaume, chargé de faire un rapport 
sur cette exposition, publia en 1866 l'essai (2) qui figure en tète de ce 
volume (3). Il y résuma les idées que la réunion de tant d'ouvrages 
lui avaient suggérées, et sans s'attarder à une critique inutile il dégagea 
les conditions dans lesquelles le dessin devait être enseigné et il en 
formula la méthode. Cette méthode, de caractère général et rationnel, 

(i) Aujourd'hui rUoion Centrale des Arts décoratifs. 

(«) Idée générale d'an enseignement élémentaire des Beaux-Arts appliqués à l'Industrie, 

(3) Sous ce titre : Idée générale d^un enseignement du dessin. 


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94 


Introduction générale 


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s'appuie sur la démonstration de deux faits importants : la nature exacte 
du dessin et l'unité de l'art. 

« Ces idées, nouvelles alors, ont fait peu à peu leur chemin. Bien 
qu'elles aient été développées et précisées par l'auteur dans un grand 
nombre d'occasions, la substance en est tout entière dans la brochure de 
1866, C'est une des œuvres de M. Eugène Guillaume, d'avoir à la fois 
éclairé ces questions et déterminé leurs conséquences pratiques; et on 
peut dire que l'honneur d'avoir remis le dessin dans sa voie lui appar- 
tient. Son travail, dont la première édition était depuis longtemps épui- 
sée, n'avait jamais été réimprimé; on le demandait. Il a paru intéres- 
sant de le présenter de nouveau au public. En effet, les données essen- 
tielles du sujet, l'application des principes aux divers ordres de 
l'enseignement, les programmes mêmes qu'il importe de suivre, tout y est 
formulé. Depuis, la méthode a été adoptée par le Conseil de l'Instruction 
publique et elle est pratiquée partout. » 

D'après cela, et considérant que cette méthode officielle est au fond 
la même que la pédagogie disciplinaire et scolastique du dix-neuvième 
siècle a instituée dans tous les pays d'Europe ou soumis à son influence, 
qu'en outre la doctrine de M. Guillaume représente assez exactement 
Topinion moyenne de tous les esprits cultivés qui prennent parti dans 
<( la question du dessin », nous ne saurions mieux faire, pour bien 
fixer l'état de la question, que de transcrire ici les passages les plus 
significatifs de ses deux écrits : Jdée générale d'un enseignement du 
dessin^ et Théorie de renseignement élémentaire du dessiii. 


% l®^ — Enseignement élémentaire 

« Le caractère de tout enseignement élémentaire est d'être fondé sur 
la raison, et par conséquent de s'adresser à tous sous la forme de prin- 
cipes à peu près absolus. L*art du dessin, qui sert à représenter un 
ordre de nos idées qui échappe à tout autre moyen d'expression, cet 
art qui est une langue, en un mot, ne peut, ni dans son principe ni dans 


La question du dessin 95 

ses applications, s'aOTrancliir de toule démonstration rationnelle, et il 
importe de dire en commençant que, comme les autres modes sensibles 
que la pensée humaine emploie pour se manifester, il est soumis à cette 
logique supérieure à Thommo lui-même, qui est à la fois pour lui l'art 
de penser et la règle de tout langage. 

(( Ainsi donc nous devrons présenter d'abord quelques notions exactes 
sur la nature du dessin en général, et nous essayerons ensuite d'exposer 
successivement, en nous appuyant sur Inobservation et le bon sens, quels 
sont les principes qui régissent ses branches principales. Mais nous 
devons dire avant tout que le dessin doit être considéré au début bien 
plutôt comme un mode de représentation positive que comme un 
moyen d'exprimer les sentiments. Il faut le considérer surtout sous le 
rapport de la correction et de Texactitude, l'envisager en un mol par 
son côté utile, qui consiste d'abord à bien copier. On exercera les yeux 
et la main des élèves^ tandis que, par le choix des modèles, pris parmi 
les œuvres les plus admirables de l'antiquité et des temps modernes, on 
fera insensiblement l'éducation de leur goût ; on leur enseignera, en y 
insistant, l'usage des moyens de précision ; enfin on cultivera leur 
mémoire, afin de fortifier l'observation et de nourrir en eux, si elles 
existent, les facultés créatrices. 

« En nous plaçant d'abord au point de vue donné, qui est celui de 
l'art appliqué à l'industrie, nous désirons sans doute, par le plan que 
nous formons, pourvoir aux besoins des branches les plus relevées com- 
me les plus modestes de la production de notre pays. Mais le grand 
but que l'on doit se proposer d'atteindre par le premier enseignement 
du dessin, c'est do donner sur les arts des idées saines à toute la jeu- 
nesse française; c'est de chercher à lui faire connaître, àtitre d'exemples, 
les ouvrages des grands maîtres et de préparer sur un fonds d'idées 
commun à toutes les classes l'épanouissement d'un goût public dans 
notre pays. 


96 Introduction générale 


I 2. — Théorie de renseignement élémentaire du dessin (i). 

« On est toujours beaucoup trop disposé à croire que le dessin ne 
relève que du sentiment et que Thabileté à dessiner s'acquiert unique- 
ment par des exercices empiriques. S'il en était ainsi, l'enseignement du 
dessin serait sans autorité parce qu'il ne reposerait sur aucune base 
rationnelle : il ne mériterait pas d'exister dans les établissements d'ins- 
truction publique. Rien eu effet ne justifierait sa présence sur le pro- 
gramme des études. Daosses leçons, le professeur pourrait donner des 
recettes, mais non s'appuyer sur des principes. Il y aurait pour le des- 
sin des systèmes variables, il n'y aurait point de méthode et d'unité. 
Les principes positifs propres à assurer son point de départ et les 
moyens de vérification de nature à apprécier ses résultats feraient égale- 
ment défaut. Il resterait dans le domaine de l'à-peu-près : son exactitude 
ou son imperfection n'auraient d'autres juges que nos [sensations^ Le 
dessinateur n'arriverait jamais à la certitude. 

(( Au fond, il y a toujours sur ce sujet une grande confusion dans 
les idées. On ne s'entend même pas sur ce que c'est que le dessin. Bien 
des personnes pensent qu'il y en a de plusieurs sortes et qui sont comme 
étrangers les uns aux autres. Il semble qu« le dessin géométrique, des- 
sin d'architecture, dessin d'ornement et dessin de figure soient autant 
de dessins. L'idée que ces différentes manières d'être d'un seul et même 
art, que ces modes, bien que divers, ont des principes communs et 
une seule et même essence, cette idée ne s'offre pas généralement à 
l'esprit. Dans le monde, on ne pense plus souvent au dessin que pour 
le considérer dans ses applications aux beaux-arts. On ne sait pas que 
c'est avant tout une science qui a sa méthode, dont les principes s'en- 
chaînent rigoureusement et qui, dans ses applications variées, donne 

(i) « Extrait du Dictionnaire pédagogique de M. F. Buisson. Les idées exposées dans cet ar- 
ticle ont été adoptées, plas tard, pir le conseil de Tlnstruclion publique, et elles ont servi de 
base à la réorganisation de l'enseignement du dessin dans les établissements universitaires, telle 
qu'elle a été accomplie en 1879*80. » 


\ 


r » 


La question du dessin 97 


des résultats d'une incontestable certitude. Or aucune certitude ne doit 
être négligée et devenir vaine, et s'il existe véritablement un ensemble 
méthodique de règles au moyen desquelles on arrive à exécuter avec 
une entière sûreté tous les tracés possibles, il est évident que la connais- 
sance et la pratique do ces règles doivent former la base do l'enseigne- 
ment du dessin. 

« Cet ensemble de moyens ayant le caractère absolu do l'exactitude 
nous est donné par la géométrie. En effet, si nous considérons le dessin 
en lui-même, nous voyons qu'il a pour objet de représenter les choses 
soit dans leur vérité, soit dans leur apparence. Dans le premier cas, 
l'opération consiste à donner la figure des objets, suivant leurs dimen- 
sions et avec leurs mesures, par des délinéations exécutées en vraie 
grandeur ou réduites proportionnellement. C'est le dessin qu'emploient 
les architectes et les ingénieurs pour leurs plans, élévations et coupes; 
celui dont ils font usage pour les tracés d'épurés qui fournissent, avec la 
dernière rigueur^ les développements de lignes qu'il serait impossible 
d'obtenir avec le dessin de sentiment. C'est, en un mot, celui qui est en 
usage dans toutes les professions ou métiers plastiques pour diriger le 
travail de l'ouvrier; il constitue le moyen graphique par lequel le maître 
de l'œuvre, quelle qu'elle soit, exprime ses conceptions, les transmet et 
les rend intelligibles k ceux qui sont chargés de les exécuter. Ce genre 
de dessin^ qui est dit géométral, est l'écriture propre à toutes les pro- 
fessions qui s'exercentdans le monde delà forme. D'autre part, s'il s'agit 
de rendre l'apparence des choses et de les figurer telles qu'elles semblent 
être dans l'espace, la perspective intervient et permet d'obtenir des 
représentations avec une sûreté telle que la vraisemblance, qui estparfaite, 
devient une vérité mathématique. Si l'on ajoute à ce qui précède que 
la géométrie nous donne aussi les lois du tracé des ombres et qu'elle 
ajoute ainsi, au domaine de la forme dont elle nous rend maîtres, le 
domaine de l'effet, on voit que cette science contient et constitue le 
dessin tout entier. 

7 


' 


i 


9S Introduction générale 


« Entre l'art et la science, l'union ne saurait être plus intime. » 

I 3. — Idées géométriques. 

« La géométrie, en nous enseignant que les surfaces et les solides sont 
bornés par des lignes, nous donne l'idée la plus claire et la plus complète 
du dessin, qui réside dans les contours. Les contours tracés sur une 
surface plaue de manière à représenter les objets qui sont dans l'espace 
constituent le genre de dessin qui s'applique à la peinture. L'étude des 
contours, dont les rapports deviennent aussi nombreux et aussi variés 
qu'il y a de points de station autour d'un corps, c'est l'application du 
dessin à la statuaire et à la sculpture d'architecture et d'ornement. D*un 
autre côté, comme la géométrie nous fournit le moyen de déterminer avec 
la dernière rigueur, en les développant, des lignes qu'il serait impossible 
d'obtenir à l'aide du dessin ordinaire (service qu'elle rend à l'architec- 
ture et à la mécanique), on peut dire que cette science contient le prin« 
cipe exact de toutes les branches du dessin et affirme l'unité du dessin 
lui-même. Enfin, si l'on considère que la géométrie peut fournir le tracé 
des ombres que possèdent et que projettent des formes quelconques, 
lorsqu'elles sont éclairées sous un angle donné, on voit qu'elle embrasse 
encore le champ considérable de l'effet qui résulte du contraste de la 
lumière avec les ombres. 

<( De plus, nous voyons que non seulement elle reconnaît en principe 
la nécessité du contour, mais qu'elle en définit parfaitement la nature. 
La définition de la ligne qui, sans grosseur appréciable, n'est qu'une 
abstraction pour exprimer l'endroit o\x les surfaces et les solides expi- 
rent, cette définition mathématique nous donne la véritable manière 
d'entendre les contours. Du reste, tous les termes employés dans les 
arts pour exprimer les qualités essentielles des formes et leurs rapports 
sont empruntes aux sciences exactes. Par exemple, la proportion qui 
signifie l'harmonie des parties en vue de leurs fonctions ; la symétrie et 


i 


La question du dessin 99 


la similitude, qui sont dans les formes organiques les conditions do 
Tordre et de l'unité dans la dualité; l'équilibre, qui rend ces formes 
stables; la pyramide et l'ellipse, qui sont les données générales qui se 
prêtent le mieux à servir d'enveloppe aux compositions: cesexpressions, 
qui sont communes à l'art et à la science avec toute leur signification, 
sont si justes qu'on ne peut leur substituer aucun équivalent. 

<( Mais les mots ne fournissent qu'un ordre de preuves tiré de la force 
irrésistible avec laquelle la logique préside à la formation des langues. 
La géométrie n'existe dans le langage do l'art que parce qu'elle est dans 
l'essence des choses qui font son objet. On observe non seulement que 
la figure des corps célestes et de leurs systèmes, mais que la forme de 
plusieurs corps inorganiques et celle de tous les corps organisés attes- 
tent l'intervention suprême. La régularité apparaît dans la création 
comme la marque d'une intervention intelligente, comme une condition 
réfléchie de la vie. Or, si la géométrie préside à la conformation des 
êtres, si elle y intervient comme une cause et un signe expressif de leur 
perfection, elle existe aussi dans la constitution des esprits. Par la ri- 
gueur de sa méthode, par la nécessilo où nous sommes de lier nos idées, 
de leur imposer des règles^ des bornes et une mesure, par le besoin 
impérieux que nous éprouvons de former des plans réguliers et définis^ 
la géométrie tient au plus intime de l'intelligence humaine, si avide dans 
ses conceptions d'un ordre formel et de la conséquence rigoureuse qui 
semble manquer aux événements. Comment donc n'aurait-elle pas sa 
place dans l'art, où l'homme, s^emparant de la nature, refait une autre 
nature selon les besoins de son esprit et à la mesure de sa raison? 

« La régularité, bien qu'elle soit par elle-même dénuée d'expression, 
est néanmoins la condition indispensable de toute représentation artis- 
tique : elle pose des limites dans lesquelles les formes de l'art avec leur 
vive signification peuvent, comme les formes de la nature organisée, 
osciller à l'infini. Néanmoins, plus l'art s'élève, plus les conditions 
rigoureuses dont nous parlons sont voilées. A mesure que la personnalité 


iOO Introduction générale 


do l'artiste dcdent plus puissante, les idées exactes sur lesquelles nous 
insistons semblent perdre de leur caractère universel ; cependant elles 
ne cessent pas d*être nécessaires. Il faut donc en conclure que le carac- 
tère absolu des notions exactes dans l'art est la preuve qu'elles sont 
élémentaires et qu'elles doivent servir de base à tout l'enseignement 
du dessin. 

(( Ces vues ne seraient pas sans importance quand bien même elles 
ne seraient que de pures spéculations; mais elles sont essentiellement 
pratiques, et leur justification se trouve aussi dans l'histoire. La science 
donne les procédés techniques de tous les arts : elle leur fournit à la fois 
les moyens initiaux et les moyens de vérification, et les vérités qu'elle 
enseigne étant d'un ordre universel, leurs applications seront profitables 
au plus grand nombre. Or l'enseignement du dessin tel que no.us Ten- 
tendons doit être fait pour tous, pour les ouvriers aussi bien que pour 
les gens du monde, nos ouvriers peut-être n'en recevront jamais 
d'autre. Il doit, non susciter des hommes de génie, ce qui n'est le propre 
d'aucune éducation» mais produire des auxihaires habiles, des prati- 
ciens capables et aussi de bons esprits. Faire commencer l'étude de 
l'art comme celle d'une profession exacte, c'est le meilleur moyen de 
régler les esprits. Si parla nous apaisons la crainte quelquefois mani- 
festée de voir naître chez l'ouvrier les aspirations de l'artiste, nous 
combattons en même temps la vanité qui repousserait, comme mettant 
l'arlislo au niveau de l'ouvrier, la connaissance préalable des moyens 
pratiques. Qu'on veuille bien y réfléchir: dans tout artiste habile il doit 
y avoir un praticien consommé; à cette seule condition, l'artiste sera 
complet. Seuls ceux qui savent peuvent exprimer; les savants sont les 
maîtres de la forme. C'est la possession d'une méthode mathéma- 
tique et anatomique et la rigueur des moyens joints à une imagination 
puissante qui ont fait ces génies qu'au même titre que Pascal on peut 
appeler effrayants ; Léonard et Michel-Ange, les plus grands artistes, les 
plus grands dessinateurs des temps modernes. 




c « 

• ••••• • • 

•• • • • • 

• • • • * 


La question du dessin 101 


« Ainsi, en dernière analyse, dans la pratique comme dans la théorie, 
il faut reconnaître que la géométrie est la base du dessin : elle en cons- 
titue la science. » 

I 4. — Dessin linéaire et géométrique. 

(( Le dessin linéaire et géométrique est utilement enseigné aujourd'hui 
et son programme pratique peut être aussi bien fait que le sont en géné- 
ral tous les programmes scientifiques. Le tracé des lignes horizontales, 
perpendiculaires, parallèles et tangentes, le raccordement des lignes 
droites et des lignes courbes, la construction des figures géométriques, 
l'exécution à une échelle donnée d'un dessin quelconque comme simple 
élévation, les premiers éléments d'architecture ou plutôt de construc- 
tion, l'exécution de petits modèles d'après des échelles déterminées, for- 
ment la base de cet enseignement. Familiarisés avec Tusage des échel- 
les et la lecture des croquis cotés, les élèves abordent les projections. 
Les sujets, étudiés d'abord comme simple élévation, sont étudiés par 
eux à l'aide des projections, comme élévation de face et de côté, comme 
plan et comme coupe. Viennent ensuite les exercices sur les pénétrations, 
les intersections des corps^ les développements des lignes, ainsi que sur 
le tracé des ombres propres et des ombres portées. Enfin l'étude do la 
perspective est présentée comme le résumé et la récapitulation de Tétudo 
des projections. 

«Tel est en substance le champ qu'embrasse l'enseignement du des- 
sin linéaire et du dessin géométrique. Nous n'avons qu'un regret, c'est 
que cet enseignement soit généralementséparé du dessin d'art, et qu'au 
lieu d'en être considéré comme le fondement, il ne soit pas même envi- 
sagé comme en étant une branche parallèle A mesure 

que notre travail se développerra, nous essayerons de montrer comment 
la partie exacte de tous les arts peut se ramener aux théories qu'impli- 
que ce genre de dessin. Mais son importance et sa priorité dans l'ensei- 
gnement se trouvent de nouveau justifiées par ce fait capital qu'il s'ap- 


i02 Introduction générale 


plique d'une manière directe, essentielle et complète àTarchitccture, qui, 
reposant sur des données mathématiques, représente dans le domaine des 
beaux-arts toute la part que la science peut y occuper. Par là se trouve 
affirmé lerang qui lui appartient comme résumant le dessin tout entier 
et embrassant tous les autres arts pour leur donner des règles et les 
appliquer. Depuis l'antiquité jusqu'au xvi« siècle, l'architecture a effecti- 
vement tenu la première place : l'architecte était le maître des œuvres. 
La renaissance ayant accepté de l'antiquité les formes d'une architec- 
ture complète, Tétude de la figure humaine, de son caractère et de son 
expression, devint l'objet do prédilection des artistes : c'est ainsi que, 
dans l'histoire des idées, l'esprit humain, après s'être appliqué aux objets 
extérieurs, finit par se replier sur lui-même. Tel fut le caractère philo- 
sophique de la Renaissance. En conséquence la peinture, à cause de ses 
qualités pathétiques expressives, prit le premier rang, et tous les arts, 
sous soninfluence, bien qu'avec des ressources inférieures, se mirent à 
poursuivre l'expression. L'ordre moral fut ainsi substitué dans leur clas- 
sification à Tordre logique. Le procédé d'analyse que nous employonsnous 
a conduit à une modification logique, et nous aborderons directement 
l'architecture dès que nous aurons parlé de l'élément que les œuvres 
d'art doivent fournir à l'enseignement du dessin ; il faut nous arrêter 
à l'importante question du choix des modèles, et chercher pourquoi 
nous devons les demander à l'antiquité et aux grands maîtres. » 

L'Essai sur la théorie du dessin comprend encore les articles sui- 
vants : « Dessin d'art et choix des modèles. — Architecture(i). — Sculp- 


(i) Nous transcrivons ici de Tarticle consacré à l'architecture un passage très suçgestir, 
mais aussi très significatif de Tesprit de domination absolue revendiqué par Tauloritc académi- 
que et pédagogique sur toutes les formes de l'activité artistique d'une nation. 

« Ces artistes (les architectes de la Renaissance) dont les monuments brillent par la pureté, la 
finesse, ne se donnent guère la peine de fixer préalablement avec le crayon ces qualités exqui- 
ses ; leurs dessins sont sommaires, et ces maîtres se réservaient de diriger sur le chantier, dans 
une mesure et par des moyens qui nous échappent, l'exécution de leurs chefs-d'œuvre. 

« Notre temps, dirigé par un goût extrême pour le caractère, a pourvu à tous nos besoins en 
comblant cette lacune. Nos différentes écoles d'architecture ont produit d'excellentes études de 
détail et de non moins bonnes restaurations; et si nous nous attachons à l'architecture antique. 


La question du dessin \0l] 


ture. — Dessin delà figure. — Dessin de rornement. — Dessin de ma- 
chines. — Dessin de mémoire et composition. — Résumé. — Lycées et 
collèges. — Ecoles de dessin municipales ou libres, laïques ou reli- 
gieuses. — Écoles professionnelles. — Ëcoles spéciales d'art appli- 
qué. — Écoles des Beaux-Arts. — Conclusion. » 

Cette conclusion, où M. Guillaume avec son] intelligence abstraite et 
législative a condensé ses vues est une véritable profession de foi. Nous 
en transcrivons les lignes suivantes : 

« Résumons rapidement ce travail dans ses vues pratiques et dans 
ses tendances. Le but que Ton doit se proposer, croyons-nous^ c'est de 
faire dans l'art, et sur une base commune au moyen du dessin, la pre- 
mière éducation de l'homme du monde, de l'ouvrier et de l'artiste. Nous 
partons de cette idée que, l'art étant un, on n'est pas plus autorisé à 
mesurer les vrais principes en vue des professions et selon les conditions, 
qu*on ne le fait pour la grammaire, les sciences ou la morale. Nous 
soutenons celte opinion que, le sentiment de l'art peut être développé 
conformément à la raison et qu'il y a dans ces éléments plus de part à 
donner à la logique qu'au sentiment. Pratiquement, nous pensons qu'il 
est bon de le considérer par son côté exact et utile, de lier entre eux, 
d'une manière indissoluble, le dessin géométrique, le dessin d'art et le 
dessin de mémoire inséparablement unis dans l'idée générale du dessin 
lui-même et dans ses applications. Enfin, en considérant que les modèles 
doivent être aussi parfaits qu'il est possible nous demandons que Toft 
mette entre les mains des enfants les chefs-d'œuvre de Fart, comme on 
met entre leurs mains, pour d'autres études, les chefs-d'œuvre litté- 
raires. Nous croyons devoir attirer l'attention de l'État sur ce point 
capital. Qu'on ne s'étonne point de cet appel. Parmi les idées qui ré- 
pondent aux besoins fondamentaux de Tesprit humain, parmi les prin- 
cipes qui gouvernent son activité, après l'idée de l'utile et l'idée du juste, 

les travaux des pensionnaires de rAcadcmie de France & Rome offrent un choix important de 
morceaux cotes et rendus. > 


i04 Introduction générale 


à côté de l'idée religieuse et de l'idée philosophique existe d'une maaière 
indépcodante : Tidée du beau. Le développement des aspirations qui 
naissent de ces sources premières se trouve au sein de toutes les socié- 
tés, et l'idéal que l'on se fait d'une haute civilisation ne peut se passer 
d'un art dont le développement soit en harmonie avec la garantie des 
intérêts, l'éclat des sciences et des lettres, le respect des cultes, la per- 
fection des institutions. Tout Etat soucieux de sa gloire doit étendre sa 
sollicitude sur ces causes et sur ces témoins de sa grandeur. Ce n'est 
point ici que nous viendrons jeter le dédain sur l'initiative privée et mé- 
connaître les services qu'elle peut rendre à l'art. En ce qui concerne les 
applications de celui-ci, les associations sont seules capables de répondre 
aux conditions variées dans lesquelles s'exerce l'industrie ; seules elles 
assureront la satisfaction du premier de ses besoins, le besoin d'indé- 
pendance. Mais c'est le devoir de l'État de veiller a ce que l'art soit aussi 
l'un des instruments de l'élévation des esprits : il doit apparaître pour 
diriger de haut, pour fonder ou pour réparer. Qu'il intervienne donc 
dans l'enseignement du dessin comme il le fait dans tout enseignement, 
aPm qu'il ne soit pas plus permis de faire copier à nos enfants des modèles 
qui n'auraient pas été jugés dignes d'être mis sous leurs yeux qu'il n'est 
loisible de leur donner l'éducation religieuse, de leur enseigner la 
grammaire ou l'histoire avec des livres non autorisés. » 

En nous bornant à ces seuls extraits — tirés principalement de la 
brochure intitulée : Idée générale d^ un enseignement des beaux-arts ap* 
pliqués à l'industrie — , qui contiennent les bases essentielles du système 
pédagogique de M. Guillaume, nous ne saurions trop recommander 
l'étude plus complète des divers écrits qu'a publiés ce statuaire émi- 
nent, à la fois artiste et penseur, administrateur et moraliste, et à tous 
ces titres, le représentant le plus autorisé d'une tradition qui n'est pas 
sans gloire, la tradition académique. Dans Tœuvre didactique de 
M. Guillaume, né n sage, modéré, maître de ses mouvements et do sa 
langue,» comme le dit Saint-Simon de LouisX]V,on trouvera le résumé 


La question du dessin lOK 


positif et dogmatique le plus complet et le plus lumineux d'une doctrine, 
aujourd hui singulièrement déchue^ mais qui, — protégée longtemps 
par l'absolutisme législatif hérité de la Rome impériale et du siècle de 
Louis XIV, de la Révolution et de TEmpire — prétend se survivre en 
devenant un instrument d'éducation. 

— En 1802» sous lepremier Empire, qui voulait plier toutes choses à 
la discipline, c'est à-dire à la hiérarchie, à l'organisation administrative, 
l'autorité, avait posé ce principe lumineux : « l'enseignement du col- 
lège a essentiellement pour objet le latin et les mathématiques ». Si 
donc, pense M. Guillaume, au latin qui fait le fond essentiel des éludes 
littéraires, et aux mathématiques qui sont le nerf des études scientifi- 
ques, on adjoignait l'enseignement du dessin, qui ferait la base des étu- 
des artistiques, on achèverait le cycle des études classiques et, par l'heu- 
reux mariage des lettres, des sciences et des arts, on compléterait le 
beau programme des « humanités ». — a Parmi les idées qui répondent 
aux besoins fondamentaux de l'esprit humain... existe d'une manière 
indépendante Tidée du beau » (p. 103). Or, écoutons là-dessus ce que dit 
Cournot, dans le discours si plein de choses, — et « en faisant la part 
de la rhétorique et des convenances officielles » si remarquablement 
empreint du plus pur esprit classique, — qu'il prononça le 14 novembre 
1861 à la séance publique de rentrée des facultés de Dijon. 

(( Lorsque je débutais devant vous, il y a sept ans, dans ma carrière 
d'orateur (début trop tardif pour faire présager une course bien longue), 
il était de mode, dans les harangues universitaires, de célébrer l'heureux 
mariage des lettres et des sciences. Je n'ai point voulu alors traiter ce 
sujet, ni joindre mon épithalame à tant d'autres [: car, je me sens peu 
de goût pour tout ce qui peut ressembler aux lieux communs et à l'é- 
loquence de commande. Aujourd'hui que le sujet n'a plus, comme on 
dit, d'actualitéy j'essayerai de le reprendre, et toutefois je n'en envisa- 
gerai qu'un côté : pour le traiter complètement et dignement, il faudrait 


r--r 


106 Introduction frénérale 


(ce qui n'est donné à personne) avoir connu et pratiqué au même degré 
les sciences et les lettres ; il faudrait les avoir aimées d'un égal amour: 
puisque, si Ton en doit croire les théologiens et les philosophes, quand 
il s'agit de ces dons divins, connaître et aimer, c'est la même chose. 

c( Je me propose donc d'examiner « quelles sont les conditions du beau 
dans les sciences »; et mon but est d'établir que les sciences comme les 
lettres tirent de la beauté qui leur est propre leur principal titre à influer 
sur l'éducation générale. Un Allemand dirait que Vesthétigue donne la 
clef de la pédagogique : tâchons' de parler français. 

a Que les sciences, même les plus abstraites, aient un genre de beauté 
qui leur est propre, c'est ce qu'on ne pourrait nier, à moins d'être absolu- 
ment étranger aux sciences, auquel cas la négation perdrait toute valeur. 
Lorsque les antiques écoles pythagoriciennes se livraient à l'étude des 
nombres et des figures et posaient ainsi les premières assises de l'édi- 
fice des sciences, elles étaient surtout attirées vers cette étude par le 
charme qu'elles trouvaient à saisir des rapports d'ordre, de proportion^ 
d'harmonie qui leur semblaient être autant d'émanations d'une essence 
suprême, autant de manifestations du principe divin de toutes choses. 
Si, dans les transports de sa joie et de sa reconnaissance, Pythagore 
vota une hécatombe le jour où son bon génie lui montra la relation qui 
existe entre les trois côtés d'un triangle rectangle, il est à croire qu'il ne 
songeait guère au secours qu'un arpenteur en pourrait tirer, mais qu'il 
jugeait prophétiquement, d'après la beauté, c'est-à-dire la symétrie et 
l'élégante simplicité du théorème, qu'il était effectivement tombé sur 
le premier anneau d'une chaîne qui mènerait infailliblement ses succes- 
seurs à la découverte de vérités plus cachées. 

(' Supposez que notre compatriote Monge eût vécu du temps de cet 
ancien Grec, et qu'il lui eût expliqué ses procédés pour tracer sur une 
feuille de papyrus une épure à l'aide de laquelle, avec le compas et 
l'échelle, quelque architecte des temples d'Agrigen te ou do Sybaris pour- 
rait se rendre compte de tous les détails de ses constructions, pensez- 


La question du dessin 107 


vous que le divin vleinard aurait éprouvé le même enthousiasme et 
renouvelé le sacrifice d'une hécatombe sanglante <ra simulée? Pour mon 

compte, je ne le pense pas, et je crois au contraire qu'il aurait vu dans 
cet artifice ingénieux quelque chose de trop particulier à l'homme, à 
son industrie, aux instruments matériels dont il dispose, pour devenir 
le principe d'une interprétation de la nature et des lois qui la gouvernent. 
On a pu, sans inconvenance, nommer Dieu l'éternel géomètre, mais 
certes personne ne songerait à faire d'une épure de géométrie descrip* 
tive l'un des objets immanents de la pensée divine. 

(( D'où je conclus que si Monge a pu en 1794 (on était bien loin alors 
des temps de Pythagore) présenter sa géométrie descriptive comme 
devant être à l'avenir une des bases de l'éducation nationale, il avait 
peut-être raison, s'il s'agissait de former un peuple d'ouvriers et d'artistes, 
mais qu'il se trompait fort s'il entendait par là l'éducation qui achemine 
vers l'intelligence des vérités d'un ordre supérieur les hommes destinés 
à former Télite d'une nation. A cette éducation plus relevée, à cette édu- 
cation classique appartiennent au contraire les premières notions de 
mathématiques pures comme les premières notions de littérature et de 
goût; elles rentrent au même titre dans le cercle des humanités, parce 
qu'elles éveillent de même dans l'esprit de l'homme le sens de l'idéal, 
du beau et du divin » [Des inst.., p. 5G8). 

— M. Guillaume, comme notre maître Gournot, comme d'ailleurs tous 
les hommes éminents ou seulement distingués, issus de la Révolution et 
do l'Empire et qui, à un titre quelconque, ont pesé sur les institutions 
du XIX® siècle, est essentiellement doctrinaire (1). Tous les doctrinaires, 

(i) « Les doctrinaires étaient des hommes de haute culture intellectuelle, de grande valeur 
morale. C'étaient des lettrés, des écrivains, des orateurs, mais pénétrés de ce vice, auquel sont 
sujets les hommes de lettres, de ne point regarder directement le monde extérieur. Qui, en effet, 
par l*habitude et J*abus des lectures, des dissertations écrites et des discours étudiés, finissent par 
mettre entre eux et la vie des combinaisons factices sorties de leur cerveau, qu'ils s'imaginent 
être la réalité même. C'étaient encore des hommes croyant, du haut de leurs déductions, possé- 
der une autorité infaillible sur le commun des mortels, qui agissent au jour le jour, sans s'inquié- 
ter de rattacher leur conduite à des doctrines arrêtées, mais qui cependant peuvent très bien se 
conduire avec habileté. » — Théod Duret, l\ev. blanche^ i5 avril 1898. 


108 Introduction générale 


d'ailleurs autoritaires ou dogmatiques, spiritualistes ou libéraux, idéa- 
listes ou matérialistes, éclectiques ou positivistes, .... chacun selon la 
pente de son propre esprit, le naturel de son talent ou l'accentde son âme, 
quand âme il y a, ont conditionné leur individualisme autoritaire tout au 
travers de trois évolutions remarquables et qu'il importe de signaler ici, 
c'est à savoir : — 1® l'évolution des difiFérentes écoles de philosophie; — 
2« l'évolution de l'Université qui continue au civil et sous la forme admi- 
nistrative, c'est-à-dire mécanique, l'énorme tradition du moyen-âge com- 
mencée par l'Église; — 3^ enGn, l'évolution des doctrines à nous léguées 
par le passé, ou nouvellement instituées en conformité avec elles. 

1. — « Trois écoles de philosophie ont représenté dans la première 
moitié du siècle une conception générale de la vie et de la société propre 
aux partis et aux classes qui se disputaient le pouvoir. La philosophie 
théocratique et aristocratique de Bonald et de Joseph de Maistre s'effor- 
çait de restaurer, au lendemain de la Révolution, le principe d'autorité. 
La philosophie bourgeoise, individualiste, libérale de Jouffroy et de Cou- 
sin reflétait, dans le domaine des idées abstraites, la théorie du juste 
milieu : de même que la Charte était un compromis entre l'ancien 
régime et la Révolution, le spiritualisme éclectique de Cousin tentait 
de faire vivre sur'un pied de paix la théologie et la métaphysique, ces 
deux vieilles ennemies. L'université enseignait cette doctrine aux jeunes 
gens comme une sorte de catéchisme officiel. — Une troisième école, 
fondée par Saint-Simon, continuée par Auguste Comte, prétendait ap- 
puyer sur les faits économiques et la science positive la théorie huma- 
nitaire d'une rénovation sociale, » — J. Bourdeau, Contre la métaphysi- 
que {Revue bleue y 5 mai 1894). 

2. — « L'Université impériale a été organisée par un décret du 17 mars 
1808, décret par lequel l'Université est constituée comme une sorte de 
corporation quasi-monastique, qui doit prendre pour base de son ensei- 
gnement les préceptes de la religion catholique. Ainsi, par la force des 
choses, le retour aux traditions du passé se prononçait de plus en plus. 


La question du dessin 109 

de manière à exciter le mécontentement de ceux qui trouvaient qu'on 
restaurait trop et do ceux qui, mis en goût, trouvaient qu'on ne restaurait 

pas encore assez Selon le point de vue où l'on se place, on peut dire 

que l'institution de 1808 existe encore avec plus de développement, une 
organisation mieux arrêtée et plus complète, ou, au contraire, qu'elle 
a peu à peu disparu. Tâchons de saisir ce contraste dans son principe 
essentiel, bien supérieur aux mesquines réactions et aux bruyantes 
déclamations des partis. 

« Autre chose est une institution de gouvernement, autre chose est 
une institution administrative. Nous vivons dans un temps où l'adminis- 
tration, prise dans son sens le plus général, va en se perfectionnant sans 
cesse, comme les sciences, comme l'industrie :car ce n'est qu'une science 
appliquée au mécanisme social, un agencement industrieux de toutes 
les pièces, de tous les rouages de ce mécanisme. Ces perfectionnements 
se poursuivent malgré les changements, malgré l'affaiblissement trop 
fréquent des principes de gouvernement... Voilà le fait général, domi- 
nant; et les conséquences à en tirer se présentent d'elles-mêmes; car, 
une institution telle que l'université peut être considérée, tantôt dans le 
sens le plus modeste, comme le mode d'organisation d'un service public, 
et àce titre comme une simple organisation administrative, tantôt comme 
un moyen d'agir sur les mœurs, sur les idées des générations successives, 
ce qui évidemment est le caractère des institutions de gouvernement. 

« Si le grand fondateur de 1808 a entendu créer une institution de 
gouvernement, reconnaissons-le franchement, les cinquante années 
écoulées n'ont pas répondu à la grandeur de l'entreprise : il a trop 
présumé du siècle qu'il inaugurait ou de l'ascendant que son génie lui 
donnait sur ce siècle. Nous ne sommes plus, à ce qu'il parait, au temps 
de ces créations dans l'ordre moral. // mondo va da ^e, le monde indocile 
ne reçoit plus ses idées de personne (1). Que si, au contraire, il a seu- 

(i) Il se prépare « un monde où nous ne retrouverons plus rien du vieil ordre de choses, maté- 
rie), social et politique, et où l'expérience dupasse ne pourra plus nous servir de guide ». — «En 


.\.. 


:0 


•». ' 


110 Introduction générale 


lement voulu appliquer à une branche importante des services publics ce 
génie d'organisation administrative qu'il portait partout, le succès obtenu 
ici comme ailleurs est bien fait pour exciter notre admiration : car, en 
dépit des obstacles de tout genre, des contradictions de toute nature, des 
fréquents changements de système, des revirements du pouvoir, les 
grands traits du cadre administratif ont été maintenus, les détails ont 
été successivement perfectionnés et mieux arrêtés; les conditions de la 
carrière sont devenues plus fixes et plus régulières; les diverses bran- 
ches d'enseignement se sont mieux dégagées les unes des autres; les 
établissements d'instruction publique de tous les degrés se sont tou- 
jours multipliés ; au point que pour quelques-uns d'entre eux on 
serait plutôt tenté de songer à réduire qu'à multiplier encore. N'est-ce 
pas là, après un demi-siècle de contradictions et d'épreuves, une mar- 
que certaine de la faveur du pays, des bonnes dispositions de l'opi- 
nion publique, et conséquemment de la justesse des principes, de la 
solidité du terrain sur lequel ont été assis, il y acinquante ans, les fon- 
dements de l'édifice? » — Cournot, Inst ., p. 545 (18S8). 

3. — Toutes les doctrines établies, à nous léguées par la tradition dis- 
ciplinaire et scolastique du moyen-àge, ou nouvellement instituées en 
conformité avec elle, subissent depuis bientôt un siècle, — c'est-à-dire 
depuis qu'elles sont entrées dans notre système d'éducation nationale 
et, par suite, dans le courant de vulgarisation qui l'accompagne, — une 
transformation remarquable. 

Descendues des hauteurs métaphysiques de la pensée pour prétendre 
à régenter la foule en l'instruisant, elles en subissent dorénavant toutes 
les promiscuités et toutes lesfluctuations. Obligées» et pour répondre aux 
nécessités de l'école, de se fixer, de se définir, de s'organiser en disci- 


i*éalité, le monde moderne est entré dans une nouvelle phase de l'évolution sociale, et nous 
marchons vers un but nouveau ; et les partis politiques, qui font eticore face au peuple avec lee 
débris de leur pro^amme d'éfj^alité politique, commencent à trouver que le monde a rapidement 
dépassé leur but. » — Benjamin Kidd, l'Évolution sociale, trad. Le Monnier. Paris^ 1896; 


La question du dessin 111 

plines formelles et impératives, et chacune à sa manière^ elles entrent 
bientôt en conflit les unes avec les autres, et, pendant que, faute de disci- 
ples véritables, elles se disputent une clientèle que lapublicité, Tobliga- 
tion et la gratuité sont moralement impuissantes à retenir, le monde 
moderne, en pleine évolution sociale, assiste indifférent et comme impas- 
sible à leur dégradation mutuelle. Ces doctrines n'étant plus vivantes, 
c'est-à-dire n'obéissant plus à un principe de vie supérieur à leur propre 
organisation individuelle, chacune se conditionne pour son propre compte 
et lutte pour l'existence avec toutes les autres. Devenues les unes et les 
autres complètement indépendantes, isolées, et délivrées d'un joug qui 
commande à toute la hiérarchie, elles ne sont plus soumises à la science 
fondamentale selon Aristote, à rarchilectoniquo qui ordenne de tout. 
Elles sont désormais partout et nulle part, et cela est bien: (( qui cherche 
sa vie la perd, » dit l'Évangile. 

(( Or, il est facile de voir comment toutes ces causes de décomposition 
favorisent la fusion qui est la condition indispensable d*un organisme 
nouveau. Corpora non agunt nisi soluta : cet adage des vieux chimistes 
s'applique surtout à l'économie des êtres vivants, il faut que la décom- 
position des matériaux de l'organisme soit poussée jusqu'à la dissolution 
ou à la désagrégation moléculaire, pour que la force plastique, toujours 
prête à faire sortir la vie des dépouilles de la mort^ puisse les saisir et 
les employer dans la formation d'un nouvel organisme. 

« Selon le cours habituel des choses, les dépouilles do Têtre qui 
occupait un rang élevé dans Téchelle organique ne rentrent pas immé- 
diatement dans un organisme de même ordre; elles serviront plutôt à 
la nourriture et au développement d'êtres inférieurs, destinés à leur 
tour à fournir à des êtres d'ordre plus élevé les matériaux que leur 
organisation requiert ; et ainsi se décrira le cycle des transformations 
incessantes. La vie des peuples n'est point aflfranchio de cette loi gé- 
nérale : il faut qu'une civilisation vieillie soit livrée à la décomposi- 
tion, pour rendre possible l'évolution des germes d'une civilisation nou-^ 


liîi Introduction générale 


velle, riche de jeunesse et d'avenir. » — [Cournot, Cons...j t. I, p. 29. 

Y. — « Vous autres Français, quoi que vous fassiez, la forme catho- 
lique vous domine : vous êtes pour ou contre, jamais à côté, » dit 
Tolstoï (1). Après donc avoir entendu M. Guillaume qui esipour, écou- 
tons maintenant un publiciste de talent, universitaire et normalien, qui 
est contre. M. Guillaume, qui a des lettres et de la technique ouvrière, 
obéit à une logique tout unie, d'une simplification excessive, et, par 
cela même, étroite et d'autant plus inflexible. Hypnotisé par les antiques 
comme le peuple l'est par les reliques, d'ailleurs essentiellement autori- 
taire et conformiste et n'ayant dès lors que dégoût et mépris pour tout 
ce qui est primesautier, c'est-à-dire vivant en art comme en poésie^ en 
science comme en philosophie, M.Guillaume, commeles Grecs de l'épo- 
que classique, a la passion de l'évidence et le retour des mêmes idées le 
charme infmiment plus que les idées elles-mêmes. De plus il est statuaire 
et, comme il le dit lui-même : c( la sculpture est le plus positif des arts 
d'imitation. » M. Raoul Frary, qui n'a que des lettres et des lectures, 
paraphrase avec plus de finesse la logique des autres, notamment celle 
de ce maître redoutable, Cournot, et c'est ce qui ressort des passages 
suivants : 

« Beaucoup affirment que les mathématiques donnent l'habitude de 
bien raisonner et font les esprits logiques; c'est même un aphorisme 
reçu, quoique plus d'une fois réfuté. Rien n'est plus contestable. La 
logique des sciences exactes ne ressemble nullement à la logique des 
sciences humaines. La matière, la méthode, les principes mêmes diffèrent 
radicalement. Dans les mathématiques, on partd'unedéfinition qui épuise 
son objet, et on déduit l'une de l'autre des propositions qui s'éloignent 
indéfiniment du point de départ sans rien perdre de leur rigueur; si lon- 
gue que soit la chaîne, le dernier anneau est aussi solide et d'un aussi 

(i; Rapporté par M. J. Lcgras : Aa pays russe, Paris, 1896, p. 336. 


La question du dessin 113 

pur métal que le premier. On peut d'ailleurs s'assurer contre l'erreur, 
et l'on ne se trompe jamais, quand on raisonne bien. Dans tout ce qui 
regarde la vie humaine, en morale, en politique, en jurisprudence, en 
économie sociale, dans les affaires, il n'y a guère de définitions qui ne 
comportent quelque degré d'inexactitude. Aussi ne peut-on se livrer à la 
déduction sans comparer à chaque pas les idées aux réalités. L'esprit 
risque d'autant plus de se tromper qu'il place sa confiance dans la pré- 
cision de sa logique, et c'est une cause certaine d'erreur que de mettre 
dans la conclusion tout ce qu'on a trouvé dans les prémisses. Un géo- 
mètre peut être un moraliste et un homme d'Etat malgré la géométrie 
et non par elle. Que Dieu garde les peuples d'aller chercher leurs con- 
ducteurs dans l'école do Platon. » — R. Frary, la Question du iatiriy 
1885, pp. 190-193. 

Voici ce que dit Cournot : 

« Toutes les fois qu'il y aura passage brusque d'une idée à une autre, 
par suite possibilité de définitions précises et de construction par voie 
de combinaisons soumises à des règles fixes et à un dénombrement exact, 
ou bien encore lorsque les variations continues comporteront la mesure 
et la détermination numériques, lorsqu'enfin toutes les relations de voisi- 
nage et toutes les connexions rationnelles trouveront dans certaines 
figures graphiques une expression suffisante, la logique et la raison^ 
l'ordre logique et Tordre rationnel s'identifieront, le Grec et le scholas- 
tique auront gain de cause. Sinon, Ton courra risque de s'éloigner d'au- 
tant plus de la raison que l'un serrera la logique de plus près; et en 
religion, en politique, dans le morale et dans le droit, on n'a que trop 
d'exemples de ce dangereux écart. » -^ Cournot., Mat, Vit. Rat., p. 30. 

« Le nom même de mathématiques dénote assez que les Grecs, qui les 

ont inventées et qui par là ont jeté les fondements des sciences, les 

regardaient comme la. science ou comme la doctrine par excellence; et 

de fait, leurs plus anciennes écoles de philosophie étaient des écoles de 

mathématiques^ au propre sens du mot, où d'austères cénobites ensei- 

8 


-WTT- 


114 Introduction générale 


gnalent rarilhmélique telle qu'ils la concevaient, la géométrie telle que 
nous la comprenons encore, avec la pensée qu'ils mettaient ainsi leurs 
disciples sur la voie de l'interprétation des énigmes do la nature. Quel- 
quefois, dit-on, ces cénobites sortaient de leurs studieuses retraites pour 
donner à leurs compatriotes des constitutions et des lois; mais des 
expériences beaucoup plus récentes semblent avoir montré qu'il vaut 
encore mieux que les professeurs de mathématiques se bornent à ensei- 
gner les mathématiques. » — Cournot, des Inst. cTiîist. puôL, p. 88. 

Quant à la question du dessin, voici l'opinion de M. Raoul Frary : 
«... La recherche des piaules exercera leur vue peut-être autant que le 
dessin, qui jouit en ce moment d'une vogue si prodigieuse, et qu'on 
prétend enseigner même aux patres. Le dessin est un travail, et un 
travail très pénible pour certains esprits. N'aurait-il pas mieux valu lui 
laisser son ancien caractère d'étude facultative et d'art d'agrément, que 
d'en inspirer de trop bonne heure le dégoût aux natures qui y sont 
rebelles, et qui ne sont pas pour cela des natures inférieures? Mais le 
dessin partage aujourd'hui la vogue du soi-disant art de la diction et il 
semble qu'on ait juré de vouer au métier de tapissier-décorateur tous 
les Français qui n'auront pas le bonheur de sentir s'éveiller en eux la 
vocation des planches. » 

VL — Enfin, et pour terminer cette revue d'opinions si diverses, écou- 
lons encore M. Henry Ilavard (Lettre sur renseignement des beaux- 
arts, Paris, 1879). 

« Il serait puéril de croire qu'avec les méthodes en cours on puisse 
enseigner la lecture et Técrilurt d'une forme, comme on enseigne la 
lecture et l'écriture du langage. Alors que ces dernières, par une déli- 
mitation parfaite des sonorités, se trouvent condensées en un nombre 
limité de signes, qu'il est facile de classer dans son cerveau, et dont on 
se souvient aisément, l'enseignement du dessin est demeuré entièrement 
dans le vague. Il n'a rien emprunté à la science ni à la philosophie; il 


J 

! 


1 

■J 


La question du dessin il5 

est resté empirique. Malgré sou antériorité, ileo est encoreaux mêmes 

formules qu'à son origine, à ces formules primitives et complexes dont 

le nombre est illimité. On apprend aujourd'hui à dessiner, comme on ;^ 

apprenait il y a dix mille ans, et probablement davantage. q 

« Depuis le premier « bonhomme » tracé par l'enfant inexpérimenté y 

qui saisit un crayon, jusqu'au croquis charmant enlevé par l'artiste en | 

renom, le dessin est demeuré à l'état synthétique. L'analyse, qui a fait | 

de l'alphabet phonétique le moyen supérieur de communication, n'a rien *] 

tenté pour le dessin, et nous sommes si bien habitués à cette pensée 
qu'ils n'ont rien à démêler ensemble, que si quelque audacieux disciple 

de Condillac osait prétendre que les formes et les couleurs sont, tout \\ 

comme les sons, susceptibles d'analyse, et qu'on les peut réduire à un .\ 

nombre limité de formules, à une sorte d'alphabet facile à retenir, il - -' 

passerait assurément pour un cerveau troublé. •'i 

« Cette idée cependant n'a rien d'absurde, et sa réalisation est peut- ^ 

être beaucoup plus voisine de nous que nous ne le croyons. Comment ] 

s'opérera-t-elJe? Je l'ignore et il faudra un éclair de génie pour résoudre 
cet obscur problème; mais, en attendant, il nous faut bien reconnaître 
qu'il ne saurait être plus étrange d'analyser ce qu'on voit que d'analyser 
ce qu'on entend. Les formes et les couleurs, quelle que soit leur variété, 
ne sont en effet ni plus variées, ni plus compliquées, ni plus nombreuses 
que les sons, et cependant avec une trentaine de lettres, qu'un enfant 
sait reconnaître et prononcer entre sa quatrième et sa septième année, 
on peut non seulement représenter toutes les sonorités articulées dans 
toutes les langues du globe, mais encore en créer un nombre infini. 

« Mais de ce que cet alphabet n'existe pas, on n'est nullement fondé à 
prétendre qu'il n'existera jamais. Somme toute^ la palette la plus riche 
n'a pour bases fondamentales que trois couleurs mères : le rouge, le 
bleu et le jaune, et trois couleurs mixtes : le vert, l'orangé et le violet, 
tandis que la gamme comprend sept notes, et que le langage comporte 
cinq voyelles et plus de vingt diphthongues. Nous sommes moins habitués 


M' 


V 


lie Introduction générale 


à raisonner sur l'optique que sur Tacoustique; mais il n'en résulte pas 
que les jouissances de la vue échappent à l'analyse et au raisonnement. 
« Le dessin lui-même, qui substitue le contour, qui est une fiction, à 
la forme, qui est une réalité, n'est qu'une convention graphique ; et la 
mise au carreau telle que la pratiquaient les Égyptiens, et telle que nos 
sculpteurs et nos peintres la pratiquent encore aujourd'hui, n'est qu'un 
procédé d'analyse analogue à la décomposition des sons articulés qui 
constituent une phrase. 

« Ainsi donc, nous voilà déjà près de laréalisation de ce fameux alpha- 
bet du dessin que tout à l'heure nous aurions traité volontiers de para- 
doxe, et qui nous faisait presque hausser les épaules. Une fois que rœil 
saura suivre les formes, les mesurer, les décomposer, avec un nombre 
très limité de traits mille fois moins compliqués, moins difficiles à rete- 
nir que les lettres et surtout moins difficiles à tracer, on pourra écrire 
sans peine toutes les formes, cela est certain. Seulement il faut retourner 
l'enseignement, éduquer l'œil et négliger la main. C'est là que sera 
l'obstacle. 

« Tout d'abord, on se heurtera à l'opposition des artistes qui, élevés 
dans des idées diamétralement opposées, n'admettront pas volontiers 
une simplification sans intérêt pour eux dont l'éducation est faite et par- 
faite. Ensuite, on verra surgir les amateurs et les critiques qui objecte- 
ront que le dessin n'a pas besoin de cet alphabet; puisque, sans lui, il 
a produit des chefs-d'œuvre immortels. A ceux-là la réponse est facile. 
On a construit le Parthénon un siècle avant qu'Ëuclide eût établi ses 
Eléments; la langue grecque avait une. poétique parfaite avant que les 
règles de sa grammaire fussent fixées, et Homère n'a certainement 
jamais connu le nombre des parties .du discours. S'ensuit-il qu'il faille 
dédaigner la découverte d'Euclide et que la grammaire soit, dans Tétude 
des langues, une simple superfétalion ? Le rossignol ne s'est jamais 
préoccupé de la gamme; faut-il pour cela jeter au feu les merveilleuses 
harmonies auxquelles elle a donné naissance? » 


& 


La question du dessin H 7 


— Do prime abord et si Ton s'abandonne au (il du discours, au seul 
afflux des mois, il semble bien que M. Ilavard se soit emplacé d côlé. 
Mais il n'en est rien, ou, du moins, ce n'est nullement dans le sens oii 
l'entend Tolstoï. Malgré sa verve, d'ailleurs plus brillante que solide 
et qui, dans sa course vagabonde, touche à tant de choses sans en ins- 
truire aucune, M. tiavard n'abandonne pas Torlhodoxie coutumière; il 
entend bien demeurer nôtre et ne point se séparer de ses congénères 
n de qui 1 époque se bat stérilement contre des mots toujours vides et 
toujours renouvelés ». — E. Bricon, Nouv. lietHie, 13 janvier 1894. 

Néanmoins derrière ce mirage on rencontre quelques observations 
exactes, quelques aperçus judicieux, dont on pourra faire son profit. Nous 
ne voulons pas parler de l'idée fallacieuse relative à l'alphabet du des- 
sin. Pourlant, et comme on. pourrait s'y méprendre, nous recomman- 
derons dans ce cas, et comme correctif à une telle imagination, la lec- 
ture du livre de M. Philippe Berger : rHistowe de V écriture dans Vanti' 
quité (1). On y apprendra, si on l'ignore, par quelle longue suite de 
métamorphoses, évoluant au cours de nombreux siècles et par la tra- 
versée de tant de peuples divers, s'est accomplie une invention capitale 
et qui peut nous paraître bien simple aujourd'hui : l'invention de l'é- 
criture alphabétique. D'ailleurs autre chose ^^Xxxxi alphabet phonétique ^ 
qui n'est après tout qu'un système de notation symbolique et conven- 
tionnelle, c'est-à-dire une écriture graphique arbitraire (2); autre chose 

(0 « Après avoir jclé un coup d'œil sur les premiers essais de l'homme pour dégager Técrilure 
du dessin, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Monde, et sur ces procédés encore enfantins aux- 
quels on a donné le nom de pictogrnphie, nous suivrons les progrès de l'écriture jusqu'à la cons- 
titution des grands systèmes hiéroglyphiques ^ l'écriture chinoise, l'écriture cunéiforme, l'écriture 
égyptienne. Nous verrons ces systèmes, à^ idéographiques ^ devenir peu à peu syilabiques, c'est- 
à-dire />/io/ie7/^ue». Le plus parfait d'entre eux, l'égyptien, nous mènera jusqu'aux portes de l'Al- 
phabet. H Fuis M nous étudierons la formation de l'alphabet phénicien et nous passerons successi* 
vemenl en revue les alphabets qui sont dérivés de ses vingt-deux lettres. Tous ces alphabets se 
ramènent à deux grandes familles: la famille européenne ou gréco-italiote, et la famille sémitique 
de laquelle sont sortis les alphabets de l'Inde et de la Perse. » Intr., p. XV. — Cf. Cour>'Ot, 
Traité,.., t. H, p. 366. 

(a) « L'écriture diffère du dessin en ce qu'elle est inséparable de la langue; si, dans l'écriture 
idéographique, les caractères sont des peintures de certaines idées ou de certains objets, ils les 
rappellent à l'esprit sous la forme qu'ils révèlent dans le langage, c'est-à-dire par l'intermédiaire 
du mot. » — Ph. Berger, /n/., p. XIV. 


118 Introduction générale 


est un alphabet du dessin où le mot alphabet, s'il n'est pris dans un 
sens figuré comme alphabet de la musique, alphabet du charpentier, 
etc., n'a plus aucun sens, ou, ce qui revient au même, dont l'emploi 
momentané n'est plus soutenu que par le mouvement purement ora- 
toire du discours. 

Or, c'est précisément dans le discours, et par suite des errements de 
l'enseignement de l'école qui tend par la seule voie oratoire à la vul- 
garisation de toutes choses, à la sécularisation de toutes les connais- 
sances humaines, logiqii^ement et discursivement organisées, que gît le 
prestige de ces énonciations à consistance purement verbale, créées 
par le seul rapprochement de mots divers et dont chacun perd de son 
sens propre sans que l'accouplement qu'on en fait gagne nécessairement 
en clarté ou devienne expressif d'une idée nouvelle. C'est que dans ce 
cas et le plus souvent les mots dont nous sommes encombrés par provi- 
sion, en devançant ridée, semblent l'annoncer, mais sans la contenir. Et 
cela est tout simple, puisque le mot n'est qu'un signe qui connote Tidée, 
alors seulement connue de nom, dont on n*a pas nécessairement l'expé- 
rience pratique, et qu'il y a certainement plus loin du signe énoncé à la 
chose signifiée, que de la chose instruite et connue au signe connotatif 
que l'on trouve toujours et quand on le veut. Notre langue française 
éminemment intellectuelle, abstraite et constituée comme a priori^ est, 
par suite môme de l'enseignement qu'on en fait, sujette à cette aberra- 
tion ou à celte déviation. On en trouvera les raisons singulièrement 
éloquentes et significatives de notre infirmité nationale dans un excellent 
petit livre intitulé : les Études classiques et r Enseignement public^ 
de J. MiLSAND. Paris, 1873, particulièrement pages 181 et suivantes. 


III 


L'ENSEÏGNEMKNT EN GÉNÉRAL 


L'accommodation du système dos études classîqnosavec les nccessî- 
tcs do renseignement public telles qu'elles se prosentent au regard des 
pouvoirs publics, de Tunivorsité et de la presse, est une des grosses 
questions do l'heure présente. Sans prétendre aucunement à nous im- 
miscer dans cet important débat, nous ferons observer que la question 
du latin, dont nous dirons ici seulement quelques mots, comme la 
question du dessin, qui est notre principale préoccupation, comme enfin, 
la question des sciences, en sont comme les épisodes principaux. 

Or, si Ton réserve pour le système des études classiques la question 
du latin entendue dans le sens des « lettres latines » ou des belles-let- 
tres, et laquestion du dessin entendue dans le sens des « arts du dessin » 
ou des beaux-arts, nous croyons qu'il n'y a rien à changer à une tradi- 
tion si fortement ancrée chez nous, et que M. Guillaume comme les 
partisans du latin ont pleinement raison. — Gela ne veut pas dire d'ail- 
leurs qu'aucune modification ne puisse être apportée dans la pédagogie, 
dans le mécanisme môme de ces enseignements. — Mais si l'on dis- 
tingue, comme on doit le faire, d'une part l'enseignement purement 
grammatical du latin de son enseignement littéraire, c'est-à-dire de l'en- 
seignement des lettres latines et des belles-lettres; d'autre part, si l'on 
distingue de môme entre l'apprentissage purement technique et manuel 
du dessin et l'enseignement du dessin appliqué à l'étude des beaux-arts, 
alors la solution est trouvée et, pour ce qui concerne le latin, c'est à 
Milsand que nous la devons. 


J20 Introduclion générale 


— La fameuse question du latin, capitale pour nous autres Français, 
puisqu'elle touche foncièrement à Téducation générale de la nation, est 
demeurée jusqu'à présent entièrement confinée dans le système des 
études classiques où on l'agite depuis longtemps « mais pour l'enseigne- 
ment de l'école plutôt que pour le régime de la vie pratique ». Or, et 
pour les raisons qu'expose si judicieusement notre auteur, la question 
du latin sera tranchée le jour où on se décidera à ne plus l'envisager 
seulement au point de vue des études classiques, mais, et prenant parti 
pour une réforme démocratique profonde, on transportera la question du 
latin — non plus considéré alors comme un objet d'enseignement, mais 
simplement comme un instrument d'éducation grammaticale — dans la 
région des études élémentaires, c'est-à-dire dans l'enseignement pri- 
maire, dont la constitution intéresse le peuple tout entier. Par l'ensei- 
gnement simultané du latin et du français dans les écoles primaires, ou 
initierait l'enfant, fille ou garçon, au mécanisme respectif de ces deux 
langues, l'une morte et l'autre vivante, et, par conséquent, on lui ferait 
prendre, pour autant que cela est nécessaire (1), une pleine conscience 
de la structure grammaticale de la sienne propre. De plus, et en lui fai- 
sant « connaître les mots latins au point de vue des étymologics fran- 
çaises, on l'amènerait autant que possible à les prendre pour une partie 
de sa propre langue ». Par ainsi, le grand courant de langue française, 
en rejoignant ses origines, après tout constitutives de notre nationalité, 
se retremperait dans le peuple tout entier, et le système d'enseignement 
et de culture classiques, en s'implantant à nouveau dans les entrailles 
mômes de la nation, y puiserait pour une nouvelle vie « la force qui ne 
saurait venir que du peuple ». 

(( Que se pratique-t-il, dit Cournot, dans les écoles où l'on a la pré- 
tention de donner une instruction où le latin n'entre pour rien, et qui 


(i) « On devrait se garder de faire de la langue maternelle un objet d'enseignement : on ne fait 
que troubler par là cliez les enfants le libre cpanouisscmenl de leur faculté du langaj;;çe. » — J. Grimm, 
Deutsche G ranimât ik, cité par M. Bréal, Essai de Sémantique, Paris, 1897, p. 3oa. 


L* enseignement en général 121 


cependant procure un degré de culture analogue à celui qui résulte de 
réducationclassiquo?!! faut trouver des matièresde devoirs^ d'exercices, 
d'interrogations, d'examens; et l'on raffine la grammaire française ; on 
questionne un enfant,une jeune personne, un paysan tiré depuis un an 
de son village sur des distinctions subtiles auxquelles Pascal et Bossuet 
n'ont jamais songé. On a fait plus, on a inventé Vanalj/$e logique^ véri- 
table scolaslique au petit pied, qui en a les abstractions, les pointilleries, 
la monotonie, le peu de valeur intrinsèque et qui jamais n'offrira les 
ressources et la variété du thème de règles^ pour le développement du 
sens logique de l'élève; pas plus que V exercice de style qui consiste à 
écrire une lettre ou à développer un lieu commun, ne pourra offrir les 
ressources et la variété de la version pour exercer la pénétration de l'é- 
lève et l'amener à rendre dans sa langue, non des pauvretés comme 
celles que son propre fonds pourrait lui fournir, mais les pensées des 

maîtres dans l'art de penser. » — Des Inst , p. 63. 

Cet état de choses résulte précisément d'une erreur capitale de notre 
système d'enseignement tel qu'il a été institué au cours du présent siècle : 
erreur dont nous aurons peine à revenir puisqu'elle tient à des préju- 
gés invétérés et qui dominent, en gouvernant les intérêts et les amours- 
propres, toutes les volontés particulières. D'abord intronisé par la Com- 
pagnie de Jésus et comme résultante du grand mouvement de l'huma- 
nisme de la Renaissance ; puis, au lendemain de la Révolution, réédifié 
par l'Empire; et enfin, au cours du dix-neuvième siècle, décidément 
institué par le positivisme pratique de notre organisation sociale — 
non pas franchement aristocratique ou démocratique, mais, comme on 
l'a dit, mésocratique, — le système d'éducation classique à nous trans- 
mis par l'ancien régime est si profondément entré dans nos mœurs offi- 
cielles, qu'il suffirait à lui seul pour caractériser la nationalité française 
au sein de laquelle il demeure comme un prototype immuable. Et cela 
est si vrai qu'il a suffi, sans rien changer d'ailleurs à sa constitution fon- 
damentale, de le rétrécir et de le diminuer pour constituer, par en bas, 


122 Introduction générale 


renseignement primaire, de l'augmenter et de Tamplifier pour consti- 
tuer, par en haut, renseignement supérieur. 

Cette interprétation quasi-géométrique de quoique chose de très grand 
en soi, à savoir le système des études classiques, no va pas sans dom- 
mage: si elle maintient^ et dans l'intérêt du système, une unité précieuse, 
encore que tout extérieure, elle interdit par contre toute diversité vraie, 
concrète et vivante; elle nous inflige un arrêt de développement, elle 
nous diminue. Et cela est particulièrement sensible dans l'instruction 
primaire. L'enseignement primaire tel qu'il est institué et parce « qu'il 
doit procurer un degré de culture analogue à celui qui résulte de l'édu- 
cation classique » est entièrement calqué sur l'enseignement secondaire, 
dont il n'est qu'un diminutif, une approximation grossière et, pour tout 
dire, une vulgaire contrefaçon : exactement ce que la chromolithographie 
est à la peinture, ce que le carton-pierre ou le zinc d'art sont à la sculp- 
ture, ce que la fanfare municipale est à la musique; en un mot une imi- 
tation d'imitation. Perdus que nous sommes dans une phraséologie tout 
extérieure et qui nous dévore, engagés dans une manie tout instinctive 
d'imitation continue et qui nous abêtit, nous lâchons véritablement la 
proie pour l'ombre et retombons incessamment dans la vulgarité la plus 
efFroyable. Mais que cela soit pour durer, c'est ce qu'il est impossible 
d'admettre, si l'on songe que, pour y remédier, il suffit de reconnaître, 
en ce qui regarde la question capitale de l'enseignement primaire, que, 
nonobstant son assimilation, purement de forme, à l'enseignement clas- 
sique il a un fond propre, autonome, auquel on ne fait attention d'ordi- 
naire, mais que l'on ne saurait éluder, et sans lequel, à vrai dire, il n'y 
aurait pas plus d'enseignement classique que d'enseignement supérieur. 
C'est ce qu'indique nettement Cournot dans les lignes suivantes : «.On 
s'accorde à regarder, comme faisant le fond de l'instruction primaire, la 
lecture, l'écriture et les premiers éléments du calcul. Or, il n'a pas fallu 
moins que tous les progrès delà civilisation pour que l'on pût concevoir 
l'idée d'initier tous les hommes sans exception^ ou sauf de rares excep- 


L'enseignement en général 123 


tiens, à ces connaissances qui sont le préliminaire indispensable de 
tous les travaux intellectuels^ et qui ont aussi en elles-mêmes une uti- 
lité des plus évidentes^ puisqu'elles dotent f homme dune sorte de fa- 
culté artificielle qui vient s^ ajouter et comme sHncorporer à la faculté 
native du langage. » 

— Quant à la question des n sciences », nous ferons seulement remar- 
quer que le système des études classiques, déjà miné profondément par 
l'envahissement du positivisme moderne que Ton retrouve et qui s'in- 
sinue partout, est encore menacé d'une éviction totale par l'intronisation 
dans les institutions d'instruction publique, c'est-à-dire dans les univer- 
sités, d'une nouvelle autorité dogmatique, d'une nouvelle Somme sco- 
lastique, en un mot du scientisme (1). 

Voici, en effet, ce qu'écrit M. Paul Janet (2), à propos du livre si 
remarquable de M. Liard. — De renseignement supérieur en France. 
1789-1889. — La nouvelle conception du rôle et de la fonction des uni- 
versités est « dominée par une pensée générale, par l'idée de l'unité 
des sciences, de leur hiérarchie, de leur coordination et de leur subordi- 
nation, de leurs applications; unité que l'enseignement doit reproduire 
dans ses cadres et dans ses méthodes... » M. Liard résume le rôle des 
universités en leur attribuant ce qu'il appelle trois ofGces : un ofQce in- 
tellectuel, un office économique et un office social. Tout enseignement 
secondaire ou primaire a sa source dans renseignement supérieur. Les 
dewv premiers ne sont que des agents de distribution et de canalisa- 
tion. L'enseignement supérieur est une source : tant il vaut, tant vaut le 
reste ; tant il débite, tant le reste distribue. Un second office de l'enseigne- 
ment supérieur c'est d'être, directement ou indirectement, agent et fac- 
teur de richesse. La science est aujourd'hui descendue du ciel sur la terre. 

(i) Ce qai confirmerait la remarque de Couraot : « Plus les sociétés rieillissent, plus elles se 
dépouillent des qualités qui leur appartenaient à titre d'organismes vivants, pour se rapprocher du 
genre de structure et se prêter au mode de perfectionnement que le mécanisme comporte. » — 
Cons...,i. Ily p. ai6. 

(a) Paul Janiet, VEnseiç, sup. en France. Reu. Bleue, 5 avril 1897. 


124 Introduction générale 


Elle ne reste pas confinée dans les laboratoires : elle a pour tributaires 
les usines, les champs eux-mêmes. Uue seule découverte peut transfor- 
mer l'organisation industrielle d'un pays. Enfin la science rend au pays 
des services d'ordre moral et social. La science est paix en môme temps 
qu'elle est vérité. C'est à la science qu'il appartient de maintenir dans la 
démocratie les hautes clartés de Tidéal sans lesquelles il n'y a ni gran- 
deur, ni honneur. » M. P. Janet ajoute : « Rien de plus vrai, pourvu tou- 
tefois que Ton n'entende pas exclusivement par science les sciences 
physiques et mathématiques, mais la vérité sous quelque forme qu'elle 
se présente : littéraire, scientifique, historique ou philosophique; mais il 
n'est pas douteux que l'auteur n'entende sa pensée dans ce sens large 
et élevé. » 

Voici d'ailleurs les propres paroles de M. Liard, tirées du chapitre de 
son ouvrage intitulé Théorie des Universités : « Au lieu d'isoler en soi 
l'enseignement primaire, les hommes d'État de la République ont pro- 
clamé sa liaison nécessaire avec l'instruction supérieure. Sans parler 
d'autres raisons, leur dévouement même h l'enseignement du peuple 
leur a fait comprendre qu'il ne peut être fécond qu'en relevant de quel- 
que chose de plus haut que lui et en s'y rattachant. Ils se sont rendus 
compte qu'il est un agent de distribution et non de création, une canali- 
sation et non une source ; que, réduit à lui-même, c'est toujours le même 
fonds qu'il distribue sans renouvellement, sans'développement, que pour 
participer aux progrès des connaissances, pour y faire participer la 
masse de la nation, il lui faut s'alimenter à la source vive des décou- 
vertes et des idées nouvelles. Or cette source, c'est surtout renseigne- 
ment supérieur avec ses hautes écoles, ses laboratoires, ses musées, ses 

collections, ses bibliothèques, ses ateliers savants Le second office 

des sciences, des sciences pures aussi bien que des sciences expérimen- 
tales, c'est d'être, à des degrés divers, tantôt directement, tantôt indi- 
rectement des facteurs de richesse, La science est aujourd'hui complè- 
tement descendue du ciel sur la terre et chaque jour elle y donne à tout. 


L'éducation^ Vinstruclion et renseignement 125 


à la matière brute et à la matière vivante, des formes et des valeurs 
nouvelles (1). » 


l'éducation, l'instruction et l'enseignement 


Notions préliminaires. — Notre constitution fondamentale, d'abord 
et essentiellement /^Ay^/o/o^^iyw^, c'est-à-dire animale, et déterminante 
de notre vitalité totale, se présente encore à notre conscience sous deux 
aspects caractéristiques de notre humanité, ou, ce qui revient au même, 
de notre ^oç\d\^\\\ik:Y un physiologique^ l'autre technologique. 

La sensibilité générale est ce qui caractérise essentiellement notre 
constitution psychologique : c'est parce que nous sentons que nous 
éprouvons^ et de là proviennent les émotions et les passions, et, pour 
un degré supérieur de conscience, les affections elles sentiments. 

La motilité générale est ce qui caractérise essentiellement notre cons- 
titution technologique : c'est parce que nous éprouvons quenous voulons 
et que nous agissons, et de là proviennent nos mouvements et nos 
actions et, pour un degré supérieur de conscience, nos volitions et nos 
résolutions. . 

Les organes de la sensibilité générale sont actionnés par la motilité 
générale; les organes de la motilité générale sont animés par la sensi- 
bilité générale, et celle-ci à son tour est excitée par la sensibilité spé- 
ciale, c'est-à-dire par les sensations qui mettent tout notre organisme 
en branle et, de par la loi des associations mentales (instinctives et 
organiques aussi bien qu'affectives et psychiques, ou que perceptives 
et techniques), éveillent tout un monde d'émotions, d'images et d'idées, 
d'oii procèdent, et sous l'empire de notre volonté, c'est-à-dire de notre 
conscience, nos sentiments, nos pensées et nos actes. 

(i) L. LiARD, De rensei^n. sup. en France, ijSg-iSSg, t. II, page 34a. 


126 


Introduction générale 


V'- 


C'est par la seosibilité, différenciée par les organes qui en dérivent 
sous l'impulsion de la motilité et tenue en haleine par les impressions 
physiques, que noas avons des sensations distinctes et d'aventure. Le 
nombre et la qualité de ces sensations, ondoyantes et diverses (telles 
que l'éclairage et la couleur, le son et le timbre, la dureté et la mollesse, 
le poli et le rugueux, le mat et le brillant, etc.)^ dépendent du nombre de 
nos organes des sens et du degré de leur acuité spécifique. 

C'est par la motilité, tenue en haleine par la sensibilité différenciée 
par sa qualité et son intensité, que nos perceptions s'organisent en fonc* 
tion du temps et de l'espace, de la durée et de l'étendue, du déplace^ 
ment et du mouvement. « Les objets de nos perceptions sont nos propres 
sensations », et ces perceptions, avec toutes les impressions qui s'y 
agrègent, « sont valides par tous les sens et pour tous les sujets perce- 
vants (1) ;>. Ces perceptions se rattachent au mouvement et leur orga- 
nisation est révélée à notre raison sous la forme de notions. C'est pour 
cela que nous les regardons comme nécessaires, fixes et permanentes : 
telles sont l'unité et la diversité, la durée et la vitesse, les distances et 
les dimensions, la direction et la situation, la figure et la forme, dont 
le syncrétisme forme le soutien ou le support, et comme l'ossature ou 
le squelette, la charpente ou l'armature, du contenu de toute notre pen- 
sée. Par les sensations seules, notre être sensible, et alori^ purement 
passif, ne peut sortir de lui-même et, n'ayant pas de conscience ou seu- 
lement une conscience obscure et vague, larvée, ne peut avoir aucune 
notion du monde extérieur, y compris son être propre, son support, 
« mon frère àne », comme dit saint Frangois d'Assise. Par la motilité, 
au contraire, notre être, plongé à tout instant dans le monde extérieur et 
se heurtant aux autres êtres y compris son propre animal, prend con- 
science de soi, en même temps que des autres ; il connaît et il juge 
ce qui est en dehors de lui et, par l'éducation, il apprend à mesurer 

(i) SpiR, Esquisse de Phit. crii, Paris, 1887, pp. 29-31. 




De ^éducation et de Vinstruction 127 

rétendue de ses facultés, il prend une conscience raisonnée de leurs 
limites, comme des conditions de ses propres pouvoirs. 

Telles sont les bases essentielles, organiques, constitutives de tout 
notre être et sur lesquelles évoluent les différentes formes de notre 
activité tant physique que mentale. De l'apprentissage comme de l'ou- 
tillage des facultés et des fonctions qui en procèdent résulte la première 
éducation à la fois organique, technique et psychique de ces facultés et 
de ces fonctions. Des diverses formes de cette première éducation et par 
leur fusion en chacun de nous, procède à son tour une éducation plus 
relevée, mise en forme par la culture et la discipline volontaires et par 
laquelle s'accomplit le plein et entier développement de notre person- 
nalité et de notre conscience, c'est-à-dire le complet épanouissement tant 
estliétique qu'intellectuel et moral de toute notre vie. 

De l'éducation et de t instruction. — « Tous les êtres doués de 
vie doivent les caractères et les aptitudes qui les distinguent individuel- 
lement, d'abord à leur constitution native, puis aux influences qu'ils ont 
reçues des milieux et des agents extérieurs, surtout dans le jeune âge 
et à l'époque de leur développement. C'est ce qu'on énonce en disant 
qu'ils tiennent leurs qualités en partie de la nature, en partie de Tédu- 
cation (1), et alors ce mot à! éducation est pris dans l'acception la plus 
large qu'il puisse comporter. Le mot est bien fait : il exprime bien que 
toutes les qualités acquises existent en germe ou en puissance dans les 
qualités natives ou innées; mais ce germe pourrait rester stérile, 

(i) a Ce qui est certain, c'est qu'indépcndammeat de réducation chacun de nous est affecté de 
dispositions hércdilaires. Mais ces dispositions ne se développent et n'arrivent à constituer une 
personnalité que par l'action d'un miKeu formé de personnes déjà constituées. Hors des appé- 
titsetdes intérêts purement animaux, la volonté n'est d'abord chez l'enfant qu'imitation et l'in- 
lelligeace crédulité. C'est grâce à soa instinct d'imitation qu'il apprend à formerdes sons articulés; 
c'est grâce à sa crédulité qu'il acquiert des idées. Toute la substance de sa pensée lui vient du 
dehors, et c'est merveille s'il arrive un jour à en modifier quelque peu l'arrangement. Cet ins- 
tinct d'imitation, cette crédulité, formss nécessaires et normales de l'activité puérile, restent les 
formes typiques de l'adulte. Quand nous abandonnons les convictions de notre jeunesse, c'est 
mille fois pour une en suivant un courant d'idées qui s'est formé quelque part hors de nous, dont 
nous ne connaissons pas mieux l'origine que nous n'en pouvons contrôler la vérité. Quelques- 
uns font la mode, les autres la suivent et la mode règne partout.... » — Ch. SscaÉTAXi, CivilUa" 
tion et Croyance, p. ii5. 


T^ 


128 Introduction générale 


cette puissance pourrait demeurer inerte, si les influences extérieures, 
si Téducation ne venaient développer le germe, stimuler, exciter les 
forces latentes et en tirer (educere) tout ce qu'elles contiennent vir- 
tuellement. » — CovR^OT y Des Inst , p. !• 

Dans les lignes qui suivent, Gournot retombe visiblement dans les 
errements de la pédagogie classique. L'ancienne psychologie, constituée 
sous l'empire exclusif du mode de conception de la Raison (p. 4) — et 
faisantune fois pour toutes abstraction de l'homme physique, c'est-à-dire 
do nos viscères, de nos muscles et de nos nerfs, pour ne plus avoir 
affaire qu'à l'homme métaphysique, — considère l'esprit comme distinct 
du corps ; elle en fait une entité intellectuelle agissante, douée de fa- 
cultés innées, lesquelles sont le tout de la vie esthétique, intellectuelle 
et morale de l'homme, et c*est à la culture directe de ces facultés que 
s'emploie la pédagogie classique. 

c( Soit que l'on assigne aux facultés intellectuelles de l'homme le 
premier rang ou seulement le second, il est bien clair que, pour rendre 
tout ce qu'elles peuvent rendre, elles ont besoin, plus encore que ses 
autres facultés, d'être perfectionnées par l'éducation. Or, quel pourrait 
être le moyen de façonner et de cultiver l'esprit qui ne fût pas en môme 
temps un moyen de l'instruire ? La véritable instruction, l'instruction 
méthodiquement donnée et reçue, et l'éducation intellectuelle ne sont 
qu'une même chose, quoique, dans la prodigieuse variété de choses qui 
peuvent être matière d'instruction utile, il y ait lieu de distinguer et de 
choisir de préférence, pour en faire l'objet de l'instruction pédagogique, 
de l'instruction dogmatique et régulière, celles qui se prêtent mieux 
que d'autres au but pratique do l'éducation des facultés intellectuelles.)) 
Cependant l'homme ne s'élève pas au-dessus de lui-même par le seul 
développement de ses facultés intellectuelles, il ne triomphe véritable- 
ment des fatalités de la nature comme des fatalités de la société (puis- 
sances qui l'enchaînent tour à tour et tout entier) que parce qu'étant à la 
fois corps, esprit et âme, il ne s'offre à lui d'autre alternative que de 


Les systèmes d* enseignement 129 


s'abandonner à ses seuls instincts ou d'en triompher, en les domptant par 
la culture et la discipline volontaires. C'est à quoi pourvoient et pour aider 
notre faiblesse originelle^ l'éducation, l'instruction et l'enseignement 
tant publics que privés. Leur syncrétisme puissant, en sauvegardant 
l'unité de notre vie, nous garantit seul son plein et entier développe- 
ment. Le devenir perpétuel du développement des possibilités indéfinies 
dont est capable l'humanité tout entière ne se révèle qu'accidentelle- 
ment et par parties, ainsi que nous le raconte l'histoire de la civilisation 
générale. Dès que l'on prend clairement conscience de ce fait, il est 
donc inévitable que, pour se reconnaître et prendre pied, l'on ne se fie 
qu'à un ordre de choses'établi, c'est-à-dire relativement stable ou qui a 
réussi, soit pour le dehors sous forme d'institutions, soit pour le dedans 
sous forme de doctrines. Or, ce que l'on a trouvé de mieux jusqu'à 
présent, ce qui parait le plus fixe et qui l'est en effet, autant du moins 
qu'on en puisse humainement juger» c'est ce qui dépend du développe- 
ment de la Raison, faculté intermédiaire et relativement invariable entre 
l'Intuition qui dépend de notre constitution physiologique incessam- 
ment mobile, c'est-à-dire vivante, et l'Intelligence, dont le développe- 
ment, qui s'appuie sur nos moyens et nos facultés rationnels, est inces- 
samment cultivable et perfectible, soit dans un sens particulièrement 
intellectuel et psychologique et relativement ou abstraitement indépen- 
dant, soit dans un sens matériel et technologique et dépendant à tout 
instant de l'accroissement de nos moyens d'étude et de manutention, 
auxquels préside la Raison. C'est la Raison qui retire du courant do la 
vie les formes de la pensée et de l'action, et leur assure, au moins pour 
un temps avec la fixité, une évidence unanime. 

Les systèmes d^ enseignement, — Sur la base première, fondamentale, 
et d'ailleurs tout individuelle de son organisation physiologique, c'est- 
à-dire animale, l'homme s'élève et grandit pour son rôle social par le 
développement simultané et concomittant de sa vie psychologique et de 
sa vie technologique; enfin, par lo plein développement de son âme et 

9 


130 Introduction générale 


SOUS Tempirc de la discipline volontaire, il triomphe des nécessités de la 
vie animale comme des contraintes de la vie sociale, il conquiert sa 
liberté. 

L'homme étant à la fois corps, esprit et âme, si donc il lui importo 
lie veiller aux soins de son corps comme au salut de son âme, qui, ve- 
nant de plus loin que lui ou de plus haut, ne lui appartiennent vérita- 
blement pas, il ne lui importo pas moins, sa vie durant et sous l'empire 
immédiat de l'organisation do la société dont il fait partie intégrante, 
« de se développer, de se perfectionner lui-même, d'instituer un arl, dos 
méthodes, des procédés à Taide desquels on mette chaque homme indi- 
viduellement à même de tirer le meilleur parti possible de ses instincts 
natifs, en développant les uns et réprimant les autres, et par l'action 
prolongée desquels les sociétés elles-mêmes aillent en se perfectionnant 
et en s' élevant, do manière que le perfectionnement du milieu social 
rende moins nécessaire ou plus facile l'action deTéducation individuelle. 
Quand on parle d'éducation, sans déterminer autrement l'acception du 
mot, on entend parler de l'éducation en général : et dès lors Ton com- 
prend que le sujet aura deux faces, que le but changera et que l'art se 
transformera, suivant que l'on aura plus particulièrement en vue l'édu- 
cation individuelle ou l'action que les institutions fondées par les lois, 
que les pratiques générales amenées par l'étal des croyances et des mœurs 
exercent sur Téducation publique... Quand il s'agit de Thomme et de la 
société, il y a non pas identité, mais liaison intime entre Tidée de Védu^ 
cation et celle d'e;«5/rwc//o/î, entre les institutions d'instruction publique 
et celles d'éducation publique >;. — Couiinot, Des Inst.^ p. 3. 

Abandonnant ici, et à de plus compétents, l'examen de l'action géné- 
rale qu'exercent les institutions d'instruction publique et celles d'édu- 
cation publique, nous n'envisagerons le problème que sous sa première 
face, à savoir ce qui importe à Téducation individuelle, et dont cha- 
cun étant, et dans ce cas, â la fois juge et partie, en peut connaître. 
D'ailleurs, et quoi qu'il en soit) puisque tout ce qui regarde l'éduca- 


' 


Les systèmes d* enseignement 131 


lion et rinstruclion se concentre, en définitive, dans un système 
d'enseignement et que « renseignement est un art en même temps 
qu'une science )) : « un art dont la souplesse doit se prêter aux be- 
soins les plus imprévus et diriger l'élève en le suivant (1), » une 
science dont la véracité doit assurer et garantir les fondements mêmes 
du système^ c'est donc, et avant tout, sur ces fondements que repose 
toute l'efficacité de l'éducation et de l'instruction. Ces fondements une fois 
bien assurésje reste n'est plus qu'une affaire d'art ou d'industrie, c'est- 
à-dire d'accommodation pratique avec les convenances et les possibilités 
sociales, variables elles-mêmes avec les exigences des préjugés ou de 
Topinion publique. Or, et considérant la science de l'enseignement 
comme toute faite, établie n'importe comment, mais régulièrement insti- 
tuée, on peut s'y tenir, l'envisager seulement quant à son organisation 
logique et didactique et c'est la voie naturellement suivie dans la prati- 
que efTective; ou bien, au contraire, et en remontant des conséquences 
aux principes, s'efforcer de bien démêler ceux-ci, et, par la critique 
philosophique, se rendre un compte exact de la validité de leurs fonde- 
ments (2). Et cela peut conduire, un jour ou l'autre, à remanier tout le 
système, sans d'ailleurs en changer les grandes lignes. 
— Le système d'enseignement général, tel qu'il est organisé chez 

r 

nous, comprend trois degrés ou stades successifs : l'enseignement élé- 
mentaire ou primaire, l'enseignement secondaire ou classique et, enfin, 
l'enseignement supérieur, spécial ou professionnel. L'enseignement 
supérieur suppose acquis les deux autres. L'enseignement secondaire, 

(i) 0. Gréard, ^rfuc. et Inst.t I, p. 5a. 

(3) • Il suffit, pour l'ordre logique, que toutes les propositions s'eochaiaent rigoureusement ; et 
comme coodilion de la perfection de cet ordre, on pourrait se proposer de réduire au minimum le 
nombre des anneaux de la chaîne. Pour la perfection de Tordre didactique, il convient certaine- 
ment de s*cle ver par degrés, des conceptions moins abstraites aux conceplions plus abstraites. 
Mais quand une fois les faits ont été conçus et lo^i({ucment assemblés, n'importe comment, il faut, 
pour la perfection de Tordre philosophique, ou pour celle de Tidée qu'on doit se faire du sys- 
tème de la science et delà subordination de ses parties, aller tout d'abord aux faits les plus gé- 
néraux, qui contiennent la raison des faits particuliers et de leurs connexions diverses i> — Cour- 
NOT, Delà corresp.,p. i85. 


\ 


i32 Introduction générale 


qui plonge ses racines dans l'enseignement primaire^ conduit d'une part 
à renseignement supérieur, mais d'autre part, et parce qu'il offre ce 
caractère particulier d'être organisé pour la culture de nos facultés, tant 
intellectuelles que morales et esthétiques, il se suffit à lui-même et est 
achevé en soi. L'enseignement secondaire embrasse alors l'instruction 
dite classique, a ce que les anciens entendaient par humanités et ce que 
nous nommons encore Véducation libérale^ qui se distingue à la fois 
d'une instruction plus élémentaire et plus générale, et d'une autre 
instruction réputée supérieure^ laquelle s'adresse à un âge plus avancé 
et à des catégories plus restreintes d'étudiants qui ont en vue une 
profession ou une carrière déterminée ». L'enseignement secondaire, 
et parce qu'il est classique, n'est donc pas seulement et logiquement 
intermédiaire aux deux autres, mais humainement, architectoniquement 
on pourrait dire, complémentaire des deux autres. Par le choix qu'il 
fait de ses matières relativement fixes, ou tout au moins exemplaires 
et consacrées par le degré moyen et classique de leur culture, à savoir 
les langues mortes, les doctrines littéraires et scientifiques établies et 
les grands événements de l'histoire reconnus par tous, l'enseignement 
classique donne une base ferme, un appui solide à la culture de nos 
facultés esthétiques par l'imitation systématique des chefs-d'œuvre de 
la littérature, de l'art et de la science. Tandis que, à bien prendre, l'ins- 
truction primaire et l'instruction supérieure, à n'envisager d'ailleurs 
que leur contenu, non leur forme, évoluent à la suite l'une de l'autre 
et se font suite naturellement et sans hiatus. 

— Si nous rapportons ce système aux trois modes de conception 
fondamentaux et qui prédominent tour à tour, à savoir : l'Intuition, la 
Raison, l'Intelligence, nous reconnaîtrons qu'au mode intermédiaire de 
la Raison répond exactement le stade de l'instruction classique qui sert 
à la fois de matière et d'instrument pour la culture de nos facultés tant 
esthétiques que morales et intellectuelles et par laquelle nous acquérons, 
le sentiment, c'est-à-dire l'intuition des beautés comme la connaissance, 




Les systèmes d'enseignement 133 


c'est-à-dîre l'intelligence, des chefs-d'œuvre de la littérature, de Part et 
de la science. 

Maintenant rinstruction élémentaire et l'instruction supérieure répon- 
dent-elles respectivement aux modes de conception de l'Intuition et 
de l'Intelligence? A cette question, on peut répondre non, si Ton consi- 
dère l'enseignement primaire et renseignement supérieur tels qu'ils ont 
été institués en imitation du système de l'enseignement classique, c'est- 
à-dire conformément au mode intermédiaire de la Raison; mais il faut 
répondre oui, si Ton va au fond des choses, à la part d'acquisition cer- 
taine et véritablement à nous incorporée qu'impliquent ces deux modes 
d'enseignement. C'est qu'en cela comme en beaucoup d'autres choses, il 
faut toujours distinguer le fond et la forme, c'est-à-dire la matière pre- 
mière et le système qui l'organise en la mettant en forme. Or, le propre 
du génie moderne, tel qu'il évolue actuellement, c'est de pénétrer de 
plus en plus au fond des choses, de dépasser en deçà et au delà, les véri- 
tés moyennes et, en définitive, d'étendre nos facultés de connaître eu 
accroissant simultanément et hors de toute proportion avec le passé la 
masse de nos connaissances. « Même pour les sciences, s'earichir n'est 
pas toujours se perfectionner, » dit Cournot; il s'ensuit donc et momen- 
tanément une rupture d'équilibre dans l'architectonique delà raison telle 
que nous la concevons selon la tradition classique: «Trop d'idées et trop 
peu d'idées nuisent également à l'abondance, à la pompe, à la solen- 
nité, à l'harmonie du langage, » dit encore Cournot. Mais l'intuition et 
l'intelligence s'en rehaussent d'autant, et vont obliger la raison et son 
œuvre à se transformer, pour se prêter avec plus d'étendue et de sou- 
plesse à une architectonique nouvelle. 

— En résumé, il faut distinguer dans l'éducation générale, c'est-à-dire 
dans l'éducation qui nous accompagne toute notre vie et qui seule nous 
garantit l'entier développement comme le plein exercice de nos facultés 
et de nos pouvoirs de tout genre : 1® l'éducation de l'Intuition; 2*^ l'é- 
ducation de la Raison; 3** enfin, l'éducation de l'Intelligence (p. 34). 


134 Introduction générale 


I. — L'éducation de Tlntuition, base essentielle, organique, de toute 
éducation ultérieure, comprend : 

1* — L'éducation instinctive et organique, c'est-à-dire physiologique; 

2^ — L'éducation affective et psychique, c'est-à-dire psychologique; 

3° — L'éducation perceptive et technique, c'est-à-dire technologique. 

IL — L'éducation de la Raison s'appuie sur l'expérience régulière- 
mont organisée, c'est-à-dire pourvue do tous ses moyens d'expression; 
elle implique : 

i« — L'éducation discursive et logique, par le moyen et sur l'appui 
des formes analytiques du langage général (1); 

2^ — L'éducation impérative et symbolique, par le moyen et sur l'ap- 
pui des signes d'institution régulièrement organisés; 

3® — L'éducation constructive et statique par le moyen et sur l'appui 
des formes synthétiques du langage général. 

in. — L'éducation de Tlntelligence, dont le but essentiel, et tout phi- 
losophique alors, « est de bien distinguer, dans les idées que nous nous 
faisons des choses, ce qui appartient aux choses mêmes, de ce qui n'ap- 
partient qu'à la manière dont nous pouvons et voulons les envisager (2), » 
a pour objet fondamental la culture do nos facultés supérieures par 
laquelle nous acquérons la pleine conscience des moyens et des fins et 
le sens de leur accommodation mutuelle. L'éducation de l'InteHigence 
implique : 

1° — L'éducation compréhensive et dialectique; 

2° — L'éducation opérative et mécanique; 

3<* — L'éducation distributive et architectonique. 

— Le but que se propose tout enseignement en général est d'organiser 
en nous un certain nombre de procédés mnémoniques, à la fois phsy- 
chologiques et technologiques, à l'aide desquels nous pouvons à volonté 
rejoindre le contenu mental de tout notre être, et, en l'exprimant, établir 

(i) G.-J. Romanes. L'évolution mentale, etc. Paris, 1891, pp. 85 et suivantes. 

(2) B£RTRAND (dc GcnèTC), />^y. nouv, de la part. élém. des Mathém., 1778, ch. I, n* 5. 


Les systèmes d^ enseignement 135 


une communication constante et régfulicre avec nos semblables. Simul- 
tanément, renseignement se propose encore de nous endoctriner, c'est- 
à-dire de nous pourvoir des meilleures solutions (solutions classiques 
alors), de tous les problèmes que se pose constamment l'esprit humain; 
afin qu'elles nous puissent servir dorénavant de guides ou de modèles 
exemplaires. Mais, comme il est clair que ce second objet n'est possi- 
ble ou réalisable qu'après l'accomplissement du premier; que, dans tous 
les cas, les solutions classiques, héritées nécessairement d'une civilisa- 
tion antérieure, c'est-à-dire d'une tradition historique, sont toujours et 
au cours du temps sujettes à revision, il est dès lors évident que l'ob- 
jet essentiel do l'enseignement consiste toujours, et au demeurant, à 
nous initier par l'apprentissage, l'exercice et la discipline, à l'acquisi- 
tion comme au maniement ou à l'usage des signes d'institution ou de ces 
instruments artificiels <c préliminaires indispensables de tous les travaux 
intellectuels » à l'aide desquels nous nous rendons compte à nous- 
mêmes et nous rendons compte aux autres des sentiments, des pensées 
et des émotions qui i^ous hantent et nous agitent les uns et les autres. 
Mais cola n'est encore qu'un côté de la question : notre activité n'est 
pas seulement intellectuelle et psychique, elle est encore manuelle et 
technique; nous n'éprouvons pas seulement, mais nous agissons, nous 
réalisons, nous ouvrons; et de là aussi toute une éducation technique 
ou de la motilité, indispensable complément de l'éducation psychique 
ou de la sensibilité. 

Ces deux éducations, l'une affective et psychique, l'autre perceptive 
et technique, dont le développement en chacun de nous va toujours en 
progressant de plus en plus dans les stades successifs de la Raison et 
de rintelligence, sont, à l'origine, étroitement solidaires l'une de l'autre 
dans l'unité de notre constitution physiologique. Incessamment contrô- 
lées l'une par l'autre et par le développement simultané de la raison ou 
de l'entendement qui se traduit par la parole, elles sont reliées l'une à 
l'autre et dans leur réalisation effective par l'intermédiaire du fonction- 


136 Introduction générale 


nement des sens, du fact et particulièrement de la main, organe par 
excellence du toucher actif et distinctif. L'amplitude et le jeu des mou- 
vements de la main sont extrêmes, puisqu'ils s'étendent à volonté en 
se graduant par en haut, sur notre déambulation générale et par l'intermé- 
diaire de nos jambes; puis dans la station de notre corps, par les mouve- 
ments du tronc auquel se rattachent successivement les mouvements du 
bras, de Tavant-bras et du poignet. A partir de ce point et par en bas, 
les mouvements de lamain se subdivisent successivement par le mouve- 
ment des doigts, puis par le mouvement de leurs articulationsct enfin, terme 
final, ils trouvent leur limite dans la sensibilité extrême de leurs extrémi- 
tés. Tous ces mouvements se coordonnent les uns avecles autres en prenant 
appui les uns sur les autres et tous ensemble sur le squelette matériel; 
finalement, pour l'extrémité des doigts et à cause de leur sensibilité vive 
et fragile, sur un appui extérieur,sur un objet matériel, un 02/^e7 comme, 
par exemple, le pinceau, la plume ou le crayon. De l'éducation des 
mouvements de la main, comme de la discipline volontaire qui préside 
à la tension comme à la détente, c'est-à-dire à l'économie de l'action 
musculaire qui les accompagne, résultent les possibilités mécaniques 
de toute éducation mimique et technique et, par contre-coup, les possi- 
bilités intellectuelles et psychiques de toute éducation technologique 
ou psychologique conjointes et solidaires Tune de Tautre dans l'unité 
de notre plein développement esthétique et architectonique. 


l'enseignement primaire 

— De V objet et du but de renseignement primaire. — L'enseigne- 
ment primaire peut être envisagé sous deux aspects entièrement diffé- 
rents. Le premier, conforme au préjugé classique, considère l'enseigne- 
ment primaire comme établi à titre d'institution d'instruction publique, 
et ne l'envisage plus que sous le rapport de l'adaptation plus ou moins 


L'enseignement primaire 137 


régulière de ses moyens à ses fins : fins d'ailleurs essenliellemcnt politi- 
ques et gouvernementales. D'où vient que Cournot fait là-dessus les 
réflexions suivantes : 

« Tout en reconnaissant les avantages de l'instruction primaire, on 
ne doit pourtant pas les exagérer. Puisqu'elle est tenue à se prêter à 
une transmission mécanique, il faut bien reconnaître qu'elle ne développe 
directement ni l'imagination, ni le sens moral, ni le patriotisme, ni le 
sentiment religieux. Elle habitue l'enfant à la discipline, à la règle, à 
la société de ses égaux, elle le soustrait souvent aux dangers de l'oisi- 
veté et du vagabondage, et aux exemples pernicieux qu'il trouverait 
dans sa famille; mais, d'un autre côté, elle le prépare à lire et à goûter, 
dans l'âge des passions, tous les écrits dangereux qui peuvent flatter ses 
convoitises, en lui inspirant la hainedes classes supérieures et le mépris 
des traditions sur l'autorité desquelles repose en grande partie la hié- 
rarchie sociale. Elle fortifie peut-être ou fortifiera l'organisation de la 
société sur les bases qu'on appelle logiques, c'est-à-dire sur la connais- 
sance raisonnée d'un mécanisme nécessaire; mais à coup sûr elle ne 
peut pas accroître la partqui revient, dans l'organisation de la société, 
à une autorité traditionnelle. En définitive, il n'y a que Texpérience qui 
puisse prononcer sur les résultats que doivent amener la diffusion et la 
généralisation, de l'instruction primaire ; et il faut pour cela une expé- 
rience longtemps soutenue, faite dans des conditions très variées, de 
manière à dégager, mieux qu'on ne l'a pu faire dans les temps très 
agités où nous vivons, la part qui revient à la cause que Ton veut 
étudier, et la part qui doit être mise sur le compte des causes concomi- 
tantes. 

« Ce n'est là d'ailleurs qu'un problème de curiosité philosophique : 
chaque siècle a ses tendances irrésistibles qu'il n'est guère plus aisé do 
combattre avec des arguments qu'avec des mouvements oratoires. Dans 
un temps où Ton ne conçoit pas queles institutions puissent se justifier 
par d'autres raisons que celles qui sont tirées de l'avantage du plus grand 


138 Introduction générale 


nombre des membres de la sociëlé, en quelque rang que la Providence 
les ait fait naître, est-il possible de refuser à la multitude la jouis- 
sance d'une faf*ulté ou d'un orp^ane dont on ne saurait dire autre chose, 
sinon qu'on en peut user et abuser comme des autres dons de Dieu ? 
Fit si l'on ne peut pas l'en priver systématiquement, il devient tout 
aussi impossible de ne pas favoriser des institutions qui tendent à géné- 
raliser l'acquisition de cet organe artificiel dont la privation constitue 
l'inégalité la plus sensible entre les personnes, au sein d'une société 
d'où l'esclavage et le servage ont disparu. 

« Il faut donc accepter, même avec les dangers qu'elles recèlent peut- 
être dans leurs flancs, les institutions qui ont pour but de généraliser et 
défaire pénétrerpartout Tinstruction primaire. Ces institutions ont pris 
une grande place dans la civilisation européenne depuis quarante ans : 
elles en prendront encore davantage par la suite ; et l'on ne doit pas 
craindre d'affirmer qu'elles finiront toujours par renverser les digues 
dans lesquelles on aurait voulu passagèrement les contenir, à la suite 
des réactions de l'opinion et des tourmentes politiques. » 

— D'ailleurs le développement de pareilles institutions se justifierait 
encore assez si l'on veut bien réfléchir à cette parole de Ch. Secrétan : 
« La richesse de l'ensemble est formée par les apports de chacun; plus 
chacun possède, plus il contribue, et plus il donne plus il s'enrichit. » 
Mais comment enrichir chacun, et partant comment accroître la richesse 
de l'ensemble quand l'instruction et l'enseignement, comme il arrive 
d'ordinaire, ne se composent que de généralités vaguement encyclopé- 
diques, de notions purement verbales, éphémères et fugitives comme 
la parole qui les communique; quand V éducation nécessaire à l'acqui- 
sition des connaissances véritables, à leur vérification permanente et à 
leur emploi journalier fait généralement défaut? Or, et étant donné le 
syncrétisme de notre constitution organique fondamentale, simultané- 
ment mais aussi séparément, physiologique, psychologique et techno- 
logique, la véritable éducation doit avoir essentiellement pour objet de 


L'enseignement primaire 139 


conditionner, en l'armant et en la disciplinant, l'activité tant physique 
que mentale et morale de tout notre être. Entre Téducation puérile, dé- 
volue à la famille, et par laquelle Tenfant, entre autres choses, apprend 
d'abord à articuler les mots de sa langue maternelle, et l'éducation 
adulte, professionnelle, qui s'acquiert en permanence au sein des acti- 
vités spéciales et journalières qui concourent à l'activité générale de la 
société, s'interpose l'éducation par l'école. C'est par l'école que nous 
acquérons des idées, c'est par l'école aussi, et simultanément, que nous 
nous incorporons le mécanisme de leurs moyens d'expression^ c'est-à- 
dire les signes d'institution qui les représentent. « A la nécessité de don- 
ner un corps à l'idée, par l'emploi d'images sensibles, — et parce que 
l'esprit humain n*est pas une intelligence pure, mais une intelligence 
fonctionnant à l'aide d'appareils organiques; parce que la vie intellec- 
tuelle est dans l'homme étroitement unie à une nature animale d'où elle 
tire ce qui doit la nourrir et la fortifier — tient la nécessité des signes 
d'institution, qui jouent un si grand rôle dans le développement de l'es- 
prit humain..., nous pouvons remarquer que l'impression sensible des 
sons de la voix articulée ou des caractères de la parole écrite s'émousse 
d'autant plus par l'habitude^ et par conséquent dérobe à Tidée une part 
d'autant moindre de l'attention, que la langue parlée ou écrite nous 
devient plus familière, sans que jamais l'idée puisse se passer tout à fait 
du support de l'impression sensible, même lorsque nous ne nous servons 
du langage que pour converser avec nous-mêmes et pour le besoin de 
nos méditations solitaires.» (Cournot, i^^^ae..., I, H2.) Cette dernière 
remarque de Cournotnous explique comment, à mesure des progrès dans 
l'ordre de l'abstraction métaphysique ou de la poursuite des idées pures, 
résultatultime de tous les travaux intellectuels accumulés par des géné- 
rations sans nombre, les esprits spéculatifs se donnent volontiers l'illu- 
sion de réduire à rien ou à presque rien la part des signes d'institution, 
et, puisque seuls ils en peuvent discourir, de posséder en eux-mêmes 
toute vérité. Ces intellectuels demeurent ainsi complètement étrangers 




140 Introduction générale 


au peuple qui ne peut les comprendre et qui continue tout naturellement 
et comme d'instinct à porter toute sa dévotion, toute sa crédulité au 
seul signe extérieur, au seul objet sensible et tangible. 

— Envisagé sous le second aspect, conforme aux exigences de l'es- 
prit philosophique — qui considère renseignement primaire en soi, 
non quant à sa forme administrative et politique, c'est-à-dire coutu- 
mière et contingente; mais exclusivement quant à sa matière^ c'est-à- 
dire quant à la nature propre de son contenu positif et substantiel — et 
sur lequel peuvent se rallier tous les esprits à quelque confession qu'ils 
appartiennent, voici ce que dit Cournot : 

« On s'accorde à regarder comme faisant le fond de l'instruction pri- 
maire : la lecture, l'écriture et les premiers éléments du calcul. Or, il n'a 
pas fallu moins que tous les progrès de la civilisation pour que Ton pût 
concevoir l'idée d'initier tous les hommes, sans exception ou sauf de 
rares exceptions, à ces connaissances qui sont le préliminaire indispen- 
sable de tous les travaux intellectuels, et qui ont aussi, en elles-mêmes, 
une utilité des plus évidentes^ puisqu'elles dotent^l'homme d'une sorte de 
faculté artificielle qui vient s'ajouter et comme s'incorporer à la facullé 
native du langage. Là où il n'y a pas d'écriture alphabétique, les indivi- 
dus peuvent Jaire plus ou moins de progrès [dans la connaissance des 
caractères ; mais le peuple ne peut pas, à la rigueur, apprendre à lire, et le 
champ de l'instruction primaire ne saurait être rigoureusement défini. Il 
en était de même, jusqu'à un certain point, chez les peuples de l'antiquité 
classique, qui payaient fort cher de mauvais manuscrits incommodes, 
sans ponctuation régulière, d'un déchiffrement difficile, même pour les 
grammairiens de profession, ainsi que nous rapprennent plusieurs pas- 
sages des écrivains anciens, notamment d'Aulu-Gelle. Encore aujour- 
d'hui, chez les musulmans, qui préfèrent les manuscrits aux imprimés, 
et qui n'ont pas une ponctuation bien fixe, il n'est pas rare que l'on 
sache lire telle sorte de livres et non pas telle autre. Il fallait donc que 
l'on eût inventé, outre un alphabet et une ponctuation systématiques. 


Renseignement primaire 141 


une matière peu coûteuse comme le papier, et un art comme celui de la 
typographie, qui donne aux caractères une forme nettement arrêtée, 
en même temps qu'il abaisse prodigieusement le prix des livres, surtout 
des livres d'école, pour qu'il y eût matière à ce que nous nommons 
aujourd'hui l'instruction primaire. 

(( Si l'on veut que l'instruction primaire s'adresse à toutes les classes 
de la population, il faut en outre que cette instruction, par la précision 
de son but, se prête à une sorte de transmission mécanique qui permette 
à un maître unique, souvent très peu instruit lui-même, de diriger d'une 
manière utile l'enseignement d'un grand nombre d'élèves confiés à ses 
soins. Il en faut conclure que l'étude d'une langue, même de la langue 
maternelle, en tant que cette étude dépasse les règles susceptibles d'une 
formule précise, ne saurait faire partie de l'instruction primaire; et il en 
faut dire autant des éléments des sciences, même des éléments du 
calcul, dès qu'on a la prétention d'y faire entrer le raisonnement et de 
ne pas se contenter de règles mnémoniques. 

« Le chant, le dessin linéaire réduit à ses éléments pourraient aussi 
faire partie de l'instruction primaire, tandis que les arts de la musique 
et du dessin d'imitation rentrent dans l'instruction secondaire. 

« Nous avons défini l'instruction primaire, celle qui donne à toutes 
les classes de la population un organe, une faculté jugée indispensable 
à tous dans l'état présent de la civilisation, celle qui se prête à une trans- 
mission quasi-mécanique, et qui, par là même, n'exerce pas une influence 
immédiate et directe sur la culture des autres facultés intellectuelles et 
morales. Quand cette limite est dépassée, on entre dans le domaine de 
l'instruction secondaire, ou, si Ton veut, dans le domaine d'une instruc- 
tion intermédiaire où l'on ne peut plus trouver de ligne de démarcation 
tranchée, en se fondant uniquement sur la nature de l'instruction 
donnée. » 

— L'éducation et renseignement primaires, — « Le rôle du mécanisme 
dans le monde est aussi universel qu'absolument subalterne, » dit un 


142 Introduction générale 


philosophe allemand, H. Lot2e {Mi/erokosmus, I) et c'est à nous libérer 
de l'acquisition comme de l'organisation en nous de tous les mécanis- 
mes nécessaires, — « préliminaires indispensables de tous les travaux 
intellectuels et manuels, » — que s'emploie la première éducation, c'est- 
à-dire l'éducation véritablement primaire. 

« C'est parce que le corps est une machine que l'éducation est possi- 
ble. L'éducation consiste à former des habitudes, à surchargerd'une orga- 
nisation artiRcielle l'organisation naturelle du corps, de façon que des 
actes demandant d'abord un effort conscientfinissent par devenirincon- 
scients et s'eflectuent machinalement. Si l'acte qui demandait d'abord la 
connaissance distincte et la volition de tous ses détails nécessita-it tou- 
joursle même déploiement d'efforts, » ceseraittoujours à recommencer 
et « l'éducation deviendrait impossible ». — Huxley, /e^s Sciences natu- 
relles et réducation. Paris, 1891. Sur le Discours de laméthode^ p. 23. 

Donc quelque chose demeure acquis et se consolide en nous jusqu'à 
nous être véritablement incorporé et ce n'est rien de moins que la 
mémoire et l'habitude. D'abord inconscientes et désordonnées quant à 
leur contenu effectif, tout accidentel pour chacun de nous, la mémoire 
et l'habitude se régularisent par l'éducation, c'est-à-dire par la discipline 
volontaire. Chaque acte, chaque mouvement, pour être appris jusqu'à 
pouvoir devenir machinal et inconscient,en d'autres termes pour devenir 
véritablement organique, doit avoir commencé par être conscient et 
volontaire. Quandla volonté est faible, cequi arrivepour chacun de nous 
au début, il la faut soutenir en amenant cette volonté à se subordonner 
à une volonté supérieure qui, par la persuasion et au besoin par la con- 
trainte, nous prescrit d'obéir et de nous soumettre en vue d'un bien éloi- 
gné, mais certain. Telle est la mission particulière, essentielle, dévolue 
à la famille, à l'école et à l'atelier. 

— Après la lecture et l'écriture do la langue maternelle (1), qui for- 

(i) et du lalin : a.... connattre les lettres et sonneries syllabes, lire en latin et môme en fran 
çais... A noter cette lecture latine avant la lecture française pour s*assurer que Tenfant ne devine 


L'enseignement primaire 143 

ment la base de l'enseignement rudimenlaire à donner aux enfants, 
viennent ensuite et simultanément les enseignements de l'arithmétique, 
de la graphique et du solfège, qui forment la base essentielle et pri- 
mordiale de tout véritable enseignement primaire. 

I. — U Arithmétique^ — c'est-à-dire l'enseignement de la numéra- 
tion parlée et écrite, et des premiers éléments du calcul. En tant que 
parlée la numération se rattache directement à la langue courante. En 
tant qu'écrite, la numération constitue le premier exemple de notation 
systématique et régulière (1), c'est-à-dire « un instrument de recherches, 
de combinaisons et de preuves » d'où procèdent les opérations fonda- 
mentales du calcul numérique dont l'exposition raisonnée fait l'objet de 
renseignement d'une arithmétique élémentaire appropriée aux besoins 
du commerce et de la vie civile. 

II, — La Graphique, — L'enseignement de la graphique se propose : 
l'de nous inilier par l'esprit au monde des figures, comme l'arithmé- 
tique nous initie au monde des nombres; 2^ de régler pratiquement, en 
prenant appui sur la doctrine des figures, la méthode à suivre pour leur 
acquisition, commepour leur apprentissage ou leur maniement; 3° enfin, 
et par surcroît, de pourvoir, par suite des exercices manuels qui s'ensui- 
vent, à l'éducation technique élémentaire et simultanée de l'œil, de l'es- 
prit et de la main. Cette éducation primaire accomplie, il en résulte, et 
dès le plus jeune âge, que les obstacles signalés(p. 87) àpropos de l'ap- 
prentissage du dessin proprement dit, qui doit donner accès à la pratique 
des beaux-arts, se trouvent écartés du même coup et cela de la manière la 
plus naturelle du monde, la plus intéressante aussi, puisque, en outre 
de la technique manuelle et purement mécanique de. l'art de graphier 
comme de l'art de dessiner, on y gagne encore la connaissance du monde 

pas le mol, mais le lit méthodiquement. ■ — P.-II. Cuérot, Une proch. canonis. in Etudes.. S. J 
ao avril 1S97. 

(1) a Quel<iues irrcgularités dans notre numération parlée n'ont point d'inconvénients apprécia 
bles : les mêmes irrég^ularités dans notre numération écrite en auraient d'énormes. » -=^ Courmot 
Gons., t. II, p. i5. 


144 Introduction générale 


des figures. Celte dernière connaissance constitue, au premier chef, une 
acquisition positive et de grand secours pour Tintelligence comme pour 
la pratique effective des arts d'industrie, de rarchitecture et des arts 
d'ornement. 

III. — Le Solfège (1). — L'étude du solfège ne conduit pas seule- 
ment .à lire et écrire la musique^ mais elle forme encore la base fonda- 
mentale et primaire de toute éducation musicale ultérieure. « L'étude 
du solfège estlabase de toute éducation musicale : développant Toreille, 
exerçant l'intelligence, elle est indispensable pour ouvrir Tesprit aux 
beautés esthétiques de la musique et pour former ainsi des êtres humains 
complets et accessibles à toutes les manifestations de l'art. » — E. Jacqlës- 
Delcroze, Jour, de Genève^ 18 août 1894. — « Nous avons constaté, en 
commençant, que^ dans toute étude, soit philosophique, soit mathéma- 
tique, soit linguistique — ou simplement musicale — il faut toujours 
débuter par apprendre : 

« Tout d'abord, les idées ou objets*; 

« Puis, les noms ou appellations qu'on leur a donnés ; 

« Et enfin, les signes par lesquels on est convenu de les représenter. 

(( Personne n'ira, pensons-nous, contre cette méthode d'assimilation, 
élémentaire et primordiale, et d'une évidence au sujet de laquelle il est 
inutile d'insister. — Il est Aoncde laplus absolue nécessité de l'appliquer, 
d'abord et avant toute chose. » — A. Loqun, VEns. prim. de la mus,^ 
Paris, 1885. 

— L'arithmétique et lagraphique,en se fusionnant dans la métrologie, 
donnent naissance à la logistique, puis aux reprises de la géométrie et 
de l'algèbre, et, par suite, à tous les développements que comporte le 
système général des mathématiques pures et appliquées. 

(i) Ou la solmiqiie ou la sonnique^ si le sentiment d'une certaine symétrie qui n'est pas seule- 
ment dans la désinence des mots, mais qui, à ce que nous croyons, est aussi au fond des choses, 
du moins à les entendre du point de vue alphabétique et (jrammatical, suffisait à justifier l'em- 
ploi de l'un ou de l'autre de ces néologismes. Le solfège est aux arts de la musique ce que la 
graphique est aux arts du dessin ou aux beaux-arts . 


L* enseignement primaire 145 


La graphique et le solfège forment la base éa^ite^ c'est-à-dire abstraite 
et purement intelligibie, qui se retrouve.sous tous les développements 
positifs et sensibles, c'est-à-dire autonomes et esthétiques, dont l'en- 
semble constitue le système général des beaux-arts. 

Tout le surplus de l'enseignement primaire usuel, c'est-à-dire l'en- 
seignement élémentaire de la grammaire et de la littérature, de l'his- 
toire et de la géographie, des sciences physiques et naturelles, des ma- 
thématiques pures et appliquées, de l'arpentage et du système métrique, 
du dessin géométrique et du dessin d'imitation, de la musique vocale et 
instrumentale, etc., dont les développements sont indéfinis et toujours en 
voie d'accroissement ou de remaniement; dont le choix et le dosage, 
toujours plus ou moins parcimonieux pour répondre aux besoins de 
l'école, sont nécessairement arbitraires ou tout au moins empiriques, 
est secondaire. 

— « Dans l'arithmétique ordinaire, telle qu'on l'enseigne et qu'on 
doit l'enseigner aux commençants, se trouvent continuellement mélan- 
gées des règles et des théories qui n'ont ni la même valeur, ni la mémo 
origine : les unes portant sur les propriétés essentielles et absolues des 
nombres; les autres se référant à la loi des signes artificiels auxquels 
nous avons recours pour représenter les nombres. Cette confusion, qui 
ne gène pas l'exposition didactique, doit être signalée dans l'exposition 
philosophique dont le but, comme l'a parfaitement exprimé Bertrand 
de Genève (p.l34)(( est de bien distinguer, dans les idées que nous nous 
faisons des choses, ce qui appartient aux choses mêmes, de ce qui n'ap- 
partient qu'à la manière dont nous pouvons et voulons les envisager. » 

9 

— CouRNOT,Z)e C origine...^ p. 12. 

Par analogie on étendrait facilement ces remarques à la géométrie 
usuelle telle qu'on l'enseigne d'ordinaire. Cependant, une différence 
capitale s'impose et ne doit pas être perdue de vue : <( L'arithmétique 
usuelle est plutôt une recette qu'une science, elle consiste en procédés 
dont le choix des notations fait tout le mérite. Que si l'on veut passer à 

10 


1 


i^Q Introduction générale 


cotte arithmétique supérieure qui traite des propriétés essentielles des 
nombres, indépendamment de tout système artificiel de numération, on 
rencontre promptement des difficultés qui arrêtent les esprits les plus 
sagaces. En géométrie, au contraire, des combinaisons bien plus varices 
aident au progrès continu de la science, en proportionnant toujours les 
difficultés à vaincre aux forces acquises et en fournissant, pour ainsi 
dire, à chaque esprit sa pâture. De plus, le signe qui doit, comme tou- 
jours> venir en aide à l'esprit dans son travail, est tout trouvé : car ce 
signe, c'est le tracé grossier de la figure même » — Cournot, Cons., L II, 
p. 39. 

Ici nous sommes obligés de nous séparer de notre maître, et, à l'aide 
même de l'instrument qu'il maniait si merveilleusement, à savoir la cri- 
tique philosophique, de pénétrer plus avant qu'il ne l'a fait, et qu'il ne 
le pouvait faire, dans les fondements mêmes de la géométrie. Si Ton 
sépare, en efi'et, dans l'enseignement ordinaire de la géométrie ce qui 
constitue essentiellement l'organisation de la science ou de la doctrine 
et qui relève de la logiguey comme àl'opposite, ce qui constitue essen- 
tiellement les applications pratiques aux diiférents usages delà vie et qui 
relève delà métrologie (p. 53), il nous restera le fond essentiel, primor- 
dial et préexistant à toute géométrie, savoir la ^ra/?A/ywe, c'est-à-dire la 
doctrine des figures en général, dont les théorèmes de la géométrie no 
sont qu'une interprétation très particulière et très spéciale. En consé- 
quence, reléguant la géométrie ordinaire dans le système des sciences 
mathématiques, donc dans l'enseignement secondaire, il nous restera 
pour l'enseignement primaire la graphique d'une part, c'est-à-diro 
l'apprentissage du mécanisme des figures en général et, d'autre part, la 
métrologie, c'est-à-dire la théorie et la pratique du système métrique, 
dont les applications ordinaires à Tarpcntage et à la vie civile procè- 
dent à la fois de la graphique et de rarithmétiquo, c'est-à-dire de la 
logistique ou delà théorie des grandeurs en général. La logistique donne 
, lieu, dans le système général des mathématiques pures et appliquées, 


l 




•H 


L'enseignement primaire 


147 


aux développements indéfinis de l'algèbre et de l'analyse, ce qui rentre 
dans l'enseignement supérieur. Cela n'empêche nullement qu'il ne soit 
donné dans l'enseignement secondaire (en y comprenant ce que Ton 
appelle renseignement primaire supérieur )un enseignement élémen- 
taire de l'algèbre et même de l'analyse. Mais c'est là une question 
d'économie intérieure, de pédagogie proprement dite, dans laquelle 
nous n'avons ni le désir ni la mission d'entrer. 


IV 

L^ENSEIGNEMENT DU DESSIN 

I 

LE DESSIN d'imitation. — LE DESSIN DE PRÉCISION. — LA GÉOMÉTRIE. 

Tous les genres de dessin adoptés par l'enseignement officiel et suivis 
dans les écoles, quelle que soit la diversité de leur objet et pour variés 
que soient leurs modes d'exécution ou de rendu, se rangent, en défini- 
tive, sous deux catégories nettement distinctes : le dessin artistique ou 
d'imitation, et le dessin géométrique ou deprécision. Le premier, appelé 
aussi le dessin à vue, ou à main levée, est considéré comme l'instrument 
nécessaire de toute culture artistique, et, par son organisation pédago- 
gique, est considéré aussi comme préparatoire à l'enseignement comme 
à la pratique des beaux-arts ou des arts du dessin. Le second, appelé 
encore le dessin linéaire, s'exécute essentiellement au moyen de la règle 
et du compas, et subsidiairement à l'aide du té et de l'équerre. L'objet 
essentiel de son enseignement est d'inculquer, sous le couvert de « l'es- 
prit géométrique », la préoccupation soutenue de l'exactitude et de la 
précision dans toutes les opérations graphiques afFérentes à la pratique 
des arts et métiers, de Tarchitecturo, et des beaux-arts en général. 

L — Le dessin d'imitation et la doctrine des beaux^arts. 

Entre toutes les industries dont il s'ingénie sans cesse et qui concou- 
rent à la perfection de son art, l'artiste, d'accord en cela avec les intel^ 
lectuelsy c'est-à-dire avec les doctrinaires de la pédagogie et sous leur 
influence, en reconnaît une comme fondamentale et principale, le dessin. 
C'est en effet par le dessin, explicite ou implicite, actuel ou virtuel, que 


Le dessin dHmitation et les beaux-arts et la géométrie i49 

l'artiste détermine les bornes plus ou moins arrêtées, mais toujours 
apparentes, de son ouvrage. 

Quand surgit l'idée toute pédagogique d'un enseignement régulier de 
Tart et que s'instituent à cet effet « un art, des méthodes et des procédés 
à l'aide desquels on met chaque homme individuellement à même de 
tirer le meilleur parti possible de ses instincts natifs en développant les 
uns et en réprimant les autres», il parait donc tout simple à la raison 
raisonnante de lui donner pour base ou pour support l'enseignement 
préalable et direct du dessin. N'est-ce pas par le dessin, en effet, qu'est 
écrite et comme resserrée dans ses limites rationnelles l'unité purement 
compréhensive de l'œuvre d'art? N'est-ce pas parle dessin encore qu'est 
transcrite avec autant d'exactitude et de précision que l'on voudra y en 
mettre la forme de tout ce qui se voit et se montre autour de nous ? 
C'est donc l'enseignement technique du dessin qui sera la base péda- 
gogique de l'enseignement de l'art et le point de départ de toute initia- 
tion artistique. Mais comment cet enseignement va-t-il s'organiser et, 
puisqu'il s'agit du dessin d'imitation, quel choix sera fait parmi la variété 
prodigieuse de choses ou d'objets, naturels ou artificiels,qui peuventêtre 
matière à exercices pratiques ? Or à ce sujet nulle hésitation et il y a 
longtemps déjà que la science pédagogique a dit là-dessus son dernier 
mot : entre tous les objets élaborés par la main des hommes et qui en 
ont reçu une empreinte artistique, seuls les chefs-d'œuvre de l'art clas- 
sique, objets d'une admiration universelle,recèlent,par delà leur configu- 
ration ou leur forme positive, un principe d'art que l'on puisse instruire 
pour notre édification et duquel on puisse s'inspirer pour nous guider 
dans notre propre ouvrage. Ce postulat admis, on en déduit, que l'ensei- 
gnement du dessin doit reposer essentiellement sur la copie des chefs- 
d'œuvre de Tart antique, de la Renaissance et des temps modernes, et 
qu'après un premier apprentissage sur des estampes ou des modèles do 
dessin on passera à la ronde-bosse ou aux plâtres, c'est-à-dire aux anti- 
ques, et de là au modèle vivant et à la nature. 


180 Introduction générale 


Dès lors, ce qui n'était qu'un empirisme traditionnel, une industrie 
courante dans l'atelier du peintre et qui se conditionnait librement par 
la souple et vivante activité journalière — laquelle ne perdait jamais de 
vue son objet propre, à savoir l'œuvre à accomplir — se trouvant trans- 
porté dans Tatmospbèrc do l'école, dans un milieu essentiellement con- 
traint et disciplinaire, va se roidir, s'apprêter, s'organiser logiquement 
et mécaniquement et devenir tout net une scolastique. 

Or, au vrai et do quelque façon que l'on si prenne, à l'école comme à 
l'atelier, l'enseignement du dessin est un apprentissage comme un autre, 
et, comme dans tout apprentissage quelconque, il y faut distinguer 
deux éléments irréductibles l'un à l'autre, mais connexes et simultanés, 
l'un affectif et d'ordre psychologique, l'autre mécanique et d'ordre tech- 
nologique. Pour donc ce qui concerne la mécanique du métier, l'ap- 
prentissage du dessin est pure besogne d'artisan, une affaire d'acquisi- 
tion scrvile, de routine professionnelle et d'assiduité laborieuse. Quant 
à ce qui regarde l'éducation proprement dite, d'ordre psychique, tout 
dépend évidemment de l'aptitude des élèves, du choix des exercices et 
de la judiciaire des maîtres, toutes choses vagues et incertaines, et que 
l'on n'arrive à fixer tant bien que mal et seulement par vi)ie d'autorité, 
qu'en les rattachant aussi étroitement que possible à une doctrine prééta- 
blie. Or, celte doctrine en possession d'état depuis environ trois siècles 
et qui repose sur la notion préconçue de la supériorité intellectuelle, 
littéraire et artistique des Anciens : « nos maîtres, ces hommes qui 
ont vu dans les arts la vérité mieux que nous parce qu'ils ont obéi davan- 
tage à l'inspiration spontanée du bon sens naturel, » a pour fondement 
essentiel le dogme de « l'imitation de la belle nature », sur lequel s'édi- 
fient les théories des belles-lettres et les théories des beaux-arts. 

II. — Le dessin de précision et la géométrie. 

Le dessin d'imitation repose au fond sur l'idée générique de la per- 
ception concrète et par conséquent syncrétique des formes de l'étendue. 


^ 


Le dessin de précision et la géométrie 151 


Son enseignement s'organise en prenant pour appui objectif les chefs- 
d'œuvre de Tart classique, c'est-à-dire les Antiques, qui sont à rensei- 
gnement du dessin d'imitation, ce que les théorèmes euclidiens sont à 
l'enseignement du dessin géométrique; les Antiques et les théorèmes, 
étant pris en bloc, comme modèles exemplaires, et soumis, pour les 
besoins de récole,à une analyse purement logique et tout extérieure. 

Le dessin géométrique organise son enseignement en prenant pour 
appui objectif les problèmes pratiques à nous révélés parles «Éléments 
d^Euclide » et pour appui subjectif, le dogme tout platonicien de la per- 
fection géométrique du monde à nous formulé par les théorèmes de la 
géométrie. 

— Le dessin géométrique repose au fond et humainement sur l'idée 
générique de la perception partielle, abstraite, et par conséquent analy- 
tique des formes de l'étendue. 

Les images ainsi recueillies, discrétives et purement schématiques, 
sont appréhendées par l'esprit, qui, en vertu de son activité propre et 
guidé parla seule expérience pratique, en construit des complexes syn- 
thétiques et purement abstraits. 

Ces images et ces complexes d'images que les faits et les pratiques de 
la vie accumulent en chacun de nous y demeurent à l'état latent. Au 
moindre appel, et sans qu'on en ait conscience, ils interviennent pour 
remplir leur office qui est de guider sans bruit notre activité journalière. 

Ces images et ces complexes d'images étant appréhendés par la 
réflexion consciente et volontaire deviennent un objet d'étude pour le 
savant comme pour l'artisan. La raison pratique comme la raison spé- 
culative s'y emploient et l'artisan selon la technique de son art, comme 
le savant selon la méthode de sa science en tirent, celui-là des règles 
pratiques qui le guident dans l'exécution de ses œuvres, et celui-ci des 
théorèmes spéculatifs avec lesquels il construit ses théories. 

C'est qu'en effet le point de départ est le même aussi bien pour le 
savant que pour l'artisan ou l'artiste. De quoi s'agit-il pour l'artiste? 


452 Introduction générale 


de tracer des lignes et de délimiter des espaces, de prendre à vue des 
points de repère, d'évaluer les distances qui les séparent et les incli- 
naisons des lignes les unes par rapport aux autres. Tout cela qu'il fait 
comme d'instinct etguidépar la seule habitude, c'est-à-dire par laroutine 
journalière, n'est aux yeux de Tesprit que leprnblème fondamental de la 
géométrie pratique. L'artisan qui mesure des distances ou qui prend des 
dimensions, qui trace des plans ou des épures, qui appareille des maté- 
riaux de construction ou découpe des gabarits... fait encore de la géomé- 
trie, mais déjà il pratique une géométrie plus précise et plus évidente, 
sans que pour cela, sinon même à cause de cela, il soit réputé savant 
ou artiste. Tout le monde enfin, qu'on le sache ou non, obéit journelle- 
ment et machinalement à une géométrie tout instinctive, parce qu'elle 
est inconsciente et purement réflexe. 

Mais si le point de départ est le même chez tous les hommes, la forme 
que prend cette géométrie intuitive par l'usage que l'on en fait et les 
développements qu'on lui donne se différencie singulièrement. Pure- 
ment intuitive encore et machinale chez l'artiste, elle s'organise en 
pratiques régulières chez l'artisan, pour qui elle devient une industrie 
connexe quoique toujours distincte de son ouvrage. Parallèlement et 
appréhendée par l'esprit qui en prend conscience, cette géoirétrie 
intuitive, dégagée par voie d'abstraction de toute attache avec la réalité 
sensible, et par ainsi réduite à une forme purement schématique, à 
Vidée, devient l'objet d'une science, la science par excellence, cultivée 
pour elle-même et sur elle-même par les géomètres. 

« L'esprit grec se plaisait infiniment dans cette poursuite de l'idée 
pure, de la vérité intelligible, à travers la grossièreté du signe ou de l'image 
sensible. Au fond l'utilité pratique du genre de celle d'une arithméti- 
que élémentaire ou usuelle, n'était pas ce dont les Grecs se souciaient 
beaucoup : ils tenaient bien plus à la rigueur, même pointilleuse, de la 
démonstration, à l'élégance idéale d'une construction dont un peu do 
sable faisait tous les frais matériels, et qui presque jamais n'était desti- 


Le dessin de précision et la géométrie 183 


Dce à devenir ce que nousappelons une épure. Jusque dans leur géomé- 
trie, les Grecs de Técole classique portaient les qualités et les défauts 
d'esprit qui ont fait d'eux des artistes et des sophistes. » — Gournot, 
Cons...y II, p. 39. 

— De ces trois aspects de la géométrie intuitive ou, comme on 
dirait maintenant, de ces trois stades [de l'évolution des idées géomé- 
triques, le dernier seul, instruit et mis en forme parla scolastique grec- 
que^ et dont une rédaction d'Ëuclide, faite il y a deux mille ans, nous a 
transmis la doctrine, est incorporé à notre enseignement et, par Técole, 
fait la base de notre éducation géométrique. 

La géométrie élémentaire ou classique, par la rigueur de la doctrine, 
comme par la dialectique savante qui préside à l'enchaînement des pro- 
positions, est considérée non sculementcomme une science exacte, mais 
encore comme un modèle de raisonnementsjustes. Par là se justifie cette 
parole de Pascal : « Nous voyons par expérience qu'entre esprits égaux 
et toutes choses pareilles celui qui a de la géométrie l'emporte et 
acquiert une vigueur toute nouvelle. » (^est bien de la géométrie doc- 
trinale et non de la géométrie intuitive que Pascal entendait parler; si 
donc Ton remplaçait le mot de géométrie par celui de théologie, il n'y 
aurait au fond rien de changé dans la pensée de ce grand tourmenté. 
Mais, dit Gournot, « de même que la critique distingue la langue popu- 
laire, la seule vraiment vivante, d'avec la langue littéraire, grammati- 
caleou cultivée, ainsi il importcdc distinguerlareligion populaire d'avec 
celle des théologiens et des docteurs oii le dogme se définit, se précise 
et par cela même se conserve mieux, mais pour l'enseignement de 
l'école plutôt que pour le régime de la vie pratique. Gar chacun sent 
la nécessité d'insister moins sur ce qui paraîtrait trop dur, de tolérer 
certains adoucissements, de faire à la dévotion populaire do nombreu- 
ses concessions, et parfois môme de l'encourager afin d'y puiser la 
force qui ne saurait venir que du peuple. » — Mat. Vit. Rat., p. 205. 

— La géométrie élémentaire présente ses propositions sous deux 


154 Introduction générale 


formes distinctes : le théorème et le problème. Le théorème établit et 
formule les propriétés intrinsèques desGgures géométriques, le problème 
établit et formule la construction possible de ces mêmes figures. Cette 
division, établie « pour l'enseignement de l'école plutôt que pour le 
régime de la vie pratique », est purement doctrinale et scolastique, car, 
au fond, le théorème n'est que l'énoncé dogmatique, formulé par « abs- 
traction et généralisation » d'une solution commune à tous les pro- 
blèmes d'une même famille. Cela dit, il faut bien reconnaître qu'il se 
dégage de cet appareil extérieur, de cette mise en forme logiquement 
organisée, un charme particulier, un peu austère, comme il arrive pour 
la doctrine classique des c< antiques », comme il arrive aussi pour la 
(K théologie » et que goûtent pleinement les seuls initiés. 

Les constructions fondamentales qui, depuis Euclide, sont données 
dans toutes les géomélries élémentaires et qui forment toute la matière 
de l'enseignement du dessin géométrique, sont toujours restées dans la 
dépendance étroite des théorèmes qui ont servi à les établir. De là vient 
qu'en interprétant dans un sens scolastique ou positiviste la rigueur 
toute spéculative des anciens qui ne reconnaissaient effectivement comme 
solutions géométriques que celles qui peuvent se construire physique- 
ment avec la règle et le compas, les modernes ont pris au pied de la 
lettre les formules d'Euclide et les ont canoniquement intronisées dans 
l'enseignement pratique. Mais les géomètres de la Renaissance comme 
ceux de l'école de Monge (I), en confondant l'abstrait avec le concret, 
l'idée avecTimagc et en s'éloignant ainsi du pur génie grec, ont commis 
une grave méprise et qui a pesé lourdement sur la technologie des 
ouvriers, des artisans et dos artistes des temps modernes et, particuliè- 
rement depuis la Révolution, sur ceux de notre siècle. Pour les Grecs, 

(i) Se conformant en cela à la doctrine de Bacon : « Notre méthode laisse bien peu d'avantages 
fa la pénctralion et à la vigueur des esprits : on peut dire môme qu'elle les rend tous presque 
égaux, car. lorsqu'il est question de tracer une ligne droite ou de décrire un cercle parfait, si 
Ton s'en fie à sa main seule, il faut que cette main-là soit bien sûre et bien exercée, au lieu que 
si l'on fait usage d'une règle ou d'un compas, alors l'adresse devient presque inutile. Il en est 
absolument de même de notre méthode. » — Nov, org,f I, i, { iia. 


Le dessin de précision et la géométrie 188 


en effet, qui ont. fondé la géométrie, comme pour les Alexandrins, 
qui Tout organisée comme science didactique, et qui n'avaient aucune- 
ment en vue, ni les uns ni les autres, la construction effective des figu- 
res, la règle et le compas, ces deux instruments de métier, faisaient 
simplement image et appuyaient pour l'esprit l'idée purement intelligi- 
ble, la notion toute spéculative de la droite et du cercle. 

— Les théorèmes de la géométrie avec leurs figures schématiques 
n'ont aucun sens concret, la figure n'est qu'un signe sensible, mais pure- 
ment accessoire et dont le véritable géomètre peut toujours se passer. 
C'est ce qui fait dire au collège, que « la géométrie est l'art de raison- 
ner juste sur des figures mal faîtes ». En ce sens donc, et d'une manière 
purement scolastique, savoir la géométrie, c'est posséder dans sa mémoire 
le plus grand nombre possible de propositions de géométrie, c'est encore 
de pouvoir énoncer sur-le-champ justement le théorème ou le problème 
préétablis qui convient à telle ou telle question pratique. En d'autres 
termes, l'application de la géométrie consiste à reconnaître si, parmi 
tous les problèmes théoriques construits à l'avance et a priori, il en est 
quelqu'un que l'on puisse appliquer à la question pratique que l'on a en 
vue de résoudre, c'est-à-dire et théoriquement de soumettre elle-même 
à une reconstruction rationnelle et statique, à une interprétation dis- 
cursive et logique et enfin à une exposition compréhensive et dialec- 
tique. 

Nos conceptions vont plus loin que nos perceptions, mais pour les 
exprimer, et par suite de l'union intime de la pensée et de la langue, 
force nous est de reconstruire celle-ci à mesure des progrès de celle-là. 
L'activité de l'esprit venant à s'exercer « sur des notions communes, 
qu'exprime la langue commune, les précise, les combine ou les déve- 
loppe en donnant une acception technique aux termes vulgaires, et en 
créant au besoin des termes techniques, de manière que chaque science 
ait sa langue qui se constitue et se fixe en même temps que la science ». 
(Çournot). La langue générale et alors entièrement rationnelle de ces 


186 Introduction générale 


langues particulières est la logique et, comme le dit Leibnitz, « la 
logique des géomètres est une extension ou promotion 'particulière de 
la logique générale ». La science est donc la connaissance logiquement 
organisée, mais « pour l'enseignement de l'école plutôt que pour le 
régime de la vie pratique ». En d'autres termes, la science de la géo- 
métrie est la reconstruction logique, et purement rationnelle, c'est-à-dire 
n'empruntant rien ou presque rien à l'expérience, des intuitions primor- 
diales communes à tous les hommes. Ces faits d'intuition réduits àleiir 
minimum et formulés sous la forme d'axiomes, de postulats ou de déG- 
nitions sont alors retirés de la vie commune et, considérés à part, de- 
viennent les fondementsde la construction purement abstraite des propo- 
sitions, théorèmes ou problèmes, qui sont pour la logique formelle ou la 
scolastique positive l'objet même de la science et dont, par la seule voie 
déductive, on peut tirer une multitude de conséquences. 

Cette organisation logique de la connaissance revient donc et dans 
l'enseignement, à une scolastique. La fameuse loi des trois états 
d'Auguste Comte n'a de sens que dans l'école et par l'école : c'est par 
l'école, en effet, que nous est inculquée la foi superstitieuse en la science 
dogmatique. Or la science dogmatique n'est pas autre chose qu'une 
scolastique, et la scolastique (!) d'eLhorà théologiçuesiu moyen- âge avec 
le dogme de la révélation ou du théisme, puis métaphysique depuis la 

Renaissance avec le dogme de l'humanisme, est devenue ^xv^\xi positive, 
avec le scientisme, c'est-à-dire avec le dogme de la science telle que l'en- 
tendent les positivistes. La scolastique, dans ses phases successives, a 
donc seulement changé sa matière, mais non pas sa forme qui est do 


(i) « Quelques restes de la philosophie grecque, commenlés, remanies par le ^énie latin dans sa 
décadence (comme ils Tétaient ailleurs par le génie des races de TOrient) s'incorporèrent à ce qui 
faisait le fond des études cléricales; et de cet amalgame, ou plutôt de cette fécondation secrète, 
résulta un produit nouveau : un système à la fois philosophique et théologique, où la philosophie 
donnait à la théologie sa forme, où la théologie prétait à la philosophie Tappui de son autorité 
dogmatique ; système merveilleusement approprié aux disputes et aux exercices des écoles, et 
que pour cette raison Ton a nommé la scolastique, • — Cournot, Des Inst., p. 5Go. 


Le dessin de précision et la géométrie 187 

nécessite et inéluctable, mais, dit Gournot, <c pour renseignement de 
Técole plutôt que pour le régime de la vie pratique ». 

— En résumé, pour les savants comme pour les profanes, les données 
fondamentales qui sont au fond de toute science parce qu'elles sont au 
fond de l'esprit humain sont tout à fait indépendantes de la forme 
logique qu'on leur donne, du cadre dogmatique qui les enserre et enfln 
du système scicntiGque qui les rapproche les unes des autres en visant à 
une architectonique qui «ordenne du tout ». C'est pour cela qu'il importe 
grandement de les en dégager en faisant retour à leur primitive origine : 
l'intuition des sens, par laquelle toute mémoire et par conséquent toute 
connaissance intime et profonde, c'est-à-dire organique, se fonde et 
s'établit. 

Remontant aux trois stades successifs ou simultanés de l'évolution 
des idées géométriques, et nous emplaçant au cœur de chacun d'eux, 
nous reconnaîtrons trois ordres de faits : 

1^ Ceux qui relèvent de la pratique instinctive et machinale. C'est 
le stade de la géométrie intuitive et qu'instruit la raison pure ; 

2^ Ceux qui constituent les pratiques organisées et sans nombre des 
arts d'industrie et des arts d'ornement, de l'architecture et des beaux- 
arts, et qui se révèlent dans les chantiers et les ateliers^ comme aussi 
dans les traditions et les œuvres effectives. C'est le stade de la graphi- 
que générale et qu'instruit la raison pratique; 

3° Et enfin, ceux qui sont élaborés parla rétlexion scientifique et coor- 
donnés en doctrines logiquement organisées. C'est le stade de la géomé- 
trie pure et appliquée et, à un point de vue tout scolastique^ le triom- 
phe de la raison spéculative. 

• 

La géométrie des anciens, dans son syncrétisme raisonnable et comme 
corps de doctrine, n'en subsiste pas moins; \b. géométrie moderne aussi 
qui raisonne « dans les cas les plus compliqués, sans le secours do ces 
figures qui, en absorbant l'attention, entravent la pensée »; et même 




»■;, 


158 Introduction générale 


rhypGrgéomotrie,Ia géométrie méta-euclidienne ou à n dimeusions (1). 
Mais enfiu, les unes et les autres s'éloignent trop et à perte de vue du 
régime de la vie pratique dont il est si nécessaire de se préoccuper 
pour voir sainement et largement le monde qui nous entoure et y faire, 
notre vie durant, œuvre qui vaille. 


9 • 


II 

lA GÊOMËTAIE. — LA GËOUErrROGRÂPHlE. — LÀ GRAPHIQUE. 

I. — La géométrie. 

Dé finitions de la géométrie, — La^eom^/r«>^^/2^ra/equidominotoute s 
les géométries particulières et spéciales et qui^ en dernière instance, 
les instruit toutes, étudie la génération et les propriétés purement des- 
criptives des figures dans l'Espace, des figures dans lePlan et des figures 
sur la Droite. La figure considérée, dans laquelle il faut concevoir les 
plans et les droites comme s'étendant à l'infini, et sans avoir égard à 
leurs limitations particulières ou figurées, n'est pas autre chose que le 
complexe des éléments qui la constituent, ou, ce qui revient au même, 
le complexe des positions successives et distinctes d'un même élément 
qui se déplace dans l'espace. 

La géométrie ordinaire ou usuelle, au contraire, d'un syncrétisme 
raisonnable, plus accessible nu gros des hommes, et en cela d'ailleurs 

(i) «c II nous paraît donc acquis que le domaine de la géométrie pure s'étend bien au delà des 
limites que notre imperfection physique lui fait assigner au premier abord. Et cela admis l'espril 
se rend compte de l'existence possible de mondes et de vies infiniment supérieurs aux nôtres. 
Quel champ ouvert à l'esthétique, par exemple, et imagine-t-on ce que serait une hyperstatuaire 
à quatre dimensions ou plus encore 1 

« On est aussi conduit dans cette voie à une notion nouvelle de l'infini ; nous ne connaissons ef- 
fectivement que l'infini de ]a droite, du plan ou de l'espace à trois dimensions. Mais envisageons 
l'espace à un nombre de dimoisions de plus en plus grand, et nous nous élèverons à l'infini de 
l'espace à un nombre infini de dimensions. • — Faiuon, Nouu. An, de Mathém., 1895. 

Celte métaphysique de la mathématique appliquée à la géométrie n'est pas au fond plus singu- 
lière que l'esthétique proprement dite ou la métaphysique de la littérature appliquée à l'art. Avec 
cette manière de voir et pour autant qu'ils s'y conforment, le mathématicien et l'artiste seraient 
Considérés comme des êtres d'exception, aberrants, et qui n'habitent plus l'espace réel. 


À 


I 


La géométrie 459 


conlorino à la raison pratique, étudie les propriétés métriques et gra- 
phiques des limitations particulières et figurées de l'étendue. Après 
avoir nommé et décrit ces limitations particulières elle en étudie les 
propriétés, soit et au point de vue théorique en établissant les relations 
qui font dépendre les unes des autres les difFérenles parties de la figure; 
soit, et au point de vue pratique, en enseignant à les mesurer, à les 
calculer et à les graphier. 

Ces limitations particulières et figurées qui constituent les figures géo- 
métriques proprement dites, étant considérées au point de vue quantita- 
tif, c'est-à-dire logistique ou de IdL théorie des ffrandeurs^soai définies en 
fonction de l'étendue qui est alors posée comme ayant trois dimensions: 
longueur, largeur, et hauteur ou profondeur. Et cela veut dire, au point 
de vue métrique: — l°que toute étendue corporelle ou solide de quelque 
forme qu'elle soit est équivalente à la même masse repétrie ou moulée 
sous la forme d'un cube ou d'un solide géométrique défini qui a des 
faces, des arêtes et des sommets, c'est-à-dire, et au demeurant, un com- 
plexe de plans, de droites et de points ; — 2° que toute étendue super- 
ficielle, quelle qu'en soit la forme, le modelé ou les accidents de surface, 
sei ramène' à l'étendue plane ou planifiée k deux dimensions et que, 
finalement, elle est équivalente à la surface d'un carré, c'est-à-dire 
d'une figure plane définie par ses côtés et ses sommets^ au demeurant 
un complexe de droites et de points; — 3^ que toute étendue linéaire, 
pour diverse qu'en soit la figure, est conçue comme rectifiée, c'est-à* 
dire ramenée à l'étendue rectiligue à une dimension et qu'elle est équi« 
valente à une grandeur rectiligne, c'est-à-dire et Unalement à une lon- 
gueur de droite, ce qui revient à un complexe de points. 

Mais l'étendue n'est pas seulement quantitative, elle est aussi quali** 
tative, c'est-à-dire plastique. En d'autres termes, une même masse quel- 
conque d'étendue, tout en restant quantitativement la même,'peut prendre 
toutes les formes imaginables, elle peut se masser en boule ou se mou- 
ler en cube, s'étendre en nappe ou s'étirer en fils; ou bien, et si l'on 


i 


160 Introduction générale 


suppose rétendue rigide et solidifiée, se tailler, se tourner, se découper 
de mille manières. La masse ou la quantité de matière purement abstraite, 
c'est-à-dire dépouillée de toute qualité physique et sensible, demeure 
homogène et d une densité indéterminée sous toutes ces métamorphoses. 

— La géométrie ordinaire ou la science de Tétendue considérée dans 
les distances et les dimensions, les figures et les formes, et qui étu- 
die la génération et les propriétés métriques et graphiques des figures, 
se divise en trois géométries distinctes quoique solidaires dans Tunité 
de la géométrie générale, c'est à savoir : 

La géométrie de l'espace, ou de l'étendue considérée comme rappor- 
tée à trois coordonnées rectangulaires, ou, ce qui revient au môme, 
comme ayant trois dimensions, 

La géométrie du plan ou de l'étendue rapportée à deux coordonnées 
rectangulaires, ou à deux dimensions, 

La géométrie de la droite enfin, ou de l'étendue considérée comme 
ayant une seule dimension. 

Cette division de la géométrie ordinaire en trois géométries particu- 
lières est purement de commodité, elle n'a d'autre but que de graduer 
l'ordre des difficultés naturellement inhérentes à nos moyens d'investi- 
gation et de manutention nécessairement bornés et successifs. 

— Les figures dans l'espace, dans le plan ou sur la droite, leurs rela- 
tions mutuelles et toutes les conséquences métriques ou graphiques qui 
en dérivent font l'objet de ce qu'on appelle la Géométrie moderne par 
opposition dogmatique à la géométrie ancienne, Euclidienne ou classi- 
que. Cette géométrie moderne (dont Desargues d'abord, Descartes et 
Pascal ensuite, sont les véritables fondateurs), qui porte aussi les noms 
de géométrie supérieure, de géométrie projective, de géométrie de posi- 
tion^ enfin, de géométrie synthétique, se distingue essentiellement de 
la géométrie ordinaire ou des Anciens et de la Géométrie analytique ou 
Cartésienne, en ce que, dans sa constitution comme science ou comme 
corps de doctrine, elle ne fait aucun usage de la notion de mesure ou de 


La Géométrie 1(U 


grandeur, non plus, par conséquent^ des applications du calcul cl do 
l'analyse mathématiques. 

La Géométrie moderne met simplement en jeu la faculté d'imaginer 
et de se représenter dans et par Tesprit les relations do position qu'elle 
établit entre les plans, les droites et les points. En outre, et pour cons- 
truire ses figures, elle emploie deux opérations fondamentales et deux 
seulement '.projeter et couper^ projeter d'un point fixe ou d'une droite 
fixe, couper par un plan fixe ou une droite fixe. 

Comme toute faculté a besoin d'exercices pratiques pour se déve- 
lopper, un certain apprentissage de ce que, depuis Monge, on a appelé 
la Géométrie descriptive sera évidemment d'un grand secours. La Géo- 
métrie descriptive, qui est une fuélhode systématique, une technologie 
plutôt qu'une science, fait, comme la géométrie de position, un appel 
constant à lafacultédescreprésenter comme ausside concevoirlesfigures 
dans l'espace. Comme elle aussi, elle considère bien moins les relations 
de grandeur que les relations de position des figures ou des éléments 
soit les uns par rapport aux autres, soit par rapport aux plans de pro- 
jection. En outre, la connaissance géométrique de la perspective ordi- 
naire, telle qu'on la concevait avant Mongo et telle qu'on la pratique 
encore après lui, sera éminemment utile. C'est la perspective ou la pro- 
jection centrale qui a fourni les principaux fondements do la géométrie 
moderne et nombre d'expressions du vocabulaire de celle-ci sont 
empruntées à celle-là. 

— Les différents systèmes de projection géométrique qu'emploient la 
Géométrie descriptive, la Perspective ordinaire, la Perspective cavalière 
et.enfin la Perspective isométrique, sont autant do méthodes spéciales 
instituées pour représenter systémali(|uement sur un plan : la forme ou 
la configuration des objets naturels ou élaborés par notre industrie; le 
complexe des opérations techniques ouvrières qui comportent des épu- 
res; et enfin les conceptions de la Géométrie aux trois dimensions. 

Ces méthodes font le passage de la géométrie ancienne à la géométrie 


II 


av * 


46â 


j* . 


Introduction générale 


moderne, elles se réfèrent à la première sorte de figures, les figures dans 
respacc, lesquelles sont rapportées par le moyen des systèmes de projec- 
tion à l'espace géométrique défini ou aux trois dimensions. D'autre part, 
ces méthodes se rattachent à la géométrie ordinaire ou classique de deux 
manières : théoriquement parla rigueur dogmatique de leurs définitions; 
pratiquement par la rigueur toute formaliste qui préside aux cons- 
tructions graphiques. 

— La manière particulière à la géométrie moderne, qui est de consi- 
dérer les objets géométriques dans l'état le plus gênera/, si elle fortifie 
et éclaire véritablement l'esprit qui veut connaître, ne laisse pas que 
d'être insuffisante pour instruire et éduquer l'esprit qui veut agir. Autre 
chose est rintelligeuce de la géométrie, autre chose est Téducalion géo- 
métrique; celle-ci, qui doit se prêter en leur venant en aide à tous les 
développements do notre activité non plus spéculative mais pratique, 
c'est-à-dire à la fois industrieuse et esthétique, ne peut s'accommoder 
d'une pareille métaphysique, car c'est de réalités concrètes, à la fois 
tangibles et sensibles^ dont cette activité se nourrit et s'entretient. 

En ce sens donc, ta géométrie ordinaire ou classique par son syncré- 
tisme intelligent, et quand on a fait la part du formalisme dogmatique 
qui l'enserre, est bien plus efficace pour notre éducation. Malheureuse- 
ment, restée trop fidèle et trop exclusivement au sens transparent de 
son étymologie, la géométrie est demeurée comme figée autour des seu- 
les applications pratiques qui comportent l'idée de mesure et sans tenir 
un compte suffisant des idées d*ordre, de symétrie et de disposition, en 
un mot de l'urchitectonique propre des figures en tant que figures. 


II. — La géométrog^raphie 


— « La géométrie comporte des figures de deux espèces : les unes, 
purement théoriques, u'exigent presque aucun soin de tracé; elles se 
composent, le plus souvent, de lignes grossièrement exécutées à la craie 


i_ 


i 


Im Géométro graphie 163 


sur une planche noire, et suffisent, telles quelles, pour porter dans l'es- 
prit la plus entière conviction. Il existe même une foule de propriétés 
que l'on parvient à démontrer indépendamment de toute représentation 
matérielle. La pensée, dans les deux cas, supplée, presque sans effort, à 
Tabsence comme à Timperfection do la figure, 

(( Mais aussitôt qu'un dessin géométrique a un but d'utilité, dès qu'il 
est susceptible de recevoir une destination spéciale et pratique, celte 
imperfection ne peut plus être tolérée; il est indispensable que les lignes 
y soient bien droites et bien déliées, les cercles parfaitement ronds, les 
courbes fidèlement reproduites et purement tracées, les intersections 
distinctes et rigoureusement obtenues, les mesures exactement relevées 
et convenablement appliquées; enfin, tout doit approcher, autant que 
possible, de cette perfection absolue qui fait l'essence des conceptions 
géométriques, et sur laquelle repose toute la rigueur des démonstra- 
tions. 

« Ces dernières remarques se rattachent plus particulièrement à la 
science des projections en général; on parvient à les mettre en pratique 
par le moyen de l'art du trait. 

« Cet art est celui qu'exercent dans le cabinet les architectes et les 
ingénieurs; et, dans les grands chantiers, les appareilleurs, les. charpen- 
tiers, les constructeurs de navires, en un mot, toutes les professions 
savantes qui ont pour but de donner des formes rigoureuses à la ma^ 
tière brute. 

(( Quand un dessin ressort de l'art du trait, on sait qu'il prend le 
nom d'épuré. » — Cousineky, le Calcul par le Trait. 1840. 

— « Le TRAIT ou dessin graphique de la charpente, tel qu'il est con- 
venable de l'exécuter sur le papier pour en étudier les principes avec 
fruit, diffère essentiellement du tracé des épures sur le terrain. 

(c Dans le premier cas, il faut que l'élève s'attache avec une rigou- 
reuse exactitude à représenter chaque morceau do bois qui entre dans 
la composition de son dessin, sur toutes ses faces, avec les détails de 


Introduction générale 


toutes ses coupes j'oints et entailles^ aQn de se bien pénétrer de sa forme, 
de la place qu'il doit occuper, de son importance, et des rapports que 
tous doivent avoir entre eux. 

a Dans le trâcé des épures, il faut au contraire que le praticien qui 
l'exécute apporte toute son attention à faire ce travail |le plus simple- 
ment possible : il faut qu^il évite les opérations longues et minutieuses 
de récole,pour les remplacer par des procédés simples et expéditifs qui 
soient à la portée des ouvriers d'établissement. Chaque morceau doit 
y être représenté par une ligne seulement; mais il faut qu'il voie 
par la pensée ce morceau dans la position et à la place qu'il doit 
occuper, et il faut en plus qu'il fasse comprendre cette position aux 
ouvriers qui travaillent sous sa direction au moyen d'un explication 
faite le plus brièvement possible. 

« Ce talent d'exécution, que les ouvriers appellent I'orient, demande 
pour être acquis une grande habitude de pratique jointe à la connais- 
sance entière des principes du trait; il donne à celui qui le possède une 
qualité que Ton peut appeler la pratique de l'appareil, dans laquelle sont 
renfermés la connaissance des principes de la théorie et l'art de les 
appliquer judicieusement aux procédés de la pratique. » — Eyerre, 
Alphabet du charpentier, Introd., p. 28. Paris, 1855. 

— La géométrograpiue ou l'art des constructions géométriques^ tel est 
le titre d'une brochure publiée en 1892 par M. Lomoine, ancien élève 
de Tccole polytechnique. 

De ce travail extrêmement intéressant, surtout parce qu'il révèle 
le fort et le faible de la géométrie, entendue strictement au sens dog- 
matique, nous extrayons les paragraphes suivants : 

A propos d'un mémoire sur le même sujet et publié en 1888, l'auteur 
s'exprime ainsi dans l'introduction : «... Nous venions d'avoir l'idée 
générale de la mesure de la simplicité dans les sciences mathématiques, 
raisonnements et constructions; nous y avions développé l'application à 
l'évaluation de la simplicité des constructions faites avec la règle et le 


La Géomèlro graphie 165 


compas, en partant des constructions séculairement classiques adoptées 
comme constructions fondamentales, et nous avions appliqué notre 
méthode à l'évaluation de leur simplicité, aGn que l'on puisse adopter 
les symboles de ces constructions pour évaluer la simplicité des solu- 
tions d*un problème quelconque. Ce but, nous l'avons rempli eu ce qui 
concerne les solutions classiques examinées. Nous étions loin do soup- 
çonner que ces constructions fondamentales étaient pour ainsi dire toutes 
à réformer et à réduire, même les plus simples, comme celle de : mener 
par un point donné une parallèle à une droite donnée j de sorte qu'il faut 
les reprendre pour donner une base réelle aux applications de notre théo- 
rie; c'est cette étude que nous faisons aujourd'hui en y ajoutant la no- 
tion, plus importante encore que celle de Xdi. simplicité^ do Inexactitude 
des constructions. Dans le dit mémoire, quelques-unes des constructions 
d* application, comme, par exemple : mener la bissectrice d'un angle 
dont on ne peut prolonger les côtés jusqu'au sommet^ ne sont pas les 
plus simples et ce sont les plus simples que j'aurais dû rechercher, mais 
je n'étais pas encore habitué au maniement de la méthode qui est beau- 
coup plus délicate à appliquer sans erreur que Vextrême simplicité de 
son exposition no peut le faire pressentir; je prenais instinctivement 
pour types les constructions les plus simples à exprimer comme étant 
les plus simples à tracer, sans avoir encore remarqué qu'il n'y avait 
aucun rapport entre cette simplicité d'expression et la simplicité réelle 
de l'exécution... » 

(( Toutes les constructions fondamentales donuéesdepuisEuclide dans 
les géométries élémentaires sont dans la dépendance étroite des théo- 
rèmes qui ont servi aies établir, et les géomètres nese sont occupés que 
de la simplicité toute spéculative du raisonnement et de son expression. 

« Le géomètre cherche la simplicité de la phrase, do la déduction, de 
« ridée ; siTénoncé delà construction qu'il indique est simple, il dit : 
« la construction est simple;» c'est de cette simplicité dont on s'est 
exclusivement occupé jusqu'ici. L'art de la construction géométrique 


166 Introduction générale 


OU géomclrograpliie se place à un tout autre point de vue qui, quoique 
n'ayant point été remarqué jusqu'ici, repose sur des principes d'une sim- 
plicité extrême; son importance tient, non principalement au temps, 
qu'en le pratiquant, on peut gagner dans la construction d'une figure, 
ce qui, à un certain point de vue est un détail, mais surtout à l'exacti- 
tude plus grande qu'il permet d'atteindre en réduisant au minimum le 
nombre des opérations à effectuer. Enfin, il présente l'avantage d'être 
un crilérium pour juger de lasimplicité d'une construction. Le besoin de 
ce critérium sera démontré quand on remarquera que la plupart des 
conslructions célèbres par leur simplicité et leur élégance ne sont pas 
ordinairement les plus simples à construirequi soient connues. On les a 
crues simples parce qu'elles s'énonçaient simplement en faisant image et 
se retenaient sans difficulté. 

«Nous n'avons pas eu pour but, dans l'étude de la simplicité et de 
l'exactitude des constructions, de créer quelque cbose qui correspondît 
exactement aux cas de la pratique, nous croyons du reste la chose im- 
possible pourbeaucoup de raisons... les opérations sont en réalité, quel- 
quefois impraticables, quelquefois fort difficiles; aussi l'appréciation 
de toutes les combinaisons diverses qui peuvent se présenter de cette 
façon écîhappe bien évidemment à toute mesure. Du reste, rien que ce 
travail, oùsont simplifiées effectivement parnotre méthode les construc- 
tions fondamentales scculairement admises, de la géométrie, suffit pour 
établir son utilité, car il est difficile de croire que si l'attention des géomè- 
tres avait été attirée de ce côté, ils eussent mis comme à plaisir de toute 
antiquité, dans les traités didactiques, des types de construction com- 
pliqués, s'ils avaient pensé qu'il en existât de plus simples. 

« J'ai dit que les géomètres n'avaient jusqu'ici ctierché que la simpli- 
cité spéculative du raisonnement et de l'expression, qu'ils n'ont pas paru 
soupçonner que la simplicité delà construction réelle était toutaulre. 

« Cela vient évidemment de ce que les géomètres construisent peu en 
général, et Varl de la construction n'a pas eu jusqu'ici de place dans la 


La Géométrographie 167 


géométrie : 1° parce que les géomètres spéculatifs ne s'en sont jamais 
occupés ;2° parce que les dessinateurs de profession n'ont en général que 
très peu besoin de ces subtilités dans les constructions usuelles, de leur 
métier, qu'ils doivent avoir Tesprit plus appliqué à la pratique propre- 
ment dite qu'à des recherches théoriques. 

« Il n'est point surprenant que la simplicité du raisonnement spécula- 
tif ne corresponde pas très fréquemment à la simplicité de la construc- 
tion : 1** parce que le lexique géométrique permet do condenser souvent 
en un mot des opérations plus complexes; 2"" parce que le raisonne- 
ment est libre de toute entrave, tandis que la construction est assujet- 
tie à se servir de certains instruments déterminés, la règle et le compas, 
au moyen desquels il faut que tout s'exécute. 

« Je ne m'occupe point de Texposition do la géométrie; pour chaque 
question, plus elle sera concise, élégante, mieux cela vaudra, et il n'y 
a rien à changera l'idéal de perfection que le géomètre doitpoursuivre ; 
je vise autre chose, car, à côté de la solution spéculative d'une question, 
il y a la construction effectuée decelto solution, et la façon de réaliser 
les constructions constitue une branche particulière de la connaissance, 
un artdont on no s'est jamais occupé. Dire que lesconstructionsgéomc- 
triques ne sont, au fond, que spéculatives, c'est dire qu'on ne les exécute 
jamais. C'était vrai pour les Grecs; s'ils traçaient dos figures en croquis 
sur le sable, la chose servait simplement à aider le raisonnement, mais 
ce n'était pas de la construction. Cela explique qu'eux, si affinés, si ingé- 
nieux dans leurs spéculations géométriques, n'aient point eu Tidéo de 
la géométrographie, qui n'avait pas d'objet puisqu'ils ne faisaient pas 
d'épurés; nous disons, nous, une construction faite au moyen de la règle 
et du compas, les Grecs disaient une solution possible avec la droite et 
le cercle, notre expression indique les instruments de la construction, 
la leur les données spéculatives. L'idée si simple et si naturolio do la 
.géométrographie n'est pas née plus tôt, précisément parce que la géomé- 
trie nous vient des Grecs, que nous avons naturellement suivi leurs 


L 


168 Introduction générale 


traces, adoplé leurs molhodes, développé leurs conceptions, etc., sans ima- 
giner qu'à la hase il se trouvait undétail auquel ils ne devaient pas avoir 
songé, puisque son objet : la construction géométrique effective, n'exis- 
tail pas pour eux. Aujourd'hui, la géomélrographie s'impose, au con- 
traire, car l'on utilise pratiquement beaucoup de constructions géomé- 
triques et des plus délicates dans les ateliers de précision, pour les ma- 
chines, etc.. » 

— Le mot Géomélrographie, proposé par M. Lemoine, est un mot 
bien fait. Il est commode, il est même nécessaire, du moins tant que 
durera la tradition disciplinaire et scolastique qui, dans l'enseignement 
de nos écoles, préside à notre éducation géométrique et graphique. 

La géomélrographie considérée comme corps de doctrine se compose 
de trois parties : 

La première partie, fondamentale, a pour objet le trait de la géométrie 
de la ligne droite et du cercle, et par conséquent le tracé des figures 
qui en procèdent interprété au plus près de la rigueur spéculative et 
conformément à l'esprit de l'enseignement géométrique tel qu'il est ins- 
titué dans nos écoles. 

La deuxième partie a pour objet le trait de la géométrie descriptive 
et de ses applications a la théorie des ombres et du lavis, à la perspec- 
tive, à la coupe des pierres et de la charpente, et généralement au 
dessin de Tarchitecture et des machines, opéré conformément h la doc- 
trine de Monge et de ses disciples. 

La troisième partie enfin a pour objet la « représentation des forces 
par des grandeurs géométriques, ce qui permet de transformer les ques- 
tions de statique en simples problèmes de géométrie appliquée, et d'ar- 
river, par suite, à des solutions souvent beaucoup plus simples que 
celles do l'analyse algébrique, dans les c8Cs notamment où certains élé- 
ments à déterminer sont des grandeurs géométriques, qui doivent, en 
définitive, être reportées sur des plans (1). » Cette méthode, surtout em- 

(j) F. RErLAux, le Constructeur , p. 77. Nous ne saurions trop recommander la Cinématique 


La Graphique 169 


p'o5^ée par les ingénieurs elles constrncleurs do machines, porte difTc- 
rents noms : Calcul par le trait, Calcul graphique, Arithmétique gra- 
phique ou Arithmographie, Graphostatique ou enfin Statique graphique. 
Celte méthode est précisément Tinverse du calcul géométrique, qui a 
pour but de représenter par les notations de l'algèbre les constructions 
mêmes de la géométrie analytique et qui diffère de la géométrie ana- 
lytique en ce qu'elle s'attaque directement aux figures sans passer par 
l'intermédiaire des coordonnées carlésiennes. 

I 

III. —La g^raphique 

Un traité de graphique, pour être pratiquement complet, et ce serait 
alors une véritable Encyclopédie^ ou ^ pour être théoriquement condensé 
ou abrégé, et ce serait alors une véritable iS'owme, doit comprendre, dans 
tous les cas, trois parties essentielles, savoir : /a graphique des lieux, 
la graphique des figures et la graphique des formes. 

I, — La graphique des lieux, — La graphique des lieux a pour 
fondement théorique la science des mathématiques pures et appliquées 
et pour fondement pratique le trait de géométrie oulagéométrographie. 

L'astronomie et la géodésie, la topographie et l'arpentage, les Ira- 
vaux publics et les constructions civiles, les arts et métiers en général 
en font autant d'applications particulières et qui donnent lieu, au sein de 
la société, à nombre d'industries spéciales, de professions ou de métiers 
infiniment variés et divers. 

Ce qu'il est important de remarquer, c'est que tout le détail technique 
de ces applications, pour nombreux et compliqué qu*il soit, gravite pour- 
tant autour d'une idée fondamentale très simple, à savoir que : toute 
mesure exacte d'une grandeur géométrique revient à la mesure d'une 
longueur ou d'un angle ^ et que, tout tracé exact se ramène en définitive 

m 

à remploi de la règle et du compas, 

du môme auteur (Paris, i^??)* Le^ remarquables considératioas philosophiques qui y sont coale- 
nues donnent à ce livre un intérêt puissant. 


170 Introduction générale 


a La mesure de la longueur ou de Tctendue linéaire, la mesure d'un 
angle ou d'un arc de cercle s'opèrent par superposition^ c'est-à-dire par 
le procédé de mesure le plus grossier de tous. 

(( A ce procédé élémentaire de mesure, la construction géométrique 
et le calcul fcmdés sur une première intuition sensible rattachent par une 
suite de définitions et d'identités toutes les mesures que l'on peut pren- 
dre dans l'espace aussi bien pour les recherches les plus délicates de la 
science que pour l'application aux besoins les plus vulgaires. C'est ainsi 
que, dans Tarpentage, la géodésie, l'astronomie, il faut toujours mesurer 
directcmcht, par superposition, une longueur et des angles. » (Cournot.) 

Mesurer, calculer, graphier, telles sont les opérations fondamentales 
de la graphique des lieux. Les mesures sont réglées par un système 
métrique ou une métrologie établie par convention, et qui les traduit, 
pour la commodité du calcul, en valeurs numériques. Ces valeurs ini- 
tiales, incorporées aux formules du calcul, établies par ailleurs par la 
symbolique de Tarithmétique, de l'algèbre et des autres branches de l'a- 
nalyse mathématique^ et qui sont exprimées par des lettres oudeschifTres^ 
sont transformées en valeurs finales également numériques. Ces valeurs 
initiales ou finales traduites à leur tour par le trait de géométrie ou la 
géométrographic et graphiées moyennant l'emploi technique de la règle 
et du compas, fournissent dos représentations graphiques, des tracés 
exacts ou des épures pour servir ce que de raison. 

n. — La graphique des figures, — Les théorèmes de l'algèbre avec 
leurs formules symboliques, les théorèmes de la géométrie avec leurs 
figures schématiques n'ont par eux-mêmes aucun sens concret. Ces 
formules et ces figures parlent donc un langage eecrct et accessible aux 
seuls initiés. Le grimoire des mathématiques se compose de signes qui 
connotent les idées ou de traits qui les représentent. Le groupement 
des signes en formules elle groupement des traits en figures constituent 
l'expression synoptique de la langue des mathématiques. 

Les signes et les formules sont artificiels et de pure convention. Ils 


J 


La Graphique 171 


n'ont été inventés quo pour les besoins do la rigueur scientifique, pour 
se débarrasser des ambages du discours, et, en abrégeant les longueurs et 
les irrégularités du langage ordinaire, condenser en des écritures sèches 
et précises ressentie! purement abstrait des questions. Les formules sont 
des groupements discrets et disjoints do signes détachés et distincts, et 
bien que récriture do ces formules soit susceptible d'une certaine élé- 
gance et qu'une vague eurythmie semble présider à l'arrangement des 
signosquilesconstituont,leur seule réalité physique sensible ou la figure 
du signe, alors complètement indépendante de l'idée qu'il connote, l'assi- 
mile entièrement aux autres écritures idéographiques ou alphabétiques. 

Les traits et les figures, au contraire, sous leur réalité apparente et 
sensible, contien?ieni leur idée. Ils existent par eux-mêmes et pour eux- 
mêmes, indépendamment de l'application qu'on er peut faire pour 
illustrer les théorèmes de la géométrie. Il y a en eux comme une étoffe, 
une substance étendue et plastique qui, sans changer de nature, peut se 
prêter à une infinité d'autres usages. C'est par eux, en effet, que s'opère 
toute l'industrie des signes et des symboles, des écritures idcographi- 
qties et alphabétiques, des tracés et des épures géométriques et techno- 
logiques, enfin des dessins figuratifs, pictograpiiiques ou artistiques. 

— Les dessins, les esquisses et les croquis, les cartes et les plans, 
les tracés et les épures, les figures et les graphiques, les écritures et 
les signes; en un mot, la masse énorme d'imagerie qui traduit journel- 
lement le spectacle du momie et de l'art ou qui concourt à l'industrie 
des artisans et des artistes, des architectes et des ingénieurs, des savants 
et des scribes, se réduit en dernière analyse à des complexes de points, 
de traits ou de lignes. 

Les images que nous percevons des phénomènes de l'univers, comme 
celles qui caractérisent les formes que nous donnons aux œuvres de 
notre industrie ou de notre art^ sont appréhendées par l'esprit et pro- 
jetées sur le plan. L'activité de l^esprit venant à s'exercer sur ces 
représentations synoptiques, en mém(> temps que sur les procédés géo- 


172 Introduction générale 


métriques de notre industrie, finit, ensuite d'une analyse incessante et 
qui en dissèque toutes les parties, par en reconnaître les éléments vrai- 
ment essentiels et constitutifs. Ces éléments premiers et irréductibles 
sont au nombre de trois, et de trois seulement, savoir : la droite ou le 
trait tiré, segment fini de la liffne droite indéfinie et, comme elle, de 
rectitude absolue en tous ses points; Varc ou le trait cintré^ segment 
fini de la ligne circulaire et comme elle de courbure uniforme en tous 
ses points; enfin la recourbée ou le trait recourbé, segment fini de la 
ligne spirulaire et comme elle de courbure déclinée régulièrement, c'est- 
à-dire dont la courbure varie en intensité et continûment d'un point à 
un autre. 

Parle plan, qui est la plus simple des surfaces, une correspondance 
s'établit comme d'instinct entre ce qui est perçu ou conçu dans l'espace et 
ce qui est représenté sur le plan. On passe d'une chose à l'autre par un 
simple mouvement de pensée. Le. point qui, abstraitement, est un lieu 
dans l'espace ou sur le plan, physiquement est le minimum de la percep- 
tion de Pétendue. Le point sensible n'ayant ni parties, ni dimensions, 
ni attributs, sinon infiniment petits et nullement ostensibles, est par 
conséquent la plus neutre et la plus rudimentaire des figures. 

Avec le plan comme support ou comme base d'opération et le point 
comme lieu abstrait; avec les trois traits élémentaires, qui, par leurs 
attributs affectifs, sont les plus simples des figures, et le point sensible 
considéré comme la plus rudimentaire des figures; avec les deux mou- 
vements élémentaires, rectiligne ou de translation, circulaire ou de 
rotation, représentés par la ligne droite et le cercle, nous nous assurons 
les fondements nécessaires et suffisants de la graphique élémentaire ; 
en outre et enfin, parla règle et le compas, nous possédons les instru- 
ments nécessaires et suffisants pour appuyer et affermir les tracés qui 
en procèdent. 

— L'idée de la ligne droite, la plus simple de toutes les lignes, est le 
point de départ de toute spéculation géométrique. De l'établissement des 


La Graphique 173 


théorèmes de Thaïes, sur la proportionnalité des côtés homologues dans 
les triangles équiangics, et de Pythagore, sur le carré de l'hypoténuse 
dans les triangles rectangles^ date la géométrie proprement dite^ ou la 
géométrie d'Euclide. 

L'invention de Descartes, ou l'établissement de la géométrie analyti- 
que, qui a changé la face des mathématiques, a pour fondement essen- 
tiel la mise en équation de la ligne droite. 

L'invention corrélative de Monge et de son école, ou l'établissement 
de la géométrie descriptive, a pour fondement essentiel la mise en pro- 
jectionde la ligne droite. 

Personne avant Descartes n'avait pensé à mettre la ligne droite en 
équation et ce fut une révolution dans la science. Personne n'a encore 
pensé à considérer la droite finie comme une figure, c'est-à-dire comme 
un objet distinct et différent do tous les autres par ses attributs de forme. 
De la diversité de ces attributs résulte pour la ligne droite sa 7?iise en 
attitude et, par suite de l'opposition les uns par rapports aux autres de 
ces différents attributs ou de leur composition^ résultent une multitude 
de figures. Tel est le fondement essentiel de toute la graphique, et, 
comme le dit Montaigne : « Il n'est tel que de trouver le bout du fil, on 
en dévide tant qu'on veut. » 

IIL — La graphique des formes. —Les formes en général, ramenées 
à la seule catégorie de l'étendue, comprennent : 

1^ Les formes purement abstraites, construites par la graphique et 
instruites par la géométrie et qui constituent dans les formes concrètes 
soit leur armature intérieure ou de soutènement, soit leur échafaudage 
extérieur, leur enveloppe ou leur topographie de masse. 

2^ Les formes concrètes, soit purement figuratives et descriptives ou 
la configuration des objets naturels qui sont hors de nous, mais que 
notre présence nous révèle, soit les formes ouvrées que notre indus- 
trie élabore sans cesse dans leur variété infinie. 

La graphique pure ou la théorie des figures proprement dites n'est 


174 Introduction générale 


plus de rniso ici; supposée acquise une fois pour toutes, elle est comme 
incorporéeou latente dans les deux grandes applications de la graphique 
générale: le trait etle dessin. 

La graphique des formes comme la graphique des lieux sont des 
applications particulières de la graphique générale qui a pour ohjet la 
théorie des figures dans l'espace, c'est-à-dire et en dernière instance 
des complexes rationnels de points^ de droites et de plans. Les droites 
^,^ et les plans étant conçus dans l'état le plus général et sans avoir égard 

'■■i. à leurs limitations particulières qui font l'objet do la graphique appli- 

' J^ quée. La graphique générale et la graphique appliquée embrassent donc 

tous les problèmes relatifs à l'étendue corporelle telle que nous la con- 
cevons en nous et telle aussi que nous la réalisons hors do nous parles 
voies ordinaires de notre industrie. 

La graphique élémentaire ne considère que les complexes de droites 
et de points. Le plan est le réceptacle commun de toutes les figures 
planes qui sont engendrées par la droite et le point. La graphique élé- 
mentaire appliquée a essentiellement pour objet les figures directement 
conditionnées dans le plan ou qui y sont indirectement présentes par 
l'artifice des systèmes de projection, lesquels relèvent théoriquement de 
la graphique générale et pratiquement de la géométrographie. 


.3 


? 




III 


LE DESSIN — LA GRAPHIQUE — LE TRAIT 

Le dessin considéré en soi, comme une entité rationnelle, c'est-à-dire 
comme une idée collective et qui par sa contpréhension embrasse toutes 
les acceptions qu'on lui donne dans toutes les circonstances où on l'em- 
ploie, et non pas soulementcommeuneentitélogique, c'est-à-dire comme 
une idée particulière déHnie^ qui par son extension se trouve limitée à 


Le dessin — ia graphique — le trait 176 

« 

un ordre d'accoptîoa spccîalo et exclusive de toutes les autres, est le 
nom d'une faculté d'un devenir perpétuel et multiple et par conséquent 
dépendante à tout instantde l'éducation dont chacun do nous est capable. 

Ence sens, et laissant entièrement de côté l'organisation actuelle de 
renseignement du dessin dans les écoles^ organisation toute spéciale 
d'ailleurs, contingente, et dont nous n'avons pas à connaître; si nous 
envisageons la question du dessin d'une manière générale, philosophi- 
que, c'est-à-dire indépendante de toute application particulière et spé- 
ciale, nous reconnaîtrons que le dessin procède à la fois d'une inlellec- 
tion psychologique et d'une manutention technologique se développant 
simultanément. Dans le sens le plus général, le dessin est une gymnasti- 
que à la fois intellectuelle et manuelle destinée à coordonner en les ren- 
dant sensibles les éléments : 

1® — Soit et d'abord d'ixnG idée inférieure à l'artiste, parce qu'elle est 
instinctive et commune à tous les hommes indistinctement, et mac/^ma/e, 
c'est-à-dire mécanique. 

2® — Soit d'une idée extérieure à l'artiste parce qu'elle est élaborée 
et de pratique courante dans le sein de la collectivité particulière dont 
il fait partie, et réelle^ c'est-à-dire technologique. 

3® — Soit d'une idée supérieure à l'artiste parce qu'elle appartient 
essentiellement àla collectivité générale dont l'artiste, l'artisan, ou l'ou- 
vrier ne sont que des parties intégrantes, et formelle^ c'est-à-dire archi- 
tectonique. 

4o — Soit d'une idée intérieure à l'artiste parce qu elle procède de 
son coefficient personnel, elidéalcy c'est-k-^iTe psycAoloffique, 

5^ — Soit et enfin d'une idée ultérieure à l'artiste parce qu'elle est 
comme superposée à son œuvre dont elle n'est que le commentaire, et 
littéraire^ c'est-à-dire esthétique. 

L'orthographe du motc/e^^^m et soninterprétation objective ou, comme 
on dirait maintenant, matérialiste, datent du xvm° siècle et cadraient 
alors avec l'esprit du temps, avec la philosophie régnante. C'est à ce 


1 


178 


Introduction générale 




tryptique dont le motif principal est le paaaeau du milieu, les deux 
autres lui étant subordonnés, leur interdépendance sera accusée le plus 
rationnellement. 

Pour les éléments de l'idée inférieure et machinale, c'est-à-dire mé- 
canique, comme pour les éléments de l'idée extérieure et réelle, c'est- 
à-dire technologique, en ce qui concerne les mathématiques appliquées 
et les arts d'industrie, y compris Tarchitecture, la graphique est purement 
passive, mécanique , c'est un instrument de précision ; pour ce qui 
concerne les arts d'ornement» y compris l'architecture, la graphique est 
au contraire essentiellement active, artistique, elle est un instrument 
d'invention. 

C'est ici que se trouve le véritable domaine de la science des figures, 
de leur existence autonome et qui ne doit rien à l'imitation, mais tout 
à l'invention. La graphique crée son objet, comme on i'a dit de la chi- 
mie et des mathématiques et comme on le dirait également des beaux- 
arts. Par ses frontières pratiquement toujours incertaines et mouvantes, 
la graphique conGne d'une part aux arts du trait, donc à la géométrie 
et par suite aux mathématiques, et, d'autre part, elle confine aux arts 
du dessin proprement dits et par suite aux beaux-arts. La graphique 
emprunte à ceux-ci, par la voie du dessin d'imitation, des thèmes pu- 
rement plastiques et qui l'assouplissent ou qui l'enrichissent; d'autre 
part, elle reçoit de ceux-là, par la voie du dessin de précision, des 
thèmes purement géométriques qui l'enraidissent ou qui l'appau- 
vrissent. 

Si les thèmes construits par la graphique et d'abord tracés à main 
levée sont repris ou interprétés par le dessin d'imitation, avec toutes 
les ressources pittoresques qu'il comporte, on rentre dans le dessin pro- 
prement dit. Si ces mêmes tiièmes sont tracés à la règle et au compas 
avec la préoccupation toute spéculative de l'exactitude et de la précision, 
on rentre dans le trait de géométrie, c'est-à-dire dans le dessin géomé- 
trique ou la géoniélrographie. Dans tous les cas, ce sont là deux inter- 


Le dessin — la graphique — le trait d79 


prélations surajoutées et complètement indépendantes de la graphique 
proprement dite qui demeure entière et autonome sous toutes les inter- 
prétations ou applications qu'on en peut faire. 


III 


Los éléments de l'idée supérieure et architectonique sont empruntés 
à Tart intuitif et aux disciplines diverses qui ont été élaborées par les 
eflorls communs et concertants des ouvriers, des artisans et des artistes, 
et pour chacun des arts, nommément pour les arts d'industrie et les 
arts d'ornement, pour l'architecture et les beaux-arts. 

Ces disciplines, que l'artiste rencontre établies tout à l'entour de lui 
dès son entrée dans la vie et qui, toujours actives, sont plus ou moins 
libres et consenties, plus ou moins impérieuses ou relâchées suivant 
Tàgo de leur formation, étant arrivées au terme de leur évolution, 
sont finalement instruites par la raison spéculative et, en ce qui con- 
cerne notre tradition classique, par exemple, se trouvent enserrées et 
comme codifiées dans la doctrine des beaux-arts. 

Mais celte doctrine, qui a régne « pendant trois siècles qui en valent 
trente dans l'histoire de l'humanité » est visiblement à son déclin. Con- 
damnée à demeurer iidèle à son thème de nativité, à savoir le préjugé 
étroitement classique de la prévalence des anciens sur les modernes, 
la vie s'en éloigne tous les jours : aussi bien, Téternelle jeunesse du 
monde en ses épanouissements toujours renouvelés se rit de toutes les 
doctrines, et dans la joie du devenir rompt finalement toutes les lisières. 
Seule, la tradition disciplinaire et scolastique, autoritaire et académique, 
et dans un but do pédagogie et d'édification, la maintient encore au grand 
réconfort ou au grand déplaisir, ou no sait, de tous ceux qui, demeurés 
fidèles à la tradition classique et sentant en eux comme un regret de la 
patrie perdue, espèrent contre toute espérance et se bercent volontiers 


"•»;''■■ 


180 Introduction générale 


de rillusion d'un rajeunissement ou d'une nouvelle Renaissance. 

La prédominance, le pouvoir quasi-royal d'une idée qui commande 
par-dessus toutes les autres et maintient en une hiérarchie parfaitement 
ordonnée les apports successifs de l'ouvrier, de l'artisan et de l'artiste, 
gravitant autour du maître de l'œuvre, est quelque chose de si évident, 
que c'est par elle précisément que se caractérise nettement une époque, 
une période, un moment dans l'histoire; et qui, dans une forme de civi- 
lisation déterminée, originale, imprime à toutes les œuvres un cachet, 
une marque, une allure, en un mot un style qui les caractérisent pro- 
fondément. Car l'originalité de chacun des styles à nous connus ne 
consiste pas seulement dans Taccent des détails particuliers et signifi- 
catifs de l'œuvre, mais dans leur tenue générale, dans la simultanéité 
et la subordination les uns par rapport aux autres des membrures comme 
dos détails qui concourent et tendent d'ensemble à une fin commune. 

C'est ainsi que, dans la période humaniste et proprement classique, 
de notre Occident européen, s'accuse nettement la domination de l'art 
monumental sur les autres arts plastiques (1) et qu'en particulier, les 
théories relatives à l'architecture ou la doctrine des ordres et des pro- 
portions ; les théories relatives à l'éloquence et à l'art d'écrire, ou la 
rhétorique, sont considérées respectivement comme les fondements 
essentiels de la culture des beaux-arts et des belles-lettres. Mais c'est là 
un phénomène historique unique et tout particulier à notre Occident. En 
fait et pour si important qu'il soit, puisque voilà trois siècles qu'il dure 
et quenous en procédons encore, nous assistons visiblement à son déclin. 
C'est qu'en effet il faut bien distinguer entre l'esprit d'une doctrine et 
les doctrines elles-mêmes. Celles-ci, appuyées par voie d'érudition sur^ 
les témoignages des anciens à nous transmis par les commentateurs et 
corroborés d'ailleurs par l'interprétation systématique des monuments 

(i) « C'étail à la Renaissance un point de doctrine hautement reconnu que l'architecture, la 
sculpture et la peinture étaient trois branches d'un seul et même art. » — 0. Gréart, Educ. et 
Instr., t. I, p. aaa. 


Le dessin — la graphique — le trait 181 


eux-mêmes, ont été érigées en disciplines formelles et didactiques, mais 
(f pour Renseignement de Técole plutôt que pour le régime de la vie 
pratique ». Car, c'est précisément quand Tesprit de la doctrine avait 
cessé de vivre et disparaissait avec ce que nous appelons l'ancien ré- 
gime, qu'au lendemain de la Révolution et durant tout le dix-neuvième 
siècle s'établissent les disciplines systématiques et autoritaires qui en 
procèdent et qui sont appliquées en toute rigueur dans les écoles, où 
d'ailleurs, et confiant dans leur seule vertu opérative^ elles sont accep- 
tées et subies avec la plus entière et la plus aveugle soumission, mais 
aussi, il faut bien le reconnaître, avec la plus complète inertie. Et cela 
est regrettable, car la tradition classique méritait mieux et certainement, 
par delà l'école, la vie vraie la reprendra un jour. 


IV 


Les éléments de l'idée intérieure et psychologique sont empruntés à 
la tradition, c'est-à-dire à la coutume, qui fait que l'artiste obéit sans 
qu'il en ait conscience aux manières de voir et de sentir, de penser et 
d'exprimer qui sont usitées de son temps. Voilà pour les racines pro- 
fondes, mais Tartiste véritable, et c'est en quoi il se distingue de l'ou- 
vrier et de l'artisan, a essentiellement et en propre une complexion 
particulière et bien personnelle, d'où ressort une part d'originalité pri- 
mesautière et irréductible qui, s' ajoutant au fond commun, l'anime et y 
entretient la vie. Ses œuvres sont imitées^ on s'enquiert des procédés 
qu'il a suivis, des causes prochaines de son succès et le talent des imita- 
teurs en enrichit promptement la coutume, c'est-à-dire la mémoire, 
c'est-à-dire encore le trésor commun des souvenirs pratiques. Et cela 
est vrai pour tous les arts en général, aussi bien pour les arts d'indus- 
trie que pour les arts d'ornement, pour l'architecture que pour les beaux- 
arts. Mais cela est vrai surtout et particulièrement pour la peinture qui, 


182 Introduction générale 


depuis le déclin de Tart classique, c'est-à-dire au fond de la mattriso do 
l'art monumental, revendique la prééminence sur tous les autres arts et 
vise à la maîtrise absolue. 

En fait tout gravite actuellement autour de la peinture devenue pré- 
dominante par rhypertrophie de ses deux caractères essentiels : Tun 
plus particulièrement psychologique, si on la voit du côté do la littéra- 
ture, l'autre, plus particulièrement technologique, si on la voit du côlé 
de son matériel, c'est-à-dire de son rendu pictural et décoratif d'un sen- 
sualisme plus accessible et plus immédiat. C'est dans la peinture aussi 
que s'épanouit pleinement le dessin proprement dit, c'est-à-dire le des- 
sin artistique. C'est par le dessin explicite que l'on arrête la synoptique 
dos formes et des mouvements et c'est le dessin aussi, mais implicite, 
qui délimite la synoptique de la couleur, c'est-à-dire du clair-obscur et 
du coloris. Ainsi s'explique la prédominance du dessin des peintres dans 
l'enseignement, qu'il s'agisse de pourvoir soit à l'éducation des artistes 
et des gens du monde, soit indifféremment à celle des ouvriers et des 
artisans. 


Nous avons reconnu la prépondérance actuelle de la peinture, sou 
évidente maîtrise sur les autres arts depuis que triomphent la doctrine de 
l'imitation et la théorie de Tart pour l'art. La peinture, en effet, n'est 
pas précisément un art comme les autres, elle est essentiellement un 
art d'imitation puisqu'elle no crée point d'objets réels, sinon des 
tableaux, mais seulement la représentation artistique d'objets existant 
indépendamment d'elle. Son matériel, en effet, s'applique indifféremment 
à la transcription comme à l'imitation de toutes les choses qui se voient 
et se montrent et qui existent dans tous les cas, qu'il y ait ou non des 
peintres pour les traduire. L'idéal du peintre moderne et qu'il poursuit 
invinciblement serait d'être libre de son dessin comme de sa touche et 


Le dessin — la graphique — le trait 183 


de rendre son idée par le seul pinceau. Le peintre vise donc à s'édu- 
quer sur soi-même, en obéissant (lui semble-t-il au moins) à ses seules 
impulsions naturelles. Il en résulte que sa tendance propre est d'échap- 
per à toute contrainte, d'éducation ou d'opinion, qui lui serait extérieure 
et comme imposée du dehors par voie d'autorité ou de tradition. 

D'autre part, et il le sent bien, le peintre, pour continuer d'être, est 
condamné à demeurer exclusivement dans son monde d'artistes et de 
curieux, d'amateurs et de connaisseurs : monde fermé, où l'on ne veut 
connaître que ce que Ton peut se montrer les uns aux autres et qui ne 
vit que pour les œuvres achevées, les tableaux, les dessins et les bibe- 
lots. Pendant qu'il s'inquiète de l'extension du marché, son dilettantisme 
avisé et jouisseur ne se prend plus qu'aux impressions poétiques 
qu'éveillent les choses anciennes et les rêves Imaginatifs du passé; ou 
bien et puisqu'il est artiste, c'est-à-dire essentiellement un visuel, un 
primesHutier et un impulsif, par delà les exotismes dans le temps et 
dansTespace qui lui sont un régal pour les yeux, il se livre volontiers 
à l'actualité la plus piquante et la plus décadente, la plus spirituelle et la 
plus cruelle, celle-là même et précisément qui dans la minute présente 
produit une petite secousse ou un frisson, uue onde ou un spasme 
d'émotion. 

Mais si le peintre tend à faire bon marché de toute éducation préalable 
et à lui imposée par voie d'autorité, comme aussi bien des efforts cons- 
tants qu*exige la pratique assidue de son métier et dont il a hâte de se 
débarrasser en en escamotant les difficulés permanentes; s'il échappe à 
ce qu'on peut appeler le métier collectif, c'est-à-dire à l'ensemble des 
traditions, des pratiques et des préjugés qu'à son entrée dans la vie il 
rencontre établis dans son milieu et desquels il procède quoi qu'il en ait, 
puisqu'il est nécessairement un conformiste ou un idéaliste, un soumis 
ou un révolté, il retombe d'autre part et comme inconditionné dans 
toutes les difficultés de la compréhension (d'abord, de l'assimilation 
ensuite des influences psychologiques et technologiques qui l'assaillent de 


io\ ,lnlroduclion générale 


toutes parts et qui toujours actives se multiplient sanscesse autourdelui. 
C'est alors et dans ce désarroi que, par un clienuD couvert de 
fleurs, le peintre eslconduit, quoi qu'il en ait d'ailleurs, à subir la tulolle 
devenue prépondérante et quasi-exclusive des seuls hommes de lettres : 
romanciers ou journalistes, critiques d'art ou salonniers. D'abord huma- 
niste et, sous le couvert des académies, classique, solennel et grave, 
l'homme do lettres invente l'esthétique et proclame le règne de la grande 
peinture. Puis, devenu romantique, l'ccrivain s'attarde dans les ateliers 
et fraye avec les peintres pour de là, dans la période qui a suivi et lors 
de l'avènement de la foule et des multiples expositions, salons ou 
musées, qui la sollicitaient, s'ériger en censeur des artistes et en intro- 
ducteur du public. C'est l'écrivain dorénavant qui découvre les artistes 
et les œuvres et se charge d'en proclamer les mérites, toujours singu- 
liers et extraordinaires. Plus lard encore, et nous touchons au moment 
présent, l'éducation de l'homme de lettres étant achevée, son esthétique 
littéraire s'élant enrichie de nouvelles nuances de pensée plus fines eo 
même temps que plus exactes , d'ailleurs pourvu indéfiniment d'idées 
générales et de pensées subtiles, il détient désormais le haut domaine (1) 
de l'art et les artistes gravitent dans son giron. Et cela était inévitable 
d'ailleurs, puisque la parole, c'est-à-dire en définitive la publicité, a sur 
toutes choses le premier et le dernier motde ce qu'il en faut penser (2), 
Mais, et il ne faut pas l'oublier, le domaine utile, c'est-à-dire les choses 
elles-mêmes sont par leur nature indépendantes de la parole qui les 
exprime : à mesure qu'elles deviennent plus diverses, la langue étead 
à proportion son vocabulaire et s'enrichit d'expressions nouvelles 

(i) ou domaine émincnt : u Ou appelle le droil du propriilaire domaine émintnt, celui du te- 
nancier est te domaine utile. Ces dtux droits avaient pour objet le même iuimeulile. ■. D'Abbojs 
DE JuBAiNviLLE.— u Daub lu Gaule romaine, dilM. Albert Sohel, le propriétaire avait sur te/oR- 
dat un droit qu'il teuail de la loij le tenaucier irrévocablement lié à celle terre qu'il cultivait, 
■vail aussi sur elle un droit qu'il tenait de l'usage. Ces deux droits éuient en conOil. L'histoire 
lie ce conllit est l'histoire de la prapriélé el de la liberté civile en France >. 

(a) » L« lao^age est le produit et l'iuslrument le plus direct el le plus complet des TaculUs 
iatimcs del'lioaime. Il est le moyen i|u'einploie la connaissance pour s'extérioriser i l'égard d'elle- 
même el à l'égard des autres ".— WuiiKty, ta Vit da langage. Paris, 1875, p. 35o. 


Le dessin — la graphique — le trait 185 


Cest ainsi qu'après l'art industriel, contemporain de l'art académique et 
comme lui essentiellement doctrinaire, surgit l'art décoratif qui répond 
mieux au sensualisme permanent, comme à la mobilité perpétuelle des 
foules. Le domaine jusque-là fermé des beaux-arts est envahi, juste 
retour des choses d^'ci-bas, par les productions sans nombre des arts 
d'industrie et des arts d'ornement. Et cela aussi était inévitable, car, 
depuis l'avènement de la démocratie, l'autorité sous toutes ses formes, 
cédant en principe sur la rigueur des doctrines établies, et pour se 
maintenir (i) « sent la nécessité d'insister moins sur ce qui paraîtrait 
trop dur, de tolérer certains adoucissements, de faire à la dévotion 
populaire de nombreuses concessions, et parfois même de l'encoura- 
ger afin d'y puiser la force qui ne saurait venir .que du peuple ». 

(i) « Pour faire venir i'are;eDt, il faut céder aux préférences du peuple, » dit la sagesse, tran- 
quillement cj'niquei des moocrnes Arabes. 


PROLÉGOMÈNES 


» » 


A TOUTE GEOMETRIE COMVIE A TOUTE GRAPHIQUE 




:t 




1 


PROLÉGOMÈNES 


A TOUTE GÉOMÉTRIE COMME A TOUTE GRAPHIQUE 


Nous n'insisterons pas sur la métaphysique des idées fondamentales 
de temps, à' espace et de mouvement envisagées dans toute leur abstrac- 
tion, car, comme le dit fort bien un poète et algébriste du seizième 
siècle, Jacques Pelletier du Mans : « ce serait nous vouloir perdre dans 
un labyrinthe duquel n'y a d'autre sortie que la porte d'entrée. » 

Ces idées fondamentales» comme toutes celles qui s'y rattachent ou 
s'y adjoignent, nommées dans le discours et latentes au fond de tous les 
esprits» ne manquent pas de s'éveiller au moindre besoin qu'on en a et 
que signale expressément le mot mis en vedette. D'ailleurs, et quoi qu'il 
en soit de tout ce qu'on en peut dire, elles suffisent telleâ quelles et sans 
(|u'on en ait pour ainsi dire conscience, à remplir leur office qui est de 
guider sans bruit notre activité journalière,spéculative ou pratique. C'est 
par elles que nous avons prise sur le monde sensible et perceptible tou- 
jours ouvert à notre activité comme à notre savoir. 

L'esprit de l'homme doit « travailler sur une matière », ainsi que l'a 
dit Bacon. Les concepts del'Espace et de ses trois formes fondamentales, 
le Plan, la Droite et le Point, lentement élaborés au cours des siècles par 
les travaux accumulés de toute la suite des géomètres, sont aujourd'hui 
pleinement dégagés et, devenus distincts dans tous les esprits, forment 
précisément la matière première de toute graphique comme de toute 
géométrie. 

L'espace est pensé comme un milieu indéfiniment étendu, vide et uni- 
forme, homogène et infini dans lequel rien ne fait obstacle à la présence 


\ 
i 


Prolégomènes 


spirituelle de tout ce qui est comme de tout ce que nous pouvons iuiagi- 
lier et concevoir. C'est ce qui a fait dire à Malebraache que a Dieu est 
le lieu des esprits comme Tespace est le lieu des corps ». Mais pour y 
prendre pied il y faut notre présence spirituelle aussi et de là résiille 
notre conception géométrique et formelle du monde» laquelle se dé- 
termine moyennant les trois formes fondamentales do l'Espace ou de 
l'étendue : le Plan^ la Droite et le Point. 

Les objets généraux et fondamentaux do toute géométrie comme do 
toute graphique sont donc au nombre de quatre : 

L'Espace Le Plan La Droite Le Point 

11 faut concevoir le Plan et la Droile comme s'étendant à Tinfini. 
Si Ton convient d'appeler //^t/re tout complexe quelconque de plans, de 
droites et de points, ou, ce qui revient au môme, le complexe des posi- 
tions successives occupées par un élément, Plan, Droile, Point, mobile 
dans l'Espace, dans le Plan ou sur la Droite, on distinguera trois sortes 
de figures : 

1^ — Les figures dans l'Espace ou les complexes de plans, de droites 
et de points. L'Espace est alors leur lieu ou leur support commun. 

2'' — Les ligures dans le Plan ou les complexes de droites et de points. 
Le Plan est alors leur lieu ou leur support commun. 

30 — ]^çs Qgurcs sur la Droite ou les complexes de points. La Droite 
est alors leur lieu ou leur support commun. 

L'Espace est le lieu ou le réceptacle commun de ces trois sortes de 
figures et des multiples relations qu'elles peuvent avoir entre elles. 

Le Point est un lieu dans l'Espace, dans le Plan ou sur la Droite. 

— En combinant 2 à 2, 3 à 3, 4 à 4... n à n les quatres lettres a^6,Cjd 
qui désignent respectivement l'Espace, le Plan, la Droite et le Point, 
nous obtiendrons successivement les combinaisons binaires, ternaires, 

quaternaires n-^ires, dont le nombre, en s'accroissant rapidement, 

dépasse bientôt toute mesure et finalement déborde notre pensée. Nous 


L'Espace, le ^larij la Droite ^ le T^oint 


nous ou lieaJrons ici aux seules combinaisous biuairôs, lesquelles d'ail- 
leurs et cela est conforme à l'étymologie du mot combinaison^ sont le 
point de départ de toutes les autres. 

Si donc nous combinons 2 à 2 les quatre lettres a^6,c,d aous obte- 
nons un total de 16 (4 X 4 = 16) combinaisons, qui se réduisent à 10 
groupements diQcrents, les six autres n'étant que les symétriques de 
six de ces derniers. En procédant de proche en proche, et de gauche à 
droite, par exemple, pour chacune des lettres successivement, nous 
obtenons le tableau suivant : 


aa 

bb 

ce 

dd 

ab 

bc 

cd 

{de) 

ac 

bd 

(cb) 

(db) 

ad 

{ba) 

ica) 

{da) 


En substituant aux lettres les mots qu'elles représentent nous obtien- 
drons finalement dix combinaisons distinctes, savoir : 

aa c'est-à-dire Espace et Espace 
ab — Espace et Plan 

ac — Espace et Droite 

ad — Espace et Point 

bb — Plan et Plan 
bc — Plan et Droite 

bd — Plan et Point 

ce — Droite et Droite 

cd — Droite et Point 

dd — Point et Point 

— Maintenant, et sur ce dernier tableau, si Ton vient à penser ou à 
concevoir les objets eux-mêmes, qui sont sous les mots comme ceux- 
ci étaient sous les lettres, ou remarquera tout d'abord, et dans la géo- 
métrie de l'Espace, que la combinaison Espace et Espace n'a point de 
sens, qu elle est une simple redondance qu'il nous faut tout d'abord 


r. 


-'fV 


Ix 


6 -7 Prolégomènes 


éliminer. Il en serait de même et dans la géométrie du Plan pour la 
combinaison Plan et Plan ; dans la géométrie de la Droite pour la 
combinaison Droite et Droite; et enfin dans la géométrie du Point (si 
tant est qu^me telle géométrie soit concevable) pour la combinaison 
Point et Point. 

Mais la combinaison Point et Point est valable pour la géométrie de 
la droite qu'elle constitue essentiellement; la combinaison Droite et 
Droite est valable pour la géométrie du Plan d'une part et pour la 
géométrie de TEspace d'autre part ; enfin la combinaison Plan et Plan 
est valable pour la géométrie de l'Espace et lui est essentielle. 

— Les neuf combinaisons binaires des quatre éléments : Espace, Plan, 
Droite, Point,donneraient lieu, par les groupements divers qu'on en peut 
faire, à bien des remarques. Nous ne nous arrêterons ici qu'aux prin- 
cipales. Tout d'abord si nous considérons les six combinaisons binaires 
absolues, ou composées seulement de deux éléments différents, à 
savoir : l'Espace et le Point, l'Espace et la Droite, l'Espace et le Plan, 
d'une part; puis le Plan et le Point, le Plan et la Droite d'autre part ; et 
enfin la Droite et le Point ; nous remarquerons que : 

10 — Le Point est le centre de TEspace, le centre du Plan et le 
centre de là Droite ; 

2^ — La Droite est l'axe de l'Espace et l'axe du Plan. 

30 — Le Plan partage l'Espace en deux demi-espaces égaux et symé- 
triquement placés par rapport au Plan de base ; la Droite partage le 
Plan en deux demi-plans égaux et symétriquement placés par rapport 
à la Droite de base ; enfin le Point partage la Droite en deux demi-droites 
égales et symétriquement placées par rapport au Point de base ou 
d'origine commune. 

En outre, si nous rapportons les neui combinaisons binaires res- 
pectivement à la géométrie de l'Espace, à la géométrie du Plan, et 
enfin à la géométrie de la Droite, nous observerons que : 

1*^ — La géométrie de l'Espace, outre les trois combinaisons primaires 




L'Espace, le T'ian, la Droite, le Totnt 8-9 

et fondamentales, à savoir l'Espace et le Point, l'Espace et la Droite J'Es- 
pace et le Plan, comprend encore les six autres combinaisons, à savoîJP': 

Plan et Plan, 
Plan et Droite, 
Plan et Point, 
Droite et Droite, 
Droite et Point, 
Point et Point, 

lesquelles, avec l'Espace qu'elles impliquent, forment au demeurant 
des combinaisons ternaires : 

2o — La géométrie du Plan, outre les deux combinaisons primaires 
et fondamentales, à savoir le Plan et le Point, le Plan et la Droite, com- 
prend encore les trois combinaisons suivantes : 

Droite et Droite, 
Droite et Point, 
Point et Point, 

lesquelles avec le Plan qu'elles impliquent forment, au demeurant^ des 
combinaisons ternaires. 

3* — La géométrie de la Droite, outre la combinaison primaire et fon- 
damentale de la Droite et du Point, comprend encore la combinaison : 

Point et Point, 

laquelle avec la Droite qu'elle implique forme, au demeurant, une combi- 
naison ternaire. 

La géométrie de la Droite est une géométrie bien réduite et qui se 
confond d'ordinaire dans la géométrie du Plan, dont les figures sont 
infiniment plus multipliées. Dans la géométrie de l'Espace le nombre 
des combinaisons, et par suite des figures, défie toute énumération et on 
ne répuisera jamais. La géométrie générale comme la graphique géné- 
rale impliquent les trois géométries de l'Espace, du Plan et de la Droite ; 

i3 


►■ . 


/ 1 
■ I 


40 Prolégomènes 


i :■ 


la géométrie élémeataire comme la graphique élémentaire ne considèren 
que les deux géométries du Plan et de la Droite. 

Si donc nous réservons pour la Géométrie et la Graphique de l'Es- 
pace les trois premières combinaisons, savoir, l'Espace et le Plan, l'Es- 
pace et la Droite, l'Espace et le Point, il nous reste, pour la Géométrie 
comme pour la Graphique du Plan, les combinaisons Plan et Droite, 
Plan et Point ; et pour la Géométrie comme pour la Graphique de la 
Droite, la seule combinaison Droite et Point, 

Maintenant, puisqu'il s'agit de prolégomènes et non pas d'une expo- 
sition didactique et régulière, il nous paratt plus simple de procéder 
pas à pas, et de rangersous autant d'articles distincts l'examen successif 
des combinaisons binaires en commençant par les combinaisons pri- 
maires et déterminantes. C'est pour cela aussi que nous confondons 
sous le même titre de Géométrie du Plan, et la Géométrie de la Droite 
et la Géométrie du Plan proprement dite. 


CHAPITRE PREMIER 


LE PLAN LA. DROITE LE POINT 


Le Plan, représenté par telle surface plane que l'on voudra, considéré 
comme le réceptacle ou le support des figures que l'on peut tracer sur 
lui; puis la Droite et le Point, considérés comme les éléments simples 
et générateurs de toutes les figures qui sont contenues dans le Plan : 
tels sont les fondements essentiels et primordiaux de la Géométrie du 
Pian comme de la Graphique des figures planes. 

Le Plan, la Droite et le Point étant pris deux à deux déterminent 
trois combinaisons binaires, savoir : Droite et Point, Plan et Point, 
Plan et Droite. 

La Droite et le Point étant pris deux à deux et alors dans le Plan, 


Ch. /, cArL I— Droite et ^oint H 


déterminent trois combinaisons binaires» savoir : Point et Point, Droite 
et Point, Droite et Droite. 


ARTICLE PREMIER 

DROITE ET POINT 

La combinaison Droite et Point ou la synthèse de la Droite et du 
Point, envisagée en toute indépendance de l'Espace et du Plan, c'est-à- 
dire dans la seule étendue linéaire ou à une dimension, constitue le 
point de départ de la Géométrie comme de la Graphique de la Droite. 

Un point. ^- Un point fixe situé en un lieu quelconque de la Droite 
se subordonne celte ligne par tous ses points et à toutes les distances. 
Ce point fixe est alors le centre de la Droite tout entière considérée 
comme illimitée dans les deux sens, c'est-à-dire d'un côté et de l'autre 
du point fixe. 

Le point sur la droite la partage en deux demi-droites égales et de 
sens contraire, c'est-à-dire opposées l'une à l'autre dans leur propre 
alignement, et symétriques l'une de l'autre par rapport à ce point fixe 
qui devient alors le centre de symétrie do la Droite (fig. 1). Tous les 
points des deux demi-droites sont homologues et symétriques l'un de 
l'autre qui sont situés de part et d'autre à même distance du Point. 

Deux points. — Si l'on prend deux points sur la Droite, ces deux 
points partageront la Droite en trois parties : un segment fini compris 
entre les deux points, et deux demi-lignes droites indéfinies (âg. 2). Ces 
deux demi-lignes droites séparées l'une de l'autre par le segment fini 
sont de sens opposés, c'est-à-dire dirigées en sens contraire. 

Les deux points étant pris à volonté, cela revient à dire que le seg- 
ment fini peut être aussi grand ou aussi petit que l'on voudra. La lon- 
gueur du segment, ou, ce qui revient au même, la distance entre les 
deux points varie indéfiniment en passant partons les états de grandeur 


12 Prolégomènes 


enlre deux limites extrêmes, à savoir : quand les deux points son infi- 
ment rapprochés l'un de Tautre et qu'ils se confondent en apparence, 
dans ce cas le segment est infiniment petit et se réduit à un point al- 
longé aussi petit que l'on voudra; ou bien quand les deux points sont 
infiniment éloignés l'un de l'autre, dans ce cas le segment étant infini- 
ment grand équivaut à la Droite entière. En résumé le segment fini 
varie entre le Point qui n'a pas de longueur et la Droite indéfinie ou 
brièvement la Droite qui n'a pas d'extrémités. 


> VA « % » 


-•• 


Si Ton considère la Droite comme une simple directrice, graphiée 
alors par une liffne blanche^ — c'est-à-dire par une ligne tracée au 
crayon, par exemple, ou une ligne tracée à l'encre, mais pointillée, — 
un seul point y sera envisagé comme une figure mobile et pouvant se 
déplacer indéfiniment dans un sens ou dans l'autre (fig. 3). En décom- 
posant le mouvement continu de translation du point, on en rendra les 
stations successives distinctes, et la suite de ces positions successives. 


Ch, /, cArt. I — Droite et "Point 13 


plus ou moins rapprochées ou éloignées Tune de l'autre et à des 
intervalles égaux ou inégaux, déterminera une suite de points tous 
alignés sur la même directrice. De même le couple de deux points 
rendus solidaires Tun de l'autre par la distance fixe qui les sépare, 
et le segment fini, tous deux considérés comme invariables, se dépla- 
ceront sur la directrice à l'égal du point (fig. 4 et 5). 

Si le trait graphique de la Droite était interrompu dans la portion 
finie, ou que les deux demi -lignes droites de la figure 1 fussent écartées 
Pune de l'autre, de manière que l'intervalle fût comblé par une ligne 
blanche ou ponctuée, l'ensemble (fig. 6) paraîtrait alors composé de 
deux demi-lignes droites séparées l'une de l'autre par un intervalle vide. 
De même pour la figure 2, si Ton séparait les trois parties de la Droite 
divisée par deux points, on aurait un ensemble disjoint (fig. 7) déter- 
miné alors par un complexe de quatre points sur la Droite. 

Trois points. — Trois points partagent la Droite en deux segments « 

finis et deux demi-lignes droites indéfinies; ou bien, ce qui revient au 
même, un troisième point pris sur le segment fini d'une Droite divisée 
par deux points le partage en deux autres segments égaux ou inégaux. 


i_; 


m 


8 - S 


Dans le premier cas, le point intermédiaire est également distant des *^ 

deux autres et se confond avec le centre de symétrie de l'ensemble qui V 

est alors symétrique et /?aer (fig. 8). Dans le second cas, le troisième 

point étant à inégales distances des deux premiers (fig. 9), l'ensemble est 

asymétrique et impair, et le troisième point devient le centre de simi- 

litude des segments de la Droite. Les deux segments de la droite finie, 

quelle que soit leur proportion relative, sont toujours semblables entre 


*• 

&*': 






- V 


■ï 


14 Prolégomènes 


eux et chacun d'eux séparément est semblable au segment tout entier. 
Ainsi se trouvent établis pour la géométrie tout entière et le fondement 
premier de la symétrie et le fondement premier de la similitude, d'une 
importance capitale pour la théorie des Ggures aussi bien géométriques 
que graphiques. 

Quatre points. — Quatre points partagent la Droite en trois segments 
finis et deux demi-lignes droites indéfinies. Les trois segments pouvant 
être égaux et uniformes, ou inégaux et variés, leur proportion relative 
donne lieu à huit combinaisons, savoir : 


fO 


n 


iS 


15 




H 


1^ 


• # 


• ■ • 


16 


7 

1» Les trois segments égaux ; l'ensemble est pair et symétrique 
(Gg. 10); 

2» Deux segments égaux, le troisième plus grand et à la suite; l'en- 
semble est asymétrique et impair (fig. H); 


\ 


C/r. /, cArt. I — Droite et T'oint 15 


3^ Deux segments égaux, le troisième plus petit et à la suite ; l'ensemble 
est impair et asymétrique (fig. 12)'; 

4^ Deux segments égaux, le troisième plus grand et au milieu ; l'en- 
semble est pair et symétrique (fîg. 13); 

S"" Deux segments égaux, le troisième plus petit et au milieu; l'en- 
semble est pair et symétrique (fig. 14); 

6'' Les trois segments inégaux, se suivant dans leur ordre de grandeur 
ou déclinés; l'ensemble (fig. 15) est impair ou asymétrique et régulier 
ou irrégulier. L'ensemble est régulier si la déclination est régulière, 
c*est-à-dire si le plus grand segment est au segment médian, comme 
celui-ci est au segment le plus petit ; en d'autres termes, si la proportion 
ou, ce qui revient au même, le rapport de similitude est le même pour 
chacun des groupes de segments. Dans ce cas, la proportion est continue 
et le segment médian est dit moyen proportionnel entre les deux autres; 

7* Des trois segments inégaux, le plus petit est placé au milieu; l'en- 
semble (fig. 16), impair et asymétrique, est irrégulier ou régulier. L'en- 
semble est régulier si l'on compte quatre segments, à savoir : les trois 
segments finis, le segment total qui est leur somme, et que ces quatre 
segments forment une proportion telle que le plus grand segment soit 
au plus petit comme le segment moyen est au segment total. Dans ce 
cas purement géométrique, les quatre points sont dits harmoniques; 

%" Des trois segments inégaux, le plus grand est au milieu des deux 
autres (fig. 17); l'ensemble, impair et asymétrique, est irrégulier ou 
régulier. L'ensemble est régulier si les quatre points sont harmoniques, 
comme dans le cas précédent, la disposition seule, c'est-à-dire l'ordre 
des segments, étant changée. 

N — Points. — 1, 2,3,4, 5...n, points, n étant un nombre quelconque 
de la suite ordinaire des chiffres, partagent la ligne droite en 2, 3, 4, 
5... n + * segments, dont 0, 1, 2, 3... n — 1 segments finis et deux 
demi-lignes droites indéfinies. Le complexe de la Droite et des n 
points distribués sur elle s'appelle une ponctuelle. 


16 Prolégomènes 

En général, n points étant alignés sur la Droite peuvent être distri- 
bués ou répartis de deux manières. La première est quand les inter- 
valles entre les points sont tous égaux, Tenscmble est alors uniforme, 
régulier et symétrique (fig. 18). La seconde (fîg. 19) est quand les inter- 


■^-«^ 


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J9 


valles entre les points vont régulièrement en croissant dans un sens 
et, réciproquement, en décroissant dans l'autre; dans ce cas, si la pro- 
gression de grandeur des intervalles suit une loi régulière, l'ensemble 
est encore régulier, mais asymétrique, et, pour un nombre fini de points, 
n'occupe plus qu'une demi-ligne droite. Cette déclination régulière fait 
que les points se serrent de plus en plus d'un côté et réciproquement 
s'écartent de plus en plus de l'autre, c'est-à-dire que, dans ce cas, l'en- 
semble prend un sens : d'un côté la suite des points devient de plus en 
plus dense et tend à une fin actuelle; de l'autre, au contraire, la suite se 
raréfie de plus en plus, et tend également à une fin actuelle ; à cause 
que l'attention se fatigue à parcourir simultanément soit des intervalles 
de plus en plus petits, soit des intervalles de plus en plus grands. 

D'après cela, il faut distinguer deux formes de ponctuelles régulières, 
savoir : les ponctuelles uniformes ou d'égale division et les ponctuelles 
déclinées ou d'égale proportion. Les ponctuelles uniformes sont toutes 
semblables et varient seulement avec l'échelle de la figure, c'est-à-dire 
avec la grandeur métrique de l'intervalle initial. Les ponctuelles uni- 
formes sont toutes différentes et varient avec le rapport de deux inter- 
valles consécutifs ; ce rapport est indéfiniment variable, et les mathéma- 
tiques pures et appliquées en fournissent une multitude d'exemples. 
Afin de bien préciser la notion de déclination continue et régulière 
nous prendrons comme illustration les exemples suivants: 


Ck. /, cArt. I-- Droite et T'oint 17 


Dans la figure 20, les segments successifs suivent la progression 

-, -, g-j -jr ^' Cette progression indéfinie a pour somme Tunité, 

c'est-à-dire que la moitié, plus le quart, plus le huitième..., etc., d'un 
segment fini pris pour unité, reproduit l'unité choisie. 


s 



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lu 


« m ■ • 








21 








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Dans la figure 21, les segments successifs suivent la progression 
■^> :rj ^» ;:7 :r- et la somme de tous ses termes en nombre infini est 

égale à l'unité. 

Dans la figure 22, les segments successifs suivent la progression 

3 3 3 3 3 

r» TTJ 71 -> ^z:: »- et la somme est éerale à Tunité. En suivant la 

4 16 64 256 4»» ° 

même marche pour tous les nombres successifs, pris deux à deux, de la 
série ordinaire des chiffres, on obtiendrait une suite de ponctuelles à 
déclination accélérée d'une ponctuelle à l'autre. La formule générale de 

cette suite de progressions serait oùmeln représentent un chiffre 

quelconque de la suite ordinaire des chiffres. Quand on a assigné à n un 
chiffre quelconque on obtient le rapport qui détermine la progression, 
puis, en donnante m les valeurs successives i, 2; 3.... //i, on obtient 
autantde termes qu'on voudra de la même progression. Par exemple en 

prenant pour n le chiffre 4, on aurait le rapport ~, et donnant à m 
successivement les valeurs : 1, 2, 3... m on aurait la suite -, ~, -—■, 

A 4 

— -- — , dont la somme est égale àl'unité. 


18 Prolé^omènea 


— Au point de vue graphique une ponctuelle oeut s'interpréter soit 




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, ».. .1 ...•, --■ « •■•' ' "-' "■'-' ' -' '••• 

comme une rangée de points (fig. 23); soit comme une rangée de segments 
contigus (fig. 24), soit en6n comme une rangée de segments distincts 
et séparés les uns des autres par des intervalles (6g. 25). On a alors 
des rangées de points ou de droites finies, et ce sont en effet les 
seules figures que comporte la Droite, qui devient alors une simple 
directrice de la suite des points ou de la suite des droites, ou bien 
encore de leur mélange. Le point de vue delà graphique, d'où les choses 
sont vues et senties, est donc bien différent de celui de la géométrie 
d'où les mêmes choses sont conçues abstraitement et interprétées par la 
raison spéculative. 

ARTICLE II 

PLAN ET POINT 

La combinaison Plan et Point, ou la synthèse du Plan et du Point, 
nous conduit à une interprétation particulière de la notion du Plan, 
celle de l'étendue circulaire ou du Plan polaire. 

Le point fixe, situé en un lieu quelconque de la surface du Plan tout 
nu, se subordonne cette surface en tous les points, à toutes les distances 
et dans toutes les directions. Ce point fixe est alors le pôle du Plan 
tout entier qu'il faut considérer comme un cercle infini et qui n'a point 
de périphérie, à l'égal de la droite qui est aussi infinie et qui n'a point 
d'extrémités. 

Et de même que dans Tordre de nos perceptions réceptives aussi bien 


CA. /, Q4rt. //— "Plan et Toint 19 


que dans Tordre de notre technique ouvrière, nous n'avons prise que 
sur la Droite limitée et bornée par ses deux extrémités, de même aussi, 
nous n'avons prise sur le Plan polaire qu'en lui imposant des bornes ou 
des limites, c'est-à-dire un contour ou un circuit qui en délimite une 
portion semblable au Plan polaire tout entier, et qui en fait un tout 
accessible à notre perception et à notre manutention, c'est-à-dire un 
cercle. Et comme toutes les droites finies son semblables et tous les 
cercles aussi, nous avons à notre disposition deux formes définies, à la 
fois géométriques et graphiques, et qui peuvent passer paf tous les états 
de grandeur depuis le point, où l'étendue s'annule, jusqu'à l'infini, où 
toutes limites et par conséquent toutes figures s'évanouissent. 

Cela posé, nous savons par expérience que par un point quelconque 
de la surface du Plan nous pouvons faire passer une ligne droite et la 
tracer effectivement en prenant la règle pour appui ou pour guide. Nous 
savons en outre et de mémo que par ledit point nous pouvons décrire 
une circonférence en prenant pour instrument le compas et, pour l'é- 
cartement de ses branches ou la distance de ses pointes, une longueur 
quelconque. Nous savons encore qu'il faut deux points pour fixer le lieu 
d'une droite : la direction de la droite, comme la grandeur du cercle 
sont donc entièrement déterminées quand on se donne un deuxième 
point sur la surface du Plan polaire. 

Deux points séparés par un intervalle quelconque pour appuyer la 
règle et tracer la ligne droite ; un point ou centre et une longueur, à 
de savoir l'ouverture du compas et par suite un deuxième point, extrémité 
la longueur, pour tracer une circonférence : telles sont les conditions 
nécessaires et suffisantes pour la détermination de la ligne droite et de 
la ligne circulaire ou du cercle. 

§ 1. — La Droite et ses directions dans le Plan. 

Toutes lesdroites en nombre illimité (fig. 1), qui passent par un même 
point dans le Plan, ou toutes les demi-lignes droites en nombre égale- 


20 


Prolégomènes 


ment illimité qui soot articulées en ce môme point et qui rayonnent 
tout à l'entour de lui, renferment, prises en bloc, toutes les directions 
du Plan. Or, ces directions étant indéfiniment nombreuses, comment s'y 


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reconnaître et les nommer? Voici. Nous projetterons sur la surface du 
Plan, par le point fixe et dans l'ensemble des lignes droites ou des demi- 
lignes droites, les deux directions qui nous sont familières et comme 
naturelles ou instinctives, à savoir : la vprticale ou la perpendiculaire 
du fil à plomb et Yhorisontale ou la ligne de niveau. 

Cela fait, notre ensemble ou faisceau de droites rayonnantes se trou- 
vera réparti en deux groupes : 

\^ Et d'abord, le groupe très simple et très bref des deux lignes ver- 
ticale et horizontale passées en croix et perpendiculaires Tune à l'autre, 
ou le groupe du trait carré qui partage la surface du Plan en quatre 
quartiers égaux et symétriques (fig. 2). 

2^ Puis un groupe de lignes obliques à ces doux-là (fig. 3), et qui, 
indéfiniment nombreuses, occupent symétriquement les quatre quartiers 
du trait carré. Ce groupe lui-même se partage en deux autres : l'un 
qui comprend les obliques distribuées dans le premier et le quatrième 
quartier, et l'autre symétrique du premier qui comprend les obliques 
distribuées dans le deuxième et le troisième quartier. De ces deux 
groupes d'obliques, les unes vont à gauche de la verticale et les autres 
à droite; nous nommerons les premières oA//ywe»?à^awcAe ou en Aanrfie, 
et les autres obliques à droite ou en barre^ conformément au glossaire 
du Blason. Les obliques en barre et les obliquesen bande, qui ont même 


Ch, /, (Art. II — Flan et Point 


21 


iaclinaison, par rapport à la verticale et simultanément par rapport à 
l'horizontale, sont réciproques et symétriques Tune de l'autre; elles 
sont dites alors anti-parallèles. 

Parmi ces obliques indéGniment nombreuses^ les unes, qui se rappro- 
chent de la verticale, sont àiie^ penchées; les autres, qui se rapprochent 
de l'horizontale, sont dites couchées. Enfin les obliques qui ne sont ni 
penchées, ni couchées, mais exactement intermédiaires entre la verti- 
cale et l'horizontale, sont dites diagonales: elles sont au nombre de deux 
seulement, et forment ensemble le trait carré, mais posé de biais, ou 
diagonal, c'est-à-dire en sautoir. 

§ 2. — Les angles y les secteurs et les girons. 
— Si par le Point, pôle ou centre, on mène un rayon ou une demi- 




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ligne droite indéfinie, on ouvre d'une manière impliciteTespacecirculaire 
ou du plan polaire, dont la surface entière reste indivise. Cet espace 


1 


22 Prolégomènes 


circulaire, qui est l'analogue du demi-plan, est pair, c'est-à-dire symé- 
trique de part et d'autre d'un axe qui coïncide avec le rayon d'ouver- 
ture, passe par le centre et traverse le cercle ou le plan polaire de part 
en part (fig. i). 

Si par le centre on mène deux rayons distincts, l'espace circulaire ou 
le cercle se trouvera partagé en deux secteurs complémentaires l'un de 
l'autre dans l'unité du cercle ou de l'espace polaire et dont les variations 
sont réciproques : à mesure que l'un augmente, l'autre diminue d'au- 
tant, puisque leur somme, ou l'espace circulaire qu'ils embrassent, reste 
constante. Si les deux rayons sont très rapprochés l'un de l'autre, l'an- 
^/^ qu'ils font entre eux est àxiaigu et le cercle se trouve partagé en 
un giron aigu et un secteur à angle rentrant (fig. 2). Si les deux rayons 
sont d'équerre, le cercle est partagé en un secteur ou giron rectangle, 
c'est-à-dire un quartier, et un secteur à angle rentrant; le secteur ou 
quartier est alors le quart du tout, et le secteur à angle rentrant les trois 
quarts du tout (fig. 3). Si l'angle des deux rayons augmente, le giron 
devient obtusangle, et le cercle estpartagéen deux secteurs, l'un obtus- 
angle, l'autre rentrant (fig. 4). Enfin, si les deux rayons sont dans le 
prolongement l'un de l'autre, le cercle est partagé en deux demi-cercles 
égaux et symétriquement placés par rapport à l'axe de symétrie formé 
parles deux rayons alignés (fig. 5). 

Les figures 1, 2, 3 et 4 et toutes les figures intermédiaires à celles-là 
sont paires; la figure 5 est écartelée, c'est-à-dire pairement paire. 

En supposant l'un des rayons fixe, pendant qu'un autre, mobile, 
s'écarte du premier d'un côté ou de l'autre suivant le sens de la rotation 
et après un tour complet revient sur le rayon fixe, on peut noter la suite 
des angles ainsi engendrés comme il suit : 

Zéro angle — angle aigu plus petit qu'un quartier ou qu'un angle 
droit — angle droit — angle obtus plus grand que un droit — le demi- 
cercle égal à deux angles droits — un angle rentrant plus grand que 
deux droits — un angle rentrant égal à trois droits — un angle ren- 


Ch. l oArt. H — Plan et Point 23 


trant plus grand que trois droits, — enfin le cercle entier égal à quatre 
angles droits. 

Si l'on désigne par les lettres A, D, 0, P, R, respectivement chacun 
des angles, aiguy droit j obtus^ demi-cercle ^ ou plein-cintre, rentrant j on 
aura la notation suivante qui traduit les figures 2, 3, 4 et 5 : 

(A + R) (D+R) (0 + R) (P + P) (R + 0) (R+D) (R + A) 
^ X ^ 

c'est-à-dire que la suite des secteurs variables et complémentaires 
l'un de l'autre dans l'unité du cercle est la suivante : aigu et rentrant 
— droit et rentrant — obtus et rentrant — plein-cintre et plein-cintre — 
rentrant et obtus — rentrant et droit — rentrant et aigu. Cette suite 
est donc symétrique de chaque côté de la somme demi-cercle et demi- 
cercle. Cest pour cela que nous n'avons en réalité que les figures 2, 3 
et 4, qui soient distinctes; ces trois figures sont variables, et comprises 
entre les figures invariables! et 5; les trois autres sont symétriques aux 
figures 2, 3 et 4, et par conséquent les mêmes. 

— Au point de vue de la théorie des grandeurs qui constitue une par- 
tie importante, sinon, et pratiquement, la plus importante du système 
général des sciences mathématiques pures et appliquées, l'angle est con- 
sidéré comme une grandeur homogène et continue, et dont, par consé- 
quent, les parties, les multiples et les différences sont de même nature. 
A ce point de vue, la suite précédente serait indéfinie et, si l'on désigne 
par la lettre A l'angle des deux rayons, on aurait les notations sui- 
vantes : 

A = 0, A < 1 dr., A = 1 dr., A > 1 dr., A = 2 dr., A > 2 dr., A = 
3 dr., A > 3 dr., A = 4 dr., A > 4 dr., A = 5 dr., A > 5 dr., A = 

6 dr A ^ n droits. 

Mais, au point de vue de la graphique ou de la théorie élémentaire 
des figures, et dans la géométrie du plan, cette extension de l'idée 


i 
\ 


24 Prolégomènes 


d'angle considéré comme une grandeur conlinue el indéfinie n'a pas de 
sens; car nous n'y rencontrons jamais que l'angle compris sous une 
figure, c'est-à-dire sous Tarticulation de deux traits, ou la rencontre de 
deux alignements. 

Au point de vue métrique ou de la métrologie pratique, qui fait usage 
du rapporteur ou du graphomètre pour la mesure des angles, on rap- 
porte la mesure des angles à la mesure des arcs de cercle pris sur une 
circonférence préalablement divisée : en 360 degrés, par exemple, puis 
chacun des degrés divisé en 60 minutes, chaque minute en 60 secon- 
des, et ainsi de suite. Dans ce cas, la circonférence entière valant 360^, 
le demi-cercle en vaudra 180 et le quartier ou Tangle droit 90; Tangle 
aigu sera une fraction de l'angle droit, et l'angle obtus une fraction de 
deux angles droits, ou bien encore sera équivalent à un angle droit plus 
une fraction d'angle droit. 

Au point de vue graphique, qui est indépendant et même exclusif de 
tout calcul, sinon comme aide indirecte et tout à fait accidentelle, nous 
n'aurons à considérer que la grandeur des angles en fonction de l'an- 
gle droit et exprimée en nombres rationnels, c'est-à-dire entiers ou 
fractionnaires. Par exemple l'angle du triangle régulier équilatéral et 
équiangle sera exprimé par j d'angle droit ; l'angle de l'hexagone par 
- ; celui du pentagone par -; celui de Theptagone par ~ d'angle droit; et 
ainsi de suite. 

I 3. — Les partitions du plan polaire. 

I 

Si, par le Point, pôle ou centre du Plan polaire et du cercle, on fait 
passer successivement une, deux, trois. . . n lignes droites ou diamètres, 
lasurface du Plan polaire et celle du cercle se trouveront partagées simul-* 
tanément, savoir: par une droite et pour le Plan polaire en deux demi- 
plans égaux, et pour le cercle en deux demi-cercles égaux (fig. 1) ; — ^ 


Ch. I:AtU II — Plan et Point 


2K 


par deux droites obliques Tune à l'autre ou passées en sautoir ^ et pour 
le Plan polaire en quatre angle-plans appariés et égaux deux à deux, 
pour le cercle en quatre secteurs appariés et égaux deux à deux (fig. 2) ; 


■■-K 



■•K 


-^ ^'. 


*, -' 







si les droites sont d'équerre ou passées en croix^ le Plan polaire se 
trouvera partagé en quatre angles-plans rectangles égaux ou en quatre 
quartiers, et le cercle en quatre secteurs ou quadrants égaux (fig. 3) ; 
— ^ par trois droites on aurait six angles-plans égaux pour le Plan 
polaire et pour le cercle six girons égaux (fig. 4) ou inégaux et appariés 
deux à deux (fig. 5) ; — par quatre droites on aurait huit angles-plans, 
secteurs ou girons égaux (fig. 6) ou inégaux et appariés deux à deux; 
— et ainsi de suite. 

En général, n droites passant par le pôle ou centre partagent le Plan 
polaire ou le cercle en ^ x ^ angles-plans, secteurs ou girons égaux ou 
inégaux. Dans tous les cas et quel que soit le nombre n des droites, 
toutes ces partitions sont symétriques, par rapport au centre si les divi- 
sions sont égales ou inégales, et simultanément par rapport à des axes 

i4 




L-r- i-^T 


28 Prolégomènes 


si les divisions sont égales. Le nombre des axes de symétrie est en 
général de 2 n : la figure ) est écartelée ou à deux axes de symétrie pas- 
sés en croix, l'un selon la droite de partition, l'autre transversal et d'é- 
querre ou perpendiculaire au premier; la figure 2 est écartelée; la 
figure 3 cstgironnée ou à quatre axes de symétrie; la figure 4 est sé- 
naire ou à six axes de symétrie; la figure 5 est diagonale ou à un centre 
de symétrie seulement ; la figure 6 est octoénaire ou à huit axes de 
symétrie, quatre passant par les droites et quatre bissectant les angles 
ou girons ; et ainsi de suite. 

II 

Trois demi-lignes droites ou trois rayons irradiés du centre à la cir- 
conférence partagent le Plan polaire ou le cercle en trois angles-plans^ 
secteurs ou girons. Suivant la distribution des rayons ou leur écarte- 
ment réciproque, les angles qu'ils font entre eux, chacun suivant son 
espèce, se composent diversement. Suivant donc que les secteurs sont 
selon un angle aigu, un angle droit ou bien un angle obtus ou un angle 
rentrant et qu'ils sont égaux ou inégaux et variés, on a douze figures 
difiérentes. 

Dans la figure 1 on a deux angles aigus inégaux et un angle rentrant, 
la figure est impaire ou asymétrique ; la figure 2 a les angles aigus égaux 
et un angle rentrant, elle est paire ou symétrique. La figure 3 a un 
angle aigu, un angle droit et un angle rentrant ; la figure 4 a un angle 
aigu, un angle obtus et un angle rentrant; la figure 5 a un angle aigu, 
un angle obtus et un demi-cercle ; ces trois figures sont impaires ou asy- 
métriques. La figure 6 a un angle aigu et deux angles obtus égaux, elle 
est paire. La figure? a deux angles droits et un demi-cercle, elle est paire. 
La figure 8 a un angle droit et deux angles obtus inégaux, elle est im- 
paire. La figure 9 a un angle droit et deux angles obtus égaux, elle est 
paire. La figure 10 a un angle aigu, mais voisin de l'angle droit, et deux 


Ck, /, Art. II — Plan et Point 


27 


angles obtus inégaux, elle est impaire. La figure 11 a un angle obtus, 
mais voisin d'un angle droit, et deux angles obtus égaux, elle est paire. 



1 ^-. 



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La figure 12, enQn^a ses trois secteurs obtusangles et égaux ; la figure 
est triplement paire, c'est-à-dire ternaire, car elle a trois axes do symé- 
trie qui s'entrecroisent régulièrement par le centre. Les figures 5 et 7 
sont formées par une ligne droite entière et une demi-ligne droite. Les 
dix autres figures sont formées de trois demi-lignes droites articulées en 
un même point, c'est-à-dire au centre du plan polaire ou du cercle. 


III 

Quatre rayons irradiant du centre à la circonférence partagent le Plan 
polaire ou le cercle en quatre angles-plans, secteurs ou girons. De la 
distribution des demi-lignes droites ou des rayons résultent de nombreu- 


Prolégomènes 


ses figures; nous n'en doonerons quo quelques-unes choisies parmi les 
plus régulières et les plus caractéristiques. 

Dans la figure i on a trois girons égaux et un angle rentrant, l'en- 
scmble est pair. La figure 2 a deux girons aigus égaux et deux secteurs 
obtus égaux; la figure 3 a un giron aigu, deux secteurs ou girons éga- 
lement aigus et un demi-cercle ; la figure 4 a un secteur obtus, deux 
girons aigus et un denti-cercle; la figure 5 a ses trois girons aigus 


^■V 



égaux; les quatre figures 2 à 5 sont paires, et elles se composent par 
leurs rayons d'une ligne droite entière et de deux demi-lignes droites. 
La figure 6, qui est paire, a trois secteurs aigus et un secteur obtus. La 
iigure 7, qui est paireioent paire ou écartelée, a deux secteurs obtus 
égaux et deux girons aigus égaux; elle est composée, par ses rayons 
qui sont deux à deux dans un même alignement, de deux lignes droites 
passées en sautoir. 

En résumé, avec un rayon le cercle est simplement ouvert; avec 
deux rayons, la partition absolue est le cercle mi-parti ou divisé en 
deux demi-cercles; avec trois rayons, la partition absolue, ou la forme 
la plus régulière, est quand les trois secteurs sont égaux; avec quatre 
ravons, la forme absolue est quand les quatre secteurs ou quartiers 
sont égaux; la symétrie est alors gjronnée. Le nombre des rayons 


Ck. /, cArt. Il — Plan et Point 29 


augmentant, on aurait pour 5, 6, 7.... n rayons, respectivement 5, 
6, 7... w secteurs ou girons égaux. 

Pour la figure totale, elle serait paire avec un seul rayon et paire 
aussi pour toute la suite des rayons pris en nombres impairs et pre- 
miers. Pour toute la suite des nombres multiples de trois par un nom- 
bre impair elle serait également paire, mais aussi ternaire, nonaire, 
etc. Pour le nombre quatre et ses multiples pairs, elle serait écartelée, 
gironnée, octoénaire, etc. Enfin pour le nombre quatre et ses multi- 
ples par un nombre impair, elle serait aussi écartelée, mais de plus 
ternaire, quinaire, septénaire, etc.. En général la figure totale a deux | 

sortes d'axes de symétrie, ceux qui passent par les rayons, et ceux qui 
passent en les bissectant par les angles-plans, secteurs ou girons. Les 
figures seulement paires, ou dont le* nombre des rayons est impair, 
ont leur axe de symétrie passante la fois par le rayon et par le secteur 
opposé. 

I 4. — Les partitions simultanées du Plan polaire et du Cercle. 

I. — Les partitions radiaires on gironnôes. 

La circonférence du cercle étant divisée régulièrement en 2, 3, 4.... 
n parties égales et les points de division étant reliés au centre par des 
rayons, la surface du cercle et par suite la surface du plan polaire se 
trouvent comparties régulièrement en 2, 3, 4.... n secteurs ou girons 
égaux. 

Pour deux points de division, on aurait deux demi-cercles; pour trois 
points, trois secteurs obtusangles; pour quatre points, quatre quartiers 
ou secteurs rectangles; pour 5, 6, 7.... n points on aurait 5, 6, 7.... n 
girons ou secteurs acutangles. 

II. — Les partitions circulaires ou concentriques. 

Une suite de circonférences, décrites d'un môme centre, ou concentri- 
ques, et équidistantes, c'est-à-dire dont les rayons successifs suivent la 




30 Prolégomènes 


progression 1, 2, 3, 4, 5 n, subdivise uniformément le plan polaire, 

l'espace circulaire ou le cercle en couronnes concentriques. 

III. — Les partitions composées on rôticulaires . 

Les deux partitions simples, la partition gironnée ou radiaire et la 
partition entourée ou circulaire, prises ensemble, compartissent le cer- 
cle en mailles quàdrangulaires à la fois rectilignes et curvilignes. La 
suite des mailles est uniforme en suivant les couronnes, déclinée en 
suivant les girons, enfin déclinée et révolvée en prenant les mailles 
d'un giron à l'autre à mesure que Ton avance du cenlre à la circonfé- 
rence. 


ARTICLE III 

PLAN ET DROITE 

La combinaison Plan et Droite, ou la synthèse du Plan et de la 
Droite, nous conduit à une interprétation particulière de la notion du 
Plan, celle de l'étendue rectangulaire, du Plan réglé, du Plan écartelé 
ou brièvement du Plan carré. 

Une Droite fixe située en un lieu quelconque de la surface du Plan 
tout nu se subordonne cette surface en tous les points, à toutes les dis- 
tances et dans toutes les directions. La Droite fixe est alors Vaxe du Plan 
tout entier considéré comme illimité des deux côtés, c'est-à-dire de part 
et d'autre de la Droite. 

I l^^ — La symétrie dans le plan carre 

La Droite sur le Plan le partage en deux demi-plans, égaux et symé- 
triques l'un de l'autre par rapport à la Droite, qui devient ainsi leur 
base commune. 

Un point pris sur la Droite en est le Pôle, et le centre de symétrie 
de tous ses points qui, pris deux à deux, ou homologues, sont situés à 


i 


Ch. L Art, m - Plan ei Droite 31 


même distance du Pôle. Un point pris en dehors de la Droite et en un lieu 
quelconque de l'un des demi-plans a son symétrique dans l'autre demi- 


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plan, le point initial et son symétrique sont alors situés sur une même 
droite qui croise la Droite du Plan; et à même distance du point de croi- 
sement ou du pôle commun aux deux droites. La droite a a' peut être 
prise dans une direction quelconque, le point initial demeurant fixe, le 
point symétrique et le Pôle varieront avec chacune des positions de la 
Droite (fig. 1 et 2). 

Maintenant, et si, ayant marqué sur l'un des demi-plans le point ini- 
tial, nous rabattons ce demi-plan sur son symétrique en le faisant tour- 
ner autour de la base commune ou de Taxe, le point initial viendra se 
décalquer sur le second demi-plan, et, si nous redressons les demi-plans 
en les ramenant à leur position première, le point initial et son décal- 
que seront alors situés sur la même droite perpendiculaire à Taxe et à 
même distance de cet axe : les deux points seront alors symétriques l'un 
do l'autre par rapport à cet axe. Or, ces deux droites perpendiculaires 
l'une à l'autre forment précisément le trait carré qui partage le Plan 
tout entier en quatre angles- plans rectangles ou quartiers égaux et 
symétriques deux à deux par rapport à chacun des axes du trait carré 
(fig. 2). L'ensemble ou la synthèse du Plan et du trait carré forme le 
Plan carré. Si donc nous prenons un point en un lieu quelconque de cet 
ensemble, il arrivera trois cas : 


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3i 


Prolégomènes 


{"" Le point étant situé à Yencroix du trait carré ou au pôle commun 
(fig. 3), dans ce cas il sera son symétrique à lui-même et le point, s'il 
est doué de quelque réalité sensible, sera écartelé, c'est-à-dire partagé en 
quatre parties égales et symétriques^ chacune d'elles se trouvant dans un 


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quartier; — 2'' le point étant situé sur Tune des branches du trait carré» 
c'est-à-dire dans un demi-plan (fig. 4), aura son symétrique sur la branche 
opposée et dans l'autre demi-plan; — S» enfin, si le point est situé sur la 
surface de l'un des quartiers (fig. 5) il aura son symétrique dans chacun 
des autres quartiers, savoir : a et a' situés dans le premier et le deuxième 
quartiers et symétriques l'un de l'autre par rapport à Vaxe droit du 
trait carré; a et a" situés dans le premier et le troisième quartiers et 
symétriques l'un de l'autre par rapport à Vaxe travers du trait carré; de 
même a" et a'" des 3® et 4*^ quartiers, a' et a'", des 2* et 4<* quartiers sont 
symétriques l'un de Tautre respectivement par rapport à ces mêmes axes 
droit et travers. Les points a^ a\ a'\ a" sont donc symétriques deux à 
deux par rapport aux axes du trait carré. Mais, de plus, les points a et 
a'", a' et a" sont symétriques l'un de l'autre par rapport à l'encroix, au 
pôle, ou au centre de symétrie qui leur est commun à tous les quatre(fig. 
(5 et 7). La symétrie par rapport aux axes est la symétrie directe ou à 
retour : les deuxdemi-plans sur lesquels sont situés le point initial et son 
symétrique étant rabattus l'un sur l'autre, les deux points sont amenés 
à coïncidence et se confondent en un seul. La symétrie par rapport au 
pôle ou au centre est la symétrie inverse ou diagonale : les quatre points 
«,«', a'\a'' sont en effet situés deux à deux sur chacune des diagonales 


Ch. /, Art. m — Plan et Droite 


33 


a a^'\a' a*\ qui s'entrecroisent et s'entrecoupent en parties égales à 
l'encroix ou au centre de symétrie. 

Les points a et a'", a' et a" ne peuvent pas être amenés à coïncidence 
par le rabattement des demi-plans suivant les axes du trait carré; mais 


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si l'on observe que chacune des diagonales a a"\ a'a" partage le plan en 
deux demi-plans dans lesquels les points a\ a' et a, a'" sont situés 
inversement, on pourra, par un mouvement de rotation autour de l'en- 
croix et en faisant glisser les deux demi-plans Tun sur l'autre, amener 
a' du demi-plan a' a a" àcoïncider avec son symétrique a"dudemi-plan 
a" a a'" et de même pour les deux autres demi-plans a a a"ya'" a!a\ 

Les deux diagonales a a*", cl a" se croisent en sautoir (fig. 6), ou en 
croix (fig. 7), selon que ces diagonales sont obliques l'une à l'autre, ou 
qu'elles sont d'équerre, c'est-à-dire perpendiculaires entr'elles. Lesdeux 
diagonales forment un sautoir quand les distances réciproques du point 
aux axes du trait carré sont inégales; et elles forment une croix quand 
ces mêmes distances sont égales entre elles. Les deux traits du sautoir, 
l'un en barre, l'autre en bande, sont penchés par rapporta l'un des axes 
et réciproquement couchés par rapport à l'autre. Les deux axes diago- 
naux, l'un en barre, l'autre en bande et passés en croix, sont diagonaux 
par rapport au trait carré, ils forment ensemble le trait carré, mais 'posé 
en sautoir. 

Le sautoir a deux axes de symétrie passés en croix et ces deux axes 
sont précisément les droites du trait carré; le complexe du Plan et du 


"I"»" 


34 


Prolégomènes 


sautoir est écartelé^ ou partagé en quatre quartiers égaux et symétriques. 

La croix a quatre axes de symétrie, deux linéaires ou suivant les axes 
du trait carré, et doux angulaires^ également passés en croix, mais/70- 
sés en sautoir. Le complexe du Plan et de la croix est gironné ou par- 
tagé en huit angles-plans, acutangles, ou girons^ qui sont égaux et 
symétriques. 

Le sautoir peut être considéré comme une croix qu'on aurait biaisée 
ou déversée soit d'un côté (fig. 8), soit de l'autre (fig. 9). C'est ainsi que 



'' . 



la figure 6, étant déprimée, déverséeou biaiséeà droite, donnelafigureS; 
le trait travers est resté fixe, le trait droit est penché à droite, les côtés 
du quadrilatères a' à^a*'' sont demeurés parallèlesaux axes et restent di- 
visés par eux en deux parties égales, enfinles deux diagonales a a''' a' a'' 
devenues inégales Tune à l'autre sont également passées en sautoir. Il 
en résulte que la figure 6, d'écartelée qu'elle était, est devenue diagonale : 
les deux côtés du sautoir rectangle ou de la croix qui étaient les axes 
de symétrie des quatre points sont devenus les côtés d'un sautoir et les 
axes de dyssymétrie des quatre points, ces points étant toujours symé- 
triques deux à deux, par rapport aux axes. La symétrie implique essen- 
tiellement le rabattement direct autour des axes de symétrie des deux 
demi-plans quicontiennentles points; ce rabattement amène leur, coïnci- 
dence, tandis que la dyssymétrie n'implique que l'égalité des distances 
des points de chaque côté des axes de dyssymétrie, et qud la superpo- 
sition des points ne peut être amenée que par la rotation, autourdu cen- 
tre do symétrie, de chacun des demi-plans et par leur glissement l'un 
sur l'autre. 


Ch. /, Art, III — Plan et Droite 35 


La figure 7, étaDt biaisée à gauche par exemple, donne la figure 9 qui 
n'est plus gironnée, mais seulement écartelée. Le trait carré formé par 
les deux axes linéaires s'est transformé en sautoir dont les côtés sont 
devenus des axes de dyssymétrie, mais les axes angulaires sont restés 
d'équerre. Les côtés du quadrilatère sont restés égaux et parallèles deux 
à deux aux axes, le carré s est transformé en losange et les deux diago- 
nales sont devenues inégales Tune à l'autre. 

La figure 8, prise d'ensemble^ figure et plan compris, a un centre de 
symétrie^ une infmité d'axes diagonaux et deux axes principaux éga- 
lement diagonaux. La figure 9 a deux axes de dyssymétrie, à savoir : les 
deux côtés du sautoir, et deux axes de symétrie, à savoir : les diago- 
nales a a'", a' a" qui forment un sautoir rectangle et par lesquels la figure 
tout entière est écartelée. 

I 2. — Les partitions du plan carré. 

Une droite située dans le plan d'une manière quelconque (fig. 1) le 
partage en deux demi-plans égaux et symétriques l'un de l'autre par rap- 
port à la droite qui est alors un axe de symétrie du plan. L'ensemble de 
la droite et du plan ou des deux demi-plans est pairement pair ou écar- 
tclé par rapport à deux axes de symétrie passés en croix ou perpendi- 
culaires l'un à l'autre : l'un do ces axes qui se confond avec la droite 
donnée est longitudinal, et l'autre^ qui lui est perpendiculaire, est trans- 
versal. Les deux axes pris ensemble partagent le plan en quatre quar- 
tiers égaux et symétriques deux à deux. Le demi-plan ayant toute son 
étendue d'un seul côté de la droite est pair, c'est-à-dire divisé en deux 
quartiers égaux et symétriques l'un de l'autre parrapport à Taxe de parité. 

Si dans l'un des demi-plans indéfinis nous menons une autre droite, 
cette droite, également indéfinie et pour rester distincte, sera nécessaire- 
ment parallèle à la base du demi-plan qui la contient, c'est-à-dire qu'elle 
ne la rencontrera pas, puisque autrement la droite ne serait plus qu'une 
demi-droite. En d'autres termes, si nous transportons en un autre lieu 


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36 


Prolégomènes 


du plan el parallèlement à elle-même la droite initiale en lafaisant glis- 
ser par un mouvement de translation sur Taxe de symétrie passant par 
son milieu et auquel elle reste toujours d'équerre, nous aurons un 
couple de deux droites parallèles, c'est-à-dire une Jume/ie (fig. 2). 


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Le couple des deux droites parallèles ou la jumelle (fig. 2) partage le 
plan tout entier en trois parties : une bande comprise entre les deux 
côtés de la jumelle et deux demi-plans indéfinis qui luisont juxtaposés. 
L'ensemble de la bande et des deux demi-plans cstpairement pair ou 
écartelé. 

Si, partant du plan carré et do ses deux axes de symétrie, on mène 
parallèlement à la base de chacun des demi-plans, et symétriquement 
dans les quatre quartiers, une ligne droite, on aura finalement le plan 
recoupé par deux couples de parallèles ou deux jumelles passés en croix 
(fig. 3). Le plan carré se trouve ainsi subdivisé en neuf régions ou parti- 


CA. /, cArt. III — Plan et Droite 37 

lions, savoir: une portion de plan finie ou un quadrilatère à la fois équi- 
an^le et équilatéral, c'est-à-dire un carré; puis quatre demi-bandes indé- 
finies égales et à la fois équiangles et équilatérales accolées aux côtés 
du carré ; et enfin quatre angles-plans ou quartiers égaux ayant leurs 
sommets aux sommets du carré et leurs côtés accolés aux côtés indé- 
finis des demi-bandes. 

La figure totale est gironnée, c'est-à-dire qu'elle a quatre axes de 
symétrie qui s'entrecroisent régulièrement par le centre : deux axes 
linéaires passés en croix et deux axes angulaires également passés en 
croix, mais posés en sautoir, puisque leur inclinaison est diagonale. De 
plus^ le centre de symétrie ou, ce qui est la même chose, le centre de 
figure est aussi le pôle de chacun des couples de droites, et simultané- 
ment des quatre points ou sommets du carré. Dans le couple de deux 
traits passés en croix le pôle est à Fencroix du trait carré et le cercle 
polaire se réduit à un point. Dans le couple de deux jumelles passées 
en croix, le cercle polaire est tangent aux droites et a par conséquent 
un diamètre égal à la distance des deux droites ou à leur écartement. 
A mesure que cet écartement augmente, le cercle polaire augmente 
aussi et, à la limite^ comme disent les géomètres, le cercle polaire deve- 
nant infiniment grand, les droites sont infiniment distantes Tune de 
l'autre, la figure s'évanouit, et l'on fait retour au plan tout nu. 

Le carré est donc une limitation et une représentation du plan rec- 
tangulaire tout entier, comme le cercle est une limitation et une repré- 
sentation du plan polaire tout entier. 

Si la distance des deux droites de Tun des couples est plus grande que 
ladistancedes deuxdroitesde l'autre couple, on aie quadrilatère rectangle 
et seulement équiangle (fig. 4). Par ses deux côtés qui varient en toute 
proportion, le quadrilatère rectangle est la forme mouvante de Pétendue 
planaire ou à deux dimensions et c'est par la cote proportionnelle de 
ses deux côtés, mesurés avec la même unité linéaire, que s'exprime en 
fonction du carré , qui est l'unité do superficie, l'aire du quadrilatère rec- 


38 Prolégomènes 


tangle. Le quadrilatère rectangle seulement équiangle, ainsi que le 
carré à la fois équiangle et équilatéral, pouvant passer par tous les états 
de grandeur sans changer de forme sont semblables au plan rectangu- 
laire tout entier dont ils sont des représentations et des limitations qui 
le rendent accessible à nos moyens de perception et de manutention. 
Le quadrilatère rectangle en est la représentation mouvante et inces- 
samment variable par la proportion de ses deux côtés; le carré, par 
l'égalité de ses côtés, en est la représentation absolue. De là, tant au 
point do vue esthétique ou du sentiment de la proportion à vue des 
côtés, qu'au point de vue logistique, ou de la mesure effective du rapport 
de ces côtés, trois formes générales du quadrilatère rectangle, ou briè- 
ven^ent du rectangle : 

lo — Le rectangle linéaire ou long dans lequel une dimension, la lon- 
gueur, remporte de beaucoup sur l'autre dimension ou la largeur. Cette 
dernière peut être indéfiniment réduite et à la limite le rectangle se 
confond avec une ligne droite indéfinie, simplement graphiée . 

2"» — Le rectangle barlong ou oblong : les deux dimensions sont nette- 
ment différentes, mais prochaines, et le rapport qui les lie s'évalue par 
une comparaison immédiate de la longueur et de la largeur, celle-là 
étant par exemple double, triple, quadruple... de celle-ci. 

30 — Le rectangle équilatéral, polygonal ou ronrf, c'est-à-dire le carré, 
qui a ses deux côtés égaux, et par conséquent au point de vue métrique 
une seule dimension. Quelle que soit la cote métrique de sa dimension 
ou de son côté, le carré est une forme absolue et invariable. 

Tel est le point de départ ou d'attache, à la fois géométrique et gra- 
phique, métrique et esthétique, de l'idée do proportion. Les deux côtés 
du rectangle s'apprécient ou se mesurent l'un par l'autre : le jugement 
esthétique se prononce en donnant à leur proportion un sens purement 
qualitatif, c'est-à-dire simplement affectif; le jugement mathématique se 
prononce en donnant à leur rapport métrique un sens logistique, c'est^ 
à-dire quantitatif, c'est-à-dire encore, exact. 


Ch. I, Art. III — Phn et Droite 


39 


La figure 5 est la figure 3 biaisée adroite par exemple, le quadrilatère 
est encore équilatéral, mais non plus équiangle, et sa figure équilalérale 
et mi-équiangle s'appelle uq rhombe ou un losange. La symétrie totale 








s'abaisse d'un degré et de gironnée devient seulement écartelée par 
rapport aux deux axes angulaires qui sont passés en croix et qui subdi- 
visent l'ensemble en quatre quartiers égaux et symétriques. Les deux 
axes linéaires forment un sautoir et sont des axes de dyssymétrie. 
La figure 6 est la figure 4 biaisce à gaucho par exemple, le quadrila- 


T-^V7^ . . ,, 


40 Prolégomènes 


tère n'est plus ni équilaléral ni équîangle et sa figure mi-équilatérale et 
mi-équiangle s'aifpelle un parallélofframme. La symétrie totale s'abaisse 
d'uù degré et d'écartelée qu'elle était devient seulement diagonale, c'est- 
à-dire que la figure n'a plus qu'un cenlre de symétrie. Les axes diago- 
naux, de rectangulaires qu'ils étaient, sont devenus obliques l'un à l'autre 
et, formant un sautoir, ne sont plus que des axes de dyssymétrie. 

13. — Les partitions simultanées du Plan carré. ^ 

Un plan, représenté par telle surface plane que l'on voudra, étant 
posé de front, c'est-à-dire droit en face de nous, est plain^ iiomogène et 
uniforme s'il est sans division; il représente alors le plan des géomètres 
ou de la raison pure. 

Si nous y projetons les orientations qui nous sont familières et comme 
instinctives, puisqu'elles sont la norme de nos attitudes et de nos mou- 
vements, c'est-à-dire la verticale ou la perpendiculaire du fil à plomb et 
l'horizontale ou la ligne de niveau, il est, au contraire, divisé en régions 
dictinctes et nommées, par lesquelles il est fait nôtre et nous est rendu, 
pour ainsi parler, habitable. C'est alors le plan de chacun de nous, et 
duquel notre raison pratique peut disposer librement et commodément. 

Les divisions ou partitions sont de trois espèces: les partitions simples^ 
les partitions composées et les partitions multipliées. 

I . — Les partitions simples ou fondamentales 

On compte quatre partitions simples et fondamentales dont se forment 
toutes les autres : le partie le coupé^ le tranché^ et le taillé^ qui parta- 
gent chacune le plan en deux demi-plans. 

Les deux premières partitions : le parti qui se fait par une ligne ver- 
ticale, et le coupé qui se fait par une ligne horizontale partagent le plan 
en deux demi-plans situés respectivement pour le parti, l'un à droite 
l'autre à gauche, et pour le coupé l'un en haut, ou au-dessus, l'autre 
en bas, ou au-dessous, de la ligne de partition. 


Ch. /, Art, III — "Plan et Droite 41 

Les deux secondes partitions : le tranché, qui se fait par une ligne 
oblique en bande^ et le taille, qui se fait par une ligne oblique en 
barrCy partagent le plan en deux demi-plans, situés respectivement : 
pour le tranché, l'un au-dessus et adroite, Tautre au-dessous et à gau- 
che; et pour le taillé, l'un au-dessus et à gauche, l'autre au-dessous 
et à droite. Ces deux partitions sont symétriques l'une et l'autre. 

II. — Les partitions composées. 

Les deux premières partitions', le parti et le coupé, prises ensemble 
forment Vécarie/é. L'écartelé subdivise le plan en quatre quartiers 
égaux et symétriques. 

Les deux secondes partitions, le tranché et le taillé^ prises ensemble 
forment Vécartelé en sautoir. Les traits étant diagonaux partagent 
le plan en quatre quartiers égaux et symétriques; cette partition est 
la même que celle do l'écartelé en croix, mais renversée ou ayant fait 
quartier, comme disent les charpentiers. Si les traits étaient penchés 
ou couchés, le plan se trouverait partagé en quatre angles-plans symé- 
triques non plus tous égaux, mais seulement égaux par moitié. 

Enfin les quatre partitions simples: le parti, le coupé, le tranché et le 
taillé, prises ensemble forment le gironné. Le trait droit ou parti, le Irait 
travers ou coupé, le trait diagonal et tranché ou en bande, le trait dia* 
gonal et taillé ou en barre, se traversent par un mémo point où ils se 
coupent mutuellement en parties égales ou en demi-droites. L'ensemble 
do ces traits partage la surface du plan en huit angles-plans, girons ou 
secteurs égaux. {Pro/.y p. 25, fig. 6.) 

III. — Les partitions multipliées 

Les partitions multipliées sont de doux sortes : les partitions rebat- 
tues ou les rayures, et les partitions croisées ou les réseaux qui so 
nomment encore treillis. 

1*» — Les partitions rebattues oUr les rayures. — La répétition 

i5 


-"a — »- 


k^ Prol'^gomènes 

parallelique, ou le rebattem^nt à des intervalles égaux des quatre par- 
titions simples, le parti, le coupé, le tranché et le taillé, partage la sur- 
face du plan en bandes accolées près à près ou juxtaposées. Le plan se 
trouve ainsi rayé ou divisé par le rebattemenl d'une ligne droite ou 
d'une bande. 

Le parti donne des rayures ou des bandes droites ou verticales; le 
coupé des rayures ou des bandes travers ou horizontales ; enfin le 
tranché et le taillé donnent des rayures ou des bandes diagonales, res- 
pectivement les unes obliques à gauche, les autres obliques à droite. 

2® — Les pay^tif ions croisées ou les réseaux. — Les deux premières 
partitions rebattues, droit et travers, prises ensemble forment le 
réseau quadrillé, posé droit ou sur le côté; les deux autres partitions 
rebattues, diagonale en bande, et diagonale en barre, forment ensemble 
le môme réseau qualrillé, posé en sautoir, ou sur la pointe. 

En d'autres termes, un système de rayures équidistantes, recoupé 
d'équerre par un autre système de rayureségal, subdiviseleplan en mail- 
les carrées. L'intervalle entre les rayures ou la largeur des bandes 
élant différent d'un système à l'autre, le plan serait alors subdivisé eu 
mailles rectangles à côtés inégaux, ct^ selon que les intervalles seraient 
plus petits pour le parti que pour le coupé, ou, au contraire, pour le 
coupé que pour le parli, on aurait un réseau à maille rectangle, posé 
droit ou posé travers. 

En appliquant la doctrine des combinaisons, les rebattements sim* 
pies, parti, coupé, tranché et taillé, donneraient six combinaisons deux 
à deux ou binaires; quatre combinaisons trois à trois ou ternaires; et 
une combinaison quaternaire. Mais nous ne voulons pas examiner ici 
ces différentes combinaisons sur lesquelles nous aurons occasion de 
revenir, quand nous compléterons, dans les leçons de Graphique, le 
chapitre si important des partitions des figures et du plan. 


C/r. /, cAri. IV — Point et Point 43 


ARTICLE IV 

POINT ET POINT 

Le point situé dans le plan tout nu est dit en aôime, scion Texpres- 
sion énergique du Blason; il en occupe le centre ou le milieu : centre 
ou nnilieu purement fictifs, c'cst-à-rlire que Tétcndue du plan étant infi- 
niment grande, le lieu qu'il occupe est complètement indéterminé. 

Si le point est situé dans le plan réglé ou mi-parti, il est alors pris ou 
sur la droite même de division, ou dans Tun des deux demi-plans qu'elle 
détermine et en dehors de la droite. 

Le point étant pris dans le plan carré est situé ou à Tcncroix du trait 
carré, ou bien sur Tune des branches, ou bien enfin sur la surface de 
l'un des quartiers ou angles-plans. 

Le point étant pris dans le plan polaire est situé : soit au centre ou 
pôle, soit entre le p(Me et la circonférence d'un cercle quelconque, soit 
sur la circonférence, soit enfin au delà de la circonférence. 

Tels sont les bases initiales et fondamentales du repérage d'un point 
dans le plan. Si maintenant nous prenons un second point dans le plan 
centré, ces deux points impliquent un alignement, c'est-à-dire une droite 
qui les contient riin et l'autre. Si le premier point est considéré .comme 
fixe et le second comme mobile, ce second point sera déterminé à tout 
instant par la cote métrique de sa distance au point fixe. Nous ne sortons 
pas ainsi de la droite, mais cette droite, qui contient les deux points, 
peut occuper toutes les directions du plan en tournant autour du point 
fixe et censé demeurer invariable. La situation du second point, si elle 
reste déterminée par rapport au point fixe, sera donc encore indéterminée 
dans le plan. De là la subordination du couple de deux points aux trois 
repérages signalés ci-dessus : la subordination par rapport au plan mi- 
parti, au plan carré et au plan polaire. Le couple de deux points comme 
la droite d'alignement seront entièrement déterminés par les systèmes 


44 Prolégomènes 

de coordonnées, rectangulaires, polaires, focales, etc., dérivés des trois 
repérages fondamentaux et qui sont usités en mathématiques. 

§ 1®'. — Les complexes de points dans le plan carré et les partitions 

du plan triangulaire. 

Si au couple de deux points on adjoint un troisième point situé hors 
de leur alignement, ces trois points pris deux à deux déterminent trois 
ah'gnements, c'est-à-dire trois droites qui s'entrecoupent deux à deux 
par chacun des trois points, et qui forment ce qu'on appelle en géo- 
métrie générale un triangle complet y c'est-à-dire un complexe simultané 
de trois points et de trois droites s'entrecoupant deux à deux en ces 
rnèmes points. 

Le triangle complet (fig. 1) partage la surface du plan en sept ré- 
gions : 1*» une centrale et finie (a) formée parles trois segments finis, ou 
le triangle proprement dit tel qu'on le considère dans la géométrie élé- 
mentaire; — 2^ trois angles-plans (A) opposés aux sommets du triangle 

et dont les côtés sont formés 
par des demi-lignes droites; 
\ ^ — 3° enfin trois espaces tron- 

qués ou biangles (c) adjacents 
* ••.. • ^ ^' ^ aux côtés du triangle (a) et 

^**- . ^ *^ ^ contigus, c'est-à-dire unis aux 

\ côtés des angles-plans (A); ces 

^ * 'V biangles sont donc formés 

\ ' • ., par les segments finis et les 

\ ^ •••., demi-lignes droites qui sont 

leurs côtés. 

Si par un couple de deux points et par leur centre de symétrie ou le 

point milieu de l'intervalle qui les sépare, on fait passer le trait carré, 

on partagera la surface du plan en quatre quartiers égaux et symétriques. 

Si donc à cet ensemble on adjoint un troisième point, ce troisième point 


Ch. /, cAri. IV— "Point et Point 45 


pourra être situé : 1° sur Taxe longitudinal du couple, les trois points 
seront alors dans le mémo alignement et il n'y aura pas de triangle; 
2"* sur Tune des branches du Irait carré, dans le demi-plan supérieur par 
exemple, il aura alors son symétrique sur la branche correspondante du 
demi-plan inférieur; il nous suffira donc de considérer un seul de ces 
demi-plans; 3"" dans l'angle plan d*un quartier du irait carré, il aura alors 
son symétrique dans chacun des trois autres quartiers; il nous suffira 
donc de considérer un seul quartier, et nous prendrons le quartier 
supérieur de droite par exemple. En résumé, nous avons deux cas seule- 
ment à examiner. 

I 

Le troisième point étant situé sur la branche supérieure du trait carré 
et dans le demi-plan supérieur (fîg. 2 à 7), si Ton vient à tracer les ali- 
gnements des points pris deux à deux, on a le irangle complet, et nom- 
mément la maille intérieure finie ou le triangle proprement dit qui règle 
tout le système. Les deux lignes droites obliques, l'uue en barre et 
l'autre en bande, sont égales et symétriques par rapport à la verticale 
du trait carré, et cela dans toutes leurs parties ; les deux traits du triangle 
sont donc aussi égaux et symétriques «el le triangle est dit isocèle. De 
plus les deux angles à la base sont aussi égaux et symétriques, et par 
conséquent le triangle en même temps qu'il estisocèle est aussi isoangle, 
La branche verticale du trait carré est l'axe de symétrie de toute la figure 
et si l'on rabat l'un des demi-plans sur l'autre les deux moitiés de la 
figure coïncideront dans toutes leurs parties. 

Suivant que le troisième point est plus ou moins rapproché du trait 
horizontal ou de la directrice des deux premiers points, on a des triangles 
plus ou moins méplats ou surbaissés. A mesure que le troisième point 
est pris plus haut et indéfiniment haut, on a des triangles de plus en 
plus élevés et aigus. Entre les limites extrêmes du déplacement du 
troisième point, à savoir le point placé entre les deux autres et sur leur 


46 


Prolégomènes 


alignement, alors que les trois traits sont confondus en un seul et que 
par conséquent tout triangle s'efface, et le point reculé à Tinfini et où 
tout triangle s'évanouit puisque les doux traits, d'abord obliques et croi- 
sés en sautoir, deviennent alors parallèles et d'équerre avec la ligne des 


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deux premiers points, on distingue: les triangles isocèles obtusangles, 
méplats et surbaissés quand le trait oblique est couché (fîg. 2) ; le 
triangle isocèle rectangle quand le trait oblique est diagonal (fig. 3); 
enfin la suite indéfinie des triangles isocèles acutangles aigus ou suréle- 
vés quand le trait oblique est penché (fig. 4 à 7). Entre tous ces triangles 
acutangles, il faut noter la forme 0(|uilatéraIe et é(|uiangle (lîg. 3). 


II 

Le troisième point est situé en un lieu quelconque de la surface de 
Tangleplan rectangle ou du quartier et par conséquent entre les branches 
du trait carré. Dans ce cas, et quel que soit le lieu du point, on a des 
triangles scalènes, dont la maille a les trois côtés et les trois angles iné- 
gaux et qui peut être ohtusangle, rectangle ou acutangle, suivant son 
angle caractéristique. 

Si, revenant au point de départ, à savoir: les deux points initiaux et 
le trait carré qui passe par le milieu de leur distance, on marque un 


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Ch. fy cAri. IV ^ Point et Point 47 


point quelconque sur la brandie verticale, à ce point correspond un 
triangle isocèle, dont la 6ase est Tintervalle des deux premiers points, 


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le sommet ce troisième point, et la hauteur la distance du sommet à la 
base. Or si Ton mène par le sommet une ligne parallèle à la ligne de 
base, on observera que tous les points de cette parallèle, étant situés à 
même distance de la ligne de base, sont les sommets d'une infinité de 
triangles ayant même base et même hauteur, ces triangles tous scalènes, 
à l'exception du premier qui est isocèle, sont ou acutangles, ou rec- 
tangles, ou obtusangles. 

Quanta la proportion entre la hauteur et la base pour les triangles 
isocèles et qui reste la môme pour les triangles scalènes qui en dérivent, 
c'est-à-dire qui ont même base et même hauteur que le triangle isocèle 
initial, on peut remarquer : que pour les triangles obtusangles la hau- 
teur est plus petite que la moitié de la base ; que pour les triangles rec- 
tangles la hauteur est égale à la moitié de la base; et enfin que pour les 
triangles acutangles, la Jiauteur est plus grande que la moitié de la base 
ou égale à la base entière, ou enfin plus grande et môme indéfiniment 
plus grande que la base. 

Si l'on joint l'encroix du trait carré ou le milieu de la base au troisième 
point ou au sommet du triangle, on a une droite oblique en barre ou 
oblique en bande suivant le quartier choisi, et penchée, diagonale ou 
couchée : cette droite oblique est la ?nédîane du triangle (fig. 9 à 13). 
La médiane du triangle isocèle qui est d'équerre avec la base est la 
hauteur du troisième point ou sommet par rapport à la base, elle est 
aussi Taxe de symétrie de toutes les parties homologues de la figure 
(fîp. 9 et 12). La médiane du triangle scalène qui est oblique à la base 


48 


^Prolégomènes 


est Taxe de symétrie des seuls points homologues, c'esl-à-dire des points 
correspondants ou homologues déterminés par des parallèles à la base, 


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à l'exclusion des segments obliques compris entre ces points et qui sont 
toujours inégaux d'une oblique à l'autre. Le triangle scalène n'est donc 
plus symétrique et pair, mais dyssymétrique et impair (fig. 10, 11, 13). 
Le triangle scalène peut être considéré comme un triangle isocèle 
que Ton aurait biaisé ou déversé d'un côté ou de l'autre de la verticale 
du trait carré et qui de pair serait devenu impair, ce qui entraîne l'iné- 
galité métrique de toutes les parties homologues. La hauteur, c'est-à- 
dire la perpendiculaire du sommet à la base, se trouve transportée hors 
du point milieu de la base et à l'intérieur ou à l'extérieur du triangle. 

|2. — Les complexes de points dans le plan polaire . 

Soit un cercle effectivement tracé sur la surface du plan avec le com- 
pas. Si Ton suppose que des points, disséminés sur la surface du plan 
tout entier et plus ou moins denses ou serrés, c'est-à-dire plus ou moins 
nombreux et même indéfînimcnt nombreux, sont répartis uniformément 
et régulièrement sur toute la surface du plan, le cercle effectivement 
tracé les partagera en trois groupes, savoir : 1» — la masse des points 
intérieurs compris entre le centre ou le pôle, qui est un point unique, 
et la circonférence ou périphérie du cercle ; 2° — les points extérieurs 
à la circonférence et qui s'épandent autour d'elle dans toute l'étendue 


Ch. l,<Art. IV — Point et Point 49 


du plaa indéfini ; 3® — et enfin les points rangés sur la circonférence 
et qui sont tous situés à même distance du point unique qui est tout à 
la fois et le centre du cercle et le pôle du Plan polaire tout entier. 

L'espace enclos ou délimite par la circonférence est l'espace circulaire 
positif ou le cercle proprement dit, image du plan polaire tout entier, 
et dont la notion complexe implique les idéee de point, do centre ou do 
pôle; d'espace ou d'étendue superficielle ou planaire limitée par sa péri- 
phérie ou son contour ; de ligne circulaire ou de circonférence à cour- 
bure uniforme; et enfin de rayons, de diamètres et de cordes qui joignent 
le centre à la circonférence, ou bien les points de la circonférence entre 
eux à l'exclusion du centre. 

I 

Un point et le pôle. — Étant donné le plan polaire avec son point 
fixe ou son pôle, si Ton prend un second point, on quelque lieu du plan 
que ce soit, ce second point, qui porte alors le nom de point polaire^ 
sera toujours sous la dépendance du pôle. Le pôle et le point impliquent 
une ligne droite qui est V axe polaire et sur laquelle le point est fixé 
par sa distance au pôle. Le point se déplaçant tout à Tentour du pôle 
et par un mouvement circulaire ou de rotation de Taxe polaire, il s'en- 
suit que, si la distance entre le pôle et le rayon polaire reste constante, 
le point polaire décrit une ligne circulaire ou la circonférence de cercle, 
qui prend alors le nom de cerclepolaire (fig. 1). 

II 

Deux points et le pôle, — Le couple de deux points rapportés au pôle 
détermine un axe polaire ou une droite polaire selon que le pôle est 
sur la droite des deux points, ou qu'il est en dehors. Le pôle étant pris 
en dehors de l'alignement des deux points ou de la droite polaire, si 
l'on mène une perpendiculaire du pôle à la droite, on aura l'axe polaire ; 
si du pôle on trace un cercle en prenant pour rayon la distance du 


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50 


Prolégomènes 


pôle au pied de la perpendiculaire, on aura le cercle polaire qiiî est 
langent à la droite polaire ou brièvement la polaire. Le complexe du 


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p(Me, de Taxe polaire, du cercle polaire et de la polaire constitue ce 
qu'on peut appeler le st/stème polaire nonnal, 

io — Le pôle est situé sur l'alignement des deux points; dans ce cas, 
le pôle peut être situé entre les deux points, ou bien en dehors des deux 
points. 

Le pôle étant situé au milieu des deux points, leur couple peut se 
déplacer circulairemcnt avec Taxe polaire et le lieu de ses positions suc- 
cessives est une circonférence (fig. 2). Si le pôle est situé à des distances 
inégales, le couple des deux points en se déplaçant circulairemcnt a 
pour lieu de ses positions successives deux circonférences concentriques 
((ig. 3). Le pôle élant situé hors du couple des deux points, le lieu de 
leur déplacement circulaire se compose également de deux circonfé- 
rences concenlri(jues (fig. 4). 


Ch, /, cArl, IV — Point et Point SI 


2"" — Le pôle est situé hors do ralignemerit des deux points et sur une 
perpendiculaire qui passe par le milieu do l'intervalle de deux points 
(fig. 5). Dans ce cas, comnne d'ailleurs dans le suivant, on a le système 
polaire complet. La droite d'alignement du couple des deux pointu est 
la polaire, la circonférence qui lui est tangente est le cercle polaire, la 
droite perpendiculaire est Taxe polaire. L'intervalle des deux points et 
les deux rayons polaires qui les joignent au pôle forment un triangle 
polaire invariable. 


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Le couple des deux points se déplaçant tout a l'entour du pôle, la 
droite polaire et le triangle polaire se déplacent simultanément; la 
droite polaire reste toujours tangente au cercle polaire et le lieu du 
couple des deux points est une nouvelle circonférence concentrique et 
extérieure au cercle polaire. Les positions successives de la polaire 
forment un complexe de tangentes qui enveloppent complètement le 
cercle polaire. 

A mesure que le pôle s'éloigne do la polaire, l'angle des rayons po- 
laires devient de plus en plus aigu, et solidairement les circonférences 
deviennent de plus en plus grandes. A la limite, c'est-à-dire le pôle 
s'éloignant à l'infini, le triangle polaire s'eflace, les rayons polaires 
deviennent parallèles et les deux circonférences se confondent avec la 


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S2 


Prolégomènes 


droite polaire. A mesure, au contraire, que le pôle se rapproche de la 
droite polaire, le triangle devient de plus en plus obtusangle ou méplat, 
et solidairement les circonférences diminuent à proportion. A la limite, 
c'est-à-dire le pôle étant sur la droite polaire et au milieu de Tinter- 
valle des deux points, le cercle polaire s'évanouit en se réduisant à un 
point, et le cercle concentrique ou le lieu des deux points devient. le 
cercle polaire de ces mêmes points. 

3« — Si Pon suppose que le couple des deux points demeurant inva- 
riable se déplace par un mouvement de translation le long de la droite 
d'alignement ou de la polaire, le pôle, Taxe polaire, le cercle polaire, 
et la droite polaire demeurant fixes, il en résultera : que l'un des points 
du couple se rapprochant de l'axe polaire et l'autre s'en éloignant à pro- 
portion, on aura deux rayons polaires inégaux et par suite deux cercles 
concentriques et extérieurs au cercle polaire; que Tun des points se trou- 
vant sur Taxe polaire et l'antre en dehors, on aura un seule circonfé- 
rence concentrique et extérieure au cercle polaire; enfin que sile couple 
des deux points s'éloigne de plus en plus de l'axe on aura de nouveau 
deux circonférences de plus en plus grandes et concentriques et exté- 
rieures au cercle polaire. Si le couple s'éloigne jusqu'à l'infini, les 
circonférences s'évanouissent et les deux rayons polaires se confondent 
en une droite menée par le pôle et parallèle à la polaire. 


III 

Trois points et le pôle. — Trois points déterminent trois alignements 
ou trois droites qui, en s'entrecoupant deux à deux, subdivisent le plan 
en sept régions : trois angulaires, trois biangulaires, et une triangulaire. 
Il revient au même de placer le triangle complet dans le plan polaire, 
ou d'emplacer le pôle arbitrairement choisi dans l'une des sept régions 
qu'il implique; si donc nous prenons ce dernier parti, nous aurons six 
relations possibles du pôle avec le triangle complet : 1® le pôle dans un 
biangle; 2** le pôle dans un angle; 3* le pôle sur l'une des demi-droites; 


CA. /, zArt. IV - Point et Point 53 


4" le pôle sur un des côtés du triangle; 5® le pôle sur un sommet ; 6<> en- 
fin, le pôle dans l'intérieur du triangle. Suivant que les rayons polaires, 
c'est-à-dire les distances du pôle à chacun des points, seront toutes les 


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trois inégales, ou deux égales et la troisième plus grande ou plus petite, 
ou enfin égales, on aura trois, deux ou une circonférence passant par 
les trois points et dont le pôle commun sera le centre. 

Le pôle étant situé dans Tun des biangles (fig. 1) ou dans l'un des 
angles (fig. 2), les trois rayons polaires sont libres et distincts. 

Si le pôle est sur l'une des demi-droites^ deux des rayons polaires 
sont unis ou se confondent avec la droite choisie, le troisième reste 
libre et distinct (fig. 3). 


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Le pôle étant pris sur l'un des côtés du triangle et entre les deux 
points que ce côté implique, soit au milieu (fig. 4), soit à inégales dis- 
tances (fig. 5), on a deux rayons unis et confondus avec le côté choisi 


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64 Prolégomènes 

et un rayon distinct. Enfin si Je pôle est l'un des trois points (fig. 6), 
on n'a plus que deux rayons, et Ton rentre dans le cas de deux points 
et un pôle. 

Les figures 1 à 6 impliquent trois, deux ou une circonférences 
circonscrites aux trois points suivant Tcspoce et suivant que les rayons 
polaires sont inégaux ou égaux. 

Si Ton isole le triangle fermé do rensomble du triangle complet pour 
le considérer dans sa relation descriptive avec le pôle, on remarquera : 
que, dans la figure 1, les trois points sont situés cliacnn sur un rayon 
polaire, et que la pointe du triangle est opposée au pôle ; que, dans la 
figure 2, les trois points sont également situés un à un sur les trois 
rayons polaires, mais que la pointe du triangle est tournée vers le pôle; 
enfin que, dans la figure 3, un des côtés du triangle et par conséquent 
deux des points sont situés sur un même rayon polaire et que le troi- 
sième point est sur le rayon libre : la position du Iriangle par rapport 
au pôle est donc intermédiaire entre les figures 1 et 2. 

Supposons maintenant le pôle à Tintérieur de la maille ou du triangle 
fermé et situé en un point quelconque de sa surface. 

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Si le pôle est pris à vue dans le triangle de telle manière que les trois 
rayons polaires qui le joignent aux points soient inégaux, on aura trois 
cercles concentriques et sur lesquels le triangle demeurant invariable 
s'appuie constamment dans son mouvement de rotation autour du pôle 
(fig. 7). Si deux des rayons polaires étaient égaux, ce que Ton obtient 


Ch. /, (Art. IV — Point et Point 55 


aisément en prenant le pôle sur une perpendiculaire élevée par le milieu 
do Tun des côtés, on n'aurait plus que doux cercles concentriques sur 
lesquels s appuie constamment le triangle invariable en tournant autour 
du pôle, doux des points s'appuient sur un mt*me cercle, et le troisième 
sur le cercle concentrique (fig. 8). Enfin, si Ton élève une perpendicu- 
laire par le milieu d'un second côté, son point de rencontre avec la pre- 
mière et par suite avec la perpendiculaire élevée sur le milieu du troi- 
sième côté, détermine un pôle unique, le pôle propre de la figure de trois 
points; les trois rayons polaires sont égaux et les trois points sont 
situés sur un cercle unique (fig. 9). Nous en conclurons ces propositions 
de géométrie élémentaire entre tant d'autres bien connues : trois points 
non situés en ligne droite déterminent une circonférence et une seule; 
tout triangle est inscriptible dans une circonférence, etc.. 

Celte manière impérative et symbolique d'exprimer de simples faits 
de graphique qui relèvent de l'intuition des sens et do l'imagination de 
l'esprit, permet, en les incorporant au langage, de les transporter dans la 
région de la science, c'est-à-dire de l'organisation rationnelle de la con- 
naissance. La faculté discursive et logique de la raison venant à s'exer- 
cer sur ces données premières, il en résulte l'appareil tout scolastique 
de l'explication scientifique et delà démonstration en forme, et finalement 
l'exposition doctrinale ou didactique de la géométrie. C'est ainsi qu'en 
disant que le pôle propre du groupe triangulaire de trois points se trouve 
à rintersection des trois perpendiculaires élevées sur le milieu des 
côtés on formule implicitement ce théorème : Les perpendiculaires éle^ 
vées sur le milieu des côtés d*un triangle se coupent en un seul et même 
point. Puis le théorème formulé on en fournit la démonstration et cela 
Constitue un exercice de logique qui a ses lois et sa rigueur propres, 
nous n'avons donc pas à y insister ici. D'ailleurs, et quelle que soit cette 
démonstration, si l'on s'avise de demander où tombe le point en ques- 
tion, force sera bien de recourir à l'expérience directe, si Ton ne veut 
pas recourir à l'expérience acquise, c'cst-à dire indirecte, et qui, s'étant 


56 


Prolégomènes 




amassée par provision dans Jos livres ou dans la mémoire, s'y trouve 
logiquement organisée par la coordination scolasLique. 

Pour le triangle obtusangle (fig. 10), la figure se trouve toute d'un 
côte du pôle qui est alors situé en dehors du groupe de trois points. Et 



en effet, répond la géométrie, le triangle a son angle caractéristique 
inscrit dans un arc moindre que la demi-circonférence. Si le triangle est 
reclangle (fig. HJ, le pôle se trouve situé sur le grand côté ou Thypo- 
ténuse. Enfin si le triangle est acutangle (fig. 12 et 13), le pôle est à 
rintérieur des trois points. La disposition absolument régulière des trois 
points est quand le triangle qu'ils impliquent est à la fois équiangle et 
équilatéral ; dans ce cas, les trois axes de symétrie du triangle se coupent 
par le pôle (fig. 13). Si dans les ligur;:s 10 à 13 les deux côtés de l'angle 
caractéristique étaient égaux, on aurait des triangles isocèles. 

Les trois points rassemblés près à près sous un arc très petit et à 
peine discernable ont pour limite en dessous la figure 14 où les trois 
points sont confondus en un seul et les trois côtés du triangle confon- 
dus en une seule tangente, le triangle est alors infiniment petit. Si le 
triangle, quoique encore très petit, devient perceptible, les trois côtés sont 
alors distincts ainsi que les trois rayons polaires. Le point du milieu 
restant fixe, si l'on suppose que les deux autres s'en écartent également 
et de plus en plus, on aura la suite dos figures 15 à 24 et finalement la 
figure 25 où deux des côtés se confondent avec Taxe de la figure et le 
troisième qui lui est perpendiculaire devient tangent au cercle. Dans la 
figure 18, où les trois points embrassent un demi-cercle, deuxdes rayons 
polaires sont dans un même alignement qui est le diamètre du cercle. 


Ch. /, (Art. IV — Point et Point 


57 


Les trois points étant séparés par des arcs égaux on a la figure 20 ou le 
triangle équilatéral do symétrie ternaire. Dans la suite des figures 21 à 


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24, l'angle devient de plus en plus aigu, les deux côtés symétriques se 
rapprochent de plus en plus Tun de l'autre et finalement se confondent 
en un seul (fig. 25). Tous ces triangles sont isocèles et la figure est 
paire, seule la figure 20 est triplement paire ou de symétrie ternaire. 

Si maintenant, et pour chacune des phases précédentes de la géné- 
ration des triangles isocèles, on vient à considérer la base ab comme 
fixe pondant que le sommet c se déplace sur la circonférence en passant 
de en 6 ou symétriquement de c en a, on engendrera une infinité 
de triangles scalènes pour chacun des trianges isocèles et qui auront 
comme lui-même base et même angle au sommet. 

Tout étant symétrique de part et d'autre de Taxe de symétrie 
c de de la figure, il nous suffira de considérer la suite des triangles 

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58 


Prolégomènes 


scalènes d'un seul côté, de c en A par exemple. Prenant donc un point 
quelconque c' sur l'arc cb, il nous faut montrer (démontrer, comme 
disent les géomètres) que l'angle ac'6 est égal à l'angle ac6. Or, si 





Ton joint le point c' au centre p du cercle, on a constamment les 
triangles acp, et c'bp qui sont isocèles, par conséquent les angles 
à la base sont égaux et par suite la somme deces angles toujours com- 
plémentaire à quatre angles droits d'un même angle fixe apb ; donc 
angle ac'b et égal à angle acb. De ce simple fait de commutation des 
angles il résulte encore que angle cac' est constamment égal à angle 
c'b Cy et que, puisque leur somme est égale à angle au centre cp&, cha- 
cun d'eux a pour mesure la moitié de l'arc cc\ qui est la mesure de 
l'angle au centre, par conséquent encore tous les angles c a c' inscrits 
dans l'arc cadbc ont même mesure, la moitié de l'arc complémen- 
taire ce'. De là ce théorème de la géométrie: tous les angles iriscrits 
dans un même segmeiit sont égaux et ont pour mesure la moitié de 
Farc sous-tendu, et ses conséquences, que montrent les figures 26 à 
28, c'est-à-dire: si le segment est plus petit que la moitié de la circon- 
férence, ou égal ou plus grand, respectivement l'angle inscrit sera 
obtus, droit ou aigu. Nous noterons particulièrement, à cause de son 
utilité dans la graphique, que tous les angles inscrits dans un demi-** 
cercle sont droits (fig. 27). 

Pourtoute la suite des triangles scalènes ainsi engendrés, les hauteurs 
ou. les distances perpendiculaires du sommet à la base vont en déclinant 
depuis le triangle isocèle initial jusqu'au terme zéro, quand le sommet 


CA. I, Art. IV— Point et Point 59 


c est en  ou en a et que les côtés de l'angle au sommet se confondent 
alors avec la base aô. 

IV 

Quatre points et le pôle. — Un quatrième point pris hors du groupe 
de trois points, et en dehors de l'alignement de ces points pris deux à 
deux, et puisque trois points impliquent un cercle, se trouvera néces- 
sairementsiluéouà rintérieur du cercle(fig. 29),ou àrextérieur(flg.31), 
ou enfin sur la circonférence (fig. 30). Dans ce dernier cas, le groupe 
des quatre points est dit inscriptible; dans tousles autres cas, il est dit 






•A/'' \"\ ""\ \ . .':••■ •■.■••-.N • -./..-«-.'. -.....■.>. 






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''32 33 ^^ 


non-inscriptible; en d'autres termes, les quatre points n'ont pas de pôle 
commun ou ils en ont un ; ou bien encore le groupe de quatre points 
est inscrit dans une seule circonférence, ou bien il est inscrit dans deux 
circonférences concentriques. Si Touprenait les quatre points au hasard, 
et un point de- centre quelconque, il arrivera nécessairement ou bien 
que ces quatre points seront sur quatre circonférences concentriques 
ou bien sur trois, ou sur deux ou sur une seule. Dans tous ces cas, les 


60 


Prolégomènes 


rayons p(»laires seront inégaux ou bien inégalement égaux^ ou enGn 
égaux. 

Le groupe des quatre points tous situés sur le cercle polaire peut 
avoir son pôle propre, en dehors (Qg. 32), sur un des côtés (fig. 33), ou 
en dedans (fîg. 30). 

ARTICLE V 

DROITE ET POINT 


Nous pouvons considérer le Point par rapport à la Droite, ou la 
Droite par rapport au Point. Dans le premier cas, la Droite est fixe et 
le Point mobile; dans le second cas, c'est le Point qui reste fixe et la 
Droite que est mobile. De toute manière le complexe do la Droite et du 
Point est une figure paire et symétrique par rapport à un axe qui passe 
par le Point et est perpendiculaire à la Droite. 

I 1^'. — La Droite fixe et le Point mobile. 

Tout d*abord et comme d'instinct, parce que nous avons naturelle- 
ment le sentiment de la plus courte distance, du chemin le plus direct, 
nous conduisons par le Point une perpendiculaire à la Droite. Puis» 
mesurant la distance du Point au pied de la perpendiculaire, nous en 
avons la grandeur métrique. Par conséquent, et pour ce qui est de la 
distance du Point à la Droite, nous la connaissons parfaitement. Mais, 
cette distance étant la même pour tous les points d'une droite parallèle 
à la Droite fixe, \di situation ou le lieu du Point restent indéterminés. 

Pour préciser cette relation, il est nécessaire d'introduire un moyen 
terme. Or, puisque une Droite est déterminée par deux points, si nous 
prenons effectivement deux points sur la Droite, la relation du Point 
avec ces deux derniers établira d'une manière fixe et invariable la rela- 
tion métrique et graphique du Point avec la Droite. 

Prenons d'abord un seul point auxiliaire sur la Droite, et faisons 


Ch. /, Art. 7 — Droite et Point 61 

passer par ce point auxiliaire et le Point donné'unc ligne droite : les 
deux points déterminent une distance et les deux droites un angle ; si 
donc nous connaissions cet angle et la distance des deux points, la ' 
situation du Point par rapport à la Droite^serait entièrement déterminée. 
Si nous prenons maintenant un second point sur la droite, et que nous 
fassions passer une seconde ligne droite par le Point et ce nouveau 
point, nous aurons alors un complexe de trois points, de trois droites, 
de trois angles, et de trois distances, c'est-à-dire, un triangle complet. 
A ne considérer que les trois distances, la situation du Point sera donc 
entièrement déterminée. Enfin le Point serait encore déterminé si, par 
le Point et Droite, on faisait passer le trait carré. De là les trois 
procédés suivants: 

I. — Détermination par l'angle ^ 

On mesure un angle quelconque par Tare qui lui est solidaire et | 

qu'on évalue en degrés, minutes, secondes, à l'aide d'un cercle gradué, 
graphomèlre ou rapporteur. 

On construit un angle quelconque soit mécaniquement par le rappor- 
teur, soit graphiquement par le trait de Carc qui se détermine par un % 
trait de compas et que l'on reporte par la longueur de la corde. 


MA' 


^^ ÏA 


\ 
\ 


C'est une application graphique du système des coordonnés polaires^ 
ainsi défini dans la géométrie cartésienne ou analytique : c< Un points 
une longueur et une direction déterminent une droite ; le point qui 
est à la fois sur la droite Ox et sur l'alignement OM est le pôle ; la dis- 
tance est la longueur OM qui va du pôle au point M et qu'on appelle 


ri 




>i 


v 

« 




'4 




02 


Prolégomènes 


rayon Decleur ou droite dirigée; enfin la direction est fixée par Tangle 
formé par le rayon vecteur avec la ligne de base Ox et qu'on nomme 
quelquefois axe polaire. » 

Dans la graphique proprement dite, c'est le trait de Tare qui seul 
nous intéresse. 

La Droite donnée Ox^ la distance OM et la corde MA forment un 
triangle, le procédé de la détermination par l'angle revient donc, au 
fond, au procédé de la détermination par le triangle. 

II. — Détermination par le triangle 

La position d'un Point par rapport à une Droite est déterminée quand 
on connaît ses distances à deux points de la Droite. 

Trois points 9 qui ^ pris deux à deux, déterminent trois alignements et, 
par suite, trois distances; trois angles sous chacun desquels la droite 
qui réunit deux points opposés est vue ou coordonnée avec le troisième 
point; tels sont les éléments de la synthèse géométrique, ou du complexe 


.'"V 




/ \ 


/ 


\ 




capital, aussi bien en géométrie qu'en graphique, qu'on appelle le 
triangle. 

Le Point se trouvera donc entièrement déterminé, si, prenant à 
volonté deux points sur la Droite, on mesure les distances do ces deux 
points, au Point donné. On a ainsi trois distances connues et par consé- 
quent un triangle déterminé. 

Ce triangle se construit aisément si, prenant sur la Droite la distance 
de deux points fixes comme base, on trace en deux traits de compas et 


F 


Ch. I, Arl. V — Droite et Point 63 


avec les deux autres distances deux petits arcs qui, en se coupant, déter- 
minent le triangle et par suite la position du Point. 

Le Point se trouverait encore déterminé si, au lieu des distances du 
Point aux deux points de la Droite^ on mesurait les angles que font les 
droites du Point avec la Droite. Il suffirait graphiquement de déterminer 
ces angles par le trait de tare et le problème serait encore résolu. 

III. — Détermination par le trait carré 

Ce troisième moyen, qui revient d'ailleurs au second, consiste à 
appliquer sur la Droite Tune des branches du trait carré, pendant que 
l'autre branche passe par le Point. La distance alors la plus courte, du 
Point à la Droite, est la distance du Point au centre ou à Tencroix du 
trait carré. Cette plus courte distance est donc perpendiculaire à la 
Droite. Or, pour tracer le trait carré, ou, ce qui revient au même, pour 
mener une perpendiculaire à une droite (et, à moins que Ton no serve 
mécaniquement de la règle et de Téquerre) il faut toujours déterminer 


• I 


« • 

V 

.' I*' 


deux obliques, et c'est ce que Ton obtient aisément, quoique d'une ma- 
nière implicite, en traçant du Point isole et avec une ouverture de com- 
pas prise à volonté, un arc de cercle assez grand pour couper la Droite 
en deux points. De ces deux points on décrit haut et bas deux petits 
arcs qui^ en se coupant, déterminent deux points, lesquels, étant joints 
par une ligne droite, donnent la perpendiculaire demandée. 

De la relation établie entre le Point et la Droite extérieurs Tun à 
l'autre, nous pouvons conclure que le mouvement relatif d'un point 
dans le Plan est déterminé quand on donne les mouvemenis relatifs de 


64 Prolégomènes 


co point par rapport à une droite fixe dans le Plan. Ce mouvement 
relatif est connu à tout instant quand on donne les mouvements relatifs 
du point par rapport à deux points de la droite donnée. Tous les points 
de la trajectoire du point mobile déterminent, avec les deux points 
fixes, une suite de triangles. 

I 2. — Le Point fixe et la Droite mobile. 

Le Point considéré comme fixe est alors le pôle delà droite et réci- 1 

proquement la Droite est la polaire du Point. La perpendiculaire menée I 

dupôlesurla polaire, ou, cequiest la même chose, du Point sur la Droite» , 

est Faxe polaire, et la plus courte distance du Point à la Droite est la i 

distance du pôle à la polaire prise sur Taxe polaire. Cette plus courte 
distance est aussi le rayon du cercle polaire décrit du pôle comme 
centre et tangent à la polaire. 

La Droite considérée comme mobile autour du point fixe ou du pôle 
est constamment tangente au cercle polaire qui est fixe, et dont le 
rayon est la plus courte distance du Point à la Droite. 

D'autre part, et considérant que deux points déterminent une droite, 
si nous prenons deux points à volonté sur la droite, nous la partagerons 
en deux demi-lignes droites indéfinies, et un segment fini compris 
entre les deux points ; or, il nous suffira de considérer ce segment, dé^ 
terminant de la droite entière, et de le mettre en rapport avec le Point. 
Tous les déplacements du segment fini, d^abord sur la Droite par le choix 
arbitraire des deux points, ou par son glissement sur la Droite; puispar 
sa rotation entière autour du point fixe ou du pôle auquel il est rattaché 
par les deux rayons polaires qui vont du pôle à ses extrémités, ou, ce 
qui revient au même, la rotation du triangle rigide que forment les 
deux rayons avec le segment, seront déterminants des diverses positions 
de la Droite entière par rapport au Point. 

Soient donc donnés un Point ou pôle et une Droite ou polaire et, 
pour plus de commodité, la Droite étant prise horizontale ou travers. 


Ch, /, Art, F — Droite et Point 


6S 


Par le point P (fig. 1) décrivons une circonférence tangente à la droite, 
ou le cercle polaire et menons une perpendiculaire à cette môme droite 




ou Taxe polaire. Nous avons ainsi un complexe formé par la Droite et 
Taxe polaire et invariable puisque la Droite et l'axe polaire sont per- 
pendiculaires l'un à l'autre. 

Si donc nous faisons tourner ce complexe autour du point Pou du pôle, 



la Droite devient oblique à sa position première (fig. 2) et fait avec celle- 
ci un angle égal à l'angle des deux axes ou des deux rayons polaires. 
La Droite par rapport à sa position première, ou horizontale, devient 
successivement plus ou moins couchée, puis diagonale, et enfin plus ou 
moins penchée. A la limite, laDroite d'abord horizontale ou travers, puis 
oblique en barre, devient finalement verticale ou droite, c'est-à-dire 
d'équcrre avec sa position première. La Droite, continuant son mouvc- 


66 Prolégomènes 


ment de rotation, de verticale devient oblique en bande et plus ou 
moins penchée, diagonale et enGn plus ou moins couchée; à la limite, 
la Droite devient horizontale et parallèle à sa position première. La rota- 
tion continuant, la Droite repasserait symétriquement par les mêmes 
positions, mais en sens inverse, pour, finalement, et après une révolu- 
tion complète, faire retour à sa position première et la réoccuper en- 
tièrement. 

Si l'on marquait deux points sur la Droite, on déterminerait un seg- 
ment fini compris entre ces deux points et compris aussi dans Tangle 
polaire formé par les rayons polaires menés du pôle à chacun do ces 
points. De même que le segment est déterminant de la Droite entière, 
de même aussi le triangle polaire est déterminant de chacune des posi- 
tions que peut occuper la Droite dans son déplacement autour du pôle. 
Nous en conclurons que le mouvement relatif d'une Droite par rapport 
au pôle est déterminé à tout instant par deux points liés invariablement 
ou un segment fini; et l'ensemble des positions de ce segment et par 
conséquent de la Droite entière est subordonné à un faisceau de droites 
qui rayonnent autour du pôle sous des angles indéterminés. Si donc 
nous considérons le segment fini, il sera à tout instant compris entre 
deux rayons polaires sur lesquels il s'appuiera constamment par ses 
extrémités. Do plus, et si Ton considère à part l'angle polaire, c'est-à-dire 
les deux rayons polaires et le segment compris, ce segment, demeurant 
invariable, pourra se déplacer de bien des manières dans les limites de 
l'angle polaire. L'ensemble des positions de ce segment, qui s'appuie 
constamment sur les côtés de l'angle polaire, fait partie de l'ensemble 
des tangentes à une conique. Mais ceci nous avertit que, dépassant les 
bornes de la Graphique et de la Géométrie élémentaires, nous entrons 
dans un autre domaine, celui de la Géométrie générale, qui doit nous 
rester étranger. 

A mesure que la Droite se rapproche du Point, le cercle polaire dimi- 
nue, pour, à la limite, se réduire à un point; le Point est alors situé 


Ch. /, Art. V — Droite et Point 


67 


sur la Droite, en son milieu, et c'est alors le pôle propre de la Droite. 

Si Ton arrête à tout instant le mouvement continu do rotation de 

la Droite autour du pôle, pour on marquer les phases successives et 



numériquement distinctes, on aura autant de positions diverses de 
la droite initiale que l'on voudra, c'est-à-dire une suite do figures 
composées de 1. 2. 3... n droites subordonnées à un pôle ou centre 
directeur. 

Pour une seule position de la droite, à savoir la position initiale, la 
droite, par rapport à la norme des directions, c'est-à-dire par rapport 
au trait carré, sera horizontale ou travers, verticale ou droite, oblique 
en barre ou oblique en bande et simultanément penchée, diagonale ou 
couchée. La droite est tangente au cercle polaire, et Ton a par consé- 
quent un seul point de tangence (fig. 3). 


68 


Prolégomènes 


Deux positions distinctes de la droite initiale, étant prises ensenible, 
formeront un sautoir (flg. 4) ou une jumelle (fig. 5). Les deux côtés du 
sautoir sont tangents au cercle polaire et l'on a deux points de tangence 
et un point de croisement. Les côtés de la jumelle, et puisque les droi- 
tes sont parallèles, déterminent seulement deux points de tangence. 

Trois positions distinctes de la droite initiale, en se coupant deux à 
deux, déterminent un triangle complet circonscrit au cercle polaire par 
les trois côtés d'un biangle (fig. 6). Si deux des positions sont parallèles 
et la troisième oblique (fig. 7) ou bien d'équerre (fig. 8), la figure est 
circonscrite au cercle polaire, et l'on a encore trois points de tangence, 
mais seulement deux points de croisement. Enfin, si le cercle polaire est 
enveloppé complètement par les trois droites qui se coupent deux à 
deux on a un triangle complet circonscrit au cercle par les côtés de sa 
maille intérieure ; et le cercle est dit alors inscrit au triangle (fig. 9). 
En général, ces positions successives d'une droite mobile autour d'un 
point fixe ou pôle déterminent un polygone complet et qui est fermé 
ou bien ouvert et partiel, selon que ces positions de la droite envelop- 
pent le cercle polaire de toutes parts (fig. 9), ou seulement en partie 
(fig. 10), c'est-à-dire selon que la droite initiale a dans son déplacement 
parcouru le cercle tout entier ou une partie seulement. 

Plus généralement encore et si Ion envisage la continuité du mouve- 
ment, les positions successives d'une droite mobile enveloppent cequ'en 

géométrie moderne ou synthétique on appelle une cour be. Lb. courhe peut 
ètredéfiniecommerensemble de tous les points qui sont situés sur elle 
ou comme l'ensemble des tangentes qui l'enveloppent. L'élude de la na- 
ture eidespropriéiésdes formes fféométriçues engendréespar le déplacc- 
mentd'unélémentinitial, parexempleladroite,etqui ne dépend en aucune 
manière des notions de force, de vitesse etd'accélération, non plus d'ail- 
leurs quede lanature des forces ;72é^can2^2/e^quiréalisenl]esmouvements 
mais uniquement de la loi géométrique qui préside à leur génération, fait 
l'objet propre de la géométrie du mouvement ou de ce que l'on appelle 


U:^- 


Ch. ly Art. VI — Droite et Droite 69 


ARTICLE VI 

DROITE ET DROITE 


-^ 

encore la géométrie cinématique^ dont les développements sont étran- fv 

gers à la graphique proprement dite. Ce qui n'empêche nullement que i 

les notions premières et fondamentales tant de la géométrie ordinaire [■ 

que de la géométrie cinématique, ne soient aussi les notions premières t 

et fondamentales de la graphique, et c'est ce que la suite de ces études 1 

mettra dans tout son jour. Dès à présent nous pouvons faire remarquer 

que (fîg. 11) là droite initiale, en passant de la position I à la position II, h, 

s'est dédoublée et transformée en un sautoir I-II ; que (fig. 12), si Ton 1^ 

prend le pôle p inégalement distant des deux côtés du sautoir III, 
on pourra, par un mouvement de rotation de l'une des droites com- 
posantes, transformer le sautoir en une jumelle I-II' si la relation a lieu 
de droite à gauche, ou en une jumelle égale T-II, si la rotation a lieu de 
gauche à droite; la largeur de la jumelle est égale à la différence des 
rayons polaires. 


\ - 
t 


% 


Deux droites dans un même plan, ou bien une droite et un point 
extérieur étant donnés, et si l'on mène par le point une seconde ligne 
droite quelconque, il arrivera de deux choses l'une : ou que les droites 
resteront distinctes dans toute leur étendue, ou bien qu'elles se coupe- 
ront en s'entre-croisant, et auront alors un point commun. Dans ce der- 
nier cas, les droites se croiseront d'équerre ou on croix et formeront le 
trait carré; ou bien elles se croiseront obliquement ou de biais et forme- 
ront entre elles un sautoir. Si les deux droites ne se rencontrent pas, 
elles sont dites parallèles, et leur couple est wn^ jumelle. 

Chacune de ces positions relatives dedeuxdroites est déterminée quand 
on connaît pour chacune d'elles deux points fixes. On a donc en réah'té 
un groupement de quatre points dont les relations diverses sont déter- 
minantes des couples de lignes droites qui passent chacune par deux de 
ces points. Or, ces points pris trois à trois déterminent des triangles \ 


\ 


I 


70 Prolégomènes 


rigides et qui sont liés deux à deux par une base commune. C'est donc 
finalement par deux triangles à base commune que la situation relative 
de deux droites sera déterminée. 




I 


-. . 


\ 
I 


Le quadrilatère dos quatre points implique six lignes droites : quatre 
d'entre elles, à savoir : aa et bb\ ab et a'é' sont des côtés, et les deux 
autres ab* et ba' sont des diagonales. Les côtés opposés pris deux à 
deux se coupent ou sont parallèles, et les deux diagonales se coupent 
en croix ou en sautoir, selon que ces lignes sont d'équerre ou obliques 
Tune à l'autre. 

La droite aa! sera déterminée par rapport à bb'; ou réciproquement 
bb' par rapport à aa' par le ueosples des triangles situés d'un même 
côté de la base commune et superposées, savoir : bb'a et bb'a* pour 
aa' par rapport à bb'; aa'b et aa'b' pour Aé'par rapport kaa\ De môme 
pour les droites a^ et a'A' qui seront déterminées par les couples respec- 
tifs des triangles a'b'a et a'A'6, aba' et abb\ 

Les diagonales, c'est-à-dire les deux droites passées en croix ou en 
sautoir, seraient déterminées l'une par rapporta l'autre par les couples 
de triangles opposés par le sommet, savoir aca' et bcb' ou a'cb' et 
acb. Mais puisque les droites se croisent, elles ont un point commun^ 
où se confondent deux des quatre points, il suffira donc, outre le point 
commun, de prendre deux autres .points un sur chacune des droites, ot 
un seul triangle sera nécessaire pour déterminer la situation réciproque 
du sautoir ou de la croix. Pour le sautoir, le triangle serait pris indif- 
féremment dans l'angle le plus ouvert et obtus ou dans l'angle le plus 


Chap. /, Art. VI — Droite et Droite 71 

fermé et aigu. Pour la croix, il n'est plus qu'un seul angle droit ou 
rectangle. 

Le mouvement relatif d'une Droite par rapport à une autre Droite 
considérée comme fixe est connu quand on donne les mouvements rela- 
tifs de deux deses points par rapport à deuxautres points fixes de l'autre 
Droite. Dans ce cas, le mouvement est fixé atout instant par les triangles 
que déterminent les deux points de la Droite mobile avec chacun des 
points de la Droite fixe. 

De plus, si une figure quelconque est exprimée par la droite finie qui 
relie invariablement deux de ses points, le mouvement relatif de deux 
figures quelconques sera exprimé par le mouvement relatif des deux 
droites finies qui leur sont liées invariablement. Nous verrons plus tard 
et dans la Graphique les conséquences importantes qui découlent de 
celte remarque. 

Le couple des deux droites demeurant invariable peut se déplacer tout 
entier par un mouvement de translation et parallèlement à lui-même 
suivant une droite directrice quelconque et qui lui est attachée invaria- 
blement. Le couple des deux droites demeurant invariable peut se dé- 
placer tout entier par un mouvement de rotation autour d'un point fixe 
quelconque et qui lui est attaché invariablement. Le choix de la direc- 
trice ou de la droite de translation comme le choix du point directeur 
ou du centre de rotation sont arbitraires. Mais si Ton observe que les 
couples des deux droites ont une symétrie intérieurequi gouvernetout le 
système, c'est-à-dire des axes et un centre propres, le choix de la droite 
de translation comme le choix du centre de rotation tomberont le plus 
naturellement sur le pôle propre ou sur les axes propres. 

h^ jumelle, formée par le couple des deux Droites parallèles, a deux 
axes principaux, Tun longitudinal et passant par le milieu de la bande 
comprise entre les deux droites, l'autre transversal etd'équerre avec le 
premier. La jumelle est écartelée et son trait carré formé par les deux 
axes principaux partage le système tout entier^ formé du plan comme 


72 


Prolégomènes 




support qt de la jumelle comme figure, en quatre quartiers égaux et 
symétriques. De plus Tencroix du trait carré est le centre de symétrie de 
tout le système, par ce centre et en outre des deux axes principaux pas- 
sent une infinité d'axes obliques en bande ou en barre et penchés, diago- 
naux ou couchés, qui reh'ent deux à deux et symétriquement tous les 
points en nombre infini du système tout entier,et nommément les points 
des Droites, les points de l'espace linéaire ou de la bande, et enfin les 
points des deux demi-plans. De plus encore, le centre de symétrie est le 
pôle de la jumelle et le cercle polaire propre est le cercle tangent aux 
deux Droites. 

Le sautoir a deux axes principaux passés en croix ou ccartelés^ qui 
bissectent les angles plans opposés etune infinitéd'axes obliques enbarre 
ou en bande et penchés, diagonaux ou couchés. Tous les axes se croi- 
sent en un même point, sommet du sautoir, qui est le centre de symé- 
trie ou le pôle du système tout entier. 

La croix a quatre axes de symétrie principaux, deux linéaires et qui 
se confondent avec les droites, et deux angulaires qui bissectent les 
angles-plans ou les quartiers; la croix est donc de symétrie gironnée^ 
de plus elle a une infinité d'axes obliques en bande ou en barre et pen- 
chés, diagonaux ou couchés. Tous les axes, tant principaux qu'obliques, 
s*entrecoupent en un même point qui est le centre de symétrie ouïe pôle 
du système tout entier. 


CHAPITRE II 


LE POINT. — LA DROITE. — LE CERCLE 


Supposons un point marqué en un lieu quelconque du plan, ce point 
étant graphie, c'est-à-dire sensible à notre perception, sera réel, mais 
tellement petit que sa figure ou sa forme ne compte pas et demeure 
indifférente. Le point réel peut alors être considéré comme le signe 
indicatif d'un lieu, comme une droite infiniment petite, comme un cercle 


4^ 


Chap, Il — fLe Points la Droite^ le Cercle 73 


infiniment petit, enfin comnie une figure quelconque infiniment réduite, 
c'est-à-dire infiniment petite et dont les attributs de forme ne sont plus 
discernables. Le point concret est le terme extrême, c'est-à-dire infini- 
ment petit de la minoration d'une figure quelconque , il représente alors 
le point do départ, le devenir d'une figure implicite que l'on peut conce- 
voir comme passant par tous les étals de grandeur, lesquels s'échelon- 
nent à volonté entre Tinfiniment polit et l'infiniment grand, termes 
extrêmes et alors purement intelligibles de la minoration comme de la 
majoration d'une figure. En passant par tous les états de grandeur, 
la figure no change pas de forme, elle demeure invariable et toujours 
homogène, c'est-à-dire conforme à son type. 

Deux points abstraits, marqués en deux lieux distincts du plan étant 
donnés, nous pouvons imaginer que ces points représentent : 

1^ Deux lieux abstraits, 

2^ Deux droites infiniment petites, 

3^ Deux cercles infiniment petits, 

4o Une droite infiniment petite et un point abstrait, 

3^ Un cercle infiniment petit et un point abstrait^ 

6^ Une droite infiniment petite et un cercle infiniment petit. 

Cela posé, les deux points peuvent être indéfiniment rapprochés ou 
indéfiniment éloignés : leur diiftance, c'est-à-dire la portion de droite qui 
les sépare sur la ligne droite indéfinie qu'ils impliquent, est alors plus 
ou moins petite ou plus ou moins grande suivant V échelle. Quand la 
distance est infiniment petite, c'est-à-dire physiquement nulle, les deux 
points se confondent en un seul. 

Si maintenant nous mettons en relations simplement descriptives le 
Point, la Droite et le Cercle, en les prenant deux à deux do toutes les 
manières possibles, nous aurons six combinaisons binaires, savoir : lo 
le Point et le Point, lo Point et la Droite, le Point et le Cercle, la 
Droite et la Droite, la Droite et le Cercle, lo Cercle et le Cercle. 


»7 


74 Prolégomènes 


ARTfCLE PREMIER 


i . — Le Point et le Point. 


Ueux points pris ensemble et formant un couple synthétique impli- 
quent un alignement, c'est-à-dire une ligne droite qui les contient l'un 
et l'autre. Les deux points partagent la ligne droite en un segment fini 
qui exprime leur distance, et deux demi-lignes droites indéfinies symé- 
triquement opposées. Les deux points étant plus ou moins éloignés 
l'undeTautre et même indéfiniment éloignés comme dans la ligne droite 
entière ou infinie, ou plus ou moins rapprochés l'un de l'autre et même 
indéfiniment rapprochés comme dans la droite infiniment petite, leur 
intervalle, leur distance ou la droite qu'ils impliquent, peut passer par 
tous les états de grandeur depuis la droite infiniment petite et de gran- 
deur physiquement nulle,jusqu'à la droite infiniment grande et de gran- 
deur physiquement inaccessible. 

I 2. — Le Point et la Droite. 

Les relations descriptives du Point et de la Droite sont de deux sor- 
tes : 1^ — le point est situé sur la droite dont il occupe alors le pôle ou 
le centre et l'ensemble est pairement pair ou écartelé; 2*^ — le Point est 
pris en dehors de la Droiteet situé alors dans l'un des deux demi-plans ; 
dans ce cas l'ensemble est seulement pair, c'est-à-dire symétrique par 
rapport à Taxe transverse qui passe par le point et est perpendiculaire 
à la droite. 

I 3. — Le Point et le Cercle. 

Les relations descriptives du Point et du Cercle sont au nombre de 
quatre : 1* — le Point est au centre du Cercle, l'ensemble est alors de 
symétrie radiaire comme le Cercle seul, c'est-à-dire qu'il a un nombre 
d'axes de symétrie indéfini se croisant par leur milieu au centre du cer- 
cle ; 2<* — le Point est sur la surface du Cercle entre le centre et la cir- 


Ch. 11^ Le Point, la Droite, le Cercle 75 


conférence; 3" — le Point est sur la circonférence du Cercle; i» — enfin 
le Point est en-dehors du Cercle. Dans ces trois derniers cas Tensemble 
est pair ou symétrique par rapport à un seul axe qui est la ligne des 
contres. Dans le second cas on a trois distances, Tuno du Point au cen- 
tre et les deux autres du Point aux extrémités du diamètre; ces deux 
dernières distances sont additives et leur somme est égale au diamètre. 
Dans le troisième cas on a deux distances, Tune du Point au centre et 
égale au rayon du Cercle, l'autre du Point à la circonférence et égale 
au diamètre. Dans le quatrième cas on a trois distances, comme dans le 
second cas, Tune du Point au centre et les deux autres du Point aux 
extrémités du diamètre ; ces deux dernières dislances sont dites sous^ 
tractives et leur différence est égale au diamètre. 

ARTICLE II. 

Le couple de deux points représente d'abord deux lieux distincts ; 
puis un lieu et le pôle ou centre d'une droite; un lieu et le centre d'un 
cercle; le centre d'une droite et le centre d'un cercle; le centre d'une 
droite et le centre d'une droite; enfin le centre d'un cercle et le centre 
d'un cercle. 

1. — Un lieu et un lieu. Le couple implique une ligne droite direc- 
trice, puis une dislance entre les deux points. 

2. — Un lieu et le centre dune droite. Le lieu et le centre impliquent 
une droite directrice par rapport à laquelle la droite, variable par sa 
diversité d'attitudes ou de positions , p( ut-ètre perpendiculaire ou 
d'équerre; ou bien oblique, en bande ou en barre et penchée, diagonale 
ou couchée; ou bien enfin se confondant avec la directrice. 

3. — Un lieu et le centre dun cercle. X mesure que le cercle, d'abord 
infiniment petit et nëtant alors qu'un point, s'accroît ou s'étend et 
devient distinct quant à sa forme, les relations descriptives passent par 
les phases suivantes : par le point et le centre ou le cercle infiniment 


76 


Prolégomènes 


petit, une seule distance ou la portion de droite qu'ils impliquent ; — le 
point et le cercle étant disjoints, on a trois distances, d'abord la dis* 
tance des deux points initiaux, puis les dcuxdistances du point à la cir- 
conférence; — en continuant de s'accroître, la circonférence du cercle 
passe d'abord par l'autre point puis elle le dépasse indéfiniment en Ten- 
veloppant. 

4. — Le centre (Tune droite et le centre cTun cercle. Par le centre 
de la Droite passent une infinité de droites qui rayonnent dans toutes 
les directions; autour du centre du cercle, s'épanchent une infinité de 
cercles tous concentriques. Or, si l'on prend d'abord deux points fixes, 
de distance invariable, et si Ton suppose en l'un de ces points une ligne 
droite, variable de position et en l'autre point un cercle variable par 
ses accroissements successifs, on aura entre autres les figures suivantes : 



Dans la figure i, la droite est perpendiculaire sur la directrice ou la 
ligne des centres; dans les figures 2, 3 et 4, la droite est oblique pen- 
chée, diagonale ou couchée, et d'abord distincte du cercle, puis tangente 
et enfin sécante; dans la figure 5, la droite est encore sécante, mais aussi 
diamétrale. Quelles que soient la distance des deux points et la marche 
générique suivie — par le mouvement de la droite si le cercle est fixe, 
ou par l'accroissement du cercle si au contraire la droite est fixe, — on 
aura toujours les mêmes figures. 


Ch. Il — Le Point f la Droite y le Cercle 


77 


5. — Le centre ctune droite et le centre d^une droite. Si au couple de 
deux points abstraits nous substituons deux droites infiniment petites, 
chacun de ces points réels contiendra en puissance une infinité de lignes 
droites de directions différentes; et si en chacun de ces points nous fai- 
sons passer une seule ligne droite, nous obtiendrons une infinité de 
couples de droites, par exemple les figures suivantes : 




12 


Par rapport à la directrice commune, on a : les deux droites d'équerre 
avec la directrice (fig. 6), — les deux droites de même inclinaison et 
de même sens (fig, 7), — une droite d'équerre et une droite oblique en 
barre (fig. S)»-— les deux droites inégalement inclinées en barre (fig.9), 
— les deux droites de même inclinaison mais en sens contraire : 
l'une en barre^ l'autre en bande (fig. 10), — une droite d'équerre et une 
droite oblique en bande (fig. 11), — les deux droites d'équerre entre 
elles et par conséquent l'une par le travers^ l'autre par le droit de la 
directrice (fig. 12). 

Les droites étant supposées illimitées au lieu d'être fragmentaires^ 
comme elles le sont nécessairement dans les figures précédentes, ces 
figures se réduiraient à trois couples distincts: le premier (fig. 6 et 7) où 
les droites sontparallèles et forment ensemble unçi jumelle; le deuxième 
(fig. 8 à 11) oii les droites se coupent obliquement en sautoir; et enfin 


78 


Prolégomènes 


le troisième (fig. 12) où les droites se coupent d'cquerrc ou en croix. 

6. — Le centre d'un cercle et le centre d'un cercle. Les deux poinis 
abstraits devenant tes contres de deux cercles, il en résulte que si, dans 
la multitude de cercles qui s'étendent indéiinimcnt autour de chaque 
point, on en prend deux à volonté, ces deux cercles seront égaux ou iné- 
gaux, intérieurs ou extérieurs, concentriques ou excentriques, enfin 
disjoints, tangents ou sécanls. 

Supposons maintenant que les deux points du couple soient siuml- 
lanément les centres d'une infinité de droites et les centres d'une infi- 



nité de cercles, et prenons pour exemple le cas de deux cercles divisés 
en huit parties égales. Si nous menons les huit diamètres passant par 
le centre et les points de division de la circonférence, nous aurons 
ainsi deux figures entièrement égales, composées des mêmes droites et 
des mêmes cercles, ceux-ci s'échelonnant de part et d'autre dans la 
même proportion, c'est-à-dire étant décrits do part oL d'autre avec le 
même rayon. L'ensemble de la figure ainsi formée (fig. i3) est pairc- 
ment pair ou de symétrie ccartelée. 

Si maintenant on numérote chacun des huit traits, on crée pour cha- 
cun d'eux une individualité distincte et, puisque tous ces traits sont 
identiques, cette individualité ne peut consister dès lors que dans leurs 
directions respectives. Les traits étant numérotés dans le même sens, 
par exemple de droite à gauche pour chacun des cercles, eu suivant la 


Ch, II — Le Points la Droite^ le Cercle 


79 


suite naturelle des chiffres on a la figure 14; si » d'un cercle à l'autre, 
on les numérote en sens inverse on a la figure 15. 
Cela posé, dans la figure 14 toutes les droites homologues, c'est-à- 




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dire qui ont même numéro d'ordre ou une position identique par rap- 
port au trait carré, —ainsi M et 1-1, 2-2 et 2-2, 3-3 et 3-3 8-8 et 

8-8 — étant prises deux à deux sonl parallèles ou forment une jumelle. 
Dans lu figure 13, les droites homologues ne sont plus parallèles, mais 
symétriques : 2-2 du premier cercle est symétrique de 2-2 du second 
cercle par rapport à Taxe perpendiculaire qui passe par le milieu de la 
ligne des centres. Dans la figure 14, toutes les droites homologues 
étant prolongées indéfiniment sont toujours parallèles. Dans la figure 
15, toutes les droites homologues ainsi prolongées se croisent oblique- 
ment ou perpendiculairement, c'est-à-dire de biais ou d'équerre, à Tex- 
ception des droites 5-5 et 5-5, qui sont dans le prolongement Tune de 
l'autre, et des droites 1-1 et 1-1 qui sont parallèles. 

Au lieu de prendre les deux cercles égaux, si nous les prenons iné- 
gaux (fig. 16 et 17), les deux cercles seront entièrement semblables 
dans toutes leurs parties, et chacune de ces parties, si elles sont homo- 




é 


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80 


Prolégomènes 


logucs et homogènes, c'est-à-dire de môme nature^ de même forme 
ou figure, seront également semblables. De plus, les parties de même 
nom d'un cercle à l'autre seront semblables et semblablement placées, 
c*est-à dire qu'elles seronlhomothéêiques^ comme disent les géomètres. 

Ainsi(fig. 18) aV est homolhétique de aa, ce' de cc^b'b' de bb et 

les droites qui joignent les points homologues sont également homo- 
logues et se coupent en un même point S. Dans ce cas, le point S étant 
extérieur au couple des deux cercles est un centre d'homothétie ou de 
similitude rfeV<?c/e. Les droites aa, a'a' sont vues sous un même angle 

visuel, de même oa et o'a\ oc, et o'c', ca et ca' ; tous ces angles 

visuels différents ont donc même sommet oculaire, ce qui est une repré- 



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sentation éjective et sensible du principe purement subjectif et instinc- 
tif de la similitude. 

Si, au lieu de se placer en dehors du couple des deux cercles, on se 
plaçait entre eux deux, Thomothétie ou la similitude seraient dites 
inverses. Après un demi-tour ou une convej'sion, Tœil retrouve exac- 
tement la même figure semblable et semblablement placée. En effet 
(fig. 19), le point de vue ou le centre de similitude devant se trouver 
à la fois sur la ligne des centres et sur la droite qui joint les points 
homologues se trouvera à leur intersection, ce qui entraîne l'inversion 
des points homologues : aux deux points a et é du grand cercle cor- 
respondent les points homologues £ et a du petit cercle. L'homothé- 
tie inverse se ramènerait à Thomothétie directe par la rotation dans le 
plan de l'un des demi-plans autour du centre S. 

La démonstration de l'unité de centre S devient intuitive si l'on 


Ch, ïly Art. II Al —La Droite et la Droite 


81 


répète syn^étriquernent le couple des deux cercles à droite et à gauche 
de S (Hg. 20) sans passer par la commodité didactique et purement 




20 






•• • 

A* 


logique de la théorie des triangles semblables, laquelle, au contraire, est 
une conséquence du principe général et purement intuitif de la simi- 
litude propre de la droite et du cercle. C'est à la droite comme au 
cercle que se ramènent en définitive la géométrie et la graphique élé- 
mentaires. 

§ l®^ — La Droite et la Droite. 

Deux droites prises ensemble sontou parallèles ou entrecroisées: dans 
le pren)ier cas, on a la jumei/e, dans le second cas on a le sautoir 
obliquangle ou rectangle, c'est-à-dire biais ou d'équerre. 




La jumelle (Hg. i) est pairement paire et écarteiée, simultanément 
par rapport à un axe longitudinal qui la traverse par le milieu de 
son intervalle, et à un axe transversal perpendiculaire à ses côtés. La 
droite étant indéfinie, le centre de symétrie ou du trait carré peut être 
pris en un point quelconque do l'axe longitudinal. Dans les limites de 
notre perception sensible et la figure étant fragmentaire, c'est-à-dire 
formée de droites finies quelconques mais réelles, il s'ensuit que l'in- 
tervalle ou la distance des deux côtés de la Jumelle est plu» ou moins 


1 


84 Prolégomènes 


grande ou plus ou moins petite par comparaison avec les droites frag- 
mentaires. 

Le sautoir (Gg. 2), variable par Técartement réciproque des côtés qui 
forment entre eux des angles aigu et obtus complémentaires l'un de 
l'autre à deux angles droits, est une figure pairement paire ou écartelée 
par rapport à deux axes de symétrie passes en croix et qui sont les 
bissectrices des deux angles aigus et obtus. Le centre de symétrie est 
à Tencroix des deux axes, ou au point de croisement, qui est aussi le 
pôle commun des deux côtés du sautoir. Chacun des axes partage la 
figure en deux demi-plans égaux et qui peuvent être amenés à coïnci- 
dence par leur rabattement autour de Taxe, ou leur rotation autour 
du centre. La somme des quatre angles-plans du sautoir est égale à 
quatre angles droits. La somme des angles d'un même côté de Tune 
des droites est égale à deux angles droits, les deux angles aigu et obtus 
sont dits supplémentaires. Le quart de la figure, c'est-à-dire le quartier 
du trait carré de symétrie, comprend deux angles aigus, égaux respective- 
ment à la moitiéde l'angle aigu et à la moitié del'angleobtusdu sautoir. 
Ces deux angles aigus sont dits complémentaires l'un de l'autre et leur 
somme vaut un angle droit. La somme étant constante, les deux angles 
aigus du quartier, ou les deux anglesobtus etaigu du demi-plan varient 
en toute proportion : c'est le pendant d'une droite divisée en deux seg- 
ments complémentaires l'un de l'aulre à la droite entière. 

Quand les angles du sautoir sont égaux^ les deux traits sont d'équerre 
ou passés en croix. La figure totale est gironnéo, elle a deux axes 
linéaires passés en croix et deux axes angulaires également passés en 
croix, soit quatre axes de symétrie (fig. 3). 

« 

I 2. — La Droite et le Cercle. 

La droite, toujours considérée comme indéfinie, et le cercle pris 
ensemble composent quatre sortes de figures : 1® — Si la droite passe 
par le ceiltre (fig. 4), l'ensemble est alors écartelé par rapport à deux 


ij 


Ch. II, Art. II, % 2 — La Droite et le Cercle 


83 


traits passés en croix, Tun qui passe par la droite, Tautre qui lui est per- 
pendiculaire. La circonférence est partagée en deux demi-cercles, la 
droite est divisée en un diamètre et deux demi-lignes droites. 2° — La 
droite traverse le cercle de part en part, mais entre le centre et la cir- 






conférence ((ig. 5). La circonférence est partagée en deux arcs inégaux 
et complémentaires lun de l'autre dans l'unité du cercle, Tun méplat, 
Tautre outre-passé. La droite ou la sécante est partagée en deux demi- 
lignes droites et un segment intermédiaire qui est la corde des deux 
arcs sous-tendus. L*onsemble est pair ou symétrique par rapport à un 
axe perpendiculaire à la droite et qui passe par le centre du cercle, le 
milieu de la corde et le milieu des deux arcs. 3° — La droite touche la 
circonférence et lui est tangente (Gg. G). L'ensemble est pair par rapport 
à un axe perpendiculaire à la droite et qui passe par le point de tangence 
et le centre du cercle. 4» — La droite et le cercle sont disjoints; dans 
ce cas, Fensemble est pair par rapport à Taxe diamétral qui, passant par 
le centre du cercle, est perpendiculaire à la droite (fig. 7). 


ce- 


A. 


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9. 


Supposons (Kg. 8) une droite ab avec un axe perpendiculaire par son 
milieu o,cet axe sera le lieu d'une inGnité décentres, desquels on pourra 


1 


8f Proléi^omènes 


tracer une suite indéfinie de cercles de rayons oa, o'a, o'a... o" a qui 
tous passeront par les deux points a et 6 (Qg. 8). De même, de la suite 
des centres échelonnés à volonté sur Taxe perpendiculaire à la droite 
on peut tracer une suite de cercles de plus en plus grands, tous tan- 
gents à la droite au point c et décrits avec les rayons oc, o'c, o'c. . . 
o" c (fig. 9). Le centre o** étant à l'infini pour la figure 8, le cercle de 
rayon infini passe toujours par les deux poiuts a et é, et la circon- 
férence se confond avec la droite. Pour la figure 9, la circonférence 
passe toujours par le point de tangence c et, quand le centre est à l'in- 
fini, elle se confond avec la tangente. 

1 3. — Le Cercle et le Cercle. 

Deux cercles pris ensemble sont égaux ou inégaux^ et si Ton part de 
deux points ou de deux cercles infiniment petits, cela veut dire que la 
majoration qui donne l'être au point virtuel est égale pour chaque 
point, ou bien inégale et dans un rapport quelconque de l'un à l'autre. 
En d'autres termes et puisque c'est la grandeur du rayon qui détermine 
la grandeur du cercle, les deux rayons d'extension sont égaux ou iné- 
gaux ; dans ce dernier cas, par exemple, l'un des rayons est double de 
l'autre, ou dans tout autre rapport quelconque. 

Cela posé, deux cercles distincts, situés sur une même directrice ou la 
ligne des centres, sont plus ou moins éloignés l'un de l'autre et même 
indéfiniment éloignés, ou bien plus ou moins rapprochés et même 
indéfiniment rapprochés. Dans ce dernier cas, les deux cercles d'abord 
distincts deviennent tangents l'un à l'autre et ont alors un point de 
commun; puis ils s'entrepénètrent, ou se coupent en deux points 
symétriques l'un de l'autre par rapport à la ligne des centres; puis 
enfin, s'ils sont égaux, ils se confondent, ou bien s'ils sont inégaux, ils 
se touchent intérieurement et ont alors un point de commun, pour,fina- 
lement, devenir concentriques. 


j 


CA. 7/, Art* III — La JumelUi^le Sautoir, la Croix et le Point 


85 


Les Gguros 10 à 13 sont écarlelécs, les figures 14 à 18 sont paires, et 
la figure 19 est radiairc. Les cercles étant extérieurs, la distance des 
centres est plus grande que la somme des rayons (fig. 10 et 14). Si les 
cercles sont tangents extérieurement (Gg. 11 et 15)la distance des centres 






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est égale à la somme des rayons. Si les cercles se coupent (fig. 12, 13, 
16, 17), la distance des centres est à la fois moindre que la somme des 
rayons et plus grande que leur différence. Si les cercles sont tangents 
intérieurement (fig. 18), la distance des centres est égale à la différence 
des rayons. Si les cercles sont intérieurs, la distance des centres est 
moindre que la dilTérence des rayons. 


ARTICLE III 

LA JUMELLE, LE SAUTOIR, LA CROIX ET LE POINT. 

I 1®'. — La Jumelle et le Point. 

La jumelle étant de symétrie écartelée, et tout ce qui se passe dans 
les limites d'un seul quartier de la figure se répétant symétriquement 
dans les trois autres, il suffira de considérerles relations du point et de 
lajumelledansun seul quartier pour avoir toutes les relations possibles 
de ces deux figures. D'autre part, les droites étant indéfinies, le centre 
de symétrie de la jumelle peut être pris en un point quelconque de Taxe 
longitudinal, et par conséquent Taxe transversal aussi : la jumelle 




86 


Prolégomènes 


comme la ligne droite est écarlelée en un point quelconque de son par- 
cours. D'après cela, les relations descriptives du point et de la jumelle 
se réduisent à quatre : 


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1° Le point est au centre de figure de la jumelle, le complexe du point 
et de la jumelle, ou la figure totale, est écarlelée (fig. 1); 

2° Le point est pris entre Taxe longitudinal et un côté de la jumelle, 
la figure est paire (fig. 2); 

3° Le point est pris sur un côté de la jumelle, la figure est encore 
paire (fig. 3); 

4° Enfin, le point est pris on dehors de la jumelle et situé dans l'un 
des demi-plans accolés à la bande que détermine la jumelle. La figure 
est paire (fig. 4). 

Dans la figure 1, les deux distances du point aux côtés sont égales; 
dans la figure 2, les deux distances sont inégales, leur somme est cons^ 
tante et égale à la largeur de la jumelle; dans la figure 3, la distance 
est égale àia largeur de la jumelle; enfin, dans la figure 4, les deux 
distances sont inégales, leur diflérence est conslaïUe et égale à la 
largeur de la jumelle. 

I 2. — Le Sautoir et le Point, 

Le sautoir étant de symétrie écartelée, les quatre branches des côtés 
sont égales et symétriques^ et les angles divises chacun en deux angles 


A. 


Ck. II y Art. III, S 3 — La Croix et le Point 


87 


égaux et symétriques par rapport au deux axes du trait carré. D'après 
cela les relations du point et du sautoir se réduisent à six : 








1° Le point étant pris au centre de figure, c'est-à-dire à Tencroix des 
deux traits et des deuxaxes^ la figure reste de symétrie écartelée (fig.l) ; 

2^ Le point est pris sur Taxe acutangle, la figure est paire (fig. 2) ; 

3^ Le point est pris sur Taxe obtusangle, la figure est paire (fig. 3) ; 

4° Le point est pris entre le côté et la bissectrice ou Taxe acutangle, 
la figure est impaire (figure 4) ; 

5® Le point est pris entre le côté et Taxe oblusangie, la figure est 
impaire (fig. 5) ; 

6^ Enfin, le point est pris sur un des côtés» et la figure est impaire 
(fig. 6). 

Dans la fig. 1, les distances du point aux côtés sont nulles; dans les 
figures2et 3 les distances du point aux côtés sont égales; dans les figures 
4 et 5, les distances sont inégales. Enfin, dans la figure 6, une seule 
distance est nulle. 




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4 


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I 3. — La Croix et le Point. 


Le sautoir rectangle — le sautoir ou le trait carrés» ou la croix — est 


88 


Prolégomènes 


une figure gironnée ou à quatre axes de symétrie. Par radjonctiond'un 
point il donne lieu à quatre dispositions : 






1® Le point étant à Tencroix, la figure reste gironnée (fig. 1); le 
point étant sur un des traits, on a une figurepaire (fig. 2) ; le point étant 
sur un axe angulaire, on a une figure paire (fig. 3) ; enfin si le point est 
entre le trait et Taxe, on a une figure impaire (fig. 4). 

ARTICLE IV 

LA JUMELLE, LE SAUTOIR, LA CROIX ET LE CERCLE 

I l«f. — La Jumelle et le Cercle. 

Partant du complexe de la jumelle et du point et substituant au point 
un cercle indéfini, nous obtenons les figures suivantes : 
!• Pour la figure 1 (Art. III, § 1) : une jumelle et un cercle intérieur 




-X-- 



retrait et concentrique (fig. 1), une jumelle et un cercle intérieur tan- 


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-o 


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gent aux deux côtés (fig. 2), enfin une jumelle et un cercle concentrique 
et sécant (fig. 3). Ces trois figures sont écartelées ; 

2''Pour la figure 2 : un cercle intérieur excentrique et retrait (fig.4), 
.un cercle intérieur tangent à un côté et retrait quant à l'autre (fig. 


i 


Ch. II y Art. IV y § / — La Jumelle et le Cercle 


89 


5), un cercle excentrique tangent à un côté et sécant pour l'autre (fig. 6), 
enfin un cercle excentrique et sécant par les deux côtés de la jumelle 
(fig. 7). Ces quatre figures sont paires ; 




3** Pour la ligure 3 : l'un des côtés de la jumelle est sécant et dia- 
métral du cercle, l'autre côté lui est retrait (fig. 8); l'un des côtés de la 
jumelle est tangent au cercle, l'autre lui est diamétral et sécant (fig. 9) ; 
les deux côtés de la jumelle sont sécants du cercle, l'un suivant un 
diamètre, rautresuivantunecorde(fig.lO).Cos trois figures sont paires ; 


// 





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4o Pour la figure 4 : le cercle et la jumelle sont disjoints (fig. 11) ; 
l'un des côtés de la jumelle est tangent au cercle, l'autre lui est retrait 
(fig. 12) ; Tun des côtés est une sécante du cercle, l'autre lui est 
retrait (fig. 13); l'un des côtés est une sécante du cercle, l'autre lui 
est tangent (fig. 14); enfin, le cercle coupe les deux côtés de la jumelle 
(fig. 15). Ces cinq figures sont paires. 

i8 


\ 


1 


90 


Prolégomènes 


I 2. — Le Sautoir et le Cercle. 

Les rolatioos descriptives du sautoir et du cercle sont au nombre de 
vingt-sept, savoir : 

l^ Pour la figure 1 (Art. III, | 2) : une figure seulement (fig. 1) de 
symétrie écartelée; 

2® Pour la figure 2 : un cercle retrait (fig. 2), un cercle tangent aux 








deux côtés du sautoir (fig. 3); un cercle sécant (fig. 4) ; un cercle sécant 
et passant par le centre du sautoir (fig. 5); enfin, un cercle sécant et 
renfermant à l'intérieur le centre du sautoir (fig. 6). Toutes ces figures 
sont paires ; 
3<* Pour la figure 3 : mômes cercles que pour la figure 2 et mêmes 





figures paires; la seule différence est que le cercle a son centre sur Taxe 
obtusangle (fig. 7 à 11): 
4«Pour la figure 3: un cercle retrait (fig. 12), ua cercle tangent à 








un côté (fig. 13), un cercle sécant pour un côté (fig. 14), un cercle tan- 


'i 


Ch. IIj (Art. IV y % j — La Croix et le Cercle 


91 


gent à un côté et sécant pour Tautre (fig. 15), le sautoir a son sommet 
sur la circonférence sécante des deux côtés ((ig. 16), enfin, le sommet 
du sautoir est à l'intérieur du cercle, qui en coupe les quatre branches 
(fig. 17). Toutes ces figures sont impaires ou asymétriques; 

5** Pour la figure 5: un cercle retrait (fig. 18), un cercle tangent (fig. 19), 







un cercle sécant (fig. 20), un cercle tangent pour un côté et sécant pour 
l'autre (fig. 21), un cercle sécant des deux côtés et passant par Tencroix 
du sautoir (fig. 22), enfin un cercle coupant les quatre branches du sau- 
toir (fig. 23). Toutes ces figures sont impaires; 

6° Pour la figure 6 : Tune des branches du sautoir traverse diamétra- 
lement le cercle (fig. 24), le cercle est coupé par un des côtés et l'autre lui 
est tangent (fig. 25), le cercle coupe les deux côtés et passe par le som- 






met du sautoir (fig. 26), enfin, le cercle coupe les quatre branches du 
sautoir dont le sommet est à l'intérieur (fig. 27). Toutes ces figures sont 
impaires. 

§ 3 . — La Croix et le Cercle. 

Les relations de la croix ou du sautoir rectangle avec le cercle sont 
au nombre de quinze, savoir : 

lo Pour la figure 1 (Art. III, | 3), une seule figure (fig. 1) de symé- 
trie gironnée; 


l 


92 


Prolégomènes 


2'' Pour la figure 2 : le cercle est coupé diamétralemeat par un 
seul côléde la croix et retrait pour l'autre (fig. 2), la croix coupe diamé- 






tralement le cercle par un côté tandis que l'autre lui est tangent (fig. 3); 
enfin le cercle coupe les quatre branches de la croix (Gg. 4). Ces trois 
figures sont paires; 







3^ Pour la ligure 3 : le cercle est retrait (fig. 5), ou bien tangent 
(6g. 6), ou bien sécant (Gg. 7), ou bien sécant et passant par le sommet 
(Gg. 8), ou bien enGn sécant des quatre branches de la croix (Gg. 9). 
Toutes ces Ggures sont paires; 





4^ Pour la ûgure 4 : le cercle est retrait (Gg. 10), ou bien tangent 
à Tune des branches (Gg. 11), ou bien sécant d'une branche (Gg. 12), 
ou bien à la fois tangent à une branche et sécant pour l'autre (Gg. 13), 
ou bien sécant de deux branches et passant par l'encroix (Gg. 14), ou 
bien enGn sécant des quatre branches de la croix dont le sommet est 
intérieur au cercle (Gg. 15). Toutes ces Ggures sont impaires. 


Ch. Il, Art. V, § / — La Jumelle et la Droite 


93 


ARTICLE V 


LA JUMBLLR, LB SAUTOIR, LA CROIX ET LA DROITE 


I l«r. — La Jumelle et la Droite, 

Si par ie point des figures 1 à 4 (Art. III, 1 1) on fait passer une droite 
variable de position par rapport au trait carré, ou, ce qui revient au 
même, par rapportauxdcux côtés de la jumelle ou à ses axes,on obtient 
quatre sortes de figures, qui se retrouvent au fond de toutes les combi- 
naisons particulières que l'on peut faire d'un troisième trait avec les 
deux côtés de la jumelle en partant successivement des figures 1 à 4. 

1° — Le troisième trait passant selon l'axe de la jumelle donne la 




;^ 



figure 1. qui est un rebatlement équidistant ou égal, soit une tierce j 
de symétrie écartelée. 

2® — Le troisième trait rebattu parallèlement aux côfSs de la jumelle 
suivant les figures 2 ou 3 donne une tierce inégale et de symétrie 

paire (fig. 2). 

30 — Le troisième trait recoupant les deux côtés de la jumelle sui- 
vant une direction oblique en barre ou en bande et penchée, diagonale 
ou couchée, donne par exemple la figure 3, qui est diagonale. Tout 


94 


Prolégomènes 


ctaDt symélrique de part et d'autre de la sécante, il en résulte que les 
relations entre les deux formes d'angles qui constituent la ûguve 3, à 
savoir (iig. 5), les angles externes 2, 3, 6, 7; les angles internes 1, 4, 
3, 8; les angles alternes>externes 2 et 6, 3 et 7; les angles alternes- 
internes 1 et 5, 4 et 8 ; les angles extérieurs d'un même côté 2 et 7, 3 
et 6; les angles intérieurs d'un même côté 1 et 8, 4 et 5; enfln, les 
angles correspondants 1 et 7, 4 et 6, 2 et 8, 3 et 5 ; sont au nombre de 
cinq : 

i° les angles internes d'un même côté sont supplémentaires (Set 4), 

2^ les angles externes d'un même côté sont supplémentaires (6 et 3), 

3o les angles correspondants sont égaux (5 = 3), 

4'' les angles alternes-internes sont égaux (5 = 1), 

5^ les angles alternes-externes sont égaux (6 =: 2). 

40 — Lq troisième trait recoupant lajumelled'équerre, on a la figure 4 
qui est de symétrie écartelée. Toutes les parties homologues de la 
figure sont égales : les trois droites constitutives de la figure sont égales 
comme infinies^ et les huit angles sont tous égaux à un droit. Le seg- 
ment de la sécante compris entre les deux côtés de la jumelle mesure 
la largeur de la jumelle. 

I 2. — La Croix et la Droite. 

Si par le point des figures i à 4 (Art. III, | 3) on fait passer une troi- 
sième droite, successivement travers, couchée, diagonale, penchée et 
enfin droite, on obtient une suite de figures qui sont toutes comprises 
sous les trois types suivants : 




1^ Le trait passant par le point de la figure 1, et la croix étant de 
symétrie gironnée, toutes les variations sont comprises dans les limites 


^ 


Ch, II, Art, V,%j— Le Sautoir et la Droite 


95 


de Tangle octile, c'est-à-dîre Je huitième de quatre angles droits ou, ce 
qui est la même chose, la moitié de l'angle droit (fîg. 1). Si le trait 
sécant passe par un axe de symétrie angulaire, on a la figure 3, qui est 
écartelée ; si le trait passe entre un axe linéaire et un axe angulaire on 
a la figure 2, qui est diagonale et qui oscille entre la figure I et la figure 3. 



2^ Le trait passant par le point des figures 2 à 4^ on obtient entre 
autres les figures suivantes : par le trait travers la figure 4, qui est la 
même que la figure 4 (Art. II, |1); parle trait penché, on a la figure 5, 
c'est-à-dire un triangle complet à maille scalène rectangle; par le trait 
diagonal, on a la figure 6, ou le triangle complet à maille isocèle rec- 
tangle; enfinparle trait couché on a la figure 7 ouïe triangle complet 
à maille scalène rectangle. La figure 4 est écartelée, la figure 6 est 
paire ; les figures, au fond la même, 5 et 7 sont impaires, et incessam- 
ment variables par la proportion des deux côtés de l'angle droit, 
laquelle varie suivant l'inclinaison de la sécante. 

I 3. — Le Sautoir et la Droite. 

Le champ des variations de position de la sécante, pour le sautoir, 
comme pour la jumelle, est renfermé dans les limites de l'angle droit ou 
du quartier. 






!• Pour la figure 1 (Art. III, | 2), c'est-à-dire pour la sécante passant 
par le centre de figure du sautoir, on a les figures 1 à 8. 


96 Prolégomènes 

Le troisiènietrait étant euivant l'axe obtusangle, c'est-à-dire perpendicu- 
laire à l'axe acutangle, on a la figure 1, qui est écartelée ; si les angles 


\/ 

7\' 


ormes par les trois traits étaient égaux, on auraitla ligure 2, qui est sénaire 
ou à six axes de symétrie. Le troisième trait étant légèrement relevé et 
couché on a la figure 3 qui est diagonale, à cause que les angles de suilc 
sont inégaux ; ou la figure i, qui est écartelée à cause que les angles do 
suite sonlégaux. Le trait devenant moins couché on a la figure 5, qui 
est diagonale. Le trait étant diagonal, on a la figure 6 qui est aussi dia- 
gonale. Le trait devenant penché on a la Ggnre 7, qui est diagonale, 
puis le trait se relevant toujours, il se confond avec un côté du sautoir 
pour ensuite le traverser dans l'angle aigu et finalement se placer droit 
ou suivant l'axe acutangle du sautoir, et l'on a la figure 8, qui est ccar- 
lelée. 

2° Pour les figures 2 à G les phases principales et caractéristiques se 
reproduisent pour chacune des ligures choisies comme'point de départ, il 
nous suffira donc d'envisager seulement, et àla suite l'une de l'autre, les 
deux figures 2 et 3. Toutefois comme vérification et surtout comme exer- 
cice pratique le lecteur fera bien de graphîcr les autres figures qui 
dérivent des figures 4 et 5. Si donc nous partons de la figure 2, nous 
obtenons successivement: la droite sécante étant perpendiculaireà l'axe 
acutangle du sautoir, un triangle complet à maille isocèle et paire 
(fïg. 9) et pour le cas particulier oii les deux angles du sautoir initial 
sont doublesl'un deraulre,lafigure 10 àn:aille trjgone.c'esi-à-diroéqui- 
angle et équllatérale et de symétrie ternaire. Le trait étant d'abord 
couché on a une maille scalène acutangle (fig. 11), et, si le trait est 


Ch. Ily Art» V,% y — Le Sautoir et la Droite 


97 


d'équerre à un côlc, un Irianglc scalènc rectangle (flg. 12) ; puis^ le trait 






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se relevant, un triangle scalène obtusangle (fig. 13); puis le trait étant 
diagonal, encore un triangle scalène obtusangle (fig. 14). Ces quatre 
dernières figures sont impaires. Le trait devenant penché et parallèle à 


l 


Prolégomènes 


l'undcs côtés du sautoir, ou a)a figure 15,1a mèraequela ligure 3 (Art. V, 
^ l}et qui est diagonale. Le Irait se relevant encore, on a un triangle 
obtusangle et impair (lig. 16), puis, à la limite, le trait devient droit et 
selon l'axe acutangle, et l'on a la figure 1 7, qui est écartelée et la même 
que la figure 8. 

Si nous partons de la figure 16 nous pouvons remarquer qu'elle 
dérive de la figure 3 (Art. III, 1 2) et qu'elle a unirait penché en bande. Si 
nous redressons le trait perpendiculairement à l'axe obtusangle, nous 
obtenons la figure 18, qui est paire et dont la maille est ua triangle 
isocèle obtusangle. Le trait devenant penché en barre, il vient la 
figure 19, de même forme que la figure 16; puis le trait devenant parallèle 
à un côté du sautoir, la figure 20, de même forme que la figure 15. Le 
trait en barre devenant diagonal, on a la figure 21, de même forme que 
la figure 14; le Irait devenant couché, on ala figure 22,de même forme 
que la figure 12; puis la figure 23, de même forme que la figure 11. A la 
limite, le trait devenant travers ou selon l'axe obtusangle, ou a lafigure 
24, la même que 1 ou 2. 

ARTICLE VI 


I \". — Les figures de n-points. 

Un point. — Un seul point est en abîme ou perdu dans le plan tout 
DU. Si on rapporte le point à la notion du plan carré et simultanément 
à la notion du plan polaire, il sera le centre commun d'une infinité 
d'axes et le centre commun d'une infinité de cercles. 

Deux points. — Deux points forment un ensemble synthétique ou 
un couple de symétrie écartelée qui est tout entier sur la seule ligne 
droite. 

Trois points. — Le couple de deux points étant de symétrie écartelée 


Ch. II, c4r^ F/, § / — Les figures de N-'Points 


99 


implique les quatre quartiers du plaa qui sont égaux et symétriques. 
Toutes les positions d'un troisième point prises dans un seul quartier 
se répètent symétriquement dans les trois autres; il suffira donc pour 
avoir toutes les ligures de trois points de considérer un seul quartier. 


I 


i^ — Le troisième point est pris à Tencroix du trait carré et par con- 
séquent au milieu des deux autres. 

2o — Le troisième point est situé à inégales distances entre les deux 
autres. 


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3o — Le troisième point est pris sur Taxe travers en dehors des deux 
autres. 

Dans ces trois cas, on a un complexe linéaire ou une ponctuelle de 
trois points. 

Quand le troisième point c est au milieu des deux autres, on a un 
ensemble qui est écartelé (iig. 1) ; le point c étant à inégales distances 
entre les deux points a et b^ l'ensemble est impair par rapport à l'axe 
transverse du trait carré et pair par rapport àl'axe longitudinal (fig. 2); 
le point c étant en dehors des deux autres, sa distance cb peut être plus 
petite (Qg. 3), ou égale (fig. 4), ou plus grande (fig. 5) que la distance ab. 
Les figures 3 et 5 sont impairement paires, la figure 4 est pairement 
paire ou écartelée, si toutefois on fait abstraction des lettres. 


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1 00 Pro légomén es 


II 


Le troisième point est pris sur l'axe droit du Irait carré depuis l'en- 
croix jusqu'à rinfmi et par conséquent sur la surface du plan en de- 
hors de l'alignement des deux points initiaux. Dans ce cas, les trois 
points pris deux à deux déterminent trois alignements, donc un triangle 
complet. Tout étant symétrique de part et d'autre de l'axe droit, on a 
ainsi la suite indéfînie dos triangles isocèles, qui tous ont même base; 
chacun une hauteur diflférente; les deux côtés latéraux égaux et symé- 
triques; chacun un angle au sommet différent; et les deux angles à la 
base égaux et différents d'un triangle à l'autre. Suivant le rapport entre 
la base et la hauteur, et simultanément le rapport de l'angle au som- 
met avec Tangle à la base, et enfin le rapport de la base à un côté, on 
a une infinie variété de triangles isocèles. Dans la suite de ces triangles, 
on peut distinguer en gros : 1* les triangles isocèles obtusangles, mé- 
plats ou surbaissés, dans lesquels la hauteur est plus petite que la 
moitié de la base, 2<» le triangle isocèle rectangle dont la hauteur est 
égale à la moitié de la base, S"" le triangle équilatéral qui a ses trois 
côtés égaux, et qui est en même temps équiangleet lernaire, c'est-à-dire 
à trois axes de symétrie; 4** enfin, la suite indéfinie des triangles 
acutangles. 

m 

Le troisième point étant pris en un lieu quelconque de la surface de 
l'angle-plan ou du quartier, on a dans tous les cas un triangle scalène, 
ou à trois côtés inégaux et à trois angles inégaux aussi, et qui peut 
être obtusangle, rectangle ou acutangle. 

Si pour chacun des triangles isocèles, et par le sommet, on mène une 
parallèle à la base, cette parallèle sera le lieu des sommets d'une suite 
de triangles scalènes ayant même base et même hauteur que le triangle 


-À 


Ch. If, cArt. VI y % I — Les figures de N-Points 


101 


isocèle initial. La suite des parallèles qui correspondent à chaque 
triangle isocèle successif remplit la surface de Tangle-plan rectangle 
ou du quartier. 

Si un cercle circonscrit les trois points du triangle isocèle initial, la 
suite des triangles scaIènes,dont les sommets sont situés sur Tare qua- 
drant, aura môme base et même angle au sommet ou opposé à la base. 

Les Ggures de trois points peuvent encore être considérées comme 
deux couples de points soudés par un point commun; on a alors un 
complexe linéaire ou une ponctuelle d'égale division ou d'inégale divi- 
sion; ou bien si ces deux couples ne sont pas dans le même alignement 
ils forment un complexe angulaire ou un chevron équilatéral ou bien 
scalène. Enfm la figure de trois points, ouïe complexe triangulaire, peut 
être considérée comme formée de trois couples égaux ou inégaux assem- 
blés deux à deux par un point commun. 

Quatre points, — Un quatrième point, étant pris dans l'alignement 
d'une ponctuelle de trois points» détermine une ponctuelle de quatre 
points, variable avec les trois distances, simples a6, 6e, ec/, d'où résul- 
tent les distances composées ac, bdçXad{'p. 99). 


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Un quatrième point étant pris dans le plan du triangle complet, peut 
être situé sur l'alignement de deux points, c'est-à-dire sur un côté du 
triangle ou sur une demi-droite; ou bien hors de l'alignement des points 


102 Prolégomènes 


pris deux-à-deux, c'est-à-dire sur la surface du triangle, sur la surface 
d'un biangle ou bien enfin sur la surface d'un angle. Les quatre points 
reliés deux à deux détermincnt,dansles deux premiers cas, quatre droites, 
c'est-à-dire une droite supplémentaire des trois principales (fig. 7 et 8), 
et dans le deuxième cas, six droites dont trois principales et trois supplé- 
mentaires (fig. 9, 10 et 11). Dansle premier cas, il s'ensuit encore quatre 
points d'intersection, dontun triple et trois simples, desdroitesentre elles, 
et dans le deuxième cas sept points d'intersection, donc quatre triples 
et trois simples. 

Un quatrième point pris relativement au cercle qui circonscrit le 
complexe triangulaire peut être situé dans Tintérieur du cercle, par 
exemple au centre, ou en tout autre points ou bien à Textérieur du 
cercle et alors nécessairement sur une demi-droite, dans un angle ou 
dans un biangle. Mais si le point est pris sur la circonférence, le com- 
plexe quadrilatère, ou le quadrilatère proprement dit, a ses quatre som- 
mets sur la circonférence, et par conséquent pour pôle le centre du 
cercle-. Le quatrième point peut être situé à volonté entre les trois autres, 
c'est-à-dire sur chacun des quatre arcs qui les séparent, et particulière- 
ment sur chacun des diamètres qui joignent les trois points au centre. 

N-points. — Un nombre indéterminé n de points tous alignés sur une 
même ligne droite directrice engendre un complexe que l'on nomme 
vonctuelle linéaire. 

Un nombre déterminé n de points, distribués sur une circonférence, 
détermine une ponctuelle circulaire^ dont tous les points sont subor- 
donnés à un centre unique ou à un pôle. Si l'on joint un à un, deux à 
deux, trois à trois.... nkn tous les points d'une ponctuelle circulaire, 
on a successivement le couple de deux points, puis le groupe triangulaire, 
le groupe quadrilatère, et la suite indéfinie des polygones multilatères. 


j 


Ch. II, Art. K/, § 2 — Les figures de N-Droites 103 


I 2. — Les complexes de n-droites 

Étant donné un nombre quelconque de la suite ordinaire des chiflFres, 
on peut décomposer le complexe de ses unités en différents groupes. 
Ainsi 2, se décompose en 1 et 1; le nombre 3 se décompose en 2 et 1, 
en 1, 1, 1; le nombre 4 en 3 et 1, en 2 et 2, en 2, 1 et 1, enfin en 1, 
1,1,1; le nombre 5 en 4 et 1 ; 3 et 2 ; 3, l et 1 ; 2, 2 et 1 ; 2, 1, 1, 

I ; enfin en 1,1, 1,1, 1 ; et ainsi de suite pour tous les autres nombres. 

II résulte de celte analyse numérique que, partant d'une figure de deux 
traits, on peut considérer une figure de trois traits comme formée de 
trois traits distincts, ou d'une figure de deux traits et d'un trait distinct. 
Une figure de quatre traits peut èlre formée d*une figure de trois traits 
et d'un trait distinct, de deux figures de deux traits, d'une figure de 
deux traits et deux traits distincts, enfin de quatre traits distincts. Et 
ainsi de suite pour tous les autres nombres. 

C'est ainsi que, partant des trois figures binaires, la jumelle, le sau- 
toir et la croix, nous avons obtenu par un troisième trait les figures de 
Tart. V qui se réduisent à quatre types distincts : l'* — Le rebattement 
de trois traits, ou la tierce, que l'on peut considérercomme déterminée 
par deux jumelles unies par un côté ; selon que ces jumelles sont égales 
ou inégales on a une tierce qui est écartelée ou une tierce seulement 
paire. 2^ — Une jumelle recoupée par un trait passé en croix ou d'é- 
querre, la figure est alors écartelée ; ou passé en sautoir ou de biais, la 
figure est alors diagonale. Ces deux figures peuvent être considérées 
comme déterminées respectivement, par deux croix unies ou qui ont 
un côté commun, ou par deux sautoirs unis par un côlé commun. Ces 
deux figures ont chacune deux points de croisement. 3° — Une étoile 
ou tricèle étoile formé de trois traits entrecroisés par leur milieu et qui 
se compose diversement suivant la variation des angles. On a, dans tous 
les cas, une figure qui est de symétrie diagonale, écartelée ou ternaire. 


104 


Prolégomènes 


Ces figures peuvent être considérées comme formées par deux ou trois 
sautoirs ayant leur sommet commun et leurs branches unies deux à deux. 
4° — Enfin, le triangle complet, à maille scalène, isocèle ou équilatérale, 
et par conséquent impair, pair ou ternaire. La figure peut être consi- 
dérée comme formée ou par un sautoir dont les côtés sont recoupés par un 
trait, ou pardeux ou trois sautoirs unisdeux à deuxparuncôtécommun. 

Complexes de quatre droites. — Si aux quatre types précédents on 
adjoint un quatrième trait, on a successivement les complexes suivants : 

\^ Quatre traits rebattus ou un faisceau de quatre droites parallèles 
et variable avec la proportion des intervalles. 

Les trois intervalles étant égaux on a la figure 1, qui est écartelée. 
Si deux intervalles sont égaux et le troisième plus grand ou plus petit 
que les deux autres, et selon la distribution ou l'ordre de ces intervalles 
on a respectivement les figures 2 et 3 qui sont paires^ et les figures 4 et 
5 qui sont écartelées. Si les intervalles suivent une déclination régulière, 
et sont progressivement proportionnels, on a la figure 6, qui est paire; 


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iv 


s'ils étaient en progression harmonique (notion essentiellement géomé- 
trique ou logistique et qui no tombe pas sous l'intuition des sens), on 
aurait la figure 7 où le plus petit intervalle est au milieu, et la figure 8, 
où c'est le plus grand intervalle qui est au milieu des deux autres. Ces 
deux dernières figures sontpaires. Ces difiérents faisceaux parallèles peu- 
vent être considérés comme formés par trois jumelles unies, c'est-à-dire 


67z. Il, Art. VI,% 2 — Les figures de N-Droiles 


105 


que la jumelle du milieu a ses deux côtés communs avec uu côté des 
deux autres. On remarquera l'analogie de ces accouplements de jumelles 
avec les accouplements de points des ponctuelles. C est qu'en effet un 
faisceau peut être considéré conime déterminé par une ponctuelle, des 
points de laquelle seraient menées des parallèles, d'équerro ou obliques. 
Réciproquement, une sécante quelconque d'un faisceau est une ponc- 
tuelle. 

2'> Les tierces recoupées par un quatrième trait donneraient les (igu- 


/o 




lus suivantes ((ig. 9 et 10) ou (Kg. H et 12) selon que le trait est 
d'équerre ou de biais. La ligure 9 est écartelce, la figure 10 est paire, 
la figure 11 est diagonale, la figure 12 est impaire. Ces figures peuvent 
être considérées comme formées par une jumelle et un sautoir en croix 
concentriques (fig. 9) ou excentriques (fig. 10) ; et par un sautoir biais et 
une jumelle concentriques (fig. 11) ou excentriques (lig. 12). Ou bien 
encore par trois croix ou trois sautoirs qui ont un môme côté commun 
ou qui sont unis par ce côté. Cette interprétation de l'abstrait par le con- 
cret est d'ailleurs très variable, et, en général, on voit dans les figures 
ce qu'on veut y voir. Leur contenu jusqu'à un certain point est donc 
indéterminé. 

3** Si l'on adjoint un quatrième trait au faisceau étoile de trois 
traits, on obtient, en général, les figures suivantes. Et d'abord pour les 
figures 2 et 3 (Art. V | 2) qui ont deux des traits passés en croix, les 
limites de variation du quatrième trait étant contenues dans un demi- 
plan, plein-cintre ou demi-cercle; on a selon la proportion des angles : 
pour la figure 13, par un trait très couché et passé dans le petit angle 
aigUj et selon sa bissectrice, deux petits angles aigus égaux, un angle 

'9 


i06 


Prolégomènes 


aigu et un angle droit. Pour la figure 14, deux angles aigus égaux, un 
angle aigu plus grand, et un angle droit. Le trait devenant diagonal, on 
a la figure 15, qui se compose de trois angles aigus inégaux, et d'un 
angle droit. Ces trois premières figures sont diagonales. Le trait deve- 
nant penché, et d'égale inclinaison, on a la figure 16, qui est écartelée : 
les deux petits angles aigus étant égaux et séparés par un angle aigu 










plus grand, et les trois pris ensemble formant un angle droit. Le trait 
redevenant penché mais en barre et d'égale inclinaison, on a la figure 17, 
qui est diagonale et révolvée, par rapport à la croix initiale : le tout en- 
semble se compose de deux sautoirs rectangles concentriques, et déviés 
l'un de l'autre d'un même angle. Le trait en barre devenant diagonal on 
a la figure 18 qui est diagonale; le trail devenant couché on a la figure 
19, qui est aussi diagonale; enfin, le trait étant couché sous un même 
angle on a la figure 20, qui est écartelée. Le quatrième trait continuant 
son mouvement de rotation deviendrait de plus en plus couché, puis se 
confondrait avec le trait travers, puis encore il redeviendrait couché en 
bande pour finalement se confondre avec le troisième trait. 

Un quatrième trait, adjoint au faisceau étoile de trois traits et écartelé, 
a ses limites de variation comprises seulement dans un angle droit, à 
cause que la figure initiale est de symétrie écartelée. La figure 21 est 
diagonale et a trois angles aigus différents. La figure 22 est diagonale 
ot a ses deux petits angles uigus égaux. Le quatrième trait devenant 


Ch. Il, Art, Vly § 2.— Les figurer de de N- Droit es 


107 


penché en harre, on a la figure 23, qui est. diagonale. Enfin, le qualrième 
trait devenant diagonal en barre, on a la figure 24, qui est gironnéo : 
elle se compose de deux sautoirs rectangles concentriques, Tun posé en 
croix, l'autre posé en sautoir. 






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23 



En partantdu faisceau recroisé écartelé (fig. l,Art. III^ |3), on aurait 
successivement, et par la variation des positions du quatrième trait dans 
les limites d'un angle droit, d'abord la figure 25, qui est écartelée^ puis 
la suite des figures 26à 29, qui sont diagonales. 

Si, partant de la figure 25, on relevait le trait travers, en barre par 
exemple, on aurait la suite des figures 30 à 33. Le quatrième trait 
devenant droit, on aurait une figure de trois traits, limite commune à la 







suite précédente et à la suite qui suivrait, le quatrième ^trait devenant 
en bande. 




J3 




J2 



J/ 



Si le tricèle initial était équiangle et par suite équilatéral et de symé- 
trie sénaire (fig. 34), un quatrième trait aurait ses limites de variation 
dans l'espace d'un giron, c'est-à-dire d'un angle-plan égal à un tiers 
d'angle droit, et l'on aurait seulement deux figures, l'une absolue (fig. 35) 


108 


Prolégomènes 


et qui est écartelée, l'autre variable (Gg. 36) et qui serait diagonale. 
Dans la première un des six angles de la figure initiale est partagé en 





Jr 



deux parties égales, dans la seconde figure il serait partagé en deux 
parties inégales. 

i"* Un quatrième trait combiné avec le triangle complet. Lesrelations 
métriques d'une droite avec un triangle complet forment la base de la 
théorie des transversales en géométrie élémentaire. Les relations descrip- 
tives du complexe de toutes les positions de la droite, avec le triangle 
complet, relèvent delà géométrie générale. Au point de vue de la gra- 
phique, toutes ces relations sont établies une à une et énumérées de 
proche en proche. La graphique s'occupe surtout de l'état particulier 
des figures. La géométrie les considère dans l'état le plus général, elle 
formule des lois, d'où par déduction elle tire une multitude de faits 
particuliers, à l'inverse de la graphique qui, partant de faits essentielle* 
ment particuliers, en induit dos principes généraux qui sont de deux 
ordres: des principes logiques ou de classification, et des principes 
génétiques ou de formation. Ces derniers relèvent de la syntactique et 
ils constituent en effet une syntaxe, une application très particulière des 
deux grandes catégories de l'ordre et de la forme. 



m 



Le quatrième trait étant parallèle à un côté du triangle et passant par 


Ch, 11, Art. VI, 5 2 — Les figures de N-Droites 


109 


le sommet (Gg. 37), on a un faisceau de trois traits recoupé par un 
trait parallèle, et trois points d'intersection. Si le quatrième trait coupe 
deux des côtés du triangle, on a la figure 38, ou la figure 39, selon que 
le trait traverse la maille ou les demi-droites et cinq points d'intersec- 
tion. Ces trois figures peuvent être considérées comnie formées par 
un sautoir et une jumolle ; selon que les axes du sautoir et de la jumelle 
sont perpendiculaires, ou bien obliques, le triangle est isocèle ou 
scalène. 

Le quatrième traitpassant par un sommet, mais n'étant plus parallèle 
à un côté, coupe la demi-droite de prolongement du côté de la maille 
(fig. 40), ou bien le côté de la maille (fig. 41), on a dans tous les cas, 
quatre points d'intersection. 

Si, au lieu d'être parallèle à l'un des traits du tricèle initial Je quatrième 
Irait est oblique, on a la figure 42 pour la figure 38 et la figure 43 pour 





la figure 39. Les deux figures ainsi obtenues sont la même graphique- 
ment, elles forment le quadrilatère complet qui a six points d'inter- 
section. 


110 


Prolégomènes 


Les lïguros 37 à 39 peuvent être considérées comme formées parles 
sautoirs I-III et II-IV, IMII et I-IV, ou bien par un sautoir I-II et une 
jumelle III-IV. Les figures 40 à 43 peuvent être considérées comme 
formées par les sautoirs I-II et III-IV, I-III et IMV, I-IV et II-IIL 

— Les figures 42 à 44 représentent ce qu'on appelle en géométrie 
générale ou modernelequadrilatère complet ou le quadrangle complet. La 
géométrie élémentaire ne considère que le quadrilatère complet qu'elle 
définit comme la figure formée en prolongeant jusqu'à leurs points de 
rencontre les côtés opposés d'un quadrilatère ordinaire. Par exemple 
(fig. 44), les côtés opposés du quadrilatère ABCD étant prolongés 
deux à deux se coupent en deux points, savoir: AB et CD en F, AD 
et BC en E, et l'on dit que le quadrilatère complet ABCDEF a six 
sommets A, B, C, D, E, F et trois diagonales AC ou AH, BD ou DG, EF 
ou EG qui joignent les trois couples de sommets opposés. Les multiples 
relations métriques et graphiques qu'implique cette figure font Tobjet de 
nombreux théorèmes. 

La géométrie générale considérant simultanément les éléments géné- 
rateurs des figures, à savoir les points et les droites, établit une corré- 
lation entre les figures de droites et les figures de points, qui, ayant 
même génération, se déduisent les unes des autres par l'échange des 
éléments point et droite. 


— Deux points, A et B, déterminent 
une droite, la droite AB 

— Quatre points A, B, C, D (fig. 4«^à 
47) forment une fig^ureque l'on nomme 
quadrangle complet. Lesquatre points 
sont appelés les sommets, et les six 
droites qui les joignent deux à deux 
sont les côtés. Deux côtés qui ne pas- 
sent pas par un môme sommet sont 
iY\i^ opposés : k\y et BC, AÇ et BD? 
AB et CD. 


— Deux droites a, i, déterminent un 
point, le point ab. 

— Quatre droites o, 6, c, d (fig. 48 
à 5o) forment une figure que l'on 
nomme quadrilatère complet. Les 
quatre droites .sont appelées les côtés ^ 
et les six points où les côtés se coupent 
deux à deux sont les sommets. Deux 
sommets qui ne se trouvent pas sur un 
môme côté sont dits opposés : ad et 6c, 
ac et bd, ab et cd. 


kdid 


Ch^ //, Art, F/, § 2 — Les figures JeN-Droites 


111 


Le quadrangle complet comprend 
trois quadrangles ou quadrilatères sim- 
ples ABGD, AGBD, ABDG (fig. 45 à 

47). 


Le quadrilatère complet comprend 
trois quadrilatères ou quadrang'les 
simples, abcd, acbd, abdc (6g. 4^ à 
5o). 




c <L 



— N-points, avec toutes les droites 
qui les unissent deux à deux, déter- 
minent un polygone complet. 


Le nombre n des côtés 


n (n-i) 


— N-droites, avec tous les points 
d'intersection de ces droites prises deux 
H deux, déterminent un multilatère 
complet. 

Le nombre ndes points ^= — 


Deux droites qui se coupent déterminent un point, trois droites qui 
se coupent deux à deux déterminent trois points, quatre droites six 
points, cinq droites dix points...., en général, c'est-à-dire quand, toutes 
les droites s'entrecroisanl, il n'en passe jamais que deux par chaque 

point, n droites déterminent ""-^ intersections. Pour la suite des 
figures, le nombre de traits étant 1, 2, 3, 4, 5,.. n on a la progression 
1,(1+ 2), (1 -f 2) + 3, (1 + 2 + 3) + 4,.... que Ton peut encore 

mettre sous cette forme ^-?. ^^, H^J. t|J!,..rili\, pour le nombre 

des points, ou pour le nombre des droites si les points sont donnés. 


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112 


Prolégomènes 


Le nombre quatre se décomposant en deux et deux, on peut se pro- 
poser de combiner deux à deux les jumelles et les sautoirs : soit deux 
jumelles égales ou inégales, soit une jumelle et un sautoir, soit enfln 
deux sautoirs égaux ou inégaux; et, puisque la jumelle et le sautoir 
sont des figures écartolées, c'est-à-dire ayant deux axes d'ordre diffé- 
rent, c'est par ces axes que nous réglerons leurs positions respectives. 
Or, les axes de même nom sont ou parallèles ou contrariés, c'est-à- 
dire qu'ils forment eux-mêmes ou une jumelle ou un sautoir. 

i^' Deux jumelles. — Deux jumelles égales ou inégales, dont les 
axes do même nom forment eux-mêmes une jumelle, déterminent un 
rebattement de quatre traits parallèles et qui est écartelé ou pair, selon 
que les jumelles composantes sont égales ou inégales. 


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..... 



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Deux jumelles égales ou inégales, dont les axes do même nom for- 
ment un sautoir, se croisent et déterminent une maille quadrilatère. 
Si les jumelles sont égales et se croisent d'équerre on a la figure 51, 
qui est gironnée; si les jumelles sont inégales, on a la figure 52 qui 
est écartelée. Si les jumelles se croisent de biais ou en sautoir et qu'elles 
soient égales, on a la figure 53 qui est écartelée; si les jumelles sont 
inégales, on à la figure 54 qui est diagonale. 

2® Une jumelle et un sautoir. — Un sautoir et une jumelle, qui a 
ses côtés parallèles à un côté du sautoir, déterminent un faisceau re- 
battu de troisdroites recoupées par un trait perpendiculaire ou oblique, 
et Ton a une figure écartelée ou paire selon que les trois traits paral- 
lèles sont équidistants ou inégalement distants. Si le quatrième trait 
est perpendiculaire, on a des ligures diagonales; s'il est oblique, on a 
des figures impaires. 


Ch, 11^ Art. VI, § 2 — Les figures de N-Droites 


113 


Une jumelle et un sautoir qui ont leurs axes croisés déterminent la 
suite (les Ugures S5 à 62, par exemple. Dans les figures 55 et 56, les 



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centres de la jumelle et du sautoir coïncident, et selon que les axes 
sont d'équerreou de biais, les figures sont écartelécs ou diagonales. Dans 
les figures 57 à 62, le centre des sautoirs est distinct du centre des axes ; 
les axes étant d'équerro on a les figures 57, 59 et 61 , qui sont paires; 
les axes étant obliques on a les figures 58, 60 et 62 qui sont impaires. 
Dans les figures 55, 57, 59 et 61, les deux traits du sautoir sont anti- 
parallèles, c'est-à-dire également inclinés, mais en sens contraire par 
rapport aux doux traits de la jumelle. Par suite, les triangles intérieurs 
à la jumelle sont isocèles; dans la figure 53, les deux triangles sont 
égaux, dans la figure 57 ils sont semblables; dans les figures 56, 58, 60 
et 62 les triangles sont scalènes, dans 55 ils sont égaux, dans 61 on a 
en outre un trapèze pair et dans 62, un trapèze impair. 

3* Un sautoir et un sautoir. — Deux sautoirs égaux qui ont un axe 
commun et les deux autres de même nom parallèles déterminent les 
figures 51 à 54. Si les quatre axes de même nom, mais parallèles, sont 
distincts, on à la figure 63 pour un sautoir obliquanglc et la figure 64 
pour un sautoir rectangle. Ces deux figures sont au fond les mêmes que 
les figures 51 a 54, mais vues autrement. 


W'h 


Prolégomènes 


Si les sautoirs sont inégaux et les axes parallèles, on a dans tous les 




cas le quadrilatère complet qui est pair (fig. 65 et 67), si deux des axes 
(coïncident), et qui est impair si les quatre axes sont distincts (fig. 66). 





Les axes étant d'équerre et les sautoirs égaux, on a la figure 67, qui 
est paire ; le quadrilatère est inscriptible puisque les droites sont réci- 
proquement antiparallèles et que les côtés des sautoirs sont perpendi- 
culaires Tun à l'autre. Si les sautoirs avaient leurs côtes d'équerre, la 
maille serait carrée et Ton aurait la figure 51. 

Les axes étant d'équerre et les sautoirs inégaux, on a la figure 68- 
Les côtés des sautoirs sont anti-parallèles de Tun àrautre. Le quadrila- 
tère est inscriptible, et ses sommets senties centres des sautoirs initiaux 
l-l' et ll-ir, et des sautoirs dérivés : I-II et l'-IF, Y Al et I-IF. 

Les axes étant do biais et les sautoirs égaux on aurait par exemple 
la figure 69, qui est paire ou impaire, selon que lessommetsdes sautoirs 
composants sont situés à égale distance de Tencroix des axes ou qu'ils 
sont situés à des distances inégales. 


Ch. //, (Art. VI, § 2 — Les figures de N-Droites 


il5 


Les axos étant de biais et les sautoirs inégaux, on aurait par exenrtple 
la figure 70, qui est impaire. 


XI 68 





Nous nous en tiendrons ici à ces seuls exemples; plus de développe- 
ments nous entraîneraient dans les voies spéciales de la géométrie 
générale. Pourtant, et pour rentrer dans notre sujet, à savoir la gra- 
phique, il ne sera pas inutile de revenir brièvement sur nos pas. Par- 
tant de la droite, on peut concevoir qu'elle se dédouble en une jumelle, 
ou bien en un sautoir; si donc, dans la suite des figures déterminées par 
les intersections successives, d'abord d'une droite avec une droite, puis 
d'une troisième droite avec les deux premières, d'une quatrième avec 

les trois premières d'une n^ avec les n-l premières, génération qui 

obéit à une loi quelconque, on remplace successivement par une jumelle 
ou un sautoir chacun des traits composants, on aura une nouvelle sé- 
rie distincte de la première, mais qui, en étant dérivée régulièrement, 
obéira elle-même aune loi définie, et ainsi de suite. D'autre part, la 
droite, la jumelle et le sautoir, le triangle complet et le quadrilatère 
complet, sont comme autant de types, auxquels on ramènerait facilement 
la suite des figures d'un nombre de traits supérieur à quatre, par 
exemple, le pentagone, l'hexagone, Pheptagone.... en général, les 
/2-gones, ou /i-latères. 


1^6 Prolégomènes 

I 3. — Les figures de n-cercles. 

Les figures de points impliquent des figures de droites, et réciproque- 
ment les figures de droites impliquent des figures de points. Dans le 
premier cas, les droites sont virtuelles et marquent tous les alignements 
possibles des points; dans le second cas, les droites sont actuelles 
et impliquent des points parleurs croisements. Or,si par les points quel- 
conques comme centres on vient à tracer des cercles quelconques, les 
points seront les centres de cercles, les segments de droites seront des 
diamètres ou des cordes, et les droites, en général, par rapport à ces 
cercles seront des sécantes ou des tangentes. De plus, les cercles en nom- 
bre quelconque et les uns par rapport aux autres sont disjoints ou dis- 
tincts, se touchent ou sont tangents, s'interscctent ou se coupent, ou bien 
enfin sont concentriques. Tout cela résulte des relations descriptives 
que le point, la droite et le cercle peuvent avoir entre eux, relations 
indéfiniment multipliées et qui,, au point de vue graphique comme au 
point de vue géométrique, donnent lieu à une infinité de figures et de 
théorèmes qui les racontent et les formulent. 

La ligne droite et le cercle sont véritablement le fond et le Iréfond 
de toute géométrie comme de toute graphique et leur énonciation for- 
melle constitue le point de départ aussi bien des spéculations delà géo- 
métrie que des constructions graphiques ouvrières. « La ligne droite et 
le cercle ont pour caractère commun l'uniformité de leur cours en vertu 
do laquelle chaque portion peut se superposer à l'autre » Dans une 
ligne droite déterminée, toutes les parties qui peuvent être en nombre 
aussi grand que Ton voudra sont homogènes à la droite entière et obéis- 
sent à la même loi, l'unité d'alignement de ces parties. Dans le cercle, 
toutes les parties qui peuvent être en nombre aussi grand que l'on vou- 
dra sont homogènes au cercle entier et obéissent à la même loi, à savoir, 
l'unité du centre, qui commande à toutes les parties comme à la ligne 
entière. 


Ch. II. (Art. W, § 3 — Les figures de N-Cercles 117 

Deux droites limitées et dislinctcs sont semblables, et ne diffèrent 
entre elles que par leur majoration ou leur minoration, c'est à-dire par 
la proportion de leur dimension. Deux cercles distincts sont semblables 
et ne diffèrent entre eux que par leur majoration ou leur minoration, 
c'est-à-dire par la proportion de leur dimension. La dimension de la 
droite finie c'est la droite elle-même, la dimension du cercle est son 
diamètre ou, ce qui revient au méme^ la moitié de ce diamètre ou son 
rayon. 

Si, sur deux droites inégales, nous construisons la même figure, ces 
deux figures seront inégales mais semblables et le rapport ou la pro- 
portion de Inurs parties homologues seront les mêmes que ceux des droi- 
tes initiales. Si donc sur ces dcuxdroites inégales nous construisons deux 
cercles, ces deux cercles seront semblables et ils auront toutes leurs par- 
ties homologues dans le même rapport que les deux droites initiales. 
La corrélation de la droite et du cercle dans un même rapport de simili- 
tude est donc ce qui importe avant tout, et une fois établie tout le reste 
s'ensuit. Et d'abord nous avons vu que les seules figures sur la ligne 
droite considéréecomme support étaient le point etla droite et nous avons 
appelé ponctuelle l'ensemble des n points situes sur elle; par analogie, 
l'ensemble des n points distribués sur une circonférence constitue une 
ponctuelle circulaire. Les ponctuelles linéaires comme les ponctuelles cir- 
culaires sont dites d'égale division, quandles distances, ouïes segments 
de droite qui se suivent sont égaux, ou bien pour le cercle quand les 
segments de circonférences ou les arcs qui se suivent sont égaux. 

Prenant deux segments sur une même droite, ces deux segments 
sont disjoints ou écartés l'un de l'autre, ou bien contigus, ou bien enfin 
superposés en partie (fig. 1 à 6). 

Dans la figure 1, les deux traits égaux sont écartés l'un de l'autre 
d'une grandeur quelconque, leur centre de symétrie c est au milieu de 
l'intervalle, et toutes les parties égales se correspondent à droite et à 
gauche par rapport à ce point milieu. Si sur chacun des traits comme 


118 


Prolégomènes 


diamètre on décrit une circonférence on à la figure 2, qui correspond 
point pour point à la figure 1 ; ces deux figures, l'une rectilinéairo (fig. 1), 
l'autre planaire (fig. 2), sont la projection Tune de l'autre. Ces deux 
figures sont écartelées, c'est-à-dire réparties également dans les quatre 
quartiers du trait carré qui passe par le centre de symétrie c. La symétrie 
des points homologues est directe par rapport à chacun des axes» et 
inverse par rapport au centre. La symétrie écartelée est en même temps 
diagonale. 





Dans la figure 3, les traits sont contigus, et dans la figure 4, qui lui 
correspond, les cercles sont tangents. Dans la figure 5» les traits sont 


Ch. II, Art. K/, S 3 — Les figures de N-Cercles 


119 


superposés on partie, et dans la figure 6 qui lui correspond les cercles 
s'entrecoupent. 

Dans les figures 2, 4 et 6, le diamètre peut occuper toutes les direc- 
tions ; deux de ces diamètres étant pris homologues, c'cst-à-dirc leurs 
extrémités étant symétriques par rapport au centre c, sont parallèles 
d'un cercle à l'autre, et antiparallèlcs ou contrariés s'ils sont pris dans 
un même cercle. 

Si les droites initiales sont inégales, les cercles correspondants seront 
aussi inégaux et Pon a les figures 7 à 12, qui comportent deux centres 


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de similitude : l'un direct d et l'autre inverse c. Dans ce cas, on dit que 
les deux droites et les deux cercles sont homothétiques, c'est-à-dire 


120 


Prolégomènes 


semblables el semblablemcnt placés. Par rapport au centre de similitude 
inverse, les figures sont homothétiques inverses et par rapport au centre 
do similitude direct les figures sont homothétiques directes. Les deux 
centres de similitude, projetés sur une même droite, sont dits conjugués 
harmoniques et réciproques l'un de l'autre. Us divisent harmoniquement 
la droite qui relie les centres des doux cercles, comme les centres des 
deux droites, c'est-à-dire que les deux segments additifs sont propor- 
tionnels aux deux segments soustractifs. Quand les droites et les cercles 
sont égaux le centre de similitude inverse est au milieu de la ligne des 
centres et le centre de similitude direct est à l'infini. 

Soient deux droites AC, CB rapprochées l'une de l'autre par leur 
extrémité C (fig. 13), qui devient ainsi leur centre de similitude. Si l'on 


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relève parallèlement en A et en B respectivement les deux traits AC et 
BC par rapport à leur directrice commune, les lignes droites qui joi- 
gnent leurs extrémités se couperont en un même point D, qui est leur 
centre de similitude directe et l'on a la proportion AC: CB:: AD: DB. 
Si l'on relevait les deux traits AC et CB sur leur centre de figure, on 
aurait une figure semblable et moitié moindre dans toutes ses parties. 
La distance des centres ab se trouve partagée harmoniquement par les 


Ch. II, zArt. VI, § j — [.es figures de N^Cercles 


121 


deux points c et d. Le sautoir II-II est commun aux deux systèmes; le 
sautoir T-F du système abcd correspond au sautoir I-I du système 
ÂBCD et lui est égal et parallèle. 





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Deux cercles égaux ou inégaux dans une situation quelconque sont 
homothétiques directs et homothétiques inverses, et les deux centres 
d'homothétie divisent harmoniquement la ligne des centres des deux 
cercles. Les tangentes communes extérieures passent parle centre d'ho- 
mothétie directe et les tangentes communes intérieures passent par le 
centre d'homothétie inverse (Gg. 14 à 17). Quand les cercles sont tan- 
gents, leur point de contact est un centre d'homothétie : directe si les 
cercles alors inégaux sont intérieurs, et inverse si les cercles égaux ou 
inégaux sont extérieurs; dans ce dernier cas, les deux tangentes inté- 
rieures se réduisent à une seule^ perpendiculaire à la ligne des centres. 


Toutes les phases successives de Taccouplement de deux cercles 
peuvent s'obtenir par leur rapprochement sur la ligne des centres qui 
peut être une ligne droite ou une ligne circulaire. Dans ce dernier cas, 
les centres des cercles initiaux étant situés simultanément sur la ligne 
circulaire et sur les rayons issus de son centre, il revient au même de 


20 




122 


"Prolégomènes 




les faire glisser sur la ligae circulaire, ou sur les rayons en les faisant 
se rapprocher de plus en plus du centre directeur. Mais il est encore 
un autre mode de génération continue de ces phases et qu'il nous faut 
faire connaître. Prenons, pour simplifier, deux cercles tangents exté- 
rieurs et traçons la ligne des centres, nous aurons ainsi la figure 18. 


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Supposons maintenant que, Tun des cercles restant fixe, l'autre se dé- 
place par un mouvement de rotation autour du point de tangence» par 
exemple que, le cercle a restant fixe, le cercle b tourne autour du point 
c, son centre b se transportant successivement en tous les points d'une 
demi-circonférence décrite du point c avec un rayon égal à cb. Sî nous 
divisons ce demi-cercle en n parties égales, nous aurons n centres suc- 
cessifs, c'est-à-dire n phases intermédiaires entre les deux positions 
extrêmes (fig. 18 à 23). 
En passant de la figure 18 à la figure 19 et suivantes, et à mesure du 


J 


Ch. Il, Art. F/, § 3 — Les figures de N-Cercles 123 


mouvement du cercle mobile, la ligne des centres se dédouble pour 
chacun des cercles et les axes respectifs de a et de £ forment les sau- 
toirs II-II et III-III qui ont en commun un axe de mèrae nom (c'est-à- 
dire la nouvelle ligne des centres ab). La tangente d'abord commune I-I 
se dédouble pour chacun des cercles et l'on a deux sautoirs égaux I-I et 

V'T dont les sommets sont aux deux points d'intersection des cercles. 
Ces sautoirs en se coupant mutuellement déterminent un quadrilatère 
qui a ses cotés perpendiculaires au quadrilatère acbc\ Les côtés de ces 
sautoirs sont les tangentes des arcs en lesquels sont partagés les cer- 
cles initiaux par suite de leur intersection mutuelle. Nous pourrions j 
étendre indéfiniment la description des conséquences qui résultent de 
la métamorphose de la figure 18 en la figure 19 et suivantes, mais, et 
puisqu'il faut se borner, nous nous contenterons d'en indiquer la 
marche. Libre au lecteur studieux de s'y appliquer davantage, pour, en 
exerçant sa pénétration d'esprit, étendre simultanément son éducation 
graphique. 

Le rayon c6 étant incliné parallèlement à la tangente menée par le 
sommet du grand cercle au petit cercle de centre c^ il s'ensuit (fig. 20) un 
sautoir d'équerre l'-l' dont les côtés forment avec les droites c6 et c'A 
une maille carrée. A partir de cette position et le petit cercle ayant 
tourné d'un angle droit on a la figure 21 , qui est réciproque à la figure 20. 
D'une figure à l'autre les droites do même nom sont parallèles, et le cercle 
b est retourné symétriquement par rapport à Taxe cc\ 

Le rayon cb étant perpendiculaire à la ligne des centres initiale, on a 
la figure 22 qui a ses tangentes en croix, et par suite les deux cercles 
a et A sont orthogonaux, c'est-à-dire que les circonférences se coupent à 
angle droit. Les deux sautoirs réciproques II-II et l-I sont égaux et con- 
trariés d'équerre. Le quadrilatère acbc a deux angles droits et par con- 
séquent il est inscriptible, c'est-à-dire qu'une même circonférence réunit 
ses quatre sommets, etc. 

Dans la figure 23, le centre b du petit cercle est sur la circonférence 


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T^rolégomènes 


du grand cercle, il s'ensuit que le sommet du sautoir IMI est aussi 
sur la circonférence du grand cercle, et que son angle aigu est égal à la 
moitié de l'angle aigu du sautoir I-I, lequel est égal à l'angle au centre 
cac\ etc. 

Dans la figure 24, ayant mené une tangente commune aux deux cercles 





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a et c, la ligne ce se trouve déterminée et par suite le rayon bc du 
cercle ô. Les tangentes des points d'intersections forment deux sautoirs 
I-II et I-II qui ont deux de leurs côtés parallèles, de telle manière que 
l'ensemble des tangentes forme une figure composée d'une jumelle II-II 
et d'un sautoir I-I. 

Enfin, le cercle mobile ayant son centre sur la ligne des centres on 
a la figure 25, qui se compose de deux cercles tangents intérieurs ayant 


Ch. Il, Art. VI, % y — Les figures de M-Cercles li5 


une tangente commune. Les deux diamètres perpendiculaires à la ligne 
des centres sont redevenus parallèles. 

Ces quelques exemples suffiront au lecteur studieux qui pourra à son 
gré en augmenter le nombre, et notamment graphier les figures réci- 
proques, comme nous l'avons indique (fig. 20 et 21); puis examiner les 
phases équivalentes de doux cercles égaux, et enfin ce qu'il advient 
quand les deux cercles inégaux ont une proportion ou un rapport définis. 

Dans les figures précédentes (Rg. 18 à 25), nous pouvons remarquer 
que les diamètres, d'abord parallèles et perpendiculaires à la ligne des 
centres, et par conséquent situés respectivement sur les côtés d'une 
jumelle (fig. 18), deviennent obliques l'un par rapport à l'autre et par 
conséquent situés sur les côtés d'un sautoir (fig. 19 à 21); puis perpen- 
diculaires et situés alors sur les côtés d'un sautoir rectangle; puis de 
nouveau obliques l'un à l'autre (fig. 23 et 24), pour enfin redevenir paral- 
lèles et perpendiculaires à la ligne des centres (fig. 25). 

Quand les diamètres sont parallèles, il est aisé de déterminer, comme 
nous l'avons vu, leurs centres de similitude, qui sont situés sur la ligne 
des centres; mais, s'ils sont contrariés^ leurs centres de similitude se 
trouvent en dehors de la ligne des centres, et il nous faut apprendre à 
les déterminer. Dire que deux traits sont contrariés c'est exprimer qu'ils 
ne se trouvent situés respectivement ni sur une même ligne droite, c'est- 
à-dire sur un même alignement, ni sur une jumelle, c'est-à-dire sur deux 
alignements parallèles. Or, ne se trouvant situés ni sur une même droite 
ni sur deux droites parallèles, ils sont nécessairement situés sur un sau- 
toir, c'est-à-dire sur deux lignes droites qui se croisent ou deux aligne- 
ments contrariés. Ne pouvant examiner ici, parle menu, les relations des- 
criptives de deux traits qui ont pour support ou pour réceptable une 
ligne droite, une jumelle, un sautoir, ou un cercle dont ces traits sont 
alors des cordes, nous nous en tiendrons pour le sautoir, aux seuls cas 
où les traits disjoints, aboutos ou entrecroisés, sont inclinés l'un par 


126 


Prolégomènes 


rapport à l'autre sous les trois espèces d'angles: Tangle obtus, l'angle 
droit et l'angle aigu . 

Donnons-nous un sautoir déterminé sur les côtés duquel nous pren- 
drons deux segments inégaux quelconques et situés d'une manière quel- 
conque l'un par rapport à l'autre ou, ce qui revient au même, par rap- 
port au sommet, nous aurons ainsi une figure tout à fait arbitraire et par 
la proportion des traits et par la proportion de leurs distances au som- 
met. Nous aurons pai; exemple la figure 26, cotte figure telle quelle sera 
notre point de départ. Plus généralement encore, nous pouvons consi- 
dérer deux traits pris au hasard, mais qui ne sont ni sur une même 
ligne droite, ni sur les côtés d'une jumelle, et tracer le sautoir qu'ils 
impliquent. 


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Si nous désignons par les lettres a et ^, a' et b\ les extrémités respec- 
tives des deux traits par rapport au sommet du sautoir, ces deux traits 
seront de même sens (fig. 26) ou de sens contraire (fig. 27). Cela posé, 
si, par le sommet c du sautoir et les points homologues a et a\ b et U 
des traits, nous faisons passer deux circonférences, ces circonférences se 
couperont en deux points c et o qui sont symétriques par rapport à la 
ligne des centres pq. Le point/? est équidistantdes points a, a',c, et q 


Ch. II, Art. Vl,%3 — Les figures de N-Cercles 127 


est équidîstant des points 6, b\ c. On démontre aisément que les trois 
angles des triangles oba^ of/a' sont égaux; il s'ensuit que ces triangles 
ont les côtés proportionnels et par conséquent sont semblables. C'est le 
théorème de Thaïes. Si donc on fait tourner oéV autour de o jusqu'à 
ce que ob' s'applique sur oô, o'a' sur oa, le troisième côté b' a' sera 
parallèle à ba, donc o est bien le centre de similitude. Les rayons homo- 
logues de similitude et en général deux traits homologues quelconques 
sont inclinés sous un même angle de rotation aoa\ Les deux angles do 
rotation des figures réciproques (fig. 26 et 27) sont supplémentaires l'un 
de l'autre ou pris ensemble font deux angles droits. 

Dans les figures réciproques 28 et 29, l'un des traits est abouté au 
sommet du sautoir. 

Dans les figures réciproques 30 et 31 les deux traits sont aboutés au 
sommet du sautoir et forment ensemble un chevron acutangle impair. 
Dans la figure 30 le cercle q est infiniment petit et les cinq points A, b\ y, c 
et se confondent en un seul. 

Dans 32 et 33, l'un des traits branche sur l'autre en un point qui divise 
ce dernier en deux segments inégaux. 

Dans 34 et 35 le traitai branche sur le milieu de a'b*; à cause de cela 
les figures quoique impaires sont dyssymétriques. 

Dans 36 et 37 mêmes branchements que dans 32 et 33, mais avec 
inversion dans les segments et dans les angles. 

Dans 38 et 39 enfin, on a un chevron obtusangle, impair et dyssymé- 
trique, supplémentaire à deux droits du chevron acutangle (fig.30 et 31). 


Si, à partir du chevron acutangle (fig. 30),on fait mouvoir et parallè- 
lement à lui-même le trait a'6' sur ab on obtient la suite des figures 40 
à 45 et finalement un chevron obtusangle. 

Si les traits s'entrecroisent on a la suite des figures 46 à 57. Le cou- 
ple (fig. 52 et 53) est simplement branché. Les couples 48 et 49, 54 et 55 


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128 


Prolégomènes 


sont impairs mais dyssymétriques à cause que l'un des traits est partagé 
par l'autre en deux parties égales. 



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Ch, IIj tArt. VIflj — Les figures de N-Cercles 


1^9 


s'entrecroisant s'entrecoupent mutuellement en deux parties égales. C'est 
la phase la plus régulière de toute la suite. 


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430 


Prolégomènes 


revient au même, les deux traits ayant pour support un sautoir rectangle, 
on à la suite des figures 58 à 79. 


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Les figures 58 et 59 ont les traits disjoints. 


Ch. Il Art. Vljly — Les figures de N-Cercles 


131 


Les figures 60 et 61 ont les traits disjoints, maïs Textrémité de Tiin 
des traits est au sommet du sautoir. 


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Dans les figures 62 et 63 les deux traits sont articulés bout à bout et 
forment un chevron rectangle et impair. 


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Prolégomènes 


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Ch, II, Art. VI,% j — Les figures de N-Cercles 


133 


Les figures 64 et 65, 68 el 69, forment uq lé impair. 


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Les figures 66 et 67, 70 et 71 forment un té pair. 
Les figures 72 et 73 forment une croix impaire. 


134 


Prolégomènes 


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Les flgures 74 et 75, 76 et 77 forraontune croix paire. 


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Les figures 78 et 79 forment une croix paircment paire ou écarleléc. 

Toutes ces figures donneraient lieu à bien d'autres remarques sur 
lesquelles nous ne pouvons insister ici. Cependant nous ferons encore 
observer que toutes les constructions accessoires aux deux traits initiaux 
et leur notation par lettres ont seulement pour but d*aider à la pleine in- 
telligence des figures en en marquant le détail nécessairement analytique 
et discursif. Cet échafaudage purement logique, ces béquilles toutes sco- 


Ch. II y cAft, F/, § 7 — Ises figures de N-Cercles 


135 


lastiques. après qu*on s'en est aidé doivent être éliminées pour faire 


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plus évidente, mais encore plus intime et plus profonde, l'intelligible et 
le sensible devenant désormais simultanés. 


136 


Prolégomènes 


C'est ainsi par exemple que les figures 78 et 79 étant dépouillées de 
ce qui est accessoire aux deux traits initiaux se réduisent à une croix à 
branches inégales, mais symétriques deux à deux. Si les deux traits 
étaient égaux (fig. 80 à 84), la croix serait alors d'une régularité absolue 


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et complètement équilibrée et c'est ce qui se voit d'emblée au seul aspect 
de la figure (fig. 84). La régularité qu'elle présente, évidente pour le 
sentiment, est appuyée pour l'esprit par les axes de symétrie graphies 
(fig. 83). Avec le système logique d'apposition des lettres pour signifier 
chacun des traits composant la croix, on aurait les figures 80 et 81. En- 
fin en réduisant la notation et, puisque les traits jouent un même rôle, 
les notant chacun d'une même lettre on aurait la figure 82 où le système 
propre de symétrie gironnée de la figure est expressément accusé. 

Dans les deux colonnes que forment les figures réciproques on remar- 
quera que la ligne des centres est symétrique d'une colonne à l'autre et 
qu'elle a même inclinaison l'une en barrej'autre en bande (fig. 58 à 79). 
Cette inclinufson dépend du coefficient angulaire qui est déterminé par 
la proportion des deux traits. Si les deux traits étaient égaux (fig. 80 


Chap. //, cArt. VI, I 7 — Les figures de N-Cercles Vil 


et 81), les lignes des centres seraient rectangulaires entre elles; elles 
formeraient un sautoir rectangle. 

Deux traits projetés au hasard sur le plan peuvent être : 1® sur une 
même ligne droite; 2*^ répartis sur les deux côtés d'une jumelle; 3^ répar- 
tis sur les deux côtés d'un sautoir; 4° compris entre les côtés d'une ju- 
melle d'un trait à l'autre, et égaux ou inégaux^ parallèles ou antiparal- 
lèles, ou enfin d'inégales inclinaisons; 5^ compris entre les côtés d'un 
sautoir et équiangles àcescôtés — c'est-à-dire parallèlesou antiparallèles 
— ou inéquiangles; 6^ enfîn, les traits égaux ou inégaux sont les cordes 
d'un même cercle ou de deux cercles distincts, éloignés ou rapprochés à 
volonté. Leurs positions relatives sont déterminées par leur rotation 
autour du centre. Les traits, tout en s'appuyant par leurs extrémités sur 
un même cercle, s'appuient en même temps sur les côtés d'une jumelle 
ou d'un sautoir. 

Sait pour exemple le cas do deux traits inégaux s'appuyant par leurs 
extrémités sur la circonférence du cercle dont ils sont alors des cordes 
(fig. 85 à 90). 

Si les traits sont disjoints on a les figures 83 et 86. Les quatre extré- 
mités des traits étant reliées deux à deux, on a un quadrilatère complet 
dont la maille est un quadrilatère inscrit au cercle et que l'on peut con- 
sidérer aussi comme formé par trois sautoirs concomitants: I-I, II-II et 
III-IIL Par rapport aux sautoirs IMI et IIMII les traits sont antiparal- 
lèles. Les traits sont sur les côtés du sautoir I-I et Ton a la relation géo- 
métrique suivante : les sécantes ca et ca' sont inversement proportion- 
nelles à leurs parties extérieures c6 et cb\ 

Si les traits aô, a'b' se croisent on a les Ogures 87 et 88 dans les- 
quelles les traits s'entrecoupent en parties inversement proportionnel- 
les: ca : ca': : c6': cb. 

Si les traits sont parallèles (fig. 89) on a une jumelle 1*1 et deux sau- 
toirs II-II, IIMII. 

21 


138 


Prolégomènes 


Si les traits se coupent d'équerre (fig. 90), on a trois sautoirs dont un 
rectangle. 


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Le quadrilatère inscrit (fig. 91 à 93) comprend trois couples de seg- 
ments distincts: AB-CD, AD-BC, AC-BD, distingués parle pointillé des 
lignes ou des côtés des eautoirs auxquels ils appartiennent. Les traits des 


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couples, a cause que leur quadrilatère est inscrit dans un même cercle, 
sont antiparallèles, savoir: AB-CD par rapport au sautoir II-II, et au 


Ch. Il, c4r/. VI, 5 7 — Les figures de N^Cercles 


139 


sautoir IH-III; AD-BC par rapport aux sautoirs M et IIHII, et enfin 
AC-BD par rapport aux sautoirs I-I et II-II. 


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Plus généralement si Ton se donne quatre points A, B, G, D sur la 
circonférence, on peut les rassembler ou les disperser sur son contour, 
en général les distribuer d'une infinité de manières: dans la figure 91 les 
quatre arcs déterminés par les points sont inégaux, l'ensemble est im- 
pair; dans la figure 92, un des segments AD passepar le centre du cercle ; 
dans la figure 93, l'ensemble est pair. Tous les sautoirs ont leurs axes 
réciproquement parallèles et perpendiculaires. Si (fig. 94) les quatre 
points déterminent quatre arcs égaux, les sautoirs qui contiennent les 
segments sont rectangles et déterminent deux jumelles égales entrecroi- 
sées. Puisque les deux sautoirs égaux sont contrariés d'équerre et 
conaxiaux, il s'ensuit que s'ils sont rectangles l'un à l'autre comme I-I et 
T-I', on a la maille carrée ABCD; s'ils sont obliquangles comme IHF et 
Il'-ir on a la maille en coin et paire. Quand les points B, A, D sont unis 
ou se confondent en un seul, les sautoirs correspondants se réduisent 
à deux lignes CA et B''AD" passées en croix, ce qui constitue l'une des 


140 


Prolégomènes 


limites de la variation des quatre points initiaux. Une autre limite est 



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quand la maille est carrée, après quoi recommencement les variations 
continues. 


Poitiers. — ."Inap, BLAIS et ROY, 7, rue Victor-Hugo.